Une disparition de plus. Celle de trop. Celle qui me fit abandonner ma routine pour me rendre au domicile familial que j’avais déserté depuis des années maintenant. Dès que je pénétrais dans la demeure… un frisson parcourait mon échine.


Comme si tous les souvenirs emmagasinés décidaient - au moment précis où je foulais le seuil de l’entrée – d’accaparer la moindre parcelle de mon esprit.

Tous, revenaient aussi vite qu’ils s’évaporaient pour laisser la place à mes pensées. Dans un éclair je voyais des bribes réminiscences de mon enfance ; comme pour me rappeler à chaque fois qui j’étais… comme si j’étais susceptible de l’oublier. Mais bien évidemment que non. Ceux qui connaissaient le nom de « Black » savaient également qui j’étais. Le privilège de ne passer inaperçu nulle part. Point de surprise cependant, je récoltais simplement ce que j’avais semé depuis des années.

Lorsque l’on était à la tête d’un département, systématiquement notre nom circulait. Encore plus lorsqu’il s’agissait du mien ; ainsi que de la famille à laquelle j’appartenais. Cette famille à laquelle j’étais dévouée, si bien que j’avais subi le comportement de certains sans broncher. Mais cette époque était révolue. Je m’en étais fait le serment. La progéniture de ma fratrie allait apprendre à faire ma connaissance… pour le meilleur et pour le pire.

Inutile de préciser lequel alors que j’annonçais ma présence d’un claquement de mes talons sur le sol. Immédiatement les regards se tournèrent vers moi. Pour plein de raisons qu’il serait superflu d’énumérer. L’éclair de mes saphirs foudroya les intrus dans notre maison : les aurors. Peu importe leur statut, ils n’étaient pas les bienvenus. J’offris cependant une œillade plus douce aux enfants de mon ainée Canopus dont je remarquai l’absence, sans pour autant m’en inquiéter.

Après l’éclair vint le grondement du tonnerre de mes pas alors que je m’assurai d’avoir l’attention de tout le monde. Pour faire comprendre aux intrus que leur présence était indésirable, je ne répondis pas lorsqu’ils m’interrogèrent sur mon « alibi ».

Du moins pas tout de suite. Pas avant qu’une cigarette vînt se lover entre mes lèvres ; qu’un claquement de doigts ostentatoire résonna dans la pièce lorsque je l’allumai. La fumée que j’expirai quant à elle ne disparut pas. Elle s’accumula dans l’air, prenant la forme d’une sphère, puis celle d’un chat, l’emblème de notre famille. L’animal de fumée s’amusa à gambader dans l’air, s’étira de tout son long et prit même la peine de faire sa toilette.

Sachant que je ne pouvais décemment pas me contenter d’un silence, pas question de compter sur moi pour réchauffer l’atmosphère. La réponse fut cinglante malgré le velours de mon verbe :

─ Je vous remercie de me faire perdre mon temps ainsi que celui de ma famille. Il est de notoriété publique que nous aimons nous entre-tuer après tout, n’est-ce pas ? Ironie, ironie. Mon neveu Sage est introuvable depuis presque trois ans et maintenant c’est au tour de son frère. Si personne n’a été en mesure de retrouver l’un, croyez-vous sincèrement que vous retrouverez l’autre ? Permettez-moi d’en douter.

Ce fut alors le moment où l’animal de fumée vint se placer devant moi, presque comme s’il me narguait. D’un geste de main, je tentai de l’attraper, mais cela provoqua sa disparition alors que la fumée s’évapora.

─ Je crains que ces deux jeunes hommes soient aussi insaisissables que cette fumée. Et bien que leur disparition m’attriste au plus haut point… je suis au regret de vous dire que nous n’y sommes pour rien, bien que j’aie conscience que ça vous faciliterait fortement la tâche.

Consciente qu’ils avaient tout de même besoin d’une réponse à leur question, j’eus la décence de leur donner ce qu’ils étaient venus chercher pour m’assurer qu’ils nous laisseraient en paix par la suite :

─ Vous connaissez mon statut, mon travail. Je vous laisse deviner la suite. Mes collaborateurs pourront attester de ma présence, ainsi que toute personne au ministère m’ayant croisé après des allers-retours incessants dans les locaux. Finissez ce que vous avez à faire et laissez-nous en paix, je vous prie.

Qu’on pouvait tout aussi bien traduire par : déguerpissez d’ici, car ma patience avait déjà atteint ses limites au moment même où vous avez envahi notre domaine.

Ça aurait pu se terminer ainsi. Juste une collecte d’informations avant que tous autant que nous étions, allions vaquer à nos occupations. Mais à la grande surprise de tous, il fit son apparition. Celui qui n’avait pas donné de signe de vie depuis presque trois ans.

Je savais que ce n’était pas quelque chose à dire sur des jumeaux ; mais j’avais toujours trouvé qu’ils étaient faciles à différencier. Et ce, même si je n’avais côtoyé quotidiennement que l’un des deux.

Comme on pouvait se l’imaginer, passé la surprise il y eut la consternation, la colère… pire que ça. Une rage bouillante qui remonta d’un coup ; manqua de peu d’exploser.  Je la canalisai le temps de l’interrogatoire des intrus, la réservant pour un moment plus opportun.

Cela ne m’empêcha pas de noter dans un coin de mon esprit les quelques informations glanées auprès des protagonistes de cette situation. Que je qualifiai d’ubuesque, pour rester polie. L’une d’entre nous eut d’ailleurs une délicate attention à l’égard du revenant… qu’il était loin de mériter soit dit en passant.

Puis les intrus menèrent rapidement leur enquête avant de quitter les lieux. Dans un second temps, ma chère nièce nous invita à rejoindre le salon à l’étage. Tout le monde s’attendait sans doute à quelque chose de ma part ; un mot, un soupir, n’importe quoi. Seule la fumée d’une autre cigarette s’échappa de mes lèvres scellées. Le reste, je le gardai pour moi. En tout cas pour le moment.

Chef de la famille ou pas.
Ce sale gosse allait entendre parler du pays.

Tout le monde entra dans le salon, moi je fermai la marche comme j’aimais à le faire. Je pris ensuite place en bout de table afin d’être en mesure d’observer tout le monde. Les œillades oscillaient entre le revenant et moi-même, comme si personne ne savait qui devait prendre la parole en premier. Un silence pesant qui refroidit un peu plus une atmosphère, pourtant loin d’être chaleureuse.

Sans attendre que quelqu’un ne prît la peine de me servir, je fis léviter une tasse remplie de café pour l’amener à moi d’un geste de main. Je répétai ensuite le processus pour que tout le monde puisse profiter de la petite attention de ma nièce, sur laquelle je jetai un regard. Le genre de ceux dont seule la personne qui jetait l’œillade pouvait en comprendre la signification.

Celui dirigé vers le revenant en revanche ; ne souffrit d’aucune ambiguïté.
Et enfin, je brisai le silence.
Point d’explosion de colère cependant ; une voix calme, posée, presque veloutée.
Enfin leur tante Louise s’exprimait :

─ Presque trois ans. Sans aucune nouvelle. Un touriste qui revient de vacances. J’espère que l’eau était bonne en effet. Tout le monde s’attendait à ce que je statue sur l’évidence ; que son comportement avait été honteux. Évoquer l’évidence était à mon sens superflu. D’autant plus que nous avions des problèmes plus urgents que l’attitude du touriste. Bois pendant que c’est chaud mon garçon, ne gâche pas cette petite attention de ta cousine.

Oh ils pensaient sans aucun doute que le jeune homme était à l’abri de mon courroux. Oh qu’ils avaient tort. Mais même si cela ne se voyait pas, j’étais aussi soulagée qu’inquiète. Car l’un des jumeaux de mon ainé manquait à l’appel. Et cela me chagrinait encore plus que le retour du touriste. D’un claquement de doigts, j’intimai à un elfe de maison de venir près de moi. Lui sifflant un ordre qui ressemblait à une supplique tant le ton employé était doux :

─ Ramène Mars et Athéna. Installe-les dans le salon, donne-leur à manger et veille à ce qu’ils soient sages. Nous allons rester un petit moment ici. N’est-ce pas les enfants ?

Et si j’avais l’air de ne pas vous demander votre avis… c’était sans doute parce que c’était le cas.

Triste famille. Des liens décousus, fragiles, indignes du nom que nous portions. À qui la faute réellement ? Qui pouvait-on blâmer alors que la lueur des étoiles de notre famille n’avait jamais été aussi faible ? Nous étions tous à l’image du patriarche actuel : déboussolés.

Le jeune homme faisait pâle figure à côté de ce qu’était son père. Et lorsqu’il quitta la pièce dans le même fracas que la porcelaine brisée, je compris qu’il incombait à quelqu’un d’autre de recoller les morceaux de notre famille qui s’étaient éparpillés. Il ne me fallut que peu de temps pour comprendre que le fait de me tenir à l’écart d’eux pendant tout ce temps n’avait en rien été bénéfique.

Mais je me l’étais promis. Juré de rattraper le temps perdu. Ce que je n’avais pas envisagé en revanche, c’était l’effort colossal que cela allait me demander. Puis tu revins vers nous mon garçon ; déversant le magma de tes émotions sur nous, n’imaginant pas à quel point tes paroles pouvaient être blessantes. Ou peut-être que si, que c’était justement ton but ; que chacun se livre à son introspection.

La question revint encore, à qui la faute ? Qui pouvait-on blâmer pour tout ça ? En ce qui me concerna, je n’eus ni le temps ni l’envie de chercher à répondre. Qu’ils l’avouaient ou pas, il me sembla que tous ici avaient besoin de mon attention. Il était temps pour la silhouette qu’ils observaient de loin de se montrer enfin sous toutes ses formes. Je ne pouvais plus être un mirage inatteignable. Plus maintenant.

Néanmoins, la parole était à eux. Car s’il y avait bien une chose qu’une dirigeante se devait de faire, c’était d’écouter. Les décisions arbitraires ne faisaient que fragiliser un groupe… plus encore lorsqu’il s’agissait d’une famille. Mais aussi et surtout, j’avais besoin de les entendre, besoin de me faire une idée sur leur personnalité à chacun, besoin d’en apprendre plus que par le prisme des uns et des autres à leur propos.

L’ironie d’Izar m’arracha un sourire mutin alors que je continuais de boire mon café, caressant du bout des doigts l’un des félins m’appartenant. Qui trônait fièrement sur la table, comme si cette maison était la sienne.

Je devrais vous le dire. Moi aussi j’étais heureuse de vous voir. Vous dire à quel point j’étais désolée de n’avoir été qu’un mirage lointain. Pour quelqu’un d’aussi dévoué à sa famille que moi… c’était le comble je devais l’admettre.

Puis vinrent les mots de Darya. Ils furent à l’image que je me faisais d’elle. Sans ignorer les nuances, je constatai que dans son discours, je m’y retrouvai, presque comme si ses mots étaient les miens. Enfin, le silence. Il signifiait une chose : mon tour de m’exprimer. Alors que je me levai, Mars émit un miaulement qui ressemblait à une complainte ; quoi de plus normal, mes doigts avaient cessé de flatter son poil.

─ Silence vilain matou. Ce n’est pas à toi de parler et tu le sais très bien. Petite touche d’humour pour réchauffer l’atmosphère. Ce fut aussi efficace qu’essayer de chauffer une maison en craquant une allumette. Ce qu’il fallait c’était un feu, un vrai. Incandescent, quitte à les bruler.

Une chaleur dont beaucoup me pensaient tout bonnement incapable d’émaner. Mais c’était là qu’ils avaient tort, tous autant qu’ils étaient. Mon cœur n’avait jamais été de glace. Le feu était si faible qu’on s’y méprenait. Pourtant c’était simple, si l’on voulait voir les flammes grandir, il fallait les nourrir.

Le bruit des talons sur le sol résonna dans la pièce toujours aussi silencieuse. Mon dos s’appuya contre le mur alors que je fis face à ma famille. Mon regard se posa alors sur chacun d’eux, pendant que dans une longue tirade d’une voix de velours, je brisai la glace à coup de massue :

─ Que les choses soient claires d’emblée. Peu importe ce qu’on en pense, ton comportement n’a pas été à la hauteur des attentes placées en toi mon garçon. Tu as fui tes responsabilités et délégué ton rôle à ton frère. Ce n’est pas une opinion, c’est un fait. Je te suggère de ne jamais oser spéculer sur ce que nous pensons de tes agissements, nous sommes tous assez grands pour l’exprimer. Pour ma part, mon avis est le suivant : nous sommes tous responsables de cette situation. Parce que nous nous murons dans notre silence ; ironiquement il est plus confortable de se taire que d’exprimer ce que nous pensons, peut-être par peur de ce que nos mots pourraient provoquer.

Choisir la facilité c’était toujours tentant. Mais moi comme on le savait…

─ En ce qui me concerne, je n’ai pas froid aux yeux alors je vous le dis comme je le pense. Je vous présente mes excuses. Ce qui eut le don de surprendre tout le monde. Ils avaient sans doute imaginé autre chose qu’un mea culpa… mais voilà où nous en étions. Plus particulièrement à toi mon garçon. Les saphirs caressant le patriarche alors que je repris : je n’ai été pour toi ainsi que pour ton frère qu’une figure lointaine, incapable d’être là pour vous deux même après le décès de ton père.

Et je savais pertinemment, connaissant mon père, ô combien ils auraient eu besoin de moi ; même s’il leur était difficile de l’envisager. Mais tout cela c’était du passé maintenant. Il ne nous restait qu’une chose à faire : aller de l’avant.

Raison pour laquelle je vins rejoindre mon neveu installé sur son fauteuil, m’accroupissant afin de le voir me surplomber. Mes traits s’étirèrent alors dans un sourire qu’ils n’avaient encore jamais eu l’occasion de contempler, puis je conclus :

─ Je ne suis pas Orion. Ni Canopus, un regard lourd de sens adressé à sa progéniture alors que mes saphirs vinrent finir leur course sur Sage. Mais désormais et jusqu’à la fin de mes jours, vous pourrez compter sur moi pour être là pour vous. Les étoiles brilleront à nouveau de mille feux. Toutes les étoiles. Laissons les querelles derrière nous et focalisons-nous sur l'avenir. Et ça commence par retrouver ton frère.

Mais ce ne sera pas grâce à toi père. Ni toi Orion… et encore moins grâce à toi Canopus.
Le renouveau de cette famille passera par moi et la génération qui suivra.
Comme ça aurait toujours dû être le cas.

Sans surprise, tu te montras méfiant mon garçon. Tu avais parfaitement raison, cela prouvait qu’au minimum tu savais faire preuve de jugeote. De quoi me rassurer un tantinet. Mais je ne pouvais m’empêcher de me demander… pourquoi avais-tu fui tes responsabilités ?

Les déléguer à ton frère, je pouvais le comprendre ; sous mes ordres, au ministère, il faisait toujours du bon travail ; il s’était rapidement montré apte à diriger cette famille en ton absence.

Mais de toi je ne savais presque rien, Sage.
Sauf que tu me demandais déjà de te témoigner le respect que tu n’avais pas encore mérité. À mes yeux, tu restais un enfant, peu importe ton âge. Ça, je me devais de te le faire comprendre. Alors évidemment je soutenus ton regard, appréciant l’aplomb dont tu faisais preuve ; sans fléchir de mon côté. Un sourire en coin dont je fus la seule à en savoir la teneur alors que je te répondis d’un ton dénué de nuance :

— Ne te méprends pas jeune homme. Vous avez tous les trois mon attention, pas mon respect et encore moins ma confiance. Tout se mérite. Nous avons un long chemin à parcourir ensemble avant d’en arriver là vous et moi.

Néanmoins, comme c’était à moi de le faire ; je fus celle qui fit le premier pas vers vous. Tout le reste était entre nos mains maintenant. Ces liens fragiles que nous entretenions allaient demander du temps pour se solidifier.

La première étape était quant à elle on ne peut plus claire : retrouver Regulus. À mon sens il passait le plus clair de son temps dans deux endroits : celui où il vivait et celui où il travaillait. En d’autres termes, j’avais un rôle important à jouer. Tandis qu’Izar interrogeait le groupe sur la marche à suivre, Darya elle prenait déjà les devants alors qu’elle proposait de nous séparer. Ce qui me donna une petite idée.

— Pourquoi pas. Je pense qu’au-delà de fouiller la maison de fond en comble… il serait tout aussi judicieux de mener notre propre enquête au ministère. Il travaillait sous mes ordres et avec un peu de chance, il entretenait une relation de confiance avec l’un de mes collaborateurs, ou peut-être quelqu’un d’autre au ministère. Ou l’inverse, il est possible que quelqu’un là-bas lui voulait du mal. Il faudra donc agir avec la plus grande prudence et la plus grande discrétion.

Pas que je ne faisais pas confiance aux aurors mais… un peu quand même. Mais peu importe, la décision revenait à une personne, une seule : Sage.

— La décision te revient. Darya et moi nous travaillons au ministère à des postes importants, nous saurons faire preuve d’intelligence dans nos recherches. Izar et toi pourriez vous focaliser sur la maison ? J’ai bien peur d’être inutile ici.

Mais surtout, je n’aimais pas traîner dans cette demeure. Tout était à son image… malheureusement.