Tu l'observes
l'épave de ton père
l'épave d'un âge qui commence à s'éteindre, entre tes doigts
toi qui finira par prendre sa place, un jour
et feras-tu mieux qu'eux ? Auras-tu de meilleures idées ? Des choix moins égoïstes ? Sûrement pas.
Comment lui en vouloir.
La plaie est encore trop fraîche, tout comme la marque de ta mâchoire sur son cou. Vous venez de vous blesser. Et ça te donne envie de gerber.
Au fond, voir le rouge te fait toujours pâlir.

Tu t'approches lentement de lui, tes doigts qui viennent passer sur son épaule, glissent sur le bras, chirurgicale, Croyance, impeccable dans ton travail quand tu le veux, impeccable dans tes soins quand tu désires faire le bien

'' je n'ai besoin de personne '' tu affiches un léger sourire fatigué on croirait m'entendre.

Ta main qui se pose sur sa joue, tu la relèves un peu pour qu'il te regarde
((regarde moi))
((je ne te tourne pas le dos))
((alors garde moi dans tes bras, même si je brûle, même si je blesse, garde moi))

ne pleure plus jamais. Pour moi, pour qui que ce soit. Ne fais pas de moi un meurtrier.

Oui
arrête de sauver le monde, Antoine
il est temps de te sauver toi, il est temps de respirer, il est temps
((parce que tes larmes j'en ferai des armes))
pour égorger les coupables et si je dois me vider de mes tripes je n'hésiterai pas

son chagrin te fait bien trop de mal
tout comme son sang sur ta peau, un nouveau frisson qui secoue ton corps et d'un coup tu te sens faiblir
la violence des actes, des souvenirs et surtout, tout ce rouge, dans ta gorge, sur son torse, horrible, horrible, horrible

ta main vient se poser sur ta bouche alors que tu fais un pas en arrière, détournant le regard
((envie de vomir, tu as envie de vomir))

Difficile de ne pas y croire, difficile de ne pas entendre ce que tu désires le plus. Quand il te demande de rester avec lui, ton regard qui se lève vers lui semble bien trop plein d'espoir. Ces mots prononcés que tu veux entendre plus souvent, ces phrases que tu aimerais chanson en ton nom.
Oui, tu es trop envieux pour comprendre l'autre sens
tu es trop triste
tu préfères te noyer dans la douceur, aussi mensongère soit-elle

et s'il disparaît
il ne te reste plus de bras dans lesquels pleurer
égoiste, peut-être
ou désespéré

alors tu t'approches de lui
il te suffisait simplement ça, d'une demande, faire taire tes pensées à toi pour imposer les demandes
il veut que tu restes
c'est tout ce que tu avais besoin d'entendre

animal effrayé tu observes une main qui vient de se tendre vers toi
ta mâchoire qui se crispe tu fais demi tour, va chercher de quoi vêtir ton père, revenant avec une chemise ample, doucement tu lui met sur le dos, prenant garde à ne pas lui faire mal à l'épaule

c'est en fermant les boutons de celle-ci que tu te rends compte qu'à nouveau ton visage est recouvert de larmes. Tu sais qu'elles agacent, tu as tendance à t'écrouler si facilement face à ceux que tu aimes
honteux tu essaies de cacher cela, baissant un peu la tête, tentant de rester droit alors que tes mains tremblent, mettant un peu plus de temps à finir ta tâche

je vais te laisser, ça devrait aller pour ce soir mais tu devrais passer à l’hôpital rapidement.

Tu n'oses pas soutenir son regard, tu n'oses pas lui montrer ô combien tu es faible et surtout ô combien cette phrase s'est autant encré dans ton cœur

Il y a de ces moments
ou le temps est comme
posé sur la surface de l'eau
prêt à couler, à être emporté par le vent, par la marée
et quand il pose un baiser sur ton front et te dis que ses portes seront toujours ouvertes tu ne peux t'empêcher de sentir un frisson glacé courir le long de ton dos
il y a de ces moments
ou l'on pense secrètement
''c'est peut-être la dernière fois que j'entends sa voix ''

alors d'une étreinte maladroite mais pleine d'amour, un amour violent et sans faille même quand tu souffres, même quand tu te vides de ton sang, tu le serres contre toi
ton visage contre son cou
oh Savoy, peut-être que je ne te reverrai pas

Je t'aime, malgré tout ça.

Et tu te recules, reprends le sens du courant
pour ne pas te faire dévorer par l'océan, un sourire qui passe sur tes lèvres mais tes yeux chantent le chagrin

prends soin de toi, qu'il murmure avant de lui tourner enfin le dos
et de quitter cette prison qui aurait pu être ta maison

pas de velours sur le sol
ombre timide sur les murs
le loup s'en va.