La râlerie de la Ministre la surprend, l’intervention du stagiaire l’exaspère, et il y a une touche de mépris dans sa voix lorsqu’elle répond succinctement :

– Ce sont des journalistes, justement. Même des directives du Ministère ne suffisent pas pour leur faire comprendre qu’il y a parfois un intérêt à passer certains faits sous silence.

Pas de réponse : tant mieux, elle n’en espérait pas. Sa supérieure finit par se détourner, s’éloigne en direction du buffet pour aller se noyer dans le champagne. Elle allait se réjouir de cette bonne nouvelle, considérant que plus Bathilda était loin, mieux le Ministère se porterait, lorsque la situation changea soudainement.

Deux hommes, absolument inconnus au bataillon, passent non-loin d’elle puis bondissent sur scène, se réclamant de divers départements. Puis, avec une maestria absolument stupéfiante, ils anéantissent en quelques secondes à la fois l’organisation de cette journée et la crédibilité du Ministère.

Il lui faut quelques instants pour réaliser qu’ils viennent tranquillement d’éjecter l’intervention des directrices Cavendish et Lestrange pour la remplacer par deux influenceurs et une bande de gamins de Poudlard. Eberluée, elle jette quelques coups d’œil indignés autour d’elle, attendant une quelconque réaction pour corriger ce désastre. Mais le mal est déjà fait, une nouvelle intervention ne ferait qu’augmenter le ridicule.

Sur scène, les intervenants s’échangent le micro, et elle espérerait presque un effet Larsen pour ruiner leur belle ode à la technologie moldue. Puis un mouvement non-loin détourne son attention, elle aperçoit Miss Black qui vient se planter devant l’un des fauteurs de troubles. En quelques pas légers, innocents, elle se rapproche, guette les réponses exigées.

L’aplomb des deux hommes l’intrigue, l’agace : elle n’a pas passé des heures à travailler les réponses à apporter aux journalistes avec sa supérieure pour que tout soit gratuitement ruiné en cinq minutes, sans la moindre explication. Alors elle tend l’oreille, et attend.

Et la surenchère de la misère continue joyeusement. Sur scène, l’animation des influenceurs se poursuit et s’achèvera bientôt, ce qui - vraisemblablement - ne pourra qu’améliorer la situation. En coulisses, la réponse du dénommé Norman agace. Son indifférence quant au désastre en cours lui donne envie de lui jeter un sortilège bien placé, mais elle résiste cependant à la tentation, garde sa baguette au chaud dans sa poche - bien que ses doigts l'aient convulsivement attrapée.

Rester passive dans une situation pareille l'énerve. Elle brûle d’intervenir elle-même, mais ce n’est pas sa place. Alors elle agit en silence. Lorsque l'agent mentionne la Ministre, elle pivote lentement sur elle-même pour la chercher du regard. Mais celle-ci n'est en vue nulle part. Incompétente jusqu'au bout, elle laisse ses subordonnés tout gérer tandis qu'elle part faire Merlin-sait-quoi dans un recoin.

Elle esquisse un pas dans le but d’aller arpenter l’atrium, essayer de mettre la main sur la Ministre : même si cela la débecte de devoir l'admettre, elle aurait bien voulu l'avoir sous la main en cet instant. Mais l’interpellation de Darya la coupe dans son élan. Le ton de sa demande la fait sourire, rictus ironique mais appréciateur.

― Avec plaisir, mademoiselle, répond-elle avec satisfaction, assortissant ses mots d’un hochement de tête courtois.

Enfin un peu d’action.

Sourire qui mue, devient assuré, un brin hautain. Lueur carnassière qui flamboie dans ses prunelles. Intérieurement, elle remercie Darya de lui fournir cette occupation, dont elle avait bien besoin.

Elle se détourne et du coin de l'œil, elle aperçoit du mouvement sur scène, lorsque les deux directrices y montent pour leur session de questions. Elle aurait dû rester à proximité, prête à aider sa supérieure si le besoin s’en faisait sentir, mais il y a désormais bien plus important. Elle garde cependant l’oreille attentive, écoutant sans réagir.

Quelques pas qui l’éloignent d’Alaric et Darya, et elle intercepte l’autre fauteur de trouble. Ayant oublié son nom de famille et se refusant à la familiarité du prénom, elle renonce à l’interpeller et l'agrippe par le bras, fermement.

― Veuillez me suivre, Monsieur, lance-t-elle d’un ton n’admettant pas de contradiction. Mademoiselle Black souhaite vous toucher un mot au sujet de votre intervention dans le programme d’aujourd’hui.

Silence, avant une note de menace voilée.

― J'imagine que vous pouvez aisément comprendre que ce n’est pas une invitation, mais un ordre. Une perturbation de l’ordre amène des conséquences, et il vous faut à présent en répondre.

Elle espère que le gratte-papier ne va pas faire d’esclandre et obéira bien gentiment. Non pas qu’user de la force la dérange, mais l’image du Ministère est déjà suffisamment entachée comme cela pour qu’un conflit interne vienne la ronger en supplément.

Mais une brusque tirade venant du public lui fait oublier ces considérations triviales. La prise de parole est longue, et l’accusation de corruption portée contre Mademoiselle Cavendish lui importe peu. Non, seuls quelques mots résonnent particulièrement.

La mort de The Crow a été maquillée.

Le Corbeau serait donc en liberté ?
Son regard se porte vers la directrice accusée, tandis que ses pensées s’embalent. Elle garde une expression neutre, mais intérieurement, tout s'agite, tout est remis en question, tous les calculs reprennent. Si cette affirmation s'avère être vraie, alors cela changerait absolument tout. Un horizon nouveau semble s'ouvrir devant elle, et les possibilités deviennent multitude, plus brillantes les unes que les autres. Des opportunités de changer la donne. Et elle jubile.

Puis elle réfrène son enthousiasme, se rappelle que rien n'est prouvé, qu'il s'agit peut être de mensonges jetés là pour remuer la fourmilière et observer ce qu'il se passe. Un regard pour Darya et Alaric, elle aperçoit un autre homme en leur compagnie. A leurs expressions, elle comprend que quelque chose d’autre vient d’arriver. Alors elle se reconcentre sur l’homme qu’elle tient toujours par le bras. Déconcentrée, elle ne sait pas s’il lui a répondu ou non, mais elle s’en moque. Plus le temps pour la politesse, tout s’accélère autour d’eux, alors se détourne simplement et repart vers ses collègues, entraînant Alex avec elle de gré ou de force.

Quelques pas, elle arrive à portée de voix, entend les propos de Darya, et la pulpe de ses doigts vient effleurer le bois de sa baguette.

Peu importe la menace dont il est question, elle est prête.