Pas de belles parures de bijoux, pas de maquillage, pas de tenue sophistiquée. Aucune grandiloquence pendant que je préparai ta venue. Tu avais accepté mon invitation quelques jours plus tôt, au gala ; je fus surprise certes, mais surtout heureuse. Même à petits pas, nous avancions.

C’était sans doute mieux aussi. La confiance se construisait différemment selon les individus. Pour obtenir la tienne, je devais batailler comme une forcenée. Me montrer maligne, patiente ; puis saisir les occasions qui s’offraient à moi.

Mais toutes ces pensées… je les balayai aussi vite qu’elles effleurèrent mon esprit. Parce que le plus important n’était pas de t’avoir de mon côté, obtenir ta loyauté pour mieux te tromper. Non. Ce qui m’importait le plus était d’être là pour toi ; à défaut de ne pas l’avoir été pendant ces trente dernières années.

Je ne pouvais revenir dans le passé pour réparer ce tort. Ce qui était fait était fait. Il ne me restait qu’une solution : avancer. J’espérai être sur la bonne voie, cette soirée allait probablement m’aider un tantinet.

Ce fut le sourire aux lèvres, confortablement installée sur mon canapé, mon téléphone à la main que j’attendis ta venue. Ema, mon elfe de maison, vint me trouver ; me voyant d’une humeur joviale, elle en profita pour me taquiner :

─ Tu as l’air de bonne humeur, Louise. Qu’elle me dit en français. Je répondis également dans ma langue maternelle.
─ Je le suis, Ema. Darya vient manger à la maison ce soir.
─ Oh… ta nièce. Tu lui accordes beaucoup de temps, plus que…
─ Qu’à l’accoutumée tu voulais dire ?
─ Tu sais très bien ce que je veux dire.
─ Oui, je le sais. C’est un problème pour une autre fois. Tu me connais ma chère amie, tu sais qu’être sur tous les fronts ne m’a jamais fait peur.
─ Je le sais, Louise. Tu m’as toujours demandé d’être franche et directe avec toi, alors tu sais ce que je pense de tout cela.
─ Comme je le disais, un problème pour une autre fois. Chaque chose en son temps.

Sur ces mots, elle s’attela à préparer les ingrédients, laissant ainsi ma nièce et moi le loisir de choisir ce que nous voulions préparer. Quant à moi, je posai mon téléphone sur la table basse du salon tout en imaginant ce que mon père trouverait à en redire s’il me voyait trainasser sur un appareil inventé par les moldus. Seulement voilà, il n’était plus là pour me dire quoi que ce soit.

Je faisais ce que je voulais. J’attendis donc ta venue, Darya, brossant mes deux terreurs félines qui ronronnèrent à tour de rôle, choyées comme un prince et une princesse. L’humeur était au beau fixe… j’espérais une soirée sans dramaturgie. Un moment suspendu dans le temps. Malgré les sujets épineux que nous aurions probablement à aborder.

Une belle soirée en perspective donc.

Il ne me fallut pas attendre bien longtemps avant ton arrivée. La différence étant que cette fois tu n’étais pas tout à fait seule ; accompagnée de ton ami : Alamak. Un regard sur ton compagnon, puis mes saphirs bifurquèrent sur toi alors que tu t’excusais.

Mieux valait tard que jamais ; au moins tu me faisais le plaisir d’être là. Cerise sur le gâteau, avec des pâtisseries en prime, mine de rien, quand tu le voulais tu pouvais être attentionnée. Ou peut-être que tu ne l’étais qu’avec ceux qui l’avaient mérité. Ce qui n’avait pas été mon cas depuis… longtemps.

Qu’importe, les douceurs sucrées, surtout venant de France, c’était une attention que je ne pouvais que louer :

─ Ne t’excuse pas. J’ai trouvé de quoi m’occuper en t’attendant, il n’y a pas de mal. Pas besoin d’être aussi formelle, tu n’es pas conviée à un diner entre ministres je te rassure. Rire amusé alors que je me saisis des douceurs que tu avais apportées afin de les ranger à leur place. Tu n’avais pas menti quand tu disais que tu t’occupais du dessert. Très bon choix. La gastronomie française est immensément supérieure à la britannique. D’ailleurs, la France est un pays magnifique ; je ne sais pas si tu as eu l’occasion de visiter un peu, mais si ce n’est pas le cas, tu devrais.

De mon côté, chaque fois que l’on évoquait le pays, que je parlais dans ma langue maternelle ou que je visitais l’hexagone… j’avais une pensée pour ma mère. Un souvenir doux-amer alors que j’avais hérité d’elle tant de choses, sans jamais avoir eu l’occasion de bénéficier de sa présence. Ce que je regrettais, chaque jour. Pas une journée sans avoir une pensée pour elle et le fait d’avoir été privée de sa présence.

Dire que je m’étais promis d’être là pour vous tous… quelle sotte je faisais. J’espérais que ce n’était pas trop tard, m’engouffrant dans la moindre occasion pour être proche de vous comme j’aurais toujours dû l’être.

Proche de toi, Darya, alors que je déposai un baiser sur ta joue dans un élan de tendresse. Je t’avais rien que pour moi ce soir, déjà j’étais enivrée de ce plaisir alors que tu venais à peine d’arriver. Pour toi, cela était encore nouveau, être le centre d’attention d’une figure plus âgée de ta famille. Je ne sus ce que tu ressentais, mais j’espérais qu’un jour tu y prendrais goût.

─ Je vais bien merci. Et toi ? Je vois que ton compagnon nous honore de sa présence. Un regard furtif jeté sur le serpent avant de reprendre : Tu sais… parfois je me dis que j’aimerai bien tenir la conversation avec mes deux terreurs, rien que pour savoir ce qui se passe dans la tête d’un animal, pas toi ? Je me demande à quel point ils peuvent être intelligents, s’ils ressentent des émotions similaires aux nôtres. Cela dit… certains humains ont la gamme émotionnelle d’une cuillère à café, alors je pense que certains animaux n’ont probablement rien à leur envier.

Petite pique lancée à qui tu savais. Parce que ça ne faisait pas de mal de médire un peu lorsque l’individu en question le méritait.

Non seulement de convenance, mais également de bon goût. Le genre de petite attention qui n’avait peut-être l’air de rien, mais qui me faisait toutefois plaisir. Dans le même temps, j’eus du mal à croire que tu voyageais pendant tes congés.

Pour cela il fallait déjà en prendre… ce qui n’en avait pas l’air alors que tu prétextais manquer de temps. Je n’avais jamais réellement cru en ce prétexte. Le temps, il fallait le prendre et non attendre qu’il vînt à nous. Prends du temps pour soi, pour souffler, prendre soin de soi. Il le fallait si l’on voulait rester sain d’esprit. Personne ne pouvait vivre sous une pression permanente.

Toi ma chère, tu semblais persuadée de vivre avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête. Elle portait le nom de ton père et cette ombre qu’il projetait sur toi et ton frère. Néanmoins, je choisis de ne pas rebondir là-dessus, ne voulant pas te brusquer alors que tu venais tout juste d’arriver.

Quant à ton compagnon, lorsque tu me demandas si sa présence était embêtante, ma réponse se fit aussi claire que concise :

─ Moi non. Mars et Athéna voudront peut-être le taquiner un peu, ils sont joueurs. Je m’occuperai de calmer leurs ardeurs s’ils le dérangent.

Une fois encore, tu parlais presque de lui comme si tu parlais d’une personne. Rien de vraiment étonnant vu qu’il partageait ta vie depuis plusieurs années ; c’était toutefois toujours aussi perturbant si l’on n’était pas habitué. Ce qui était mon cas.

La conversation qui bifurqua sur nos compagnons à poils et écailles, pendant que tu parlais de la possibilité d’être fourchelang et les problèmes que cela pouvait engendrer. Ce qui me fit immédiatement réagir alors que je te répondis avec douceur pendant que nous nous dirigions vers la cuisine :

─ Je dois t’avouer que je ne vois pas en quoi ta position aurait un quelconque rapport avec le fait de posséder un don pareil. À mon sens… cela n’a aucune importante, ce n’est qu’un don parmi tant d’autres. Que tu le sois ou pas, ça serait l’équivalent de me dire que tu préfères les fraises aux framboises ; rien qui me choquerait si tu préfères.

J’avais moi-même appris l’occlumencie, ce qui était certes plus commun dans notre famille, mais ce fut une nécessité plus qu’une lubie. Encore plus aujourd’hui, d’aucune façon je ne désirais qu’on eût le pouvoir de fouiller dans mes pensées, mes souvenirs, mes secrets. Ils étaient miens ; uniquement miens.

Et tu avais raison, Darya, bien dommage que ceux qui nous étaient chers n’étaient pas éternels ; au même titre que nous. Mais la mort étant la seule certitude de notre existence, ce n’était qu’une variante de plus dans l’équation de nos vies. Il fallait composer avec. Mais surtout…

─ Je comprends ce que tu veux dire, mais je dois t’avouer que je ne suis pas nécessairement d’accord. Je pense que la mort est ce qui donne un sens à la vie. Ce qui lui donne toute sa valeur. Ce qui fait que le temps que nous passons ensemble est précieux. Je marquai une petite pause, caressant du bout des doigts la fourrure d’un de mes félins qui trônait vaniteusement sur la table de la cuisine, flattant l’animal qui ronronna de plus belle. Puis je conclus : mais il est vrai que lorsque nous perdons prématurément ceux que nous aimons… la douleur peut être insoutenable.

Je ne sus dire si tu fus capable d’entendre ce léger tremblement dans ma voix. Cette vulnérabilité qu’était la mienne ; celle que j’avais parfois du mal à assumer. Personne n’était épargné par la perte des êtres chers à son cœur. Personne. Malheureusement pour toi, ma chère nièce, je n’avais aucun pouvoir là-dessus, et c’était peut-être mieux ainsi.

Oui ma chère nièce, c’était bien là le nœud du problème : que se fût mal vu par le monde des sorciers de posséder un don pareil. Mais j’avais toujours trouvé cela stupide à bien des égards. Comme si ce don pouvait déterminer ce qu’un sorcier deviendrait. Tout simplement ridicule.

Ce que j’eus du mal à comprendre en revanche, ce fut le fait que tu remis le sujet sur la table, presque comme si tu cherchais mon avis sur la question ou une sorte d’approbation. Ce genre de petit détail qui m’intriguait… mais sur lequel je ne rebondis pas pour autant. Et cela pour une raison simple : chacun avait le droit à son petit jardin secret.

Néanmoins, lorsque nous fûmes dans la cuisine et avant de nous lancer dans la préparation, je conclus notre échange sur le sujet en te disant le fond de ma pensée :

─ Je trouve ça ridicule. Parler une langue ne devrait pas être stigmatisé, Darya. Ce n’est pas comme si on faisait quelque chose de mal ou de dangereux. Cela ne définit pas une personne non plus. Plus encore lorsque ce phénomène est surtout visible en Europe et pas nécessairement dans les autres continents. Je te donne l’avis de quelqu’un qui a voyagé un petit peu pendant sa jeunesse : je préfèrerai toujours un fouchelang à une langue de vipère.

Oui, le jeu de mots fut voulu, bien évidemment. D’où le clin d’œil que je t’adressai. Puis tes excuses lorsque nous évoquions un sujet bien plus difficile à aborder. Cette famille avait été touchée par un drame qui l’avait mise en morceaux.

Ceux-ci s’étaient éparpillés un peu partout… et voilà que de mon côté j’essayais tant bien que mal de les recoller. Je me rendais compte aujourd’hui de l’ampleur de la tâche et cela me donnait presque le vertige.

Pour autant ma volonté d’agir était inflexible. Je devais sans doute remercier Marion pour cela. Elle m’avait donné l’espoir que je pensais avoir perdu. Quant à toi Darya, petit à petit tu devenais la preuve vivante qu’il ne fallait rien lâcher.

Pour cela qu’à ton image, j’attachais ma chevelure afin de nous lancer dans la préparation du diner. Sans surprise, tu en vins à me demander ce que j’avais prévu, je répondis dans la foulée :

─ J’avais prévu un tartare de saumon pour le plat de résistance… c’est mon petit péché mignon. Je t’avoue que je raffole de poissons et de fruits de mer, j’espère que tu aimes bien cela de ton côté. Un foie gras accompagné d’une salade en entrée. Quant au dessert je n’ai bien évidemment rien préparé vu que la tâche t’incombait.

D’un coup, la peine et la nostalgie laissèrent place à l’enthousiasme et le sourire. J’avais toujours du mal à croire que tu étais là, avec moi, mais ce fut un moment dont je comptais me délecter de la moindre seconde. Tout en songeant que je devais la pareille à quelqu’un d’autre. Même si notre relation était encore plus complexe que celle que nous partagions, Darya.

Tu ne savais pas tout de moi et la réciproque était aussi vraie. Chaque chose en son temps.

Oh… mais bien sûr. Tout avait soudainement bien plus de sens. Le regard qui jongla entre toi, ton compagnon, ton compagnon et toi. Le doigt devant tes lèvres pour intimer le secret alors que tu confirmais mes doutes.



Il suffit d’une œillade malicieuse de ta part pour me mettre dans la confidence. Une marque de confiance que je ne pus ignorer alors que main se posa d’instinct sur ta joue, caressant celle-ci de mon pouce pendant que mes saphirs vinrent te flatter de tendresse. Cela valait de soi, mais tu pouvais être certaine que si tu voulais garder cela pour toi et que personne ne fut au courant… de mon côté, j’allais être muette comme une tombe.

Mais il fut difficile de me retenir de venir également effleurer les écailles de la tête de ton compagnon, comme pour le remercier d’avoir été là pour toi depuis toutes ses années alors que de mon côté je n’avais été qu’un mirage. Décidément, notre famille et nos secrets.

Malheureusement pour toi ma chère enfant… les miens ne t’étaient pas encore accessibles. Et il le valait mieux pour le moment. Je ne faisais pas cela parce que tu ne méritais pas ma confiance, mais il ne s’agissait pas que de moi. Je ne pouvais te dévoiler les miens sans trahir certaines personnes chères à mon cœur. Je ne pouvais tout simplement pas me le permettre.

Raison pour laquelle je n’eus qu’une remarque de plus à faire sur ta génitrice et ce que je pensais d’elle et de son époux :

— Je t’avoue que cette fois, je préfère rester dans l’ignorance. Je ne veux pas plonger dans les méandres nauséabonds de leurs esprits dérangés. Pas ce soir alors que nous pouvons passer un bon moment. Évitons les sujets qui fâchent. Pour le moment en tout cas.

Ce fut sans doute mieux ainsi. Très vite la conversation bifurqua sur Tinworth, j’en avais presque oublié que mes frères avaient choisi de vivre et d’élever leur progéniture là-bas. Pendant que moi… j’étais souvent cloîtrée dans la maison familiale. Mais ça, c’était bien avant ma nomination en tant que Directrice du Département des Mystères.

Dans tes mots je sentais une certaine nostalgie mêlée à quelque chose d’autre… sans doute des souvenirs douloureux alors que tu devais te rappeler dans le même temps que même si tu voulais habiter de nouveau près de la mer, cela voulait dire vivre près d’eux. Bien évidemment, c’était inenvisageable, ce qui n’était pas difficile à comprendre.

Mais lorsque tu me demandas si j’avais déjà mis les pieds à Tinworth, ma réponse fut aussi fulgurante qu’enthousiaste :

— L’accueil chez Canopus laissait à désirer il est vrai. Chez Orion l’ambiance était bien différente. Sans pour autant leur avoir rendu d’innombrables visites, je connais bien l’endroit. Je me répète peut-être ma chère… mais si ta mère ne t’a pas tenue dans ses bras à ta naissance, moi oui. Les saphirs plantés dans ton regard ambré alors que je surenchéris : je n’avais que quinze ans à l’époque, mais c’est un moment qui restera gravé dans ma mémoire pour le restant de mes jours.

Et si je devais marteler ce fait encore et encore jusqu’à ce qu’il devint pour toi une évidence… j’étais résolue à le faire. Car ce n’était que la vérité, rien de plus, rien de moins. L’idée même de te voir remettre cela en question me donnait la nausée.

Pour autant je ne te laissai pas le temps de réfléchir alors que je répondais dans le même temps à ta question sur ma propre demeure :

— J’ai déménagé ici peu après ma nomination en tant que directrice de mon département. L’idée était de rester à Londres tout en m’éloignant de mon père qui prit la responsabilité d’élever les jumeaux d’Orion. Je… légère hésitation, une semi-vérité sortit alors sans que je pusse la contrôler : je ne pouvais plus vivre là-bas en plus de ne plus avoir envie. C’est pendant cette même période que j’ai fait la rencontre d’Ema.

Une nouvelle hésitation alors que je commençai à cuisiner, te relatant l’histoire de ma rencontre avec elle… et ma décision de la persuader de venir habiter avec moi :

— Ce n’était pas réellement le fruit du hasard à vrai dire. Ma rencontre avec elle. Ema était l’elfe de maison de la famille de ma mère. Une grande famille française au sang pur, comme tu peux l’imaginer. À cette époque je… j’avais besoin d’en savoir plus sur ma mère, je ne pouvais pas compter sur mon père pour cela alors j’ai rendu visite à sa famille. J’ai ensuite constaté de mes propres yeux le traitement qu’on lui infligeait. Le corps qui tremblait légèrement sous l’impulsion de la colère alors que les souvenirs remontaient. C’est à ce moment que je compris à quel point ma mère était quelqu’un d’exceptionnel, lors de ma première conversation avec Ema. Je compris qu’elle me ressemblait sous tellement d’aspects que chaque jour je maudis le destin de n’avoir jamais pu rencontrer la personne qui m’a mise au monde.

Je conclus alors qu’une fois de plus mon regard se plongea dans le tien :

— Ema n’est pas une esclave. Elle ne l’est plus. J’ai veillé à cela. Elle a pris la décision de vivre avec moi et de travailler pour moi. Nous vivons ensemble depuis longtemps maintenant. Cependant, pour répondre à ta question je dirais ceci : cette maison a connu son lot d’invités, masculins comme féminins. Mais jamais ils ne sont restés assez longtemps pour jouir de la merveilleuse compagnie qu’est la mienne plus de quelques semaines.

Pour ce qui était de la fréquence de certaines visites et bien… je laissais libre cours à ton imagination pour cela.

Que devais-je faire de cette confidence Darya ? Maintenant que je savais que tu étais une fourchelang ; où cela devait nous mener ? Attendais-tu quelque chose de moi en échange ? Te dévoiler mes secrets aussi ? Une réciproque que je ne pouvais honorer pour le moment.

J’aurais aimé pouvoir, mais il y avait des choses que je ne pouvais te dire. Pas parce que je ne te faisais pas confiance ou que je pensais que tu ne méritais pas de savoir… mais cela ne dépendait pas que de moi. Lorsque cela concernait d’autres personnes, il y a une confiance que je ne pouvais trahir pour flatter une autre.

Mais fort heureusement, tu ne semblais pas vouloir insister pour jouir de cette réciprocité. Au contraire, tu passais vite à autre chose et écoutas avec attention mon récit sur Ema, la façon dont je la traitais. Un respect vis-à-vis d’elle que tu partageais.

Quelque chose qu’on ne retrouvait pas chez tout le monde. Surtout chez les sorciers de notre statut : les sang-purs. Ce que je déplorai au même titre que toi.

— Oui… c’est ainsi depuis la nuit des temps. Grand nombre de sorciers de notre statut vivent dans leur petite bulle ; coincés dans une époque antérieure à celle que nous vivons. Ils rêvent d’un temps qui n’existe plus aujourd’hui, qui n’a peut-être jamais existé. Mais je constatai toutefois quelque chose qui me ravit : mais vous… que ce soit toi, ton frère, tes cousins, j’ai bon espoir pour vous. Je pense que vous saurez vivre avec votre temps, évoluer dans le bon sens. Notre famille est assez forte pour progresser sans renier certaines traditions qui font notre force. Je ne veux pas que vous soyez prisonniers du passé.

Et j’espérai que peu importe ce qui pouvait se passer, tout irait bien pour nous. Ce n’était qu’une question de temps avant de le découvrir. Et c’est alors que vint une interrogation à mon sujet ; pourquoi diable je n’avais jamais été mariée ? Mais le pire, ce n’était pas la question, mais sa tournure. Tu confondais ton père avec le mien… ce qui pouvait se comprendre.

Difficile de me retenir de pouffer de rire tant ta façon de le demander ressemblait fortement à ta propre situation et ce que ton père avait prévu pour toi. Presque comme-ci tu étais incapable d’envisager un monde où le géniteur n’avait pas une emprise totale sur sa progéniture.

Je te délivrai ma réponse tout en te regardant dans les yeux :
— Il n’y a rien d’étonnant à cela Darya. Mon père a très vite compris que ma dévotion pour cette famille allait bien au-delà d’une alliance avec une autre. Tu sais… on peut penser ce qu’on veut de lui, mais Altaïr aimait ses enfants, il aimait sa fille. Voix légèrement tremblante lorsque je te délivrai ce regret que j’avais toujours eu : il n’a jamais été proche de me dire une seule fois qu’il m’aimait cependant. Avant de reprendre avec plus d’enthousiasme : mais aujourd’hui avec le recul, je comprends qu’il avait simplement sa propre façon d’aimer ses enfants. Je pense également qu’il craignait sans doute l’enfer que j’aurai pu lui faire vivre si jamais il avait osé forcer un mariage pour moi. Ce que j’aimais à croire pendant que je ris de cette plaisanterie qui au fond n’en était pas vraiment une. Je crois qu’il a toujours su que je n’étais pas faite pour le mariage ou pour les enfants. Ah… s’il savait, il se retournerait dans sa tombe.

Tandis que je te délivrai mes confidences, j’en profitais pour terminer de préparer l’entrée, bientôt temps de passer à table. Je t’invitai donc à me suivre, délivrant une dernière réplique, te laissant dans ta réflexion par la suite :

— Je pense qu’il a toujours su que je ferai briller le nom de notre famille de ma propre façon… mais qu’il n’a jamais réellement compris ce que je voulais, ce dont j’avais vraiment besoin. Je lui en ai voulu pendant longtemps ; aujourd’hui encore je suis toujours en colère contre lui. Néanmoins, je n’ai plus le temps de me morfondre et de cogiter. Il est grand temps d’agir pour le bien de notre famille. Pour votre bien à tous. J’y suis résolue.

J’avais toujours à cœur de le prouver père. De prouver que la confiance que tu m’avais accordée était bien placée, même si je n’avais pas su m’en rendre compte quand il le fallait. Prouver qu’entre mes mains, nous irions plus haut que tout le monde. Mais aussi et surtout… prouver que nos étoiles pouvaient briller d’un éclat que tu n’avais jamais imaginé. Canopus était un échec, Orion n’était plus là. C’était à moi de faire le nécessaire.

À tes réactions je me rendis soudainement compte… le fossé qui nous séparait toi et moi. Tandis que je parlais d’amour, tu voyais sans doute mon amertume comme de l’ingratitude. J’en avais oublié une chose essentielle pendant que je m’exprimai. Oublié qui était ton père.

Tu me le rappelas en l'évoquant sans pour autant prononcer son nom. Appuyant là où ça faisait le plus mal ; cet amour dont tu avais été privée depuis toujours. Toi, Darya, tu n’avais connu que la haine ; ton amertume était bien différente de la mienne. Tu devais probablement m’envier, te dire que je n’étais qu’une princesse pourrie gâtée si l’on me comparait à toi.

Rien de ce que je pouvais dire n’allait changer ce fait immuable. Altaïr et Canopus étaient différents. Mais tous les deux avaient éduqué une fille qui s’était endurcie à sa propre façon. Toi à force d’épreuves toutes plus douloureuses les unes que les autres… moi avec les miennes qui ne pouvaient en rien se comparer aux tiennes.

Et de toute façon, rien ne pourrait amener de bon de se lancer dans un concours sur nos souffrances respectives. Du passé je voulais faire table rase… toi tu en étais tout bonnement incapable. À raison ou à tort, le sujet n’était pas là.

Lorsque nous nous mîmes à table, je m’installai près de toi, prenant grand soin de ne pas déranger ton compagnon, me demandant dans le même temps les mots qu’il pouvait te glisser. Pas question de m’immiscer entre vous deux cependant.

Puis ta question qui sonna presque comme une agression. Un cri de désespoir peut-être ? Quelle importance j’avais des explications à fournir. Mais avant de répondre, quelques bouchées de l’entrée pour prendre des forces. La bataille débutait.

— À quel point l’algie gangrène ton cœur si les notions d’amour et du bien peuvent te mettre dans un état pareil… ça me désole. Un long soupir avant de continuer : ne pense même pas à essayer de me contredire, je ne suis pas née de la dernière pluie, Darya. Je sais reconnaître certaines émotions quand je les vois. Surtout après les avoir déjà ressenties.

Et peu importe à quel point je te portais dans mon cœur, ta question sonna comme une attaque à mes oreilles, comme une agression. Tu pensais sans doute que je me fourvoyais, que l’espoir n’était pas permis. Ton père avait bien évidemment œuvré à cela, sans aucun doute. Sur certains points ne pourrions sans doute jamais nous entendre… mais si tu comptais sur moi pour lâcher prise, tu pouvais d’ores et déjà oublier.

Toute ma famille avait fait les frais de mon entêtement, ma détermination. Sans oublier mon caractère volcanique. Toi, chère nièce, tu attisais les braises d’un feu qui ne demandait qu’à s’embraser. Et quand bien même je pouvais me tromper sur le véritable sens de ta question et ce que tu pouvais penser à ce moment, je ne me fis pas prier pour rétorquer :

— Je ne vais pas te faire l’affront de te dire que je comprends ce que tu ressens, que j’ai vécu ce que tu as vécu ; un mensonge aussi éhonté ne ferait que briser cette relation que j’essaye de construire avec toi. Ce fut dans un calme effarant que je poursuivis alors que le ton de ma voix resta neutre : de ton côté, je vais te demander d’éviter d’être insolente. Je reste ta tante avant toute chose, ma délicieuse petite nièce.

Je pouvais bien entendu me tromper sur la tournure de cette interrogation. Il était même fort possible que cela fût le cas. Mais elle sonna comme une remise en question sur mes convictions ; hors de question de ne pas défendre mon propos.

— Je n’ai pas de plan pour vous Darya. Je déteste me répéter, mais ainsi soit-il : je ne suis pas ton père, ni ton oncle et encore moins ton grand-père. Je ne vous forcerai à rien, n’influerai pas vos choix et ne m’immiscerai pas dans votre vie à moins que vous ne soyez en danger ou que vous demandiez mon aide. Canopus souhaite resserrer vos chaines, Altaïr vous aurait donné un peu de mou, mais sans plus. Je souhaite les briser et vous laisser faire ce que vous voulez. Votre bien sera celui que vous prendrez, pas celui que je daignerai vous donner.

Alors que je repris quelques bouchées de plus, une gorgée de vin, puis une seconde, je te laissai digérer mes propos avant de conclure, te laissant tout le loisir de me répondre quand tu le souhaitais :

— Je jouis aujourd’hui d’une liberté durement acquise ; je veux la même pour vous. Si je ne peux pas diriger cette famille, le moins que je puisse faire c’est la protéger. Mes idéaux ne sont pas une utopie, mais un travail de longue haleine. Tu peux choisir de les partager ou pas… il s’agit de ta vie, pas de la mienne.

Tu en ferais ce que tu voulais sans mettre en danger cette famille. Sinon, tu devras te confronter à moi.

Comme on pouvait s’y attendre, ton compagnon n’eut pas la meilleure des réactions à mes tirades ; ses crocs qu’il arbora sans doute pour m’intimider. Ce fut à peine si la menace me fit réagir, à peine si cela m’arracha un sourire mutin. Pas pour les raisons que l’on pourrait croire cependant.

Pas dans le but de me moquer, mais de constater qu’il était prêt à prendre ta défense à la moindre petite tension qui s’installait. Ce fut à la fois triste et ironique de constater que ton compagnon faisait preuve de plus d’humanité que tes propres géniteurs. Mais une fois encore, cela ne me surprit pas pour autant bien au contraire.

J’en profitai moi-même pour m’interroger sur ma propre réaction et sa disproportion. Et dans le même temps, je m’émerveillai de voir ce calme dont tu fis preuve. Cela eut le mérite de me reconcentrer au même titre que m’apaiser. Quant à cette attention que tu vouais à ton frère, cela ne faisait que me rappeler la relation que j’avais avec Orion ; ce qui me réconforta davantage.

Cet altruisme était tout à ton honneur, mais il mettait également en lumière ce qui me chagrinait le plus venant de toi. Tu parlais comme si tu n’avais pas de place dans l’équation ; sans doute que tu étais même persuadée, résolue. Il y avait ton plan, tes idées ; tout ceci s’opposait au reste. Il y avait toi et les autres.

En t’écoutant parler, il n’y avait pas d’alliés ; déterminée à affronter tes géniteurs et t’extirper de leur emprise… seule. Et pour être honnête, cela me bouffait littéralement de l’intérieur de comprendre petit à petit qu’il n’y avait pas de place pour moi ; peut-être même pour personne à part ton frère.

Pourtant… qu’en savais-je réellement ? Je n’étais pas à ta place, j’avais été absente de ta vie pendant des décennies ; j’avais simplement récolté ce que j’avais semé. Et parmi toutes les réactions que tu aurais pu imaginer après tes propres tirades, me voir pouffer de rire était sans doute la dernière.

Je ne sus me retenir. Cette conversation à cœur ouvert ne faisait que réchauffer le mien. Sans pour autant me dévoiler tes secrets, tes ambitions, tu me parlais, défendais tes opinions et cela me suffit pour être extatique. Tu ne pourrais sans doute pas le comprendre et je ne m’attendais pas à ce que cela arrive.

Mais pour éviter tout malentendu, je clarifiai mon attitude peu après ce petit fou rire :
─ Pardonne-moi, Darya. Je n’envisageais pas vraiment que notre conversation prenne cette tournure. J’avais dans l’optique d’éviter d’aborder certains sujets et pourtant je les fais moi-même revenir sur la table. Une nouvelle gorgée de vin avant un petit rictus amusé du coin des lèvres. C’est ma faute, je ne t’ai pas invitée pour te mettre mal à l’aise toi et Alamak, ni pour te réprimander comme une petite effrontée. J’en oublie parfois que tu n’es plus une gamine… et que je n’étais pas là lorsque tu en étais encore une.

Et je regrettai encore et toujours mon absence. Mais il était bien trop tard pour les regrets de toute façon. Je pouvais tenter de me faire pardonner des centaines de fois, tous autant vous étiez, enfants de Canopus ou d’Orion, c’était à vous de décider si je le méritais ou pas.

Vous offrir ma protection, mes conseils ; m’offrir à vous… c’était à vous de décider si vous m’acceptiez ou pas. Je pouvais être aussi omniprésente que je le voulais, si vous vouliez me repousser, c’était votre choix. Je devais l’accepter, même si cela me rendait folle de rage ou de tristesse. Je devais prendre la responsabilité des erreurs que j’avais commises.

C’était le minimum que je pouvais faire.
─ Je vais me permettre de conclure cette conversation ainsi. Dis-je alors que mes saphirs vinrent se planter dans l’ambre de tes iris. Ma promesse était la suivante : je vous laisserai la liberté de décider ce que vous voulez être, faire, devenir. Je ne serai qu’un rempart au mal qui pourrait vous toucher. Mais je ne vous aiderai que si vous acceptez mon soutien. Je laisse cette décision entre vos mains, car vous n’êtes plus des enfants. Mais parfois… lorsqu’on tombe, il faut essayer d’avoir l’humilité d’accepter la main qui vous aidera à vous relever. Essayer de tout faire tout seul ne réussit pas à tout le monde, j’en sais quelque chose.

Et pour moi la conversation était close, je ne reviendrai plus dessus. Il ne me fallut d’ailleurs que quelques secondes pour enchainer :

─ L’entrée et le vin sont à ton goût, mon enfant ? Si tu lisais de l’insolence dans mes propos et mon ton… c’était tout à fait normal. Je m’en voudrais de ne pas m’amuser un peu alors que je t’avais enfin rien que pour moi. Je n’avais aucune d’idée de la prochaine occurrence, autant en profiter au maximum.

Tu avais beau dire, avoir raté ton enfance et une grande partie de ta vie ne me réjouissait pas ; mais j’appréciai l’effort, la tentative de me rassurer. Je ne pus m’empêcher d’avoir un petit mouvement de négation de la tête, les regrets étaient toujours là. Toujours.

C’était un sujet qui revenait beaucoup et à juste titre. La progéniture de mes frères aurait diablement eu besoin de moi pendant leur enfance ; à bien des égards. J’essayais tant bien que mal de rattraper le temps perdu… mais cela s’avérait plus difficile chaque jour. Pour autant, je ne comptais pas abandonner, ce n’était pas mon genre. Et ça ne l’avait jamais été non plus.

Ma détermination comme ma résolution, égales aux tiennes, Darya. Toi qui semblais prête à tout pour protéger ton petit frère. À t’écouter, il était la prunelle de tes yeux… ça, je ne pouvais que le comprendre et même le féliciter. Mais je n’avais besoin de le faire non plus ; aimer et protéger sa famille était tout naturel, bien que certains n’entendaient pas cela la même oreille.

Ceux-ci étaient une cause perdue que je ne comptais plus défendre. Plus maintenant. Ce n’était pas au vieux loup qu’on apprenait de nouveaux tours. Bref. Je ne savais même pas pourquoi je me torturais l’esprit avec eux… alors que tu étais là avec moi, ma chère petite nièce.

Toi qui semblas apprécier le vin, prenant une gorgée en même temps que moi. Et puis vint subitement une question à laquelle je ne m’attendis pas. Pas du tout. Devant ma surprise, plutôt que de clarifier ton propos, de nouvelles questions fusèrent, toutes plus improbables les unes que les autres.

Je me demandai alors si tu ne cachais pas une grossesse inopinée… mais cela semblait tiré par les cheveux. L’ambre de tes iris pointé sur moi, comme un prédateur prêt à fondre sur sa proie. De mon côté, je me contentai de garder le silence quelques secondes.

Pendant ce laps de temps utile à la réflexion, mes coudes vinrent se poser sur la table et mes mains vinrent se joindre alors que mon menton se reposa sur mes phalanges. Mes saphirs vinrent quant à eux t’offrir une œillade que je voulus apaisante.

Ma réponse ne tarda pas, délivrée dans une douce voix, presque envoutante :
─ Ne me demande pas ce que je ferai, demande-moi plutôt ce que tu voudrais que je fasse. Darya, ma chère enfant, tu es en âge de prendre tes propres décisions comme je suis en âge de les comprendre et les accepter. Je marquai une petite pause pour te laisser digérer l’impact de mes mots avant de surenchérir, t’expliquant mon point de vue : écoute… je sais que depuis le retour de Sage et la disparition de son frère, mon retour en fanfare a été plus que déroutant. J’ai conscience que je vous ai tous pris au dépourvu et qu’après tout ce que vous savez d’Altaïr ou de Canopus, je suis presque un ovni dans cette famille, surtout après la mort tragique d’Orion et son épouse.

Je touchai enfin du doigt le nœud du problème. Je n’avais jamais réellement fourni une explication rationnelle à mon retour tonitruant. Toi de ton côté tu n’avais jamais eu l’occasion de m’apprivoiser et tu découvrais tous les traits de ma personnalité au fur et à mesure de nos échanges. Tu ne découvrais pas seulement quelque chose de différent, mais aussi quelque chose de nouveau, de novateur.

Pour toi comme pour ton frère, tout ceci était déconcertant. Ne pas avoir d’explication concrète sur mes choix et ce qui m’avait amené jusqu’ici n’aidait pas à lever le brouillard opaque de mes intentions, mon passé, mes décisions.

Sans pour autant tout dévoiler, je te laissais toutefois matière à réfléchir :
─ Je ne peux pas me targuer d’avoir été irréprochable… certains de mes choix sont plus que discutables, je le sais. Je comprends petit à petit que mon erreur a été de vous imposer ma présence plutôt que de vous l’offrir. Je ne souhaite que vous donner une vision alternative du futur de cette famille ; une vision optimiste. Mais le ciel m’est témoin… si tu me le demandes, je te protégerais même si c’est la dernière chose que je fais. Je t’ai dit que je t’aimerais même si le monde entier se met à te haïr ; ce n’est pas mon genre de lancer des paroles en l’air. Tu peux me repousser, me blesser, me détester… si un jour tu as besoin de moi, je serais là.

Tu n’avais qu’un mot à dire. Je serai là pour toi, Darya.

Cette confiance que je désirais ardemment, elle se bâtissait sous mes yeux. Petit à petit, conversation après conversation.Tu comprenais très vite à quel point j’étais sérieuse, bien que tout ceci fut déroutant, aussi bien pour toi que pour moi.

Tu avais raison mon enfant. Tu n’étais pas invincible au même titre que moi. Moldus, sorciers, hybrides, peu importe les créatures qui foulaient ce monde, il y avait des limites à ce que nous pouvions supporter, ce que nous pouvions éprouver. Toi, tu anticipais déjà le pire, tu t’y préparais comme si tu savais qu’il était inéluctable.

Moi de mon côté, je pouvais tout faire pour te rassurer, tout faire pour essayer de te convaincre qu’il n’arriverait pas… mes efforts ne semblaient m’amener nulle part. Il n’y avait pourtant rien de surprenant à cela, tu avais vécu plus d’une trentaine d’années sans ma présence, sans mon aide, pourquoi changerais-tu tes plans maintenant pour quelqu’un en qui tu n’avais pas totalement confiance ?

Je récoltais ce que j’avais semé, ni plus ni moins. Alors il ne me restait plus qu’une chose à faire, te laisser gérer la façon dont tu voulais m’inclure dans ta vie ainsi que tes projets. Je serais celle dont tu auras besoin… c’était sans doute mieux ainsi.

Tu parlais de ton père, du fait qu’il tentera tour pour te marier ; tu parlais d’être vulnérable et d’avoir quelqu’un sur qui compter à ce moment-là. Quelqu’un qui saurait comment s’occuper de la présence inévitable de ton père. Je fus incapable de dire si tu envisageais un seul instant de marier quelqu’un qui aurait ton affection… cela me désolait, mais je n’eus pas le courage d’émettre cette possibilité maintenant.

Ce n’était pas ce que tu me demandais de toute façon. Avant même d’émettre la moindre objection, je voulais savoir ce que tu attendais de moi, je te l’avais promis et je comptais tenir ma parole, peu importe ce que j’en pensais.

Devant l’éventualité de ton trépas, tu voulais de moi que je tins éloigné ta descendance de ton géniteur… comme si ta mort était écrite à l’avance. Comme si le destin avait voulu de toi que tu mourrais avant lui. Peut-être que je ne faisais qu’extrapoler, peut-être que tu voulais simplement avoir un coup d’avance, même plusieurs.

Je n’hésitai pas une seule seconde avant de te répondre :
— Je le ferai. Je n’aime pas l’idée de te voir envisager tout cela, mais je comprends. S’il t’arrive malheur et que Canopus souhaite apposer son emprise sur tes enfants, il faudra qu’il me passe sur le corps. Je marquai une courte pause, faisant disparaître l’entrée que nous avions terminée avant de faire apparaître le plat de résistance dans un second temps. Il est peut-être candide d’espérer que tu portes une quelconque affection pour ton mari… l’idéal serait d’épouser quelqu’un que tu… aimais ? Si seulement ; apprécies. Mais tu peux être certaine d’une chose : tu aimeras tes enfants. C’est sans doute une notion qui te parait abstraite alors que tu n’as pas encore donnée naissance, mais pour moi c’est une certitude. Une mère n’a d’autre choix que d’aimer ses enfants.

Libre à toi de penser, d’émettre de vive voix l’idée que je ne savais pas de quoi je parlais. Mon silence sera de marbre. Il y avait des secrets que je gardais pour moi et qui ne seraient dévoilés que lorsque je l’aurais décidé. Si toutefois je le décidais un jour. Pour éviter cependant de te laisser le temps de réfléchir, j’enchainai dans la foulée :

— Nous ferons en sorte que tu aies tout le temps devant toi pour les éduquer, les voir grandir et les chérir. Parait-il que c’est la plus belle chose au monde.

Parait-il ?

— Sur une note plus optimiste, comment trouves-tu le tartare ? Il s’avère que c’est Ema qui m’a appris à la cuisiner. Une elfe de maison ayant servie une grande famille de l’hexagone est une bénédiction pour le palais. Aujourd’hui encore elle ne cesse de me surprendre…

Pour une fois que je n’étais pas la seule à avoir la chance de bénéficier de ses talents. Enfin la seule… façon de parler.