Le clap de fin retentit. Tu t'enfonces un peu plus dans ton siège, prends le temps d'un soupir. Autour de toi, ça s'agite, on se salut, on s'applaudit, la petite tradition après l'enregistrement de l’émission. Tu te lèves, t’étires, il est déjà parti. T'étais dégoûté d'avance de lui serrer la main mais tu trouves le culot de te vexer de son absence. C'est donc ça ? 26 ans ? Semi-Vélane ? Célèbre ? Donc, du coup, trop précieux et délicat pour saluer les gueux qui l'enregistrent et le semi-gobelin qui l'interroge ? Ta langue claque contre ton palet, frustré. Il te tend, avec ses manières de grands princes et ses airs de conquérants. La même sale (magnifique) tronche que quand il était enfant. Ses cheveux blanc et trop bien coiffé face à ta chevelure blonde épaisse et anarchique. Fait chier. T'as envie de tout lui arracher.

— Bravo Baz, encore une superbe émission !

Ton regard se pose sur l'équipe qui vient à toi. Ton sourire, si solaire, irradie alors que tu serres les mains, balance une blague par-ci, un compliment par-là. Des bons gars, probablement les personnes que t'estimes le plus en ce bas monde, parce que les seuls à te regarder comme-ci tu étais plus grand qu'eux. Mais ton regard qui dérive tout de même vers le couloir menant aux loges. La remarque qui suis, tu la balances avec l'innocence d'un enfant.

— Bah alors ? Zaggy est déjà parti ? Zut, j'ai pas pu le saluer...
— Il est peut-être encore dans sa loge ?

Tu les regardes comme-ci la suggestion était intelligente.

— Oh ! Très juste ! Je vais aller voir ça. Encore bravo, les enfants !

Et tu profites que l’émission se soit faite sans public (avec les semi-vélane on pouvait s'attendre à tout sauf à de la retenue) pour directement t'enfoncer dans les couloirs. L’œil soudain plus rageurs à mesure que tu t'enfonces dans les coulisses. Putain. Tu revois tout, son sourire suffisant, son éclat dans le regard. T'es sûr qu'il a pris son pied tout du long à te voir dans le rôle du pauvre présentateur TV pendant que lui fait la promo d'un film médiocre qui ne doit sa popularité qu'aux deux minutes où on voit son gros (parfait) cul.

Tu arrives de sa porte. Toque (c'est toujours chantant quand tu toques), avant d'entrer. Tu passes une tête, ton grand sourire, on pourrait croire que tu retrouves un ami.

—  Toc toc, je suis venu saluer la star.

Tu refermes derrière toi.

— L'équipe t'a trouvé super ! à chier L'émission t'a plus ça sert à rien que je te demande, la seule chose qui te plaît, c'est ton cul ?

Tu ne peux pas empêcher tes yeux de détailler sa posture, de glisser vers son torse. Pas que tu mates, juste que tu jalouses. Tu le jalouses qu'il puisse jouer de son physique, tu le jalouses d'autant plus qu'il n'a pas la pudeur d'arrêter. Si les semi-vélane sont le bas du panier, lui est très certainement le pire. T'es sûr que y en a, pourtant, des gens comme lui, qui ont le respect de moins se montrer. Mais lui. Mais lui. MAIS LUI. Faut croire que quand la pomme est pourrie, c'est utopique d'espérer la voir changer.

— Oh, tu me blesses, Zaggy, j'ai vraiment une tête à m'appeler Bastien ?

Tu vois à ses yeux que, pour lui, t'as une tête à t'appeler sale rat ou cafard mais t'en dis rien. Te contentes de sourire, amusé, comme-ci tout ce qu'il pouvait dire était à mourir de rire. C'est tellement gerbant, même toi tu ne sais pas comment tu fais. T'arrives pas à comprendre comment le monde ne sait pas encore rendu compte d'à quel point ce type était une sous-merde.

— T'adorais chanter mon prénom pourtant, avant.

Tu prends une mine peinée, fait référence à l'époque où il te traînait partout derrière lui. Basile ici, Baz par là, microbe grouille. La même époque où devant le grand-huit t'as dû attendre et porter son sac parce que t'étais le seul du casting à être trop petit pour monter dans le manège. Tu te souviens qu'il avait souri en te voyant secouer la tête pour dire "de toute façon c'est pas trop mon truc...". Ah, tu te demandes bien ce qui peut lui faire dire que tu ne l'apprécies pas.

Tu portes une main devant tes lèvres, moue blessée.

— Pourquoi t'es à couteaux tirés, comme ça ?

T'es juste venu lui dire bonjour.

— Y a des raisons pour lesquelles je ne devrais pas te saquer ?

Allez, vas-y, avoue de ta propre bouche combien t'es infect, Zaggy.

Tu hausses les épaules, l'air de dire que tu ne sais pas non plus. Ironique venant de quelqu'un qui parle Gobelbabil mieux qu'il ne parle anglais (et tu parles très bien anglais).

Il se retourne. Il fuit ? Non. Il t'observe de façon détournée. Ça t'agace, Basile, tu le prends comme une nouvelle marque de son mépris, de sa supériorité. Comme-ci t'étais pas assez important pour qu'il te regarde en face, comme-ci t'étais trop laid pour être vu directement. L'enflure. Tu croises les bras, comme-ci tu réfléchissais innocemment à sa question.

— Ah bon ? C'est quoi tout ce que t'as que je n'ai pas ?

Il va répondre la beauté, comme-ci il avait travaillé pour, comme-ci il pouvait s'en venter. Il n'a rien mérité, juste né avec un sang qui lui fait avoir une belle-gueule, c'est pathétique. Il va te répondre l'argent, pourtant même si tu gagnes nettement moins, tu vis correctement, t'as besoin de plus (même si tu rêves de plus, juste pour pouvoir malmener l'ego des autres). Il pourrait te répondre l'amour, les femmes, les hommes, tout un as de choses qu'en effet toi, tu n'as pas. Qu'on ne te donnera pas. Parce que tu n'es pas de leur standard, parce que t'es le mignon petit gobelin... Merde. Tu sautes sur son premier faux pas pour suggérer, un sourire doux aux lèvres.

— T'as l'air d'avoir très soif... Tout va bien ?

Tu l'observe boire comme un assoiffé.

— C'est pour faire passer une cuite ?

Pourquoi aurait-il besoin de se bourrer ? Il a un truc à cacher ? Tu sors de ta poche un mouchoir soigneusement plié, lui donne, de la même façon qu'une mère tend un torchon à son gosse.

— Essuie-toi.

Cette main qui infantilise, qu'il impose sur ton crâne. Tu recules d'un pas, un peu trop brusquement. Tu te reprends immédiatement, ton sourire impeccable.

— Hahaha, t'es hilarant, ça n'a pas changé.

Il t'énerve, il te sort par les yeux. Sa beauté trop parfaite. Sa voix trop parfaite. Jusqu'à sa chaleur trop parfaite. Et soudain t'as envie de te jeter sur lui, de tout lui arracher, de sa tignasse impeccable jusqu'au tréfonds de son âme. Tout lui arracher, pour qu'il soit comme toi, que tu sois plus seul dans ta laideur, qu'il soit misérable, que tout arrête d'être attirant à la perfection parce que c'est insupportable, ça fait bouillir de rage. Même les goûtes qui s'échouent contre son torse rendent trop bien. Fait chier. Fait chier. FAIT CHIER. Tu saisis doucement son poignet pour l'écarter de ton crâne.

— Je me souviens que tu adorais que je sois plus petit que toi. Dis, Zaggy, tu devrais te détendre, on est entre amis.

Le ravager. Le ravager. Le ravager.

La première pique qu'il t'assène t'incendie la gorge de cris muets. Personne ne veut de toi. Personne ne veut de toi. T’entends la voix désolée de ton agent, tu vois le regard amoureux de cette fille pour qui t'aurais décroché la lune, tu le regard méprisant de ton père, tu vois celui fuyant de ta mère, tu vois, tu vois, tu vois, tu vois, tout ce qu'il est lui et tout ce que tu n'es pas. Tu souris davantage, comme pour ordonner à chacun de tes muscles de rester détendus. Tu souris plus fort, comme pour intimer ta gorge de ravaler son acide, à ton esprit d’étouffer ses cris.

— Je suis toujours affreusement mignon.

Tu veux le ravager, tu veux le souiller, tu veux enterrer sa belle gueule, effacer son maquillage sauf que y a zéro trucage avec lui, il est comme ça, né beau comme toi tu es né laid. Et t'enrage, t'enrage, t'enrage.

— Ce ne serait pas une soirée de Sally si ça ne dérapait pas...

Tu réponds à son rire, sans la tension dans le fond de ta gorge.

— En vérité on m'a proposé de venir mais j'ai dû refuser. Je travaille, tu comprends.

Et lui non. Juste bon à poser, juste bon à sourire, juste bon à ouvrir sa chemise pour qu'on hurle à l'acteur de génie. Tu serres une seconde son poignet. Tu mens comme tu respires, on ne t'a pas invité, on ne t'invite que quand on veut être certain qu'il y a quelqu'un d'assez sérieux pour nous ramener à 3h du matin. T'enrages. T'enrages. T'enrages.

Il n'a jamais rien adoré chez toi, ça glisse dans ta bouche comme du miel.

— C'est triste, parce que moi j'ai toujours tout adoré chez toi.

Il t'arrache ton mouchoir des mains, tu vas le brûler à la première occasion, t'as jurer. Ce serait tellement plus simple de te jeter sur lui pour l'humilier, d'agiter les doigts pour le déformer. Mais quelle gueule aurait ta carrière si Zadig devenait ta victime ? On irait toujours défendre le plus beau, on aurait même le culot de te reprocher de l'avoir attaqué. Tous aveuglent, tous des suceurs justes bon à acclamer l'hybridité quand elle est belle à regarder.

— Ah ça, ça ne tient qu'à toi. Je suis quelqu'un de social et d'apprécié. En revanche je ne sais pas trop ce que dirait ton agent s'il apprenait que tu parles mal et quitte un plateau sans saluer l'équipe technique.

Ton plus beau sourire, tu sors ton pineapple, mets une main dans ta poche de jean, détendue en apparence. Tu ne sais même pas pourquoi tu t'infliges ça. Probablement parce que seconde passé avec toi le font hurler et que t'es prêt à souffrir si la récompense c'est son agacement.

— Tous le monde va aller boire un verre, ce soir. Je suppose que t'es pas très disposé pour tout ça, mais je connais un club chic.

Tu lui montres dix secondes l'écran avec le nom de l'ancienne.

— Il font des cocktails sans alcool à tomber par terre. Accompagne-moi, ta nounou sera contente et tu pourras m'expliquer en long, en large et en travers tout ce que tu n'aimes pas chez moi.

La pression sur ton épaule te surprend. Tu te laisses emporter, les yeux légèrement écarquillés, contre la porte, la heurte d'un grognement plaintif alors que tu te plaque contre elle, tes yeux qui se lèvent alors que sa main claque à quelques centimètres de ton crâne.

Tu l'as cherché, c'est la première chose qui te passe dans le crâne. Tu l'as cherché... Mais t'es heureux. Heureux de voir que t'as une prise sur lui, heureux de constater qu'il ne peut pas t'ignorer. Lui, le grand, le puissant, l'intouchable Zadig. T'as encore la force de le faire crier, encore la force de le faire sortir de ses gonds. Et ça te soulage presque, toi qui crèves face à l’ignorance des autres, toi qui ne respire que pour qu'on te voit, qu'on t'intègre, qu'on te montre que ton existence compte même de la plus sale des manières. Et tu l'as énervé. Pour toi, c'est gagner. Alors même si tu te fais beaucoup plus petit que tu ne l'es, même si tu cherches à fusionner avec le bois de la porte, t'as un sourire imbécile (tremblant) aux lèvres. Tu lèves tes deux mains devant toi, en signe de paix.

— Allons, allons, la violence n'est pas une solution Zaggy, haha...

T'as peur qu'il ne te frappe, t'as jamais été très endurant face à la douleur physique. Tu fais tout pour éviter le conflit armé, d'habitude. T'es pas chahuteur, ni même un combattant. La vérité, c'est qu'à n'importe quel sport de contact tu te ferais probablement casser en deux. Pour ça que tu comptes sur ta magie, même si t'as pas encore agité les doigts.

— Je ne voulais pas te vexer...

Mais tu retiens ton souffle quand il approche son visage. Tu te sens un peu absent d'un coup, un peu trouble. Soudain, sa proximité t'irrite. Pas tant parce que tu jalouses ce que tu vois que parce que tu trouves ce que tu vois sincèrement beau. Tu ne peux pas être de mauvaise foi. Il est beau. Beau comme un dieu. Tu te dis que Sally doit soupirer dans son oreiller chaque soir en pensant à lui. Tu te dis que dans le fond, ils ont tous raisons de réclamer après ses sourires et son temps. Il ne fait que profiter de ses privilèges, il ne fait qu'être intelligent. Le chaud aux joues quand il souffle. Est-ce qu'il pourrait t'embrasser, là, tout de suite ? Putain, ce serait terrible. D'un côté, ce serait une belle victoire, l'humiliation ultime à lui mettre dans la face. Et la pression de sa main contre son épaule. Il t'achève de ses mots et tu secoues la tête humiliée, révolté. Soudain, tu exploses, pousses de toutes tes forces (inexistantes) contre son torse pour l'éloigner.

— Une soirée où pour que les gens te regardent, il faudra que tu leur joues ton petit tour de semi-vélane ?

Tu passes une main dans les cheveux, reste contre la porte, t'as le souffle un peu court, t'as l'air encore un peu perdu. Tu ne retiens pas tes mots, encore moins le rire méprisant qui passe tes lèvres.

— C'est ça ton quotidien, Zadig ? Tu plaques les gens contre les murs, tu fais opérer ton charme et tu te fais aimer comme ça ?

T'as un rictus un peu fou.

— T'as raison, ça ne vend pas du rêve ton histoire.

Ton regard, si vif, passe-partout dans la pièce, finit par s'échouer sur lui.

— Comme le reste.

Tu viens de signer ton arrêt de mort.

Il te soulève de terre, l'espace d'un instant t'a le souffle coupé, tu le regardes, leur panique dans tes yeux. Est-ce qu'il va te battre ? Te tuer ? Putain, tu serais si simple à tuer. Tu agrippes ses mains, agites les pieds.

— Me tue pas ! À moi !

Tu te revois plus petit que les autres, plus fragile que les autres. Ancré dans tes veines que t'es fait pour la défaite, fait pour qu'on te marche dessus, qu'on te malmène, parce que t'as rien d'un héros, t'as rien d'un grand, une sombre histoire de gêne, un pari perdant à la roulette de la naissance. C'est que quand il te laisse tomber sur le sol et que ta joue embrasse le carrelage que t'as la force de haïr de nouveau. Son pied sur ton dos, écrasé, comme un insecte. Parce que c'est ce que t'es pour lui. Fait chier. Fait chier. Fait chier. Tu pourrais en chialer de rage.

— Putain de vélane...

Il agrippe les cheveux, soulève ta tête. Tu grognes, on est parti sur un mauvais pied, qu'il dit. L'humiliation te pousse à l'ironie, tout tourner en ridicule pour ne pas devenir plus ridicule encore.

— Mon dos est relativement d'accord...

Tu sais quoi ? Et si tu venais à la fête de chez Sally ce soir ?

— Hein ?

Il tire plus fort, t’étouffe un cri. Putain, ça fait mal. T'agites les doigts le repousse par magie à l'autre bout de la loge avant de t'adosser contre la porte une main dans tes cheveux.

— T'es un putain de grand malade !

T'as l'impression qu'on a tenté de te dépecer le crâne.

— Sally n'a que ça à faire de faire des soirées tous les soirs ? Merlin, les jeunes de nos jours.

Puis tu réalises que Sally t'a jamais invité nul part. Ta couverture réduite en cendres et t'es sûr qu'il le sait.

— Je ne sais pas si c'est une preuve d'amour ou de masochisme de t'infliger une soirée avec moi.

Tu l'observes, méfiant. Mets un peu de temps avant te recomposer un sourire.

— Hahaha... C'est quoi le plan ? Tu me dis que le dresscode, c'est soirée plage alors c'est que classique et chic ?

Tu fais gaffe à ne pas agiter tes doigts de nouveau. Il ne sait pas, il a aucune idée de tes capacités. T'as été trop secoué pour ne pas répondre, mais t'es encore assez intelligent par ne pas griller ta dernière carte. Si cet imbécile n'a pas fait le lien, ça te laisse un avantage. Alors tu fais mine de ne pas comprendre, le laisses sans réponse. Mais même projeter à l'autre bout de la loge il reste digne, l'enflure. Tss, ça te rend acide, ça te frustre, cette capacité qu'il a de toujours retomber sur ses patte.

— Et elle fait ça toutes les semaines ? J'espère qu'elle fait payer l'entrée parce que ça n'a pas l'air d'être très rentable comme business plan.

Son sourire t'énerve et, toi, t'as encore la sensation de sa main dans tes cheveux et de son pied dans ton dos. C'est clairement un piège, son plan. C'est clairement un piège pourtant tu ne peux pas t'empêcher d'être gourmand. Il te sous-estime, il ne sait pas pour ta magie, il se croit tout-puissant, il est donc vulnérable, Zadig. Tu pourrais l'humilié, y auras forcément du monde, probablement le genre de gens accro à leurs réseaux sociaux. Sally à l'air d'être une meuf accro a witchtagram et tok tok. Ce serait l'occasion, un petit tok tok viral de Zadig en mauvaise position. Tu pourrais ruiner sa carrière, tu pourrais lui faire payer l'affront... L'idée te plaît trop pour que tu dises non.

— Je dois avouer que te faire la conversation ça a quelque chose de très rafraîchissant.

Tu te relèves, passe tes mains sur ton pantalon.

— On se fait plaquer, soulever, insulter avant de se faire inviter à une soirée.

Tu prends ton pinneaple, vérifie qu'il est encore intact. Parfait il est encore intact.

— Je me défile jamais.

Tu l'agites.

— C'est quelle heure et c'est quoi l'adresse de Sally déjà ? Ah moins que, t'embête pas, je peux demander à ton manager.

Tu braques tes yeux sur lui, prends le temps de sourire, ton dos te fait encore mal et ton col est débraillé. Façon gentille de lui dire que tu sais à qui t'adresser s'il recommence. Façon de lui dire que tu sais à qui envoyer toutes les preuves de sa future humiliation.