Il y avait bien des choses éducatives dans ce monde, mais les Sangs-Purs perdant la face en était une que tu chérissais particulièrement fort - un jeu, presque, que tu n'aurais jamais cru partager avec quiconque.
Et qu'importe s'ils n'étaient plus Sang-Purs - leurs manières étaient toujours aussi maniérées, leurs attitudes toujours aussi pédantes.
Surtout envers elle. Fallen.
Le deuil ne semblait qu'à peine marquer son visage. Tu en étais impressionné.
Mais n'était-ce pas toujours le cas avec ta soeur ?

Qu'au moins cinq d'entre eux seront morts d'ici la fin de l'année.

Redressé depuis que les derniers avaient quitté la pièce, tu danses jusqu'à son siège, vient passer tes bras autour de ses épaules, ton nez dans ses cheveux doux - et ton doigt vient tapoter son poignet.

Et je prévois que ta gentille plume en sera au moins partiellement responsable.

Léger éclat de rire, tu te recules bien au fait que la proximité physique n'était pas très britannique, seul petit bémol dans ton comportement si anglais qu'on t'aurait cru né ici. Tes pas arpentent la pièce silencieusement, alors que tu scrutes les sièges, visualisant les visages de ceux qui s'y étaient tenus, maugréant.

Et que tu as une patience infinie envers les crapules qui usurpent ces précieux meubles d'époque.

Index s'attardant sur une sculpture dans le bois, tes yeux clairs se retournent pour la contempler.
La tête de table lui seyait bien.

Elle avait une façon si discrète de te rendre ton affection - c'est peut-être pour ça que tu l'avais si aisément acceptée dans ta vie.
La question est accueillie d'un rire explicite. Comment ne pas en rire ? Comment ne pas en rêver ?
Qu'importe la plume ou la main, le sang coulerait - et ensemble vous vous délecteriez de sa saveur métallique sur les papilles de votre survie.
Ensemble vous fonderiez un nouveau trône sur une terre nourrie et pleine de vies retirées.

Je suis le premier à m'être trouvé insupportable par le passé ma douce, mais je trouve que tu vas un peu loin avec cette comparaison.

Et pourtant c'est le sourire qui étire tes lèvres alors que tu contemples la cascade noire tomber de sa couronne, cape noire qui pâlit son visage et fait ressortir son regard de jade.
Tes pas sont aussi silencieux que l'éclat de la lune aperçu par les fenêtres que vous passez.

Je crains que l'antique ne sierait pas à mon appartement moderne, tu sais. Question de... Goûts.

L'ironie et l'amusement suintent de ta langue comme le rire s'écoule des lèvres de ta soeur que tu suis à travers le dédale familial que tu n'as jamais considéré comme tien - trop récemment investi pour réellement t'approprier les lieux.
Mais la pièce dans laquelle vous pénétrez, elle, ne t'es pas inconnue, et c'est avec une méfiance particulière que tu te glisses dedans, ta baguette sous tes doigts fébriles.

Ils ont toujours été... particulièrement en roue libre.

Après avoir fait le tour de la pièce, tu viens te hisser sur le coin du bureau - tes pieds appuyés sur l'un des fauteuils.

S'ils portent le nom de famille, il ne me serait pas difficile de les retrouver.

Ta baguette est retirée de son harnais et dans les airs tu dessines des traits lumineux qui finissent par prendre la forme de l'Italie.

Où sont ils situés ? Venise ? Naples ?

Traquer des bourgeois était comme jouer aux devinettes - où était l'endroit le plus fancy où ils pouvaient se terrer pour mentir et manipuler ?

Tu l'observes, Asclepios, faire les cents pas pour ne pas faire celui qu'il faut. Tu pourrais la pousser, lui donner ce coup de main, mais à quoi bon ? Il fallait qu'elle le fasse seule, qu'elle s'asseye là, où était sa place. Tu ne pouvais que la contempler hésiter et repousser.
De toute façon, ce serait en vain - elle ne pouvait plus s'en désister.

De toute façon, Venise est faite pour la nécromancie.

Tes doigts étirent les traits dorés pour agrandir les trois petites îles qui forment la ville - les canaux la divisant comme un oeuf brisé.
Un jour, elle allait couler. Comme les sorciers qui l'habitaient.
Tu rends son sourire à Fallen, l'or de ta magie rougeoyant de sang et se dissipant comme des feux d'artifices, alors que tu remets ta baguette à sa place.
En sa présence, tu n'avais pas à la garder en main.

Je n'en ai aucune idée, non.

La lumière se fait sur la pièce et tu plisses les yeux - te figeant en observant le portrait. Il y avait quelque chose de prémonitoire dans ces rivières de sang - ou peut-être c'était juste ton imagination.
Ton attention se dirige sur Fallen alors que tu te relèves, vient glisser ta main contre ses cheveux - noirs comme les tiens autrefois.

Sans te rencontrer je n'aurais jamais su que c'étaient des traits familiaux.

Tu pensais juste que cela te faisait ressembler à ton père et c'était tout - presque un regret désormais de t'être défait de ces traits qui vous auraient unis.
Mais l'apparence ne faisait pas tout, et au fond, tu savais qu'elle et toi, vous étiez trop semblables.
Pas en bien.

Elle s'est assise. Enfin. Si elle se tournait vers toi, elle verrait dans tes yeux une forme de fierté - après tout, tu n'avais pas vraiment été là à ses autres succès.
Lorsque ses doigts se serrent sur les tiens, tu réalises qu'elle a les mains froides. Glaciales même.
Rien dans ce bureau n'incitait au confort après tout. Tout était rudimentaire, mais élégant, distingué, mais impersonnel. Peut-être était-ce mieux ainsi.
Peut-être que Fallen se l'approprierait.
C'est avec une certaine surprise que tu l'observes performer ce que tu devines un rituel de sang - renouvelant certainement les accords au fondement de la Demeure, faisant de ce domaine le sien.
Tes yeux contemplent les murs avec la fascination de ceux qui vagabondent, ne chauffent jamais trop longtemps le même lit, voyageant d'un toit à un autre, sans jamais se poser.
Une hirondelle, en somme. Dure était la vie de ceux qui ne pouvaient jamais cesser de voler - exténués de continuellement battre des ailes.
Tes yeux se tournent à son murmure pour contempler les liens qui se tissent dans les airs. Des dizaines, des centaines même de noms.
Parmi les plus récents, pourtant, il y en avait des éteints déjà. Tes yeux s'arrêtent sur les noms que tu ne connaissais pas, découvrant, explorant - et l'évidence de vos liens se dessine à chaque portrait qui apparaît sous tes paupières.
Tu étais le seul à avoir fui l'héritage de vos traits.

C'est impressionnant.

Ton regard se détourne de votre généalogie pour écouter les paroles à même les lèvres de Fallen.
Les Faes, donc. Ce n'étaient pas des êtres que tu connaissais bien, que tu aurais étudiés ou rencontrés. Tu ne savais même pas s'il s'agissait d'un regroupement ou d'une espèce en particulier. Mais tu devinais qu'il n'était pas question de savoir exactement - seulement de respecter.
De ce que tu en avais entendu parler, ce n'étaient pas les plus sains d'esprit qui allaient les rencontrer. Et Fallen le confirme - acte désespéré en temps de guerre.
Tes yeux se reposent sur le portrait. Morrigan, donc. Déesse guerrière.
Cela correspondait bien à Fallen d'en descendre.

Tous les mythes ont une part de vérité.

Peut-être avait-elle été une sorcière - ou encore autre chose, de plus puissant. Ce n'était pas la question au final - le temps s'était écoulé et le passé demeurerait enterré quoi qu'il arrive.
Autant ne pas le fouiller.

Je réalise avoir rejeté un héritage dont j'aurais pu être fier.

Tu tournes ton visage vers elle, pensif.
Physiquement, à n'en pas douter, vous vous ressembliez. Les traits durs, endurcis. Le regard franc, vif. Pour lui ressembler exactement, il ne te fallait que si peu de modifications à ton visage que ç'en était effrayant.
Au final n'avais-tu pas été celui à le savoir le mieux d'entre tous à quel point elle et toi, eux et toi, étiez semblables ?
Comment nier la ressemblance quand la maniabilité de tes traits et leur connaissance était ancré dans ton sang même ?
Sang qui était la seule chose qu'il te semblait avoir hérité de ta mère.

...J'en suis conscient.

Mais tu ne t'attends pas à ce qu'elle te dise ce qui suit. Tes joues se teintent de vie alors que lentement tu souris, t'approches d'elle - et sans cérémonie aucune l'embrasse sur le front avant d'ébouriffer ses cheveux de jais.

Et moi je suis fier de toi, et de ce que tu es devenue. Être ton frère est un immense honneur.

Tes yeux se posent une nouvelle fois sur l'immense arbre de vie que représente votre famille - et ton attention s'accroche à ce nom, celui de sa jumelle, celle qui n'était plus.
Fallen avait déjà trop perdu dans cette vie - avait sûrement perdu encore davantage dans une autre. Toutes les souffrances qu'elle vivait étaient de l'acharnement du destin. L'envie de la protéger était grande, chaque jour un peu plus - mais elle savait se débrouiller.
Lui avait-on seulement laissé le choix ? Ce fauteuil, l'avait-elle voulu ?
Tu connaissais la réponse mieux que tu ne connaissais ton reflet dans le miroir.

Je suis ton cavalier, maintenant, et pour tous les bals. Dis-moi juste sur quel plateau jouer.