Le pas lourd sur le pavé du chemin de traverse. Tu desserres ta cravate d'un geste sec. On est plus en août, pourtant il fait toujours aussi lourd et tu ne supportes pas ces putains de couches de vêtement qui te colle à la peau. Tout ça pour faire le clown à sourire à des connards qui soit disant en manque de "personnel" se paye le luxe de refuser tes services au motif que tu n'as pas d'expérience ou de CV convaincant. À poudlard, c'était plus simple. Ta belle gueule, ta confiance et le monde t'ouvraient ses bras. Ta toujours ta belle gueule, toujours ta confiance, mais seulement maintenant t'as plus le nom d'Hyperion Priest pour t'aider. T'es juste Noah Et Noah c'est un connard comme un autre. Tu te sens souillé.

Tu avais tenu tes promesses. Tu t'étais engagé à redevenir un élément viable de votre bonne vielle société. Contact avec des organismes de recherche d’emplois, quelques coups de main ponctuel sur des chantiers moldu peu regardant. T'avais ramené quelques sous, mais tu n'avais encore rien construit. Ne plus faire partie de ton monde d'origine te pesait. Le monde moldu c'était bien, mais ce n'était ni ton royaume, ni ton empire. T'avais des revanches à prendre et écumer les chantiers te donnait un arrière-goût d'abandons difficile à faire passer. Alors en parallèle tu répondais aux annonces. T'étais prêt à tout, n'importe quoi. Pas de diplôme, rien, mais t'étais travailleur, tu servais t'adapter et quand tu le voulais, tu pouvais apprendre vite et bien. Seulement, malgré les dizaines d’entretien que tu avais passé en quête d'un boulot honnête, tu n'avais jamais été rappelé. Le seul milieu disposé à te donner un tant soit peu ta chance c'était l'allée des embrumes et ses affaires louches. Mais Romulus avait le bras long et ta désertion t'avait fait perdre de ta superbe. T'étais juste un troufion parmi les autres. Tu t'étais absenté pour Ezra et entre temps ta couronne avait été transmise à un autre. T'a la haine. La frustration ne fait que grandir et tu n'es pas satisfait. Alors le soir tu quittes votre forêt pour écumer les bars, te refaire une santé à coup-de-poing et de sueur pour tenir intacte ta fierté. Tu tournes en rond comme un lion en cage et t'as beau te défouler comme tu peux, jamais la frustration ou le besoin de faire mal ne se calme.

T'avais promis de rejoindre Ezra à son travail pour rentrer ensemble à la maison. Des conneries de couple normal que tu exécrais autant que tu les aimes. Si t'avais des bonnes nouvelles à annoncer, peut-être que tu les adorerais tout court. Mais devoir secouer tête devant ton mec une nouvelle fois pour lui faire comprendre ton échec te gonfle. T'es pas son héros. Ta veste sous le bras tu t'approches du bâtiment de la gazette. Tes sens sont en éveil, la pleine lune est dans un peu plus de deux semaines mais tu es impatient d'en ressentir ses effets. Le stress-prélunaire est la meilleure excuse que tu as trouvé pour taper sans qu'Ezra ne te le reproche. À l'approche de la gazette tu entends des rires masculins. Un type à la voix nasonnée et moqueuse rigole, semble-t-il au détriment de quelqu'un. À chaque pas les voix se font plus distinguer et tu finis par comprendre qu'on se moque ouvertement d'Ezra. D'ailleurs, tu vois sa silhouette juste devant. Tu fronces les sourcils, accélères le pas et sans un mot tu écartes le type d'un geste de la main pour faire face à Ezra, comme-ci de rien n'était.

— Yo mon cœur.

Tu te tournes vers les types. Tu caresses l'idée de directement leur foutre ton poing dans la tronche mais tu sens déjà le regard affolé d'Ezra dans ton dos. Alors tu tends juste la main, un sourire impeccable. L'avantage du costume c'est que t'en impose, t'es rien qu'un chômeur, mais t'as des allures d'homme d'affaires. Quand par réflexe le type à la voix insupportable te la prend pour te la serrer, tu lui broies en toute discrétion.

— Enchanté, enchanté. Vous êtes des collègues d'Ezra ? Moi, c'est Noah. Je suis son mec. Vous avez l'air de bien vous amuser.

Un mec qui va peut-être bientôt vous mettre des paluches dans la tronche. C'est le message subtil que tu fais passer.

Ezra te tire loin des deux énergumènes, t'as même pas eu le temps de dégainer la première menace. Tu fais la moue, presque déçu, c'était bien là une occasion en or de te passer les nerfs. Ezra attend d'être mêlé à la foule pour souffler. Le monde t'insupporte quelque peu, être resté autant de temps isolé te rend moins tolérant face aux grands rassemblements. Tu lui jettes un regard, hausse un sourcil. T'allais lui mentir, mais tu te ravises.

— J'y ai pensé, j'te cache pas. Mais tu m'en aurais voulu.

Tu jettes un regard derrière toi, la gazette disparaissant déjà au loin.

— Mais ça l'air d'être une belle brochette de connard à ton boulot.

Tu notes les visages. Tu ne connais pas encore leur nom mais, ça, ça se trouve aisément. Tu te promets d'être plus attentif aux humeurs d'Ezra. Si ces connards le foutent mal, t'iras leur faire passer le goût des blagounettes à deux balles.

— Je suppose donc que ta journée n'a pas été incroyable, bébé ?

Et comme-ci il te retournait la question tu te mures dans un silence contrarié. Tu profites d'une petite accalmie dans la rue pour t'arrêter et sortir une clope de ta poche.

— Sûr de ma bonne volonté, mais mon profil est trop "atypique".

Ça résume tout. Voilà des semaines que tu cours partout à postuler à droite à gauche. C'est pas votre premier débriefing, encore moins ta première déception.

— Atypique. Quel mot de merde.

Tu tires sur ta clope, tires une bouffée.

— Ils ont un programme de réinsertion pourtant. Putain, à croire que ça aurait été plus simple si je sortais d'Azkaban.

Tu tires sur ta clope et hausses un sourcil. Quoi ? C'était pas assez clair ? Qu'est-ce qu'il n'a pas compris ? C'est quoi, les dix ? Vingt fois précédentes qui lui foute le doute ? Tu t'agaces de devoir expliciter ton échec à voix haute. Lui qui était si subtil d'habitude... Finalement, c'est que quand ça l'arrange. Tu secoues la tête.

— Et ? Et rien.

Viens en au fait. Tu tires sur ta clope une dernière fois avant de l'écraser sous ton pied, à demi furieux. Tu détestes qu'il te fasse répéter !

— Les faits c'est que c'est mort. Mort. M o r t. T'sais, l'état dans lequel sont 90% des gens qu'on connaît ? L'état dans lequel cet enfoiré des ressources humaines va finir si je le recroise !

Soudain ta tenue, ton petit sac de merde, là, pour donner l'illusion. Soudain ce déguisement t'étouffe. À quoi bon jouer les clowns encore plus longtemps ? Tu entraînes Ezra en direction d'un coin plus calme. Tu avais déjà fait sauter la cravate, maintenant tu fais sauter le bouton de ta veste et les deux premier du col.

— Ils veulent pas de moi. Ils n'ont rien pour moi. Ils n'ont rien proposé, niet, nada.

Tu secoues la tête.

— J'ai aucune qualification, mais surtout j'ai pas de passé et ça, ça les dérangent. C'est des faux-culs, ils veulent bien t'aider tant qu'ils ont un dossier à ton nom pour savoir quel genre de sort de protections se lancer.

Ta langue claque contre ton palais.

— C'est de la merde, j'y arriverai pas. Je vais devoir trouver sur l'allée des embrumes.

Et comme tu anticipes tu roules des yeux.

— Pas pute. Même si, putain, à l'heure qu'il est j'aurai eu l'argent pour te payer ton putain de poney.

C'est un cheval le terme exact, mais pour toi ça revient au même.

Tu hausses un sourcil à le voir tirer sur ta clope. C'est nouveau, tu ne relèves pas. Tu hoches la tête, concerné, lorsqu'il te résume ta situation. Ouais, c'est des chiens, une belle bande de clébard. Tu croises les bras contre ton torse. T'es furieux, mais surtout lasse. Lasse des humiliations, lasse des excuses qu'on te lance alors que tu viens avec ton petit costume, tes petits CV. T'as horreur d'être un bouffon et c'est précisément l'image que te renvoient ces employeurs auprès desquels tu viens mendier chaque jour.

— J'te dis, ils veulent pas parier sur moi.

Tu secoues la tête.

— C'est typique. Un gars qui a un casier ou un passif quelconque tu sais à quoi t'attendre. Mais un type dont tu sais rien ? Tu donnerais sa chance à un gars comme ça ? Non.

Ça t'arrache la gueule, parce si tu étais resté Hyperion Priest, tu aurais sûrement envoyé balader un type dans ce genre-là. Trop risqué, trop incertain. Un partenaire de travail ça se choisit et ça se décortique. Tu te pinces l'arête du nez. Soupirez, excédé.

— Le seul endroit qui m'emploierait sans poser de question c'est l'allée des embrumes. Mais ça veut dire voir et participer à des trucs louches.

Tu tournes la tête vers lui, présumes d'avance de sa réticence.

— J'sais que t'es pas pour.

Tu veux pas non plus avoir à ramper auprès de Romulus après l'avoir planté. Non, l'humiliation serait trop grande.

— J'vais réfléchir, j'vais trouver. Dans dix ans, je rachèterais chaque putain d'entreprise de cette rue de merde et je foutrais ces bâtards à la rue. Tu verras.

Promesse murmurée l'air de rien.

— T'veux rentrer tout de suite ou te poser quelque part ? Je me prendrai bien une bière.

Ça te coûte et ça te fait rager. Ce que tu lui offres, c'est ni plus ni moins qu'une solution de secours. Le plan B, l'opération "sauver les meubles". T'as la haine. C'est pas ce que tu voulais. Tu lances un regard sombre sur la rue. Ces gens qui y marchent n'ont rien d'exceptionnels. Des messieurs et des madames tout le monde. Mais tu ne peux même pas les imiter. Tu laisses ta langue claquer contre ton palais. Tu voulais le rendre fier, ton mec. Tu voulais le voir te féliciter, content. Tu voulais lui montrer que tu n'étais pas un putain de parasite comme ils le disent tous. Au final, tu peux juste lui offrir la petite frappe que t'étais à tes débuts. Tu fourres tes mains dans tes poches. Il accepte de boire une bière, t'es tellement énervé que tu l'aurais bu quand même, qu'il le veuille ou non.

Vous vous rendez au Chaudron Baveur. Tu te poses sur un siège, laisses ta mallette de merde à côté. Tu lèves la main pour interpeller une serveuse. Tu ne prends pas le temps de la regarder. Tu commandes une brune de 50cl sur un ton ronchon. T'allais sortir ton portable quand elle t'interpelle. Tu lèves la tête, fronces les sourcils avant de mettre quelques secondes à la reconnaître.

— Ah.

Tu te souviens plus de son blase complet. Mais tu la reconnais. Fin, tu reconnais sa maison. Taille moyenne, quartier pavillonnaire, avec un jardin bien entretenu et une piscine à jet. Trop bien pour la serveuse qu'elle était, mais tu crois te souvenir qu'elle avait un mari qui bossait dans le commerce. Un type qui gagne beaucoup, mais qui était souvent absent. Et la Muriel, et bien, disons qu'il n'y avait pas que sa piscine qui n'était pas entretenue.

Tu pourrais te racles la gorge. L'affaire date. Mais tu sais que dans ce genre de situation, paniqué, c'est avoué la faute et tu n'avais strictement rien à te reprocher. À l'époque, Ezra ne voulait entendre que tu puisses être son petit copain. T'as rien fait de mal.

— Je me souviens, ouais. Votre mari est toujours à voyager aux quatre coins du monde, Muriel ?

Tu lui offres un charmant sourire.

— Vous n'avez pas pris une ride, toujours aussi belle.

Puis soudain te viens une idée. Tu donnes un petit coup de pied à Ezra, sans quitter la serveuse des yeux.

— Dites-moi Muriel, est-ce que j'abuse en vous demandant si on peut avoir un petit quelque chose à manger ? Pas grand chose, juste des miettes. On a beaucoup travaillé aujourd'hui.

Ses doigts à ta joue ta lèvre tressaute. T'aimerais bien lui faire virer sa main grasse de saucisson et de frite loin de ta peau, mais ce serait risqué de la vexer et tu as besoin de t'arracher une petite victoire. Tu hoches doucement la tête. La vérité c'est qu'elle ne garde à flots plus grand-chose, la Muriel. Rien qu'une serveuse, qui bosse pour ne pas culpabiliser de vivre de l'argent de son friqué de mari. T'as jamais eu énormément de respect pour elle, ni pour ce qu'elle incarne. Dans le fond, t'as toujours eu un certain mépris pour les femmes que t'as rendue heureuses autrement qu'en tondant leur pelouse. Tu lèves innocemment les mains, un sourire faussement complice aux lèvres.

— Rien qu'une conso, promis !

Tu lâches un rire, joint les mains dans un semblant de prière.

— Whoua, merci Muriel vous êtes un amour.

Tu la suis du regard en t'adossant à ta chaise, un sourire sur les lèvres, tu accompagnes son départ d'un rire, comme-ci t'étais heureux d'avoir retrouvé une bonne amie. Puis tout te tourne vers Ezra, l'air d'un prince.

— Et une conso gratuite pour bibi, une.

T'es fier, mais ton mec, lui, tire la tronche. Tu hausses un sourcil.

— Pourquoi tu tires la gueule, bébé ?

Tu sais très bien pourquoi. T'en jubiles. Tu souris.

— Mon cœur, t'arrive vraiment à être jaloux de cette morue ?

Tu le fixes de haut en bas, sourire en coin, tu viens caresser son pied sous la table.

— T'es con, elle t'arrive même pas à la cheville, pourtant.

— Tu transpires le seum, mon cœur.

Tu secoues la tête dans un sourire indulgent. Dieu que ça te plaît de le voir jaloux. Tu pourrais t'en damné du matin au soir sans jamais t'en lasser. Et c'est de sa faute, à ne prouver son amour que dans sa possessivité tu en es devenu accro. On a que ce que l'on mérite.

Il prend ta bière et tu lâches un rire. Qu'est-ce qu'il essaye de prouver ? Tu soutiens son regard, franchement amusé, un brin attendri par sa démonstration de force. Tu prends ta bière, en bois une longue gorgée sans sourciller. Prouve-le qu'il dit. Tu hausses un sourcil, sait-il seulement dans quoi il s’embarque ? Tant pis, tu ne vas pas lui laisser le temps de revenir sur sa demande. Tu esquisses un sourire et lentement tu te lèves pour contourner la table, ta bière à la main. Tu poses la chope devant lui avant te saisir son menton entre tes doigts pour l'embrasser devant tout le monde.

— Comment tu peux encore douter, hm ?

Tu viens t'asseoir à côté de lui, tu embrasses son cou, pose une main sur sa cuisse.

— Alors que je suis sur toi depuis Poudlard, putain.

Tu saisis sa main, en bon gentleman, tu embrasses ses doigts avec une tendresse et une douceur inédite. Tu glisses un regard complice, un brin insolent.

— Tu veux que j'te chante une sérénade, Ezra ? Que je hurle dans le bar que t'es mon copain ? Que je te demande en mariage peut-être, hm ?

Qu'il fasse gaffe à ce qu'il demande, il pourrait bien s'en mordre les doigts.