À peine que l'image s'éteint, tu cours déjà.
Sans préoccupation pour ceux qui pourraient voir, entendre. Sans te soucier d'autre chose que de courir.
Pas après pas après pas.
Tu ne sais même pas quand tu transplanes. Les éclats autour de toi te sont sourds.
Tu n'es pas le seul, et pourtant, tu n'as jamais eu plus peur que maintenant de rester seul.
Courir. Ne pas s'arrêter.
L'accès est lent. Fastidieux. Torture d'impatience incontrôlée qui frôle l'agonie.
Les regards mauvais qui te sont lancés sont parfaitement ignorés. Tu n'as pas le temps pour leurs inepties.
L'ascenseur lui aussi est lent. Tu ne l'as jamais trouvé lent. Les choses changent dans les braises de l'incendie. Tout paraît différent, mal positionné.
Comme si le monde t'avait volontairement sabotagé.

Où est la directrice ? Où est Fallen ?

On te retient. Personne ne peut entrer comme dans un moulin ici, qu'on te dit. Pourtant, tu n'écoutes pas. Tes deux sont à deux doigts de lancer des sorts - baguette ou pas.
Seule une petite voix dans ta tête te rappelle qu'attaquer des gens au milieu du Département de la Justice au Ministère n'est pas une bonne idée.
C'est peut-être sa voix.

C'est ma soeur, vous allez me laisser la voir, oui ?!

La méfiance est palpable. Avaient-ils déjà changé de camp ? Cru aux mensonges insidieusement murmurés à l'oreille des locuteurs ? La réputation Cavendish était-elle si aisée à salir ?
Sûrement. Mais tu t'en fichais.
Toi, pas une seconde, tu n'avais douté.

La collision est à peine perçue à vrai dire - chaude, moelleuse, le choc des chairs n'étant rien de plus qu'une information secondaire dans ton cerveau concentré ailleurs.
Tes mains se posent sur ses épaules - elle t'a arrêté, tu vérifies tout de même ne pas l'avoir blessée, Merlin sait que se prendre un sportif en pleine lancée n'est pas des plus aisés.
Mais elle se rapproche, son souffle chaud dans ton cou, ses paroles murmurées figeant la course que ton cerveau continuait.
Effréné.
Tes yeux se fixent dans les siens, la remarquant enfin réellement - l'observant avec une attention redoublée. Le visage est identifié, bien que le nom soit oublié, et c'est vaguement que tu te rappelles ce que Fallen t'en avait dit.
Elle couvre tes arrières en quelques mots, et tu peux presque entendre les agents râler - ils avaient pas réussi à te rattraper.

Où est-elle ?

Ta voix est aussi basse que la sienne - tes doigts tremblent contre ses épaules. Tu réalises enfin les regards, les attentions. Ta mâchoire se crispe, tes yeux se plissent, et tu la tires par le bras dans une des pièces sur le côté, dont tu fermes la porte derrière vous.
Qu'importe ce que les gens pourraient penser, il y avait plus urgent.

Que crois-tu que je fais ? Je viens la chercher.

Tu n'irai pas jusqu'à dire qu'elle avait besoin de toi - c'est plutôt toi, qui avait besoin d'elle. De la savoir entière. Avant que le Ministère ne s'assure du contraire.

Discuter.
Tu sais ce que ça veut dire, discuter. Seule, elle doit s'affronter au pire. Peut-être ne la torturent-ils pas, mais ils feront en sorte qu'elle se souvienne.
Tes yeux se posent sur la porte. Si tu trouvais la pièce à temps, peut-être pourrais-tu les interrompre - jouer le rôle du frère inquiet, peut-être insister pour être là pour elle.
Cela dit, ils pourraient très bien essayer de t'arracher des informations à toi aussi. Et selon leurs méthodes, ce serait impossible d'en dissimuler certaines. Fallen avait de l'encre sur les mains, mais toi, c'était du sang.

Rien n'est fini. Ce n'est que le début, tu ne l'as pas compris ?

Tu pourrais presque la secouer, pour qu'elle comprenne, réalise - mais voilà qu'elle s'emporte lorsque vous êtes enfin à l'abri des regards et tes mains se serrent davantage sur sa frêle carrure alors que tu l'appuies contre un mur.

Je l'aurais sûrement trouvée si tu ne m'avais pas arrêté ! Tu crois vraiment qu'ils vont mettre au cachot un membre de sa famille inquiet ? Ça en dit long sur le Ministère cependant, cette tendance à ignorer les libertés et les lois quand ça vous arrange.

Tu es plus grand qu'elle - et ton front vient s'appuyer au mur au-dessus de sa tête alors que tu prends une profonde inspiration - te recules finalement, la libères de ton étreinte, pour arpenter la pièce furieusement.

Qu'est-ce qu'ils peuvent lui faire ? Tu dois le savoir, pas vrai ? Jusqu'où peut aller leur cruauté ? Dis-le moi.

Les choses pourraient s'effondrer que tu serais toujours là, prêt - et s'il fallait que tu causes une esclandre, tu la causerait, tant que Fallen était en sécurité.
Tu n'étais qu'un pion sur l'échiquier dont elle était la reine, et cette conscience t'octroyait la possibilité de librement t'y déplacer - plutôt tour que cavalier, plutôt fou que simple garde.

Tu es immobile Asclepios.
Lorsqu'elle dit qu'ils ne lui feront rien, tu te figes, statue de chair et d'os, au milieu de la pièce.
Immobile.
Elle continue de parler et ton cerveau l'écoute, mais toi, toi Asclepios, tu n'es plus à l'écoute. Tu réfléchis. Tu calcules.
Ton arrivée au Ministère était prévisible. C'était un fait connu que Fallen et toi vous étiez rapprochés après la mort de Blanche.
Après que tu sois rentré des Etats-Unis.
C'était après tout publiquement reconnu que tu avais migré ici pour elle. Pour rejoindre les rangs familiaux pour nettoyer le nom.
Cependant, le nettoyage, lui, n'avait pas été vraiment rendu public. Et le soucis était là.
Le Ministère avait toujours eu le nez plus long que nécessaire. Fallen a été publiquement accusée de suivre les pas de sa mère.
Ils l'interrogeraient. Rien qu'au cas où.
Tu ne doutais pas qu'elle ne pourrait pas tout dissimuler. Mais est-ce que cela la mettait en danger ? Ou toi ?
En aucun cas tu ne pouvais fuir. Cela serait trop suspicieux, trop étrange.
Les crimes n'avaient pas été commis de sa main à elle directement. Peut-être que cela la sauverait de certaines questions.
Si seulement c'étaient des questions qu'ils allaient poser.
La secrétaire continue de parler, et tes yeux finissent par se fixer sur elle. Perçants.

Je sais.

Fallen méprisait trop Blanche pour faire les mêmes erreurs qu'elle.

Où est-elle ?

Ta voix est bien plus calme.
Et ce n'est pas forcément rassurant.

Tes épaules se haussent. Il fallait bien garder les apparences. Si l'on te pensait impulsif, cela pencherait la balance en ta faveur. Personne ne pourrait deviner le calme plat de dangerosité que Fallen était la seule à connaître derrière tes nombreux masques.

J'aviserais.

Elle se place entre toi et la porte - elle gagne du temps. Te fait perdre du tien. Intelligente.
Un pas vers elle.

Je veux retrouver ma soeur. M'assurer qu'elle est entière, que personne n'a profité des esclandres pour lui faire du mal. Pour exécuter une vengeance à un moment opportun.

Ta tête se penche. Un autre pas.

Est-ce si difficile à comprendre ? Je ne veux rien de plus que la protéger. J'ai perdu tout le monde. Je ne veux pas la perdre elle.

Le visage de ta grand-mère s'invoque au coin de ton esprit, la douleur toujours aussi vive, aussi tenace, de ne plus la savoir en vie à tes côtés.
Tendrement, tu la repousses. Ce soir, tu replongeras dans tes souvenirs pour la revoir. Mais dans l'immédiat, tu esquisses un autre pas vers la porte.
Vers la femme.

Il va falloir que tu le fasses alors. Parce que je m'arrêterait pas avant d'être parfaitement assuré qu'elle va bien. Et je sais que certaines de vos pièces ne laissent même pas passer un patronus.

Dernier pas. Tes doigts viennent quérir son menton pour relever son visage vers le tien.

Mais je ne suis pas un enfant. Tu ne pourras pas me garder immobile bien longtemps.

La gifle claque fort. Ton visage se tourne de profil, ta joue brûle, ta mâchoire se tend et tes doigts la libèrent. Pourtant, tu ne te recules pas.
Lentement, ta paume se lève pour effleurer la peau malmenée alors que tu étires ta mâchoire, ouvrant la bouche.

Je n'ai aucune raison de te faire confiance.

C'est à peine si tu te souvenais de son nom. De sa fonction.
Même si ta mémoire n'arrêtait pas de te les redonner.

Mais Fallen t'estime. Alors je vais te croire.

Ton regard se pose sur elle à nouveau, acéré.

Elle a intérêt à être sortie de là avant que le crépuscule ne commence à poindre.

Tu sais que ta voix porte une menace - et tu ne doutes pas qu'elle l'entendra. Elle est intelligente - n'est-ce pas ?
Tes yeux se plantent dans les siens, intensément.

Mais je ne partirai pas d'ici sans elle. Et je ne te lâcherai pas d'une semelle jusqu'à ce moment là.

Ta main se tend entre vous, malgré le peu d'espace que tu y laisses.

À moins que tu ne préfères devoir m'attacher - ou me gifler une seconde fois. Tu as l'air d'avoir apprécié la première.

Elle est si petite, entre toi et cette porte. Tu pourrais l'écarter d'un geste, d'une pensée. Mais elle est têtue, elle est brave, elle est un peu trop dansante sur le rebord du risque.
Une Gryffondor, peut-être ? Venant de l'entourage de Fallen ça ne t'étonnerait pas.
Tes doigts s'appuient contre le bois, près de sa tête.

Je ne connais pas ton but. Je ne te connais pas vraiment non plus, à vrai dire.

Lèvres mordues, tu soupires, fermes les yeux - assouplir pour mieux ployer, adoucir pour mieux régner.
Elle demande, elle exige presque, et sa voix résonne dans ton esprit, joue avec tes pensées entremêlées, qui se confondent dans la confusion.

Je veux juste cesser d'y penser, tu comprends ? Ne pas craindre. C'est tout ce que je veux.

Ton regard revient affronter le sien alors que l'ombre d'un sourire orne tes lèvres, et que ta main, qu'elle n'a pas serrée, se pose sans y penser au creux de sa taille.

Combien d'hommes as-tu attachés pour aimer tant cela ?

Mademoiselle.

Fallen n'était pas mariée. Elle ne le serait pas de sitôt, si on te demandait ton avis.
Madame Cavendish était, et avait toujours été Blanche. Fallen détesterait qu'on la nomme ainsi.
Tes yeux se ferment une nouvelle fois.

Je sais.

Tu en as même parfaitement conscience. Que rien ne pouvait être réglé aussi aisément, que les choses étaient complexes, qu'il faudrait attendre, patienter.
S'impatienter.
Mais ce n'était pas toi, d'attendre les bras croisés. Pas vraiment en apparence, en tout cas. Tu te devais de maintenir une image impulsive - mais tu ne pouvais pas non plus être irréfléchi.
Elle lève le regard vers toi, et tes yeux reviennent affronter les siens. Reviennent s'y noyer - avec un certain désespoir.
Elle te supplie, et tu n'es plus si sûr de ce qu'elle veut, elle. Trop concentré sur Fallen, trop concentré sur les évènements, tu avais perdu de vue qu'il y avait un être humain devant toi - une sorcière peu ordinaire.
Tes doigts se retirent de sa taille - viennent rejoindre ton cou, le pouce frôlant le vif d'or qui en pend.

Pourquoi ?

L'incertitude perce dans ta voix - car même toi tu n'es pas sûr de la raison de ton pourquoi. Pourquoi avait-elle eu à faire cela ? Pourquoi désormais elle était une autre ? Pourquoi voulait-elle te retenir ?
Pourquoi ne voulait-elle pas voir le monde brûler ?
Tes ambitions étaient peut-être trop exigeantes - trop à l'écart de ce que les autres désiraient. Mais elle semblait différente, elle.
Peut-être avait-elle le regard tourné vers une direction autre que celle des autres.

L'écho coule de ses lèvres, comme si en un instant, elle était devenue un réceptacle à tes questions - incapable d'y répondre. Elle est nerveuse - ou stressée - d'après ses gestes, sa grimpante anxiété. Pourtant, elle s'éloigne, elle cesse d'être obstacle entre la porte et toi.
Tes yeux contemplent le loquet. Si simple à défaire.
Tu pourrais si aisément sortir.

À la place tu te tournes dos à l'issue, t'avances vers l'autre siège - hésites.
Tu as besoin d'user de tes mains. Tu as besoin de faire quelque chose de tes paumes qui te démangent, qui quémandent.

Personne n'est innocent.

Et certainement pas toi. Loin de là.
Tu te glisses derrière son siège. Tes mains viennent avec une douceur inattendue se poser sur ses épaules - sentant les noeuds à même le contact léger.

Je peux ?

Tu attendras son accord.
Mais tes pensées n'attendent pas pour filer dans tous les sens, tisser hypothèses et théories.

Pourquoi ? Pour Fallen ?

Qu'elle te garde. Qu'elle t'empêche. Qu'elle s'assure qu'il n'y aura pas d'esclandre.

Ou pour toi-même ?

Tu es toujours plus apte à croire en l'égoïsme qu'en l'altruisme.

Doucement, tes doigts malaxent les muscles, attendrissent les épaules, le creux de la nuque. Elle est tendue - sentir les noeuds couler sous tes doigts, se défaire lentement, a un effet apaisant sur toi.

Je... J'ai été élevé par la présomption de culpabilité. J'imagine que je ne pourrais jamais comprendre ton point de vue.

Une différence culturelle profondément ancrée dans ta réalité - que jamais tu n'avais réussi à basculer. Il te paraissait si arbitraire d'assumer l'innocence des gens jusqu'à ce que l'on prouve le contraire - surtout lorsque tu connaissais tes aptitudes à dissimuler les preuves.
Elle rit, doucement, referme les yeux, se laisse aller contre tes mains - tu te permets donc de continuer, progressivement.

Il vaut mieux que j'apaise tes épaules que je ne brûle une table pour défouler mes mains.

Pourtant, tu ris légèrement toi aussi. Ce que tu ne dis pas, c'est que c'est dans les autres et dans tes interactions avec eux que tu apaisais tous tes maux.
Presque tous.
Et elle confesse - et tu comprends. Tu la comprends bien, profondément. C'était si simple, pourtant, comme confession. Ne pas vouloir échouer une énième fois.
Ô combien tu connaissais ça.
Alors quand elle te regarde, ses yeux levés vers toi, tu viens glisser tes doigts sur les côtés de son cou, jusqu'à venir masser la base de son cuir chevelu.

On n'a eu qu'une bribe aujourd'hui, oui.

Une entrevue.
Une promesse.