Certaines choses ne changent pas, ou presque.
Campbell senior ne peut pas s’empêcher, en regardant son fils, de songer aux plaines d’Islande, ou au petit peuple qui y habiteraient : des fées farceuses, sauvages et rancunières, mais aussi magnétiques.
Il admire la force qu’il a pour se dresser sans craintes aux figures les plus intimidantes et le courage d’assumer ses opinions, ses faiblesses et ses idéaux. Cependant, c’est pour ces mêmes qualités qu’il craint pour lui : cette désinvolture frôle l'impertinence, et il n’a que peu d’égard pour les masques que les gens s’efforcent à porter en public. Vous mettez des années à construire des façades, à élaborer un mensonge auquel vous avez vous même fini par croire, et sans reconnaissance pour cette quantité de travail et de minutie, il viendra gratter la peinture pour y voir ce qu’il s’y cache si l’envie l’en prend…

Mais il ne le comprend pas, son enfant. Qu’est-ce qu’il gagne, au fond, à ne rien cacher ? Il l’a vu mainte et maintes fois revenir blessé pour avoir dit tout haut ce qu’il aurait dû penser tout bas. Pour avoir défié l’autorité. Pour avoir répondu physiquement à des provocations. Pour avoir semé le chaos, désobéi, être parti à l’aventure sur un coup de tête… Même blessé, Beckett rit de ses bêtises. Cela ne l'empêche pas d'essayer de nouvelles choses, il était même prêt à aller au bal en robe !
Et pourtant, c’est quand il lui sourit avec malice qu’il commence à mettre les morceaux en place. En le questionnant, le jeune garçon avait répondu qu'il ne faisait que s'écouter. Cela ne lui semblait être qu’un autre de ses non sens, jusqu’à ce que, des années plus tard, il lui suggère d'essayer ce qu'il pense être incapable d'accomplir. Qu'il serait surpris.
Lui aussi peut ressentir la peur, mais détourne cette énergie pour en faire un moteur. Cette assurance, il la communique aux autres s’en même s’en rendre compte... Au détour d'une conversation ou vous lâchez inconsciemment un bout d'information sincère, son regard s'illumine, et vous invite à suivre votre cœur.
Il a été lui même victime, et il l’inspire, ce gamin.

De qui pourrait-il bien avoir hérité de cette maturité émotionnelle ? Cette bienveillance ? Il y retrouve la fougue de sa mère, son imprévisibilité et ses habitudes de parler aux étrangers comme s’ils étaient déjà amis depuis toujours… Les gens finissent par se faire entraîné dans ses aventures sans comprendre. C'est d'ailleurs comme ça que senior est tombé sous le charme de sa mère.
Qu’est-ce qu’il a grandi… Il aura fallu du temps, mais il a enfin trouvé de la rigueur en lui, assez pour finalement prendre les études au sérieux. Parfois, Campbell Senior le surprend à avoir des plans de secours. Comme quoi, tout arrive ! De la prudence et de la considération... Qui l'eut cru !
Il est fier de son rejeton. Mais il n'a pas encore la force de le lui avouer.

Il devrait, il le sait. Son fils esquive certaines questions, fait mine de ne pas comprendre. Il lutte, entre suivre ses valeurs et rouvrir de vieilles plaies. Cela se lit sur son visage durant le long silence qu'il laisse avant d'avouer ne pas vouloir en parler.
S'il avait pu lui offrir une famille aimante, présente, il lui en aurait donné milles.
On ne choisit pas. Campbell senior sent qu'il se retrouve perdu, parfois, désemparé quand on lui témoigne de l'attention qui serait plus que de la pure politesse.
S'il lui avait dit plus tôt à quel point il compte pour lui, peut-être qu'il comprendrait qu'il le mérite amplement.