Cela faisait trois jours depuis le retour de Sage. Lui qui était venu hier dans mon bureau pour prendre la place de son frère… l’impertinent. Mais surtout et le plus important : aucune nouvelle de Regulus. Ni de mon côté ni du sien.


Qui donc ? Ma douce et délicieuse petite nièce bien sûr.
Il me fallut l’admettre, je fus surprise lorsqu’elle accepta mon invitation à dîner. Il ne m’avait fallu qu’un laps de temps extrêmement court pour constater cette méfiance qu’elle avait de moi ; peut-être même de tous. J’avais des doutes quant à son aptitude de s’ouvrir aux autres sans avoir en eux une confiance absolue. Et tant mieux, le cas échéant ça ne faisait que prouver qu’elle était maligne ; comme sa tante.

Ainsi nous transplanèrent ensemble jusqu’à mon domicile ; le domaine de notre famille n’était plus à mon goût depuis bien longtemps. Dès que j’avais pris la direction du Département des Mystères, il ne me fallut que quelques mois avant de mettre en branle mon projet de déménagement au grand dam de mon géniteur. Mais après le décès d’Orion… je n’avais plus aucune raison de rester ; je n’en avais de toute façon plus envie.

Je me devais de voler de mes propres ailes, comme je me l’étais toujours promis. Pendant que Darya me talonnait, le silence régnait. Parce que nous n’avions rien à dire ou que nous n’osions pas… aucune idée. Le résultat était le même. Il y avait toutefois une chose qui m’enchantait, sans savoir réellement pourquoi, mais…

─ Tu es la première que j’invite à la maison. Parmi tes cousins et ton frère je veux dire. Si tu te sens honorée, c’est normal… tu le devrais. La tonalité neutre de ma voix laissa planer le doute sur un possible sarcasme ; je laissai les choses ainsi. Petit plaisir mutin que j’avais de laisser mes interlocuteurs dans le doute, même mon propre sang. Pas même un sourire pour disséminer un indice alors que mon facies ne laissa rien transparaître.

Finalement elle entra avec moi. Nous fûmes accueillis par une elfe de maison qui tenait dans ses bras l’un de mes animaux : Athéna. Petite féline au museau plus clair que son frère, lui aussi Sacré de Birmanie. Pas la seule manière de les différencier, mais la plus efficace peut-être ? Mais avant que la créature n’eût le temps de dire quoi que ce soit, j’intimai d’une douce voix ; en français dans le texte et non dans ma langue natale :

─ Bonsoir Ema. Prépare la table pour moi ainsi que ma nièce et donne à manger aux deux terreurs. Et alors que j’avais le dos tourné à Darya, je repris la parole, mais cette fois sans un mot, rien que des signes : je tente de briser la glace. J’ai une petite idée qui peut-être pourrait lui plaire. Prépare de quoi cuisiner, laisse-moi m’occuper du reste. Je terminai par un clin d’œil ainsi qu’un sourire en coin.

L’elfe acquiesça sans prononcer un mot à mon égard. Elle prit cependant la peine d’accueillir Darya avec les égards dus à son rang. Finalement je tournai la tête en direction de mon invitée, mon visage se fit soudainement plus doux alors que d’un geste de main, ma chevelure ébène se libéra des entraves de son chignon pour tomber sur mes épaules. Signe évident que lorsque j’étais à la maison, j’étais une personne bien différente qu’au travail.

─ Fais comme chez toi… Darya. Si tu veux visiter un peu, n’hésite pas. Fais juste attention aux chats… je ne sais pas si jeunesse est synonyme de fougue chez les félins ; mais eux peuvent être particulièrement agités. Je marquai une courte pause avant de reprendre : tout va bien ?

Tu pourrais penser que ce n’était qu’une question innocente ma chère. En d’autres circonstances, tu aurais parfaitement raison. En vérité ; plus que de savoir ton état, je voulais surtout entendre le son de ta voix et en profiter pour t’observer. Nous étions seules pour la toute première fois depuis… un temps que je peinais à me remémorer si bien que je doutais de son existence. Alors bien évidemment, je voulais en profiter.

Tu avais toujours l’air sur le qui-vive Darya. Comme si la moindre erreur d’inattention te serait fatale. Comme s’il fallait que tu fusses irréprochable en toute circonstance. Je reconnaissais bien là l’œuvre d’un homme. Toi et moi savions qui.  


Non content d’avoir sans doute laissé sa marque sur ta chair, il t’avait probablement marqué jusqu’au plus profond de ton être. Il ne m’a fallu qu’un échange de regards et de mots avec ton frère pour confirmer mes soupçons. Cette éducation prodiguée, ces sévices qu’ils vous avaient infligés… si tu savais à quel point je regrettais mon absence. Possible que cela n’aurait rien changé, mais ça, impossible de le savoir désormais. Le mal était fait et il vous avait rongé.

Ses méthodes archaïques, son incapacité à innover, c’était potentiellement les raisons qui avaient poussé mon père à faire d’Orion son successeur. Il s’en était toujours montré digne… comme moi d’ailleurs, mais c’était une conversation pour un autre temps. Le passé était révolu. Le tien semblait ancré au plus profond de toi, comme le mien. Tu ne le savais peut-être pas encore ma chère Darya. Mais toi et moi étions plus semblables que tu ne pouvais l’imaginer.

Polie, mais méfiante.
Timide, mais ferme.
Une force tranquille.
Comme la mienne.

Malgré tout, j’arrivais à te surprendre. Avec une question simple certes ; seul le timing était déstabilisant. Et alors que tu me tendais tes présents, je continuai de te désarçonner ; badine je rétorquai :

─ Je suis allergique au chocolat, si j’en mange, j’en meurs. Et j’attendis ta réaction avant de reprendre d’un sourire mutin : je plaisante ma chère. Ça ne devait pas être la fête tous les jours avec ton père… merci pour tes compliments sur ma demeure. J’espère que le fait qu’il y ait des couleurs plus vives que le noir ne t’aveugle pas trop. Notre famille et les nuances de noir, c’est une grande histoire d’amour.

Si le double sens de mes mots t’apparut comme évident, ce fut mon intention. Ce que tu ne savais pas encore en revanche, c’était à quel point ma volonté de me différencier de notre sombre héritage était tenace. J’incarnais le renouveau de cette famille, j’en étais persuadé. J’avais été freiné par mon père et je serai sans doute ralenti par la même occasion à cause de Canopus ; pas question d’abandonner.

Petit à petit, jour après jour, je vous extirperai délicatement, toi et Izar, de l’emprise néfaste de ton géniteur. Et lorsqu’un jour il faudra me confronter à lui pour que vous incarniez également le renouveau des Black… je le ferai sans hésiter. Mais pour l’instant… je devais gagner votre confiance, la mériter. Toi, ton frère, tes cousins. Les étoiles brilleront d’un éclat nouveau. Celles qui ne suivront pas le mouvement disparaitront dans le néant. C’était ma promesse.

─ La disparition de mon neveu me préoccupe également. Néanmoins, il ne faut pas céder à la panique. Nous avons besoin d’être fortes. Pour lui, ton frère, ton cousin Sage… et pour nous-mêmes. Ce fut alors que je posai une main sur ton épaule. Plongeant mes saphirs dans ton regard ambré quelques secondes avant de t’inviter : suis-moi.

Nous arrivâmes alors dans la cuisine. Ema avait disposé des ingrédients sur le plan de travail, presque comme s’ils nous attendaient.

─ J’espère que ça ne te dérange pas de mettre la main à la pâte avec moi. Après tout… tout se mérite, ma chère nièce. Un rire amusé pour conclure… espérant que tu voulais bien te prêter au jeu.

Il m’était difficile de te voir ainsi, Darya. Si méfiante à mon égard, tellement que même en essayant de plaisanter cela n’était pas suffisant pour baisser un tant sois peu ta garde. Suspicieuse, comme si je t’avais amené dans un guet-apens.


Je me souvins alors du moment de ta naissance, lorsque je m’étais incrusté chez mon frère pour constater sa « déception ». Je me souvins t’avoir gardé quelques minutes dans mes bras sans t’avoir lâché du regard. Je me souvins de ce moment qui passa en un éclair alors que j’en redemandai. Je me souvins de l’excitation que je ressentis alors que pour la première fois j’étais tante.

J’avais eu vent de la déception de tes parents. Je n’arrivais pas à croire les rumeurs qui disaient que ta propre génitrice n’avait même pas voulu te prendre dans ses bras le jour de te naissance. À ce moment, je commençais petit à petit à véritablement cerner cette famille dans laquelle tu étais née. Tout le reste n’avait fait que confirmer ce que je pensais. Tu avais l’honneur de porter notre nom et la malchance d’avoir été engendré par mon « cher » frère.

Puis la naissance d’Izar et tout son tintamarre… comme si enfin le ciel lui avait donné le plus beau des cadeaux. Et pendant que je grandissais, que je murissais, je me souvenais entendre d’un coin de mon oreille de nouvelles rumeurs sur l’éducation qui vous était réservé. Jusqu’à me rendre compte que tout ce qu’on me racontait était la stricte vérité. Je ne fus pas surprise ; révoltée, ulcérée oui. Mais pas surprise. Mais je ne fis rien. Je me persuadai que de toute façon je n’aurai rien pu faire. Et peut-être que c’était vrai.

Mais le fait de n’avoir jamais levé le petit doigt alors que tant de fois je voulus remettre Canopus et sa dinde de femme à leur place… aujourd’hui encore je m’en mordais les doigts. Puis ta voix vint soudain m’extirper de mes songes :

« Vous aimez cuisiner » ?
─ Oui, mais pas seule. Je cuisine souvent avec Ema lorsque j’ai le temps. Je trouve que c’est plus amusant lorsque l’on a de la compagnie, ça permet parfois de débattre sur la façon de concocter un plat, son assaisonnement et j’en passe. C’est une bonne façon de toujours garder un esprit ouvert, même dans une activité comme celle-ci qui pourrait paraître insignifiante.

Et j’imaginais que d’entendre parler d’un esprit ouvert devait être une notion novatrice pour toi. Peut-être même aberrante, je n’en savais rien après tout. L’image que je renvoyais aux autres n’était en réalité qu’un reflet incomplet. L’ébauche d’un dessin qu’ils ne verraient jamais achevé. Ce privilège je le réservais à ceux qui avaient ma confiance. Et ceux-ci étaient rares. Tout le monde n’était pas prêt à entendre et adhérer à mes véritables idées, notamment ton père, Darya.

Et puis d’un coup, venant de nulle part, tu te montras plus directe. Si bien que ce fut mon tour d’être déstabilisée. Mes sourcils s’écarquillèrent d’un coup et je restai pantoise pendant quelques secondes. J’en finis par pouffer de rire avant d’éclater. J’appréciai cette franchise et ce cru dont tu fis preuve. Cela valut une récompense :

─ Tu ne passes pas par quatre chemins ma petite dame, je pensais que tu serais plus fine dans ton approche. Mais tu ne me brusques pas au contraire, j’ai toujours détesté tourner autour du pot moi-même. Tu veux savoir pourquoi, très bien. Je vais te raconter quelques anecdotes sur moi et notre belle famille. Mais prépare la salade pendant que je découpe la viande en attendant s’il te plaît.

Polie, mais toujours aussi méfiante, tu t’exécutas. Et j’en vins à te raconter quelques pans de ma vie, essayant de te faire comprendre ma position :

─ Lorsque tu es née, je devais avoir quinze ans à peu près. En pleine scolarité donc. Je voulais absolument te rencontrer, après tout tu étais l’attraction de la famille. Le premier enfant de notre fratrie et sacrilège… une fille ! Pardonne-moi je vais être extrêmement crue, mais tu ne pourras pas me reprocher ma franchise au moins. Je n’ai toujours pas pardonné ton père de mon côté. Je marquai une pause, commençai la découpe puis je repris : une fille. Pour moi tu étais déjà la plus belle créature que j’avais vue de ma vie. J’étais excitée comme une puce lorsque j’ai pu te tenir dans mes bras la toute première fois, même si ça ne dura pas longtemps. Et je voyais d’un coin de l’œil, la déception de tes géniteurs qui avaient gâché mon moment de bonheur. J’aurais pu te regarder dormir dans ton berceau pendant des heures… mais j’étais tellement aberré par le comportement de tes parents qu’il m’était difficile de rester dans le même endroit qu’eux.

À ce jour encore, je n’avais pas oublié Canopus, Lavender. Je n’oublierai jamais. Et jamais je ne vous pardonnerai non plus. Quant à me pardonner moi-même… je n’en savais rien.

─ Mais à cette époque, je luttais déjà pour quelque chose qui m’était plus précieux que tout l’or du monde. Ma mère est morte en me donnant naissance et je me suis toujours sentie… responsable alors que je n’y étais pour rien. Mon objectif était clair : obtenir la reconnaissance de mon père, par tous les moyens envisageables. En grandissant et même encore aujourd’hui, je suis devenu un monstre d’ambition. Aux dépens de tout, même des enfants de mes frères. Altaïr avait sans doute décelé cela en moi, raison pour laquelle il n’a jamais véritablement essayé de me marier. Il estimait sans doute qu’à ma façon, je contribuais à l’avenir radieux des Black. Pour moi, seule importait sa reconnaissance. Et la meilleure façon de l’obtenir n’était pas de perdre mon temps avec la progéniture de mes frères, mais de me jeter corps et âme dans ma carrière, rayonner comme aucun de mes frères n’aurait pu le faire, d’une lumière qui m’était propre.

Je soupirai longuement avant de tourner la tête vers Darya, lui demandant dans la foulée :
─ Le reste est sans doute encore moins reluisant que le début. Je peux m’arrêter là si tu veux ? Ou alors je poursuis ?

Tu voulais la vérité crue Darya ? Elle était difficile à entendre et elle ne me mettait pas en valeur. Mais elle avait au moins le mérite d’être sans artifice.

Petit à petit, les langues commençaient à se délier. Tu ne t’en rendais peut-être pas compte Darya, mais à cet instant je n’étais focalisée que sur toi. Tes mots, le ton que tu employais, les réactions que tu avais. Le facies que tu arborais au fil de notre conversation.

Je n’en perdais pas une miette, comme si je discutais avec une enfant qui était mienne. Mais tu n’étais plus une gamine et tu me le faisais comprendre à chaque fois que tu ouvrais la bouche, ne faisant que me rappeler encore et encore mon absence dans ta vie et tout le bien que j’aurais pu t’apporter.

Lorsque tu vins à m’interroger sur Ema, ma réponse fut franche sans pour autant être détaillée :
─ Ema est à mon service depuis presque quinze ans. Nous nous sommes rencontrées peu après que j’ai quitté la maison familiale. Je lui avais cependant annoncé la couleur depuis le début, que je ne comptais pas la maltraiter et qu’elle sera récompensée de sa loyauté. Le reste, ça ne regarde qu’elle et moi.

Et nous avions toutes les deux une relation assez singulière bien que je fusse sa maitresse. Dès notre rencontre elle avait compris que j’avais un caractère difficile, que mon tempérament pouvait me mener à des extrêmes. Mais elle avait toujours été fidèle et lorsque parfois je me sentais flancher, ses petits gestes ont été bien plus salvateur que je n’aurais pu l’envisager.

J’avais toujours été amusée de voir à quel point elle était maligne, mais aussi à quel point elle me comprenait. Et ça me fendait le cœur de constater que toi ma douce Darya… tu n’avais pas cette attitude vis-à-vis de moi. Tu n’apportas certes aucun jugement sur ce que je te dis ; mais j’aurais préféré que ce soit le cas.

Pour ce qui concernait ton père, sans surprises, tu étais curieuse. Il était ce qu’il était en effet ; en dépit de tout il restait ton géniteur, c’était un fait qu’à mon grand regret je ne pouvais changer. Malheureusement pour toi, ta question resta sans réponse :

─ Navrée, mais cela ne te regarde pas. Comme toi j’ai aussi mon petit jardin secret et cette querelle restera entre lui et moi ; même si les raisons gravitent autour de toi et ton frère.

Car Canopus restait mon frère, encore un fait que je n’avais malheureusement pas le pouvoir d’altérer. Lui et moi avions des comptes à régler ; j’avais attendu des années, trop à mon goût avant de passer à l’action. Et tant pis si mes raisons t’apparaissaient nébuleuses ma chère nièce. Me rapprocher de vous ne signifiait pas que vous aviez ma confiance. Pour le moment en tout cas.

Quant à mon récit, impossible de dire si tu me croyais ou si tu étais toujours aussi dubitative que d’ordinaire ; je n’avais aucun véritable pouvoir là-dessus. En revanche, il y avait des preuves évidentes de ce que je te disais. Une simple conversation avec tes géniteurs ferait l’affaire. Peut-être même que Marion en avait été témoin ? Impossible de me souvenir malheureusement. Seul celui de t’avoir tenu dans mes bras restait gravé dans ma mémoire.

Comme je l’attendais, tu restais sur tes gardes ; osant même douter de mes paroles. Encore une fois, pas de surprise… mais quelle déception ! Mais je voyais bien là l’œuvre de ton père. Si bien que cela me donnait envie de vomir. Un jour, il allait regretter tout ce qu’il avait fait. Et ce jour-là je ne serai pas très loin.

Néanmoins, je ne pus m’empêcher de rebondir sur tes doutes :
─ Tu vas trop vite en besogne Darya. Je ne t’offre aucun réconfort, seulement la vérité. Un moment que nous avons passé ensemble et que je n’ai jamais oublié. Cette vérité tu peux en faire ce que tu veux, elle t’appartient. Je déteste me répéter alors je te conseille de te graver ça dans le crâne. Mes saphirs vinrent soudainement se planter dans tes iris ambrés. D’une intensité que tu n’avais sans doute pas soupçonnée chez moi tellement je n’avais été que mirage pour toi. Je poursuivis, martelant chaque syllabe : je ne suis pas comme ton père. Si tu n’as toujours pas compris ce que ça signifie, il va vite falloir te mettre à la page.

Car lui et moi n’avions jamais été capables de nous entendre. Tu pouvais être certaine d’une chose, si l’on me craignait c’était pour une bonne raison. Ton père ne l’avouerait sans doute jamais, mais s’il y avait bien une personne dans ce monde qui pouvait le remettre à sa place, c’était moi. Mais pourquoi, pourquoi donc je ne l’avais jamais fait ? La réponse était simple et bien que cela m’arrachait la langue de le dire, je me dus d’être franche pour toi, Darya :

─ Mais il reste mon frère et malgré tout je l’aime en tant que tel. Nous sommes une famille. Et je pense que… mè… difficile de l’évoquer tellement cette douleur n’avait jamais disparu. Je repris toutefois non sans difficulté : je pense que ma mère n’aurait pas voulu qu’on se déteste, que je m’oppose à lui et que le fasse souffrir. Alors pour honorer sa mémoire et malgré mon dégoût, je me suis éloignée inexorablement de vous, réalisant le seul véritable objectif qui était à ma portée : réussir ma carrière. C’est ce dont cette famille avait besoin à l’époque.

Enfin, la réponse à ta question initiale. Pourquoi être revenue maintenant ? Pourquoi ne pas rester un mirage, une silhouette au loin qui ne faisait que regarder sans jamais agir. Pourquoi j’étais là maintenant ?

─ La disparition de Regulus a été l’élément déclencheur, mais j’avais pris ma décision depuis des mois déjà. Parce que je n’arrivais plus à me regarder en face alors que je vous avais tous laissés à l’abandon. Et ça va sans doute te paraître un peu candide pour une femme de mon âge, mais parce que je veux que vous soyez heureux et que la réussite vous accompagne. Une fois encore, fais ce que tu veux avec ça.

J’avais attendu ce moment avec impatience. Celui où j’arrivai à enfin te pousser dans tes retranchements. Tu n’avais pas l’habitude de ce genre de conversation à cœur ouvert pas vrai ma chère Darya ?



Toi qui dissimulais tes émotions ; qui les enterrait au plus profond de toi, ne te montrant que sous une apparence qui convenait à tout le monde ; surtout à tes géniteurs. Tu n’avais vraisemblablement pas l’habitude d’être chamboulée ainsi, t’obligeant à enfin sortir les griffes. Ce fut à la fois une surprise et un soulagement. Tu ressemblais beaucoup à ton père, évidemment ; mais aussi à moi sur certains aspects. Dans un sens, c’était flatteur.

Cet amour discret, mais vorace que tu vouais à ton frère ressemblait quelque peu à celui que je ressentais pour Orion. À une époque où je montrais volontiers mes émotions plutôt que de le dissimuler. Le temps où mon attitude volcanique déversait son magma sur tout et tout le monde. J’avais appris à me canaliser certes, mais l’intensité de mes émotions n’avait jamais vraiment faibli. Elles restaient en cage pendant que moi j’avais le loisir de les laisser sortir selon mon bon plaisir.

Rarement le contrôle m’échappait… mais de là à dire jamais, c’était faux. Pour en revenir à toi, Darya, tu n’avais pas idée à quel point te voir aussi directe avec moi me faisait plaisir. C’est ce que j’avais toujours voulu. Ta mise en garde sonnait comme une menace à laquelle je ne pus m’empêcher de sourire. Pas un manque de respect ou de crainte, j’étais simplement extatique à l’idée de t’entendre me parler sans détour.

Tu pouvais compter sur moi pour en faire de même. Lorsque tes tirades prirent fin, mon sourire s’étira d’une oreille à une autre tant cela me fit du bien d’entendre ce que tu avais à dire. Ma réponse en fut presque instantanée :

─ J’aime ce genre de conversation à cœur ouvert. Ça doit être inhabituel pour toi lorsque tu discutes avec quelqu’un qui porte notre nom n’est-ce pas ? Quel effet ça fait ? Un brin cathartique non ? Ce n’est pas pour me déplaire, j’apprécie ta franchise alors continuons sur cette lancée.

Il y a eu un point sur lequel je n’avais d’autre choix que de rebondir. Il ne me fallait pas m’en vouloir d'être incapable de résister à la tentation :

─ Tu as raison Darya… de ne pas me faire confiance. J’aurais été extrêmement déçue si je l’avais obtenue dans un claquement de doigts. Comme pour appuyer mon propos et bien que cela ne fut pas nécessaire, ce même claquement se fit entendre alors que mes doigts s’entrechoquèrent. Je repris dans la foulée : cette confiance doit évidemment se mériter, je n’en attendais pas moins de vous tous. Je ne suis pas naïve sur ce point. Je ne sais moi-même pas encore si je dois vous l’accorder. Nous partons de loin et cela demandera du temps j’en suis bien consciente. Mais le jeu en vaut la chandelle, j’en suis persuadée.

Une longue inspiration plus tard suivie d’un soupir du même acabit, l’une de mes petites terreurs vint alors se frotter à ma jambe, miaulant sans doute pour avoir des câlins, pour jouer, peut-être même les deux en même temps. Je me penchais vers le félin pour taquiner le sommet de son crâne, l’effleurant du bout de mes doigts :

─ Plus tard mon petit, plus tard. Va plutôt jouer avec ta sœur jumelle. Avant de finalement me tourner vers ma nièce pour m’adresser à elle : depuis ta plus « tendre » enfance, tu vis dans un monde où l’amour et la bonté sont considérés comme des faiblesses. C’est ainsi que Canopus vous a élevé. Il n’a jamais été capable d’appréhender ces émotions de la bonne façon. J’ai reçu la même éducation que lui, mais j’ai choisi d’agir différemment. Vous, les enfants de mes frères, ne connaissez ni mon passé, ni mes idées, ni ma personnalité. Je débarque dans votre vie et je viens pour tout chambouler c’est vrai. Mais très vite tu t’apercevras que c’est pour la bonne cause. Je crois qu’il est grand temps d’évoluer, car ce monde ne nous attend pas pour le faire à notre place.

Mais ça, c’était une conversation pour une autre fois. Je finis par conclure alors que j’invitais ma nièce à s’installer à table :

─ Quant à ton frère, je suis allée le voir pour lui apporter un peu de soutien après une journée difficile, mais également pour apprendre à le connaître. De la même façon que je tente de le faire avec toi et Sage avec plus ou moins de réussite. Il faut bien commencer quelque part après tout.

Et bien sûr que ces informations pouvaient me servir. Mais à quoi ? Uniquement dans le but de vous manipuler ? Non. Mais l’influence écrasante de mon frère devait disparaître. Sans cela, vous n’aviez aucune chance d’être le renouveau de cette famille. Aucune chance de suivre mes idées et d’y adhérer. Aucune opportunité d’être ce que vous auriez toujours dû être : vous-même et pas le reflet de votre géniteur.

Peut-être que je m’étais montrée cruelle en te poussant de la sorte ; mais à aucun moment je ne le regrettais. De là à le refaire encore et encore non ; mais il n’y avait qu’ainsi que je pouvais obtenir ce que je voulais rapidement.


Tu pouvais être sans crainte cependant ma chère, tes mots ne tombèrent point dans l’oreille d’une sourde. Et même si je n’avais aucunement l’intention de te présenter des excuses, je n’oubliais pas non plus que te pousser à bout n’était qu’une absolue nécessité et pas un plaisir que je m’octroyais.

Tandis que nous nous installions à table, voilà que tu faisais allusion à tes propres projets. Bien que je me doutais que tu ne m’en ferais pas part tout de suite, je ne pus m’empêcher de me montrer curieuse. Le genre d’information qui restait coincée dans un petit coin de mon esprit pour ne pas oublier. Quelque chose me disait que comme moi, tu n’étais pas dénuée d’ambition, bien au contraire. Tu avançais à ta façon, peut-être encore plus discrètement que moi.

Cependant, rien ne put m’empêcher de rebondir sur ce que tu venais de dire :
« Parce que vous ressentez quelque chose que je ne ressentirais jamais. L’amour »
Ma réponse fut instantanée alors qu’un gloussement facétieux s’échappa de mes lèvres :
— Ne jamais dire jamais. Tu ne sais pas de quoi demain sera fait, garde un esprit ouvert et accorde toi le bénéfice du doute. Dans ce monde, rien n’est véritablement figé, tout est susceptible d’évoluer ; même si cela doit demander des années.

Et je parlais en connaissance de cause. J’en étais la preuve vivante ; après tout, voilà que je débarquais soudainement dans vos vies, imposant ma présence qui était d’ordinaire suffisamment écrasante. Cela avait demandé des années avant d’atteindre la renommée qui était la mienne. Si bien qu’il était rare de croiser une âme au ministère qui n’avait jamais entendu parler de moi, en bien ou en mal, quelle importance. Le regard des autres ne m’avait jamais véritablement freiné dans ma jeunesse, aujourd’hui encore moins.

Quand tu évoquas le nom de mon neveu cependant, mon visage se raidit légèrement. Je repensais aux erreurs que j’avais commises avec le jeune homme et le temps que cela allait me demander pour les réparer, si toutefois c’était réellement possible. Mais au final… à l’instar de ma relation avec toi, je devais procéder avec prudence. Difficile à faire alors que j’avais des années, peut-être même des décennies de retard.

Pour autant je ne perdais pas espoir. Et j’acquiesçai à tes propos en surenchérissant :
— Une tension palpable règne entre lui et moi. Je l’ai récemment reçu dans mon bureau et visiblement il ne me porte pas dans son cœur. Légère hésitation avant de reprendre : mais je pense qu’au fond il ne me déteste pas vraiment, je pense qu’il est surtout terrifié par la disparition de son frère et qu’il a du mal à garder son sang-froid. C’est drôle parce que… il me ressemble un peu. Je me retrouve un peu en lui et peut-être même plus que je ne veux l’admettre. Je ne saurais dire si c’est une bonne chose ou pas, mais nous avons tous une nature méfiante dans cette famille. Obtenir notre confiance et notre loyauté est un travail laborieux et pernicieux, même entre nous.

Je n’étais pas surprise d’ailleurs. Frustrée en revanche… indubitablement. J’aurais dû être là pour vous plutôt malgré les efforts que cela aurait pu me demander. Résultat des courses, je n’avais aucune idée si nous avions la possibilité de rattraper le temps perdu. Mais d’aucune façon je n’avais l’intention de lâcher l’affaire. Cela ne m’avait jamais ressemblé de toute façon.

— Je vais le laisser digérer la conversation que nous avons eue, lui laisser le temps de revenir vers moi si tel est son souhait. Je pense qu’Orion aurait voulu que je laisse un peu de liberté à ses enfants. Mais je serai là pour lui si un jour il a besoin de moi.

Et ce malgré mon ressentiment et mon amertume. Puis après quelques bouchés, j’en vins à me focaliser de nouveau sur toi.

— Ah oui, j’allais oublier, tu peux me rendre un petit service ? J’attendis d’avoir ton attention avant de conclure d’une voix de velours qui sonna toutefois comme un ordre plutôt qu’une supplique : peux-tu arrêter de me vouvoyer ? Nous sommes dans une sphère privée. Ici je ne suis pas Deneb Louise Black directrice du Département des Mystères. Ici je suis ta tante Louise, pas besoin d’être aussi… formelle. Ton vouvoiement me donne l’impression d’avoir vingt ans de plus, et ça non merci.

Surtout que je me mis à pouffer de rire de ma propre déclaration, presque comme une gamine. Mais je n’avais pas envie de le cacher Darya. J’étais heureuse à l’idée de t’avoir rien que pour moi, bien que nous n’étions qu’aux prémices de notre relation.

Voir l’amour comme une faiblesse, tellement à l’image de mon cher frère. Quant à ce que tu me laissais sous-entendre, c’était d’autant plus inquiétant. Tu n’avais pas idée à quel point ce que tu disais me tracassait petite brunette aux iris ambrés. Plus que ça, ça me révoltait.

À quel point Canopus vous avait abîmés ? Jusqu’où était-il allé pour faire de vous ce que vous étiez aujourd’hui ? Plus la conversation avançait, plus je voyais la différence de traitement entre toi et ton frère ; je retrouvais bien là mon tendre frangin. Cet imbécile me donnait vraiment envie de vomir parfois. La colère me montait tellement au nez que j’avais dû mal à la cacher.

Mes traits qui se raidirent, mes sourcils qui se froncèrent… il me fallut de longues inspirations pour reprendre ce calme que j’arborais normalement. Fort heureusement, lorsque la conversation bifurqua de nouveau sur Sage, je me sentais légèrement mieux. Sans doute parce qu’il me rappelait beaucoup Orion et qu’il n’y avait rien de plus apaisant que de penser à lui, malgré cette inévitable mélancolie.

— Orion et Canopus ont tous les deux été à Serpentard. À cause de notre différence d’âge, je n’ai jamais eu l’occasion de les côtoyer à Poudlard. Te dire s’ils étaient très proches ou non… j’eus un léger rire goguenard avant de reprendre : difficile à dire. Orion et Canopus sont les deux faces opposées d’une même pièce. Fait du même métal, mais différents sur presque tous les points. Tu peux aisément le constater en voyant le comportement de tes cousins. Ils ont hérité des meilleurs côtés de leur père.

Quant à toi Darya… bien que le sang de Canopus coulait dans tes veines, tu avais quelques similitudes avec moi. Mais l’emprise de ton géniteur était bien présente… comme une ombre qui planait au-dessus de toi. Prête à s’abattre à la moindre erreur. Je le voyais bien, il était comme une épée de Damocles au-dessus de ta tête. Je ne savais pas à quel point tu le craignais, mais rien que le fait de sous-entendre un chantage venant de sa part en disait long… bien trop.

Ce petit sourire en coin en revanche ne me laissa pas indifférente alors que mon regard s’adoucit d’un coup. Me dire que tu étais prête à essayer me donna du baume au cœur. Si seulement ma douce… si seulement j’avais été vraiment là pour toi, pour vous tous. Notre famille n’était que chaos. Sage ne pouvait pas y mettre de l’ordre seul, ce fardeau il devait le partager.

Puis tu évoquas quelques noms, ce qui m’arracha un nouveau sourire de velours. Tu n’étais donc pas toute seule, c’était bon à savoir. Celui d’Evonice notamment, celui-là je le connaissais bien. C’est d’ailleurs notamment à l’évocation de son nom que je sentis ton expression s’adoucir un tantinet ; presque tendre.

— Peu, c’est déjà beaucoup. Mieux vaut privilégier la qualité à la quantité. Rester en petit comité c’est une bonne chose, ça réduit les chances d’avoir de mauvaises surprises… normalement.

Un nouveau miaulement se fit entendre, suivit d’un second. Les terreurs étaient de retour. Je fis alors léviter deux morceaux de viande de mon assiette pour les faire graviter autour des deux félins. M’amusant à les faire tourner un peu en bourrique, voyant combien de temps cela allait leur prendre avant de saisir la nourriture. Finalement j’eus pitié d’eux alors que je laissais retomber les morceaux par terre.

— Vous ne voyez pas qu’on discute ? Vilains matous. Puis je me tournai vers ma nièce : tiens à ce propos, je ne peux m’empêcher de remarquer un détail en moins chez toi. Ce serpent qui nous tenait compagnie il y a quelques jours, tu sembles avoir une relation… spéciale avec lui ; ou bien est-ce mon imagination ?

Ce dernier nom qui t’avait presque échappé, était-ce le sien ?

Izar lui ressemblait en effet… heureusement d’ailleurs. Il me faisait plus penser à ses cousins qu’à toi Darya. Il semblait avoir hérité des meilleurs côtés de notre famille. Tout n’était pas tout noir ou tout blanc ; mais je ne me satisfaisais pas de ne voir que des nuances de gris.

Voir un monde haut en couleur, c’était plus bien stimulant. Mon père et Canopus voyaient le monde en noir et blanc… ils étaient restés figés dans le passé, prisonnier de notre histoire, de notre héritage. Canopus était esclave du fantôme de notre père, il n’avait jamais su se libérer de ses chaînes. Dans un sens, je le plaignais véritablement plus que je ne le haïssais.

Je ne voulais pas le haïr. Je ne savais même pas si j’en étais capable à vrai dire ; tout comme lui pardonner de tout ce qu’il vous avait fait vivre, à toi et Izar. Tiraillée par mes sentiments à son égard et ce que je pensais de ses agissements. Un peu à l’image de mon neveu, de retour après plusieurs années d’absence.

Comme… comme moi. Cette pensée m’arracha une grimace de dégoût, comme si je compris uniquement à cet instant à quel point j’avais été injuste avec lui dès le départ. Mais c’était trop tard, le mal était fait. Il me fallait aller de l’avant, toujours aller de l’avant. Jamais je ne deviendrais comme vous, Père, Canopus. Jamais. Je valais mieux que ça. J’étais meilleure. De cela j’en étais certaine. Notre famille vivra avec son temps ; elle ne restera pas coincée dans le passé.

À quoi ressemblerait l’avenir si on restait coincé dans le passé ? La réponse est simple : à rien. Et cela commençait par toi, Darya. Toi la première que j’avais invitée dans ma demeure, toi la première que j’avais tenue dans mes bras. Si j’avais voulu des enfants, c’est une fille comme toi que j’aurais voulue. La différence étant qu’avec moi… jamais tu n’aurais subi tous ces sévices. Jamais.

C’était donc vers toi que mon attention était focalisée, ton visage que mes saphirs scrutaient en permanence ; lorgnaient le moindre détail, glanant la moindre bribe d’information. Et cela avait commencé quelques jours plus tôt ; lorsque je remarquai tes regards jetés à ton compagnon reptilien ; ton Alamak.

— Je vois. Ceci explique cela. Mais cela n’expliquait pas tout. Mon intuition me disait qu’il y avait quelque chose d’autre qui se cachait derrière ce lien. Mais je t’avais déjà brusqué une fois, tu n’avais pas apprécié, il n’y aurait donc pas d’autre occurrence ; malgré ma curiosité. Et lorsque tu me demandas des explications, je restai évasive sans pour autant être malhonnête : le diable est dans les détails. Toujours j’observe, j’analyse, j’imagine. Mon imagination est d’ailleurs très féconde. Chez les gens, on pense qu’il n’y a que ce qu’on veut bien voir et ce qu’ils veulent bien nous montrer. Souvent, sans nous en rendre compte, nous appliquons sur nos yeux un filtre qui nous empêche de voir le monde tel qu’il est réellement.

Un peu comme les filtres des photos du Witchagram. Parfois ça cachait la misère, parfois ça embellissait, il y avait de tout. Si Canopus avait un filtre, ça serait celui du noir et blanc par exemple, c’était sans doute comme ça qu’il voyait le monde. Moi… j’essayais de le voir sans filtre, sans préjugé. Plus difficile qu’on ne se l’imaginait.

— Ton attitude vis-à-vis de ton familier m’avait donné l’impression que votre relation est vraiment unique en son genre. Mais tu le côtoies depuis si longtemps… ce n’est pas étonnant.

Ce n’était sans doute pas le fin mot de l’histoire. Mais tu avais ton jardin secret. Si tu avais décidé de verrouiller l’entrée, je ne comptais pas forcer la serrure. Si un jour tu décidais de m’ouvrir de ton plein gré… tu feras une heureuse. Et c’est tout ce qu’il y avait à savoir pour le moment.

Vingt ans avec un être, animal ou pas, c’était suffisant pour créer un lien fort. Beaucoup pouvait arriver en une vingtaine d’années. Et l’on pouvait autant perdre que gagner. De mon côté, j’avais perdu un père et un frère… et c’était déjà bien trop à mon goût.

Quant à toi Darya, j’essayais de renouer avec toi des liens si fragiles qu’il suffisait d’un rien pour les briser. J’avais pris cette résolution sans doute trop tard et mon absence était préjudiciable sur bien des aspects. Pourtant je m’étais mis en tête ce défi fou de réparer les pots cassés. Et si mes raisons vous semblaient obscures à tous… cela n’avait rien d’étonnant.

En essayant de me mettre à votre place, je comprenais que ce chamboulement était difficile à vivre, plus encore avec les événements récents. Je n’aurais pas dû attendre la disparation de mon neveu pour revenir… une erreur de plus ; pour quelqu’un qui se voyait méthodique et minutieuse c’était le comble.

Et vous aviez tous une façon unique de me faire payer mes erreurs, parfois même sans vraiment le vouloir. Mais la vie était ainsi faite. Et puis finalement je fis récompensée d’avoir prit les devants lorsque cette fois c’est toi qui me demandas de parler un peu de moi et de mes petites terreurs félines.

Ça n’avait l’air de rien comme ça, mais tu me faisais plaisir ma douce. Raison pour laquelle je répondis avec enthousiasme alors que mon regard pétillait :
─ Huit mois. Ce sont des jumeaux. Le mâle s’appelle Mars, la femelle Athéna. Cela dit, je m’avance peut-être un peu en disant qu’ils sont jumeaux, si l’on observe bien, Mars a le museau plus foncé que sa sœur. Et non je n’ai pas eu que des chats, j’ai d’ailleurs une chouette : Dove. Mais tu ne la verras pas aujourd’hui, elle est en balade.

L’oiseau était libre comme l’air et très souvent elle avait besoin de se dégourdir les ailes. Ou bien d’être le plus loin possible des félins qui pouvait être très envahissant lorsqu’ils le voulaient bien ; pour ainsi dire tout le temps.

Quant à moi, bien que cela me chagrina, ce moment passé avec toi touchait à sa fin. Et alors que tu me saluais avec une maladresse qui me fit esquisser un sourire amusé, je répondis avec douceur :

─ Louise. Appelle-moi Louise, si ça ne t’embête pas. Ah et Darya ? Je te remercie d’avoir bien voulu satisfaire mon petit caprice en passant ce moment avec moi. Tu ne t’en rends peut-être pas compte, mais après tout ce temps, c’était un vrai bonheur de t’avoir rien que pour moi, même pour quelques heures. Si l’envie te prend, n’hésite pas à venir me voir. Même si ce n’est que pour cuisiner dans le silence le plus total.

Si tu n’avais rien à dire, ce n’était pas grave. Je pouvais me contenter de ta présence. Car lorsque tu n’étais qu’un bébé, tu ne disais rien et pourtant… j’étais heureuse de te voir et t’avoir dans mes bras. Aujourd’hui, c’était un peu différent, mais le plaisir était le même. Et je n’espérais qu’une chose désormais : rattraper le temps perdu.

Tu n’étais plus une enfant, je ne le savais que trop bien. Mais en dépit de tout cela, tu restais ma nièce, mon sang. Rien ni personne ne pouvait changer cela.