S’il y a bien une chose qu’elle détestait, c’était d’être ignorée. Aussi d’être rembarrée. Alors quand quelqu’un osait faire les deux en même temps… alors là. C’était la fin du monde. Et ça, Vanille ne pouvait tout simplement pas le laisser passer.


Ce fut le cas d’une demoiselle en particulier : Valentyne Rosebury. Celle qui avait refusé le moindre contact avec l’ancienne joueuse de l’équipe de France. Non contente de refuser ses demandes d’interview, elle était passée à l’étape supérieure : l’ignorer. Sacrilège ! Elle avait osé ne pas lui répondre, elle avait osé la négliger. Autant dire que Vanille, malgré son cœur tendre ne pouvait laisser passer l’affront.

Alors elle apporta la tornade, la native française. Manque de chance pour la joueuse des Météorites, sa némésis du jour avait de la ressource ; beaucoup de ressources. Et dans sa mentalité de championne qui ne lâchait jamais rien, ce ne fut pas surprenant de la voir faire des pieds et des mains pour pouvoir rencontrer la mannequine.

Elle taira comment, mais elle réussit : trouver l’endroit dans Londres où se tenait une séance photo avec la joueuse professionnelle. Si encore ce fut le seul exploit, mais non, pas du tout. Le second fut de réussir à s’incruster en passant – presque – inaperçue. À la manière d’une panthère, tapie dans l’ombre, elle attendit cette malade mentale. Elle attendit le moment opportun pour interrompre la séance photo, débarquant en trombe devant l’objectif alors que Valentyne prenait la pose.

Une furieuse tempête s’abattit alors sur elle, d’abord dans la langue de Shakespeare :

─ Alors comme ça on m’ignore ?! On laisse mes messages en « vu » et on ne me répond pas ?! Pour qui tu te prends toi au juste ?! Le culot de la meuf… qui surenchérit, mais cette fois dans la langue de Molière, déversant sa colère qu’elle estimait être à juste titre : ça pète toujours plus haut que leur cul les filles dans ton genre de toute façon ! Tiens vas-y souris à la caméra et dit à tout le monde que t’en as rien à foutre de ma tronche ! Dit-elle en donnant carrément un coup de pied au pauvre photographe qui n’avait rien demandé. La furie était totale. Ah bah oui tu ne comprends pas hein ?! Tu ne parles pas français hein ?! Et bah tant pis pour ta tronche ! T’en veux des photos ? J’vais t’en donner moi !

Mayday, Mayday !
Quelqu’un pour aider la pauvre Valentyne qui s’en prenait plein la tête ?
Personne ?
Bon bah…   

Furie furieuse, impossible à calmer ou raisonner. Les forces de la nature faisaient de toute façon ce qu’elles voulaient ; décidaient quand elles s’arrêtaient. Il sembla alors que rien ni personne ne pouvait apaiser cette colère égocentrique qu’elle affichait aux yeux de tous.

D’ordinaire, celle-ci était surtout réservée à ses géniteurs, mais là, elle était dirigée vers la mannequine qui malgré la surprise et l’agacement, gardait son sang-froid. Et de quelle manière ! Pas impressionnée pour un sou, mais visiblement bien saoulée par le comportement de la native française. Et il y avait de quoi.

Excédée, mais déterminée à gérer visiblement. Face à la commentatrice qui ne céderait pas, Valentyne n’en avait pas non plus l’intention. Face à « l’indécence » de la furie, elle répondit avec calme… en français dans le texte s’il vous plait. De quoi faire passer Vanille pour une conne, une fois de plus. Elle était habituée à force.

Fidèle à elle-même cependant, comme toujours, ce ne fut pas une raison pour se démonter face à la blondinette ; pas question d’ailleurs. Alors pendant que celle-ci lui faisait la leçon, bras croisés, défiant l’ancienne joueuse ; mademoiselle Artemisia quant à elle lui fit face, sourire énigmatique aux lèvres ; hors de question de perdre la face.

Ce fut donc dans sa langue natale qu’elle répondit, imitant Valentyne.
─ Bichette ouuuuh… on s’appelle déjà par nos surnoms ? Comme tu veux bébé. Ça m’arrange de ne pas passer par quatre chemins ! Même si elle avait tous les torts, jamais elle ne se dégonflait. C’était à la fois impressionnant et désolant. Pour reconnaître qu’elle était allée trop loin en revanche… difficile, presque impossible.

Pour autant, après un regard jeté au photographe au fessier un peu meurtri, puis tout le reste de l’équipe visiblement encore sous le choc de l’avoir vu débarqué ainsi, elle comprit qu’elle était loin d’être en odeur de sainteté. Mais lorsque la mannequine lui « suggéra » de s’en aller, comme à son habitude, la native n’en fit qu’à sa tête.

Elle défia donc son interlocutrice, s’exprimant toujours en français dans le texte, pourquoi se fatiguer à parler anglais alors que la blonde la comprenait très bien :

─ Même pas en rêve bébé. Je ne bouge pas d’ici. Insulte-moi dans toutes les langues si tu veux, je t’apprendrai même à le faire en italien si c’est que ça. Mais je ne bougerai pas. J’ai promis une interview de toi à mes abonnés, je le ferai ! Un petit regard sur le photographe et l’équipe technique et aussi étonnant que cela puisse paraître, elle s’excusa brièvement en anglais : désolé pour votre popotin et désolé de vous faire perdre votre temps.

Un pas pour s’approcher de Valentyne, la toisant de son regard azuré ; on pouvait presque voir les étincelles dans ses iris tellement elle était déterminée à obtenir ce qu’elle voulait. Elle se permit toutefois un petit commentaire mutin dont elle avait le secret :

─ Hm… t’es pas mannequine pour rien bébé, t’es sexy. Mais la beauté n’excuse pas tout, surtout pas de m’ignorer alors que je peux te donner plus de visibilité. De la bonne publicité même, si tu fais un tout petit, mini, rikiki petit effort de m’accorder un peu de ton « précieux » temps. Hein ? Allez… s’il te plaiiiiiiiit ?

Dit-elle, papillonnant des cils, lui faisant les yeux doux, usant du moindre charme qu’elle avait pour avoir gain de cause. Oui… manifestement elle n’avait vraiment honte de rien.  

Des promesses qu’elle ne pouvait pas tenir, c’était bien là le nœud du problème. C’était dans sa réputation d’assumer ses paroles, jusqu’au bout. Elle parlait, elle parlait, elle parlait ; mais elle tenait toujours ses promesses, toujours.


Valentyne de son côté ne voyait pas cela d’un très bon œil et son agacement croissait à mesure que le temps passait, à mesure que les caprices de la native française s’accentuaient. Elle ne reculerait devant rien. Et lorsque la mannequine lui demanda pourquoi elle y tenait tant, elle lui répondit, dans cet enthousiasme colérique dévastateur :

─ Parce que j’ai besoin de le faire ! Parce que je veux savoir comment tu vis ton statut au quotidien, si ta condition d’hybride influe sur le comportement de tes coéquipiers ou s’ils ne jurent que par le talent, comme moi ! Je ne jure que par le talent, le travail et la réussite qu’ils engendrent !

Aussi parce que sa « différence » lui rappelait la sienne, bien que nous ne parlions pas du tout de la même singularité. Vanille était différente dans son comportement, ses extrêmes, sa volonté inflexible de ne juger les gens que par leurs actes et non leurs paroles. Elle avait besoin de savoir, l’ancienne joueuse. Elle avait besoin de savoir comment les autres vivaient leur différence pour mieux être en paix avec la sienne.

L’interview était nécessaire, aussi bien pour elle que ses abonnés. Elle leur avait promis après tout. Mais lorsque le photographe vint les voir, et les interrompre, Valentyne intima de nouveau à la française de partir… ce qu’elle allait bien évidemment refuser. Sauf que…

« Pardon ????? »
─ Pardon ?! Qu’elle répéta à l’exact même moment que la mannequine.

Puis il détailla Vanille, semblait déterminé alors qu’il détaillait son propos. Manifestement, il ne comptait pas lui laisser le choix. Bien que celle-ci essayait de désamorcer la situation :

─ Oh, on se détends hein, moi je suis là juste pour une interview j’ai pas le temps pour…
─ Ce n’était pas une question.
─ Mais je… mais, eh, oh ! Il m’écoute quand je parle lui ?! Oh ! Respectez-moi un peu...
─ Allez les filles, la prochaine séance est dédiée à la lingerie, faut accélérer on perd du temps là !
─ De… de la lingerie ?! Mais, eh ! Mais j’ai pas signé pour ça moi ! Et puis un regard sur Valentyne et une soudaine illumination. La séance photo concernait les deux jeunes femmes, pas seulement elle. Contre toute attente donc – haha – la française céda finalement en soupirant longuement : oh et puis merde, allons-y. Et alors qu’elle commençait à ôter ses fripes, le photographe rétorqua :
─ Euh… j’ai dit la prochaine séance on n’a pas terminé celle-ci encore. Le rouge de la honte sur ses joues alors qu’elle dit à voix basse :
─ Ah, pardon j’avais compris que…

Elle n’avait rien compris du tout oui. Les saphirs qui bifurquèrent en direction de Valentyne qui passé l’incompréhension semblait presque se délecter de ce qui se passait ; Vanille qui se tapait la honte visiblement c’était amusant. Bien qu’elle dût aussi être légèrement saoulée d’avoir à la supporter tout le reste des séances. Un mal pour un bien donc.

Le temps de mettre les deux en tenues pour terminer celle qu’elle avait interrompue et l’on pouvait tout de suite observer que les mensurations de la française collaient presque parfaitement aux vêtements qu’elle arborait. Un petit commentaire qu’elle voulait garder pour elle, mais elle parla trop fort pour que personne ne l’entendît :

─ Putain il a l’œil ce con… laissant à la mannequine qui l’accompagnait tout le loisir de l’écouter parler ; ce dont Vanille se rendit compte alors qu’elle commença à lui susurrer des conneries dans l’oreille pendant que le photographe les incitait à prendre la pause, en français dans le texte pour que personne d’autre ne la comprenne : sinon, au niveau du seum on est comment là ? T’es coincée avec moi bébé. Puis le ricanement, moqueur, mutin. Oh elle s’amusait bien là…

Peut-être même trop.    

La réponse était non, chère Valentyne. Jamais elle ne se taisait, jamais elle ne fermait son clapet. Elle avait toujours, toujours une réplique en stock, toujours une remarque à faire. Vanille pouvait être inépuisable si elle le souhaitait. Et là, elle débordait d’énergie… d’enthousiasme ? Bof.  

Sans doute qu’avoir été piégé ainsi n’était pas de son goût, mais clairement elle l’avait cherché. Alors elle s’était défoulée sur la mannequine hybride, se moquant d’elle au passage. Mais lorsque celle-ci vint à lui demander si parfois elle gardait le silence, curieusement ce fut à ce moment qu’elle lui en offrit un, trop occupée à jubiler et ricaner comme une poule à chaque fois qu’elle changeait de pose.

Sauf que ça ne dura pas longtemps. Très vite elle passa de l’euphorie à l’incompréhension quand le photographe indiqua qu’il était de temps de passer aux séances solos. Quelque chose qu’elle fit mine de ne pas comprendre :

─ Hein ? Euh ? Mais eh attends bébé tu vas où… enfiler son peignoir et s’assoir, tout en prenant un malin plaisir à se moquer de la française également. Incroyable à quel point le vent tournait vite parfois. Les stylistes vinrent alors s’accaparer de l’ancienne joueuse pour lui faire enfiler un nouvel ensemble de lingerie. Dentelle noire, de quoi la mettre en valeur.

Et de quelle manière, alors qu’elle tournait sur elle-même devant un miroir pour s’admirer, allant même jusqu’à un sifflement racoleur pour sa propre personne. Oubliant totalement que tous les regards étaient braqués sur elle et qu’on l’attendait pour la suite de la séance. À haute voix qu’elle se complimenta ouvertement :

─ Whoa… mais eh, est-ce qu’on peut parler de ce fessier s’il vous plait ?! Dit-elle en le pointant du doigt, ignorant une fois de plus qu’on l’appelait pour reprendre la séance. Avec ça tu pécho n’importe qui ! Et l’ensemble, comme il est beau ! Tu montres ça à certains, y’aura plus assez de sang pour irriguer le cerveau. Elle ricana alors de sa propre connerie avant d’enfin entendre un cri : celui du photographe. Oups, excusez-moi j’arrive !
─ Si t’aimes tellement l’ensemble t’auras qu’à l’acheter quand il sortira, allez, on reprend, on perd du temps là !
─ Mais… je suis censé faire quoi ?
─ Bah… prendre la pose quelle question !
─ Mais moi depuis tout à l’heure je faisais qu’imiter Valentyne, ce n’est pas mon métier ça normalement !
─ Suis mes instructions, ça va bien se passer !
─ Oui nan mais d’accord mais… dit-elle en grommelant, toujours hésitante.

Et que ce fut difficile dans les premières minutes, elle était perdue, indécise, faisait vivre un enfer au photographe. Clairement on voyait tout de suite que ce n’était pas son domaine. Elle manquait de pratique, parfois d’écoute, mais au moins on pouvait lui reconnaître son enthousiasme. Tout le monde pouvait l’observer, c’était aussi évident que sa musculature parfaitement dessinée, normal pour une ancienne sportive de haut niveau qui s’entretenait.

La séance fut éreintante pour tout le monde et une fois son peignoir enfilé, ce fut au tour de l’experte, la professionnelle : Valentyne. Vanille vint d’abord à sa rencontre en sautillant sur place comme si ses jambes étaient sur ressorts, avant de lever une main, s’attendant à un high five de qualité.

─ Tu ne vas pas me mettre un vent quand même ?

Peut-être bien que oui, peut-être bien que non.