À l’instar de ma visite auprès d’Izar, on pourrait croire que celle-ci était tout aussi spontanée. Je ne laissais que peu de place à l’interprétation. Mais une fois encore, elle n’était pas dénuée d’intention et encore moins de sens. Venir te chercher sur ton lieu de travail était voulu, Darya.

Pas pour chercher querelle, ni pour te tendre une embuscade, mais parce que j’avais envie de te voir… et de te donner quelque chose. L’avantage quand on avait mon statut, c’était qu’on se demandait rarement ce que je faisais au ministère. À force, on pourrait dire que tout le monde avait vu au moins une fois mon visage… ou connaissait mon nom.

La seule inconnue au tableau était simple : la raison de ma présence. J’ignorais celles des autres, ainsi que les regards qui pouvaient parfois se poser sur moi. Mon attention et mon temps t’étaient octroyés, chère nièce. Nul doute que tu fus surprise de me voir débarquer ainsi ; ne sachant pas encore réellement sur quel pied danser avec moi.

Nous faisions des progrès, mais de là à dire que nous avions confiance en l’une comme en l’autre… non. Il nous restait un long chemin à parcourir. Mais je vins te trouver, t’intimant presque de me suivre, prétextant que je voulais te montrer quelque chose d’intéressant, attisant ta curiosité, espérant que cela suffirait pour m’accompagner.

Lorsque nous fîmes chemin vers mon département et que tu compris où je voulais t’amener, il me sembla alors apercevoir une lueur dans ton regard. Je ne sus comment l’interpréter… mais je passai vite à autre chose. J’étais anxieuse.

Un mélange entre expectation, curiosité et enthousiasme. Pleins d’émotions qui se bousculèrent, ne laissant aucune place à l’une comme l’autre, se battant pour avoir l’avantage sans le prendre.

Nous arrivâmes rapidement dans mon bureau alors que je te proposai de t’installer sur le fauteuil en face de moi.

─ Tu veux boire quelque chose ? J’attendis ta réponse, je te sentis hésitante, dans l’inconnu. Tu te demandais sans doute ce que j’avais derrière la tête. Toutefois tu pouvais aussi remarquer que ton cadeau trônait fièrement sur mon fauteuil. Un œil sur lui avant de te complimenter pour l’attention : tu as bon goût ma chère. Ema a également apprécié sa petite pâtisserie. Je crois qu’en la mangeant elle était également en train de la décortiquer pour pouvoir la refaire… c’est dire si elle a aimé. Ce qui me fait penser, j’ai quelque chose pour toi ainsi que ton frère. J’aimerais que tu lui donnes lorsque tu auras un moment, si cela ne te dérange pas ?

Un œil sur le cadeau que tu m’avais offert, puis sur ceux que je comptais vous offrir à toi et ton frère, je ne sus dire pourquoi je me sentis un peu nerveuse. Sans doute que j’avais perdu l’habitude. D’ordinaire, je n’en offrais qu’à Orion et Marion…


Quand la famille s’était agrandie, tout devint plus délicat. Aujourd’hui, alors que je tentais de renouer des liens qui s’étaient fragilisés avec le temps, j’avais beau être résolue, je n’en restais pas moins inquiète, incertaine. Tout ne dépendait pas que de moi.

Et puis très vite, vint le pourquoi ? Pourquoi je t’avais fait venir, pourquoi tu étais là. Bien évidemment, j’avais la réponse à ta question. Mais je restai silencieuse dans un premier temps, appréhendant un peu la réaction que tu pourrais avoir vis-à-vis de mes présents.

Il y avait toutefois un point que je souhaitais soulever :
─ Allons, allons, comme si j’avais besoin d’une raison en particulier pour venir te voir. Peut-être que ça me fait tout simplement plaisir de poser mes yeux sur ton joli minois très chère. Un sourire, un clin d’œil et je passai aux choses sérieuses : mais je t’avoue qu’il n’y a rien de particulièrement urgent, je voulais simplement te donner ton cadeau en personne. Mais d’abord… d’abord celui de ton frère. Un petit coffret que je posais sur le bureau en face de toi, expliquant de quoi il s’agissait : ce sont des places pour aller voir une pièce de théâtre, je me suis dit que ça pourrait plaire à Izar sachant qu’il en a fait lui-même. Je crois que ça ne lui fera pas de mal de se… détendre un petit peu.

De quoi lui changer les idées vis-à-vis de notre dernière conversation également, ce qui ne pouvait pas lui faire de mal. Et puis, vint le moment de t’offrir le tien. Un autre petit coffret que je plaçai devant toi, t’incitant à l’ouvrir.

Dedans, deux boucles d’oreilles en forme de serpent aux yeux ambrés, ainsi qu’un collier avec un pendentif ayant sensiblement la même forme. Un petit rappel à la relation que tu entretenais avec Alamak mais ce n’était pas tout. Il y avait aussi un rappel, de ce que tu étais, de ce que nous étions. Et comme je ne faisais pas les choses à moitié, ces bijoux avaient une autre petite particularité.

─ J’adorerai voir la tête de ton père s’il te voyait avec. Mais si tu veux toutefois rester discrète et éviter de t’attirer des ennuis… ça peut s’arranger. Garde les yeux sur les bijoux et répète après moi. Une petite inspiration avant de m’exclamer, en français dans le texte, t’incitant à répéter : « Toujours pur ».

Et puis soudain, la forme des bijoux qui changea : de serpent à chat. D’un héritage à un autre. Un autre sourire, puis je repris d’un ton enjoué, bien que légèrement anxieux :

─ Joyeux Noël avec un peu de retard, mon enfant. Pour retrouver leur forme initiale et bien… oh tu sais quoi ? Je te laisserai le découvrir par toi-même. Un petit indice : ça ne fonctionnera qu’en présence de ton cher ami… j’espère que… j’espère que ça te plait ?

Non pas que j’étais inquiète, mais un petit peu quand même. Ceci était bien plus qu’un cadeau, c’était aussi un moyen pour moi de te faire comprendre que tu ne devais jamais oublier tes origines, sans pour autant renier ce que tu étais. Respecter les traditions, notre héritage… mais surtout, ne jamais en être prisonnier. Ne jamais rester dans le passé, toujours aller de l’avant.

Tiens donc… le petit frère qui évitait sa grande sœur. Je me demandais bien pourquoi. Curieuse certes, mais de là à être intrusive ? Non. Sans doute qu’il se passait quelque chose entre eux, mais à moins de m’en faire part, cela ne me regardait pas non plus.


Raison pour laquelle, au lieu de rebondir sur tes propos, je n’eus en réaction qu’un haussement d’épaules, ne cherchant pas à aller plus loin malgré la redoutable envie de t’interroger là-dessus. Vous aviez le droit à votre petit jardin secret, de la même façon que moi. Mais si la situation s’aggravait… qui sait ?

La seule information qui me fut utile, ce fut cette approbation que tu eus vis-à-vis de mon cadeau pour lui. Toi plus que quiconque devait savoir ce qu’il était susceptible d’aimer et si je me fiais à ton jugement, mon idée était la bonne. Tant mieux.

─ Ce n’est rien, j’espère qu’il passera un bon moment, c’est tout ce que je lui souhaite.
Et c’était sincère.

Et puis vint le tour de ton cadeau. Un rictus mesquin qui se forma dans le coin de mes lèvres lorsque tu fis allusion à ton père et ce dédain que tu avais pour lui. Jamais plus il ne serait en odeur de sainteté avec toi. J’en jubilais presque… n’oubliant pas néanmoins qu’il s’agissait de mon propre frère, ce qui provoquait en moi cet étrange mélange entre peine et consternation.

Il avait vraisemblablement tout raté avec votre éducation à toi et ton frère. Et bientôt il récoltera ce qu’il a semé. Mais très vite tu m’obéis, répétant avec moi notre maxime, le dogme de cette famille et cette signification dont peu connaissaient son véritable sens.

Pour moi, c’était une façon de te faire comprendre que cet héritage serait tiens pour toujours… mais que d’aucune façon tu ne devais renier qui tu étais et ce qui t’a forgé pour le devenir. Respecter le passé et en être prisonnier étaient deux choses bien différentes.

Canopus était enchainé à celui-ci.
Pas moi.
Et la génération qui suivait non plus.
Et cela me rassurait.

À peine tu me remercias pour ton présent que je répondis dans la foulée, toujours le sourire aux lèvres :

─ Je t’en prie très chère. Une légère inspiration pour digérer tes propos avant de reprendre : tu as raison, je n’étais pas obligée. Mais je le voulais. Tu remarqueras que c’est un schéma récurent avec moi ; lorsque je veux faire quelque chose, je le fais. Ce n’est pas dans ma nature de douter… bien que c’est toutefois susceptible d’arriver de temps en temps.

Car personne n’était infaillible, moi la première. La preuve étant l’incompréhension qui s’afficha sur mon visage lorsque tu mentionnas ton mariage avec le garçon Lestrange. Une nouvelle que j’aurais aimé apprendre de ta bouche plutôt qu’en lisant les pages de cette satanée petite fouine. Si jamais je mettais la main sur lui…

Mais je fus très vite interrompu dans cette courte réflexion par tes paroles, Darya. Dans ce que tu disais, il y avait un peu de tout, de l’appréhension, un questionnement sur le nom que tu porterais, celui que tu abandonnerais, mon attitude vis-à-vis de tout cela et surtout… ce lien que nous partagions.

Celui qui se développait au fur et à mesure du temps. Mais lorsque tu te confias à moi ainsi, j’eus presque l’impression d’être frappée par la foudre devant ces soudaines confessions. Je ne sus dire pourquoi mon cœur s’emballa d’un coup, submergé par une émotion que j’eus du mal à appréhender.

Heureuse de te voir t’ouvrir à moi, mais heurtée de te voir dans un tel état. Tu remettais tout en question jusqu’à ta responsabilité sur la disparition de Regulus. Te voir tourmentée ainsi me brisait le cœur et je pris peur de ne pas trouver les mots qui pourraient t’apaiser. Mais ça je ne pouvais le savoir sans les énoncer.

Je commençai par prendre une grande inspiration, m’enfonçant dans le dossier de mon fauteuil quelques secondes avant de finalement me lever. Tournant autour de toi, ne te lâchant pas de mes saphirs alors que je répétai la maxime de notre famille en français :

─ « Toujours pur »… pour revenir dans notre langue natale. Qu’est-ce que ça peut bien vouloir dire, Darya ? À entendre le monde autour de nous, nous suivons cette devise comme un crédo. Mais qu’est-ce que ça signifie vraiment ? J’en vins alors à saisir le collier que je voulus t’offrir, avant de me placer derrière toi. Attachant ensuite celui-ci autour de ton cou avant de poser mes mains sur tes épaules. Notre sang doit-il toujours être pur ? Devons-nous résister aux tentations de se pervertir ? Devons-nous rester prisonniers de l’héritage qu’est le nôtre sans jamais évoluer, jamais changer ? Tandis que le monde évolue à une vitesse ahurissante, devons-nous rester coincés dans le passé ?

J’avais déjà ma réponse à ces questions. Mais toi ? Qu’en pensais-tu, Darya ? Te laissant digérer mes questions, y répondre si tu le souhaitais, je vins ensuite te faire face, observer avec délice, dans un sourire dont tu ne sus la teneur, que le pendentif t’allait à merveille. Puis je repris :

─ « Toujours pur » ; je respecte nos origines, nos traditions. Je n’oublie pas ce que nous étions, mais cela ne définit pas ce que nous sommes, ce que nous voulons être. Tu es née Black, mon enfant. Et Black tu resteras, peu importe le nom dont on t’affuble. Le sang d’Altaïr et de Sélène coule dans tes veines. Notre sang. Et c’est tout ce qui importe. Le reste n'a pas d'importance à mes yeux.

J’aurais aimé que tu sois ma fille, Darya. J’aurais aimé que tu aies échappé aux griffes de ton père, comme ton frère. Mais je ne peux pas changer ce fait. Je n’avais pas ce pouvoir. Je ne pouvais que faire ce que j’avais toujours fait : aller de l’avant et assumer qui j’étais. Mon index vint alors se poser en dessous de ton menton, remontant ton visage vers le mien, te contemplant alors que je souhaitais que tu sois mienne.

─ Reste pure ma douce enfant. Reste fidèle à toi-même et ne dévie pas de la voie que tu as empruntée. Tu n’as pas le pouvoir de changer le passé, moi non plus. Mais nous avons le pouvoir de décider de notre présent, notre avenir. J’aurais aimé que tu sois mienne, au même titre qu’Izar. J’aurais aimé vous donner la vie que vous méritiez… alors que quelques larmes vinrent perler ma joue, sans que je puisse le contrôler, ma tête dodelina d’elle-même alors que je conclus : mais je n’ai pas pu vous la donner.

D’un coup de manche, je vins essuyer mon visage, encore stupéfaite d’avoir craqué ainsi. Un raclement de gorge alors que je prenais quelques secondes pour me calmer.

─ Je te demande pardon. Tout semble s’écrouler autour de nous en ce moment et ça déteint aussi sur moi. Rire nerveux, puis un baiser sur ton front avant de caresser ton visage, me gaussant alors que je te contemplais comme le ferait une mère fière de son enfant : regarde-toi. Tu vas te marier et mon cadeau te va à merveille. Il y a au moins un peu de positif non ? Reste forte Darya. Nous braverons la tempête ensemble et nous y survivrons. Le monde n’aura aucune chance face à nous.

Et notre famille triomphera face à ses difficultés.
De cela je n’en étais pas seulement résolue, mais également certaine.

Ça agaçait tout le monde, Darya. Depuis que j’étais toute petite, le fait de suivre mes pulsions, de trouver tous les moyens pour les satisfaire, ça gênait tout le monde. Lorsque je le voulais, je n’écoutais que moi, je n’entendais que ma propre voix. Une imperfection qui faisait mon charme.

Et pourtant, même en me connaissant, moi et mes défauts, il y a peu de choses que j’aimerais changer, en tout cas, pas chez moi. Je n’avais d’autre choix que d’assumer, nous ne pouvions plus revenir en arrière. Et tu avais peut-être raison, petite nièce.

Tu avais peut-être raison sur le fait que je n’étais pas responsable de vos malheurs ; je n’étais pas responsable du fait que vous étiez la progéniture d’un être infâme qui partageait pourtant le même sang que le mien ; le même nom. Il y avait peut-être une bonne raison que le destin avait décidé que vous soyez ses enfants et pas les miens.

J’avais beau dire… aurais-je vraiment été meilleure que lui ? Aurais-je vraiment été en mesure de vous offrir une vie meilleure ? Je devrais en être persuadé du plus profond de mon être, mais curieusement je ne l’étais pas. Mes pensées bifurquèrent vers celle qui avait eu cette « chance », me demandant ce qu’elle pouvait bien penser de moi.

─ Peut-être qu’il vaut mieux que cela soit ainsi oui… puis quand tu t’excusas sur l’ambiance légèrement maussade de cet instant, j’eus un sourire amusé qui s’esquissa sur mes lèvres : tu n’y es pour rien. C’est de ma faute. Je ne sais pas pourquoi je me tourmente toute seule comme ça. Les événements récents font remonter des choses en moi que je n’arrive pas à véritablement contrôler. Personne n’est infaillible après tout.

Puis un moment de recul alors que je constatai que tu n’avais vraisemblablement pas l’habitude de cette tendresse dont on pouvait faire preuve à ton égard. Surtout lorsqu’elle venait de moi. Nous ne faisions que nous apprivoiser après tout. Pour autant, je commençai petit à petit à prendre mes aises.

La preuve étant ces questions qui vinrent de nulle part :
─ Donc… le garçon Lestrange. Intéressant. Si je ne m’abuse il s’agit même du jeune homme au gala. J’en connais un qui doit être ravi. Et toi alors ? Le fait d’épouser ce jeune homme fait seulement partie d’un plan savamment élaboré ou bien… est-ce que tu es enthousiaste à l’idée de te marier avec lui ?

Curieuse la tantine.
Mais si je ne posais pas la question, comment en avoir la réponse ?

Clovis Lestrange. Le jeune homme du gala. Intéressant. La seule interrogation venait de la raison de cette union. N’était-il qu’un pion de plus sur ton échiquier, un heureux hasard ou bien… quelque chose d’autre que je n’avais pas envisagé. Un sujet que je sentais délicat, mais abordable.

Il fallait simplement naviguer intelligemment dans ces eaux avant qu’elles ne deviennent tempétueuses. Je te laissais donc t’exprimer, écoutant bien sagement les bras croisés, acquiesçant à tes dires, essayant de comprendre où cela pouvait nous mener. Il n’était pas question d’amour, de sentiments, tout était vraisemblablement politique, pour les apparences.

Le plus triste fut que je ne fus pas étonné par tout cela. À force, je commençais à comprendre que tu étais ce genre d’animal, Darya. Peu de choses étaient spontanées, tout était finement calculé. Pas sa demande en mariage, mais tout le reste oui. Tout ce qui pourrait résulter de votre union : un échange de bons procédés. De quoi faire baisser la garde de ton géniteur, que tu puisses naviguer en tenant la barre. Sous contrôle donc.

C’était à la fois intelligent et… un peu triste quand on y réfléchissait bien. Tu n’étais pas guidée par amour, mais par la haine que tu vouais à ton géniteur. Focalisée sur le moyen de lui faire défaut plutôt que sur ton propre bonheur. Mais dans cet élan tu faisais aussi part des sentiments que tu ressentais pour ton frère ; ma conversation avec lui resonna alors comme un écho dans ma tête.

Ton bonheur n’avait aucune importance à tes yeux là maintenant, celui d’Izar en revanche, oui. Et lorsque je repensais à mes échanges avec lui, je n’avais qu’une notion en tête : le chaos. Néanmoins, était-ce vraiment à moi de mettre de l’ordre dans tout cela ? Toi Darya, tu ne me laisserais jamais contrecarrer tes plans à moins d’en trouver un meilleur… et encore.

─ Je vois. Un imprévu qui arrange tes propres machinations, comme les siennes. Il vaudrait mieux pour lui qu’il ne te fasse pas de mal… sinon il devra se frotter à moi. Ton père n’a sans doute que faire de votre relation du moment que tu procrées. Moi en revanche, je veux ton bien autant que celui de ton frère et tes cousins. Le garçon Lestrange a tout intérêt à se tenir à carreau.

Mais si la demande venait de lui… peut-être que je n’avais pas de tracas à me faire de ce côté-là ? Seul l’avenir nous le dira. Quant à la situation d’Izar, c’était aussi délicat que la tienne. Peut-être même plus. Il n’était peut-être pas question de mariage, mais sa vie amoureuse avait l’air aussi tumultueuse qu’avait pu être la mienne quelques années auparavant.

Une pensée qui m’arracha un sourire dont tu ne sus malheureusement pas la teneur. Mais je ne pus m’empêcher de rebondir sur ma conversation avec l’intéressé :

─ Tu sais… tu as beau dire que tu veux son bonheur, il faut aussi que tu réalises qu’il fera ses propres choix. Et peut-être que ceux-ci se retourneront contre lui, peut-être pas. Mais cela restera sa volonté, son libre arbitre. Que tu le protèges c’est une chose, mais n’attends pas de le protéger de lui-même.

Cela pouvait être difficile à entendre alors que tu semblais déterminée à le rendre heureux, peu importe le prix. Mais je connaissais ce sentiment que tu avais, celui d’être prête à tout pour protéger quelqu’un. Mais même une douce étreinte pouvait être étouffante ma chère enfant. Tu ne voyais peut-être pas cela d’un très bon œil, mais c’était mon rôle de te mettre en garde.

─ Ceci étant dit, nous avons discuté un peu lui et moi et sans connaître tous les détails, il m’a avoué que les sentiments qu’il éprouvait n’étaient pas réciproques. Est-ce que cela veut forcément dire qu’il sera malheureux s’il en vient à se lier avec la personne en question ? Nous n’en savons rien. Mais le plus important… c’est qu’il fasse ses propres choix.

Et même en le conseillant, la décision finale lui appartenait. Elle n’était pas tienne, ni mienne, mais bien sienne. Sa vie, ses décisions.  

Crescendo. D’abord la grimace sur ton facies pour montrer ton désaccord, puis les premières répliques. Une question sonnant rhétorique à mes oreilles, tu ne voulais probablement pas entendre le son de ma voix, encore moins ma réponse.

Puis… tout s’enchaîna.
Progressivement la colère montait et devant elle je ne fus que spectatrice. En te voyant ainsi, c’était presque si je voyais les morceaux de ton âme se craqueler, presque comme si j’avais enfin accès aux fêlures de ton être. Et ça me faisait du mal de te voir ainsi. Plus encore lorsque le discours que tu tenais était dangereux.

Il n’appartenait pas à quelqu’un qui avait le désir de protéger, mais de contrôler, d’imposer. Et ces mots, je savais très bien d’où ils venaient, d’où l’on pouvait les entendre. Mais paradoxalement, je gardai le silence, te laissant une chance ; une seule… de t’en rendre compte. Mes bras se croisèrent et  je restai le fessier appuyé contre mon bureau, me contentant de t’écouter sans t’interrompre, l’air stoïque.

Furieuse, Darya.
D’avoir été laissé de côté.
De ne rien maitriser.

Des conclusions hâtives, des informations précieuses alors que tu mentionnais la famille Fawley, ce qu’Izar n’avait pas fait. Je ne pus retenir ce haussement de sourcils, mais j’étais toujours focalisé sur tes paroles. Puis l’explosion.

Ton être entier qui se dressait contre cette « injustice » que tu voyais. Pas seulement les mots, mais aussi le corps. Tu étais catégorique : le destin de ton frère était entre tes mains. Et soudain, ça te frappa ; tu reconnus d’où venait un discours pareil, d’où venait ce désir de marteler les absolus. De ne pas laisser ce que vous auriez toujours dû avoir : le choix.

Mais non, ma chère enfant, tu n’étais pas comme lui.
Tu ne devenais pas comme lui.
Même si à cet instant, j’eus l’impression de l’entendre parler.

Puis tu voulus t’enfuir… ce que je n’acceptai pas.
─ Où penses-tu aller, mademoiselle Black ?

Avant même que tu ne puisses atteindre la porte de mon bureau, l’accès te fut condamné. Enfermée avec moi. Privé de ton choix. Une façon un peu abrupte de te faire comprendre les errances de tes propos. Mais faire preuve de fermeté avec toi pouvait peut-être être efficace. Voyons voir.

─ Cette conversation n’est pas terminée. Dis-je alors que je vins m’approcher de toi. Arrivée à ta hauteur, sans pour autant empiéter cet espace dont tu avais cruellement besoin, je t’intimais d’une voix de velours : regarde-moi dans les yeux, Darya.

Patiente, j’attendis que tu t’exécutes, même pour cela je devais attendre de longues minutes s’il le fallait, je ne repris pas la parole avant de voir l’ambre de tes yeux.

─ C’est un discours dangereux, celui que tu tenais. Ne sois pas hautaine au point d’affirmer avec certitude ce qui est le mieux pour lui, ce qui le rendra heureux. Nous savons très bien où cette recherche de l’absolu mène. Tu l’as d’ailleurs bien compris.

La voix était douce, elle caressait ton être avec une tendresse maternelle. Mais le ton était ferme. Sans pour autant te donner la leçon, je tenais à te mettre sur la bonne voie. Tu avais déjà fait la moitié du chemin selon moi, mais certaines choses devaient être claires :

─ Lui, mentionnant ton père ; se fiche bien du bonheur de sa progéniture. Pour lui tu es une pouliche et rendre Izar heureux ne rentre pas dans ses priorités. Pour lui, vous êtes des pions sur son échiquier et il en est persuadé. Mais non, plus maintenant, plus jamais. Vous faites vos propres choix et bientôt il saura que vous êtes hors de son contrôle et qu'il ne pourra plus vous atteindre.

C’est alors que je vins te tendre le creux de ma main, espérant que tu vins la saisir, tout en te rassurant sur ce que tu devais redouter :

─ Toi tu cherches à protéger, lui non. Au minimum du minimum, vous êtes différents déjà sur ce point. Si ça peut t’apporter quelconque réconfort… un soupir, puis un doux sourire avant de reprendre : cette envie folle et furieuse de protéger ceux que tu aimes à n’importe quel prix me ressemble plus qu’à n’importe qui d’autre dans notre famille. Mais par pitié mon enfant, par pitié… ne répète pas les mêmes erreurs que moi. Une cage, même dorée, reste une cage.

Puis un claquement de doigts alors que la porte de mon bureau vint s’ouvrir.

─ Si tu souhaites partir, je ne te retiens plus. Mais ne part pas sans son cadeau et encore moins le tien, les boucles d’oreilles sont à toi, pas à moi.

Puis un mouvement de recul alors que je retournai à mon bureau, te laissant méditer sur mes paroles. Et si jamais tu voulais rebondir, tu trouveras toujours une oreille attentive… et bien évidemment, la réplique à tes tirades, que jamais tu ne te perdes dans un monologue. Jamais.  

Les premiers pas pour m’écarter de toi, te laisser libre d’agir comme bon te semblait. J’avais dit ce que j’avais à dire, il n’y avait rien à ajouter. Tu n’étais plus une enfant, Darya ; tu n’avais pas besoin que je vienne à marteler mes propos dans ton crâne comme l’aurait fait ton père.

Moi qui me vantais justement de ne pas lui ressembler, pas question de t’asséner mes idées jusqu’à ce que tu finisses par les adopter. Pas question non plus de t’intimider, car cela ne mènerait à rien. Non, ce fut le contraire.

Les paroles étaient sévères, certes, mais justes. Le ton employé, comme si je dorlotais mon propre enfant. Tu avais suffisamment connu la colère, la violence, tu devais en être habituée depuis le temps. Le plus déstabilisant pour toi était son antipode. Le plus déroutant ce fut la douceur, la tendresse.

Je m’étais écarté de toi, car je savais qu’empiéter sur ton espace même avec les meilleures intentions du monde… ne faisait que te mettre mal à l’aise. Je ne voulais pas que tu me voies comme une ennemie ; même si j’étais encore loin d’être une alliée.

Pourtant, quelle ne fut pas ma surprise lorsque soudainement tu vins m’enlacer. Totalement prise au dépourvu, si bien que je ne sus ni quoi faire ni quoi dire durant ces longues secondes pendant lesquelles tu t’excusais. Je vins finalement passer une main dans ton dos, caressant celui-ci du bout des doigts.

Silencieuse pendant que je t’écoutai, pendant que tu affirmais la volonté d’être pour Izar, un pilier sur lequel il pourra s’appuyer. Je fis de mon mieux pour garder ma contenance alors que tes mots vinrent me frapper comme la foudre ; je sentis tout mon être me demander de crier, de hurler ce que je ressentais pour toi et cette fierté que j’avais de te voir murir sous mes yeux.

Mais le silence régna. À ton remerciement je n’eus qu’un signe de tête en réponse, un haussement d’épaules et un sourire. Pour une raison inconnue, tu m’avais cloué le bec.

Mais à l’instant où tu semblais fin prête à franchir le seuil de mon bureau pour t’en aller, enfin ma voix résonna dans la pièce :

─ Darya ! Pour attirer ton attention dans un premier temps, puis ce qui sonna comme le glas de notre échange : ce que tu fais pour Izar… tu as tout mon respect et mon soutien pour cela. Peu importe ce que tu peux penser de toi, de tes origines et ce qui t’a façonné, ce n’est pas notre passé qui détermine ce que nous sommes. Un sourire s’esquissa sur mon visage, un de ceux semblables à celui d’une mère voulant rassurer son enfant alors que je délivrai le dernier compliment de la journée : tu es quelqu’un de bien ma chérie… je suis sûre que ton frère le sait, qu’il t’aime et qu’il te fait confiance. Montre-lui que tu ressens la même chose, tout ira pour le mieux.

Tout ira bien.
Je t’en fis la promesse.