Dire que Sambre avait enfin commencé à se poser des questions après les événements du festival de Snowdon aurait été un grossier mensonge puisqu’il n’avait jamais été plus centré sur lui-même qu’en ce moment même.
La seule qui lui tournait inlassablement dans la tête ne lui plaisait pas beaucoup et malgré ses efforts pour la mettre de côté, l’échec était répétitif, cuisant et douloureux. Lui donnant un besoin urgent d’oubli et d’irresponsabilité.

La poudre écarlate qu’il a déposé sur sa langue fond rapidement dans la chaleur de sa bouche assoiffée, et colorera brièvement cette dernière, jusqu’à ce qu’il avale le fond de son verre d’une traite pour en faire passer le goût amer.
Comme une véritable routine, un rituel particulièrement bien rôdé, trop bien connu et exécuté, le potionniste chronomètre dans sa tête et compte les secondes patiemment en fixant le plafond qui commence déjà à danser devant ses yeux teintés de violet.

On pourrait penser que connaître sur le bout des doigts les effets des substances que l’on ingère en fasse perdre toute la saveur et gâche la surprise mais dans le cas de Sambre, la sensation était d’autant plus satisfaisante en réalité. Comme un moyen de garder le contrôle illusoire dans la perdition, que de savoir exactement quand il perdrait pied et dans combien de temps il se réveillerait.

Parfois, ses paupières se ferment, bercées par les mouvements de la foule tout autour de lui, et qui pendant une courte phase, lui donne l’impression d’être sur le pont d’un bâteau en pleine tempête.
Et quand la sensation s’atténue enfin, lentement, comme l’âme quitterait le corps, il se redresse sur le fauteuil en cuir qu’il avait investi comme un prince, les pupilles dilatées, entouré d’amis dont il connaissait à peine le nom pour certains, un groupe formé pour l’occasion dans son cercle d’artistes et d’anonymes ne servant qu’à peupler son monde pour fuir la solitude.    

Le sourire est revenu sur ses lèvres pourtant bien pâles et Sambre s’étire, félin, comme après un long sommeil particulièrement profond. Il a l’impression de s’éveiller d’un coma ou d’un état second, confondant consciemment l’illusion de la poudre et sa propre vie, alors que tout lui parvient bien plus clairement maintenant : les voix, la musique, les contacts, les visages.
Tout ce qu’il ne sentait plus trop, tout ce qu’il ne voyait plus trop, délicieusement exacerbé comme si une âme généreuse avait réinjecté un peu de vie et de plaisir dans ses veines.
Béni soit le jour où il avait été touché par le don des potions.

Quand la musique est trop forte, que les contacts sont trop pressants et que la chaleur devient insupportable, comme les flammes d’un dragon, le jeune homme s’extirpe de la boîte de nuit, en manque d’air.
Un air qu’il pollue pourtant dès qu’il met un pied dans la ruelle, avec une cigarette, nouvel oxygène, nouvelle urgence.

Le petit bâtonnet nocif lui échappe des doigts quand un éclat blanc attire son regard et lui coupe le souffle.
A demi lucide, il manque presque de confondre ses deux connaissances à la chevelure de neige mais la carrure de Mads lui fait éviter une erreur qui lui semble presque fatale pour sa psyché.
Il n’est pas plus rassuré cependant.

- Mads.

L’exclamation lui échappe malgré lui alors que la partie encore consciente de son cerveau embrumé lui avait intimé de retourner dans l’ombre.
Sambre est perdu. Une coïncidence ? Ce phénomène que le jeune homme appréciait particulièrement pour ne jamais avoir à se poser de question.
Il commence à avoir peur. Un rendez-vous qu’il aurait oublié ? Après tout, il n'avait eu que très peu de nouvelles sur leur petit arrangement concernant Nimrod et Sambre ne savait quoi en penser.
Et il devient paranoïaque. Est-ce que le détective l’avait suivi ? Pur fruit de son imagination débordante qui aimait se placer au centre de l’attention.

- J’ai fini par te manquer finalement ! A moins que ce ne soit qu'une coïncidence… Nous sommes sur ton lieu de travail après tout.

Il ricane.
Finalement, ce n’est ni le perdu, ni le peureux, ni le paranoïaque qui avait pris la parole. Juste le sale gosse.

@Mads M. Kovačić uwu

Sambre ne s’était pas trompé, c’était bien le détective sous cette tignasse blanche et avec cet air de molosse patibulaire à qui on aurait volé son dîner. Une chose était sûre quand on le regardait comme ça, personne ne devait s’amuser à venir l’embêter dans la rue et à ce constat, Sambre se rappelle qu’il tuerait pour ne pas avoir l’air d’une brindille parfois.
Il se rappelle aussi que croiser Mads dans l’état actuel des choses n’était pas la meilleure idée qui soit, et cette révélation le frappe dès que celui-ci croise son regard et s’approche.

Sur la défensive, même si c’était le potionniste lui-même qui l’avait interpellé de son plein gré. Et il regrette instantanément son franc parlé, et à raison. La pression suffit à déséquilibrer les jambes flageolantes de l’artiste qui n’arrive pas à se retenir au mur et tombe en arrière. Les substances ingérées ne l’empêchent pas de ressentir la douleur sourde et il geint en fusillant le détective du regard.

- Mais merde !  

Il semble que ça sorte du cœur, alors que Sambre prend le temps de s’appuyer contre le mur derrière lui en fermant les yeux pour reprendre contenance. Il sert les dents et grimace en sifflant entre ses dents.

- Même quand je suis défoncé, j’arrive pas à te trouver aimable Mads. C’est vraiment dingue cette façon que tu as d’être toujours au point pour être détestable.

Ses paupières papillonnent, prenant le temps d’assimiler la proposition. Sa tête roule doucement vers l’entrée du club dans lequel il n’avait pas la moindre envie de retourner maintenant. Cela-dit, avait-il vraiment envie de s’enfuir avec le roi des connards ? C’était une question dont il n’arrivait pas à trouver de réponse à cet instant.

- T’essaie de me faire croire que t’as envie de passer du temps avec le paillasson du magicobus. Putain tu dois vraiment te faire chier Mads.

Mais la fierté, mêlée à l’esprit embrumé empêche Sambre de rester prostré sur le sol. Lentement mais sûrement, il replie ses jambes et prend appui sur le mur pour se hisser sur ces dernières. L’entreprise lui paraît périlleuse mais finalement, le succès est au rendez-vous. Forcément, avant que le détective ne le bouscule, jusque-là, tout allait très bien.
Mads était toujours un problème.  

- Alors ? On va où ?

Un petit rire lui échappe. Plutôt un ricanement, de pure autodérision. Il aurait aimé être capable de retourner dans ce bar pour faire les pieds à ce détective mal élevé mais il n’en a aucune envie.

- T’as pas intérêt à me planter là juste pour te foutre de ma gueule. Je viens avec toi.

@Mads M. Kovačić uwu

Prenant appui contre le mur, Sambre prend le temps d’assimiler la ruelle et la silhouette de Mads qui tanguent un peu, tous les deux. Il aurait volontiers levé les yeux au ciel mais il craint que le monde ne danse encore plus devant ses yeux s’il commence ce type d'acrobaties. Pourtant l’envie est bien présente quand Mads utilise encore ses petits noms à la con que Sambre a juste envie de lui faire ravaler de force.
Surtout lorsqu’ils étaient suivis de vérités criantes que le détective prenait toujours grand soin de lui jeter à la figure.  

Sa réponse n’est qu’un grognement frustré et agacé, comme cela arrive souvent lorsque son aîné mets le doigt sur quelque chose de douloureux.

- Je t’emmerde.

Ses paupières se ferment un bref instant, alors qu’il inspire profondément, le petit prince blond. A tort, car l’odeur de la rue pourrait lui donner la nausée, la potion qu’il avait avalé éveillant maintenant tous ses sens : ouïe, vue, toucher… odorat.
Heureusement pour lui, le parfum du détective tout proche couvre le reste, forçant le potionniste à reposer ses yeux violines sur lui.

- Tu déambules ? … Sérieusement ? Je veux dire… Tu te permets de juger ma vie quand la tienne se résume simplement à ne rien faire ? J’hallucine. T’as vraiment besoin de te trouver un hobby. Autre que celui de me trouver des surnoms à la con.

Et rapidement, il secoue la tête, agitant ses cheveux blonds toujours parfaits même quand tout le reste semble partir à vau-l’eau.

- Même si j’ai l’impression que c’est moi, ton hobby, là tout de suite.

Passant ses mains sur son visage pour tenter de se réveiller, Sambre finit enfin par se décoller du mur pour glisser ses doigts sur le revers de la veste de Mads, auquel il s’agrippe avec la force du désespoir.

- J’ai pas envie de réfléchir Mads. Vraiment tu tombes pas sur un jour où je peux prendre une décision censée. Logique. Ou juste raisonnable.

Son front se pose brièvement contre l’épaule du détective, juste le temps d’enfiler un nouveau masque et d'afficher pour son aîné, un sourire à moitié faux, certes, mais à tomber.

- On va aller boire un verre. Pas ici, dans un autre bar. Le premier qu’on trouvera. Ensuite on déambulera. Tu me montreras comme c’est de penser à rien. Et puis tu me ramèneras chez moi. Et si t’en as marre de déambuler. Tu resteras.

@Mads M. Kovačić uwu

Comme l’avait demandé le détective, Sambre avait laissé filé ses idées à travers ses lèvres sans en laisser une seule de côté, sans en retenir une seule et sans faire montre d’une quelconque retenue, sans filtre. Son état aida grandement car il est fort probable que dans son état normal et parfaitement lucide, jamais il ne se soit autorisé à être aussi familier avec Mads, voir entreprenant.
D’ailleurs, il ne réalise qu’à moitié ce qu’il propose en réalité, focalisé en premier lieu par l’idée de quitter cette rue déprimante pour l’ambiance plus chaleureuse d’un bar animé. Et comme tous ceux qui ne vont pas bien, le potionniste lance avec détermination :

- Je vais très bien ! Mes jambes vont très bien, je te remercie pour elles.

Et d’ailleurs, il lève les yeux au ciel, comme s’il pouvait se permettre d’être condescendant. Cela dit, le naturel ressortait plus facilement dans ce genre d’état second, alors ce n’était peut-être pas surprenant.

- Moi vivant, jamais tu ne me porteras. Tu m’as bien compris ? Ja-mais. Il manquerait plus que je donne de l’eau à ton moulin pour continuer à m’appeler princesse… C’est hors de question.

D’un pas assuré, mais uniquement dans la tête du jeune homme, Sambre fait un pas pour se persuader lui, mais surtout le détective, qu’il était parfaitement capable de marcher tout seul. La rue tangue un bref instant, à cause d’un mouvement trop vif, et pour assurer sa stabilité, ses doigts viennent se nouer à la manche de Mads sur laquelle il tire un peu pour encourager un mouvement en avant.

- Allons y, laissons nous porter. Ce soir, je suivrai mon instinct, comme toi. Et nous verrons bien ce que ça donne.

Un petit rire échappe au potionniste, car l’idée lui semble bien farfelue. Et pas uniquement parce qu’il était sous l’emprise d’une substance récréative particulièrement efficace.
Sambre s’était toujours auto convaincu que ses choix relevaient de son instinct, et d’un vent de liberté qu’il croyait posséder.
Récemment, il s’était rendu compte que le premier fonctionnait bien mal pour sa part, et que de la liberté qu’il croyait avoir dompté, il n’en avait même pas les miettes.

Mais ça lui aurait fait trop mal d’admettre que ce soir, il enviait terriblement le détective qui marchait à ses côtés. Être détaché de tout, des émotions, des gens, des sentiments, voilà ce que Sambre voulait. Il voulait être fort et se rendait compte à quel point il était loin de l’être.
La redescente après la prise de sa drogue le rendrait toujours moins malade que ce constat qui lui tournait dans la tête depuis des semaines.

- Tu ne m’as pas vraiment répondu tout à l’heure. Je t’ai manqué ?

@Mads M. Kovačić uwu

Les réponses qui ne venaient pas avaient tendance à agacer grandement le petit prince en général. Dans ces moments-là, il était près à se plier en quatre pour les obtenir et user du caprice ou du chantage n’était pas quelque chose qui l’effrayait. Car Sambre détestait ne pas savoir lorsque lui-même n’avait pas décidé de faire l’autruche de son propre chef.

Pourtant, aussi étonnant que cela puisse paraître, il n’interrompt pas le silence obstiné du détective, même une fois qu’ils sont tous les deux installés à la table du bar, ne desserrant les dents que pour commander un whisky.
Affalé sur la banquette avec toute la désinvolture possible pour masquer le mal-être, Sambre avait coulé un regard sur Mads en l’entendant enfin desserrer les dents.

- Il me semble pas avoir le souvenir qu’un compliment soit déjà sorti de ta bouche Mads… Mais dans mon état je vais t’accorder le bénéfice du doute.

Et en guise de réponse générale, Sambre laisse ses yeux rouler exagérément dans leurs orbites en haussant les épaules. Encore une fois mis à mal par son adversaire, il secoue la tête de manière parfaitement puérile en fronçant les sourcils.
Malgré tout, quelque chose vient de le rassurer, après plusieurs semaines d’errance. Mads ne se forçait pas à faire les choses, encore moins avec les gens. Et brièvement, Sambre se raccroche à cette idée comme à une bouée de sauvetage.

Le verre qui arrive en est une aussi, et le jeune homme se redresse pour l’attraper entre ses mains précipitamment. Pourtant, il ne le porte pas à ses lèvres, interrompu par les questions du détective.
Elles lui hérissent le poil autant qu’elles le soulagent.

- Évidemment, tu peux pas t’empêcher de poser des questions. Tu vas me sortir l’excuse de la déformation professionnelle ?

Mentalement noyé dans son verre d’alcool, Sambre laisse échapper un soupir et se rattrape maladroitement.

- Désolé. Désolé. C’est pas ce que je voulais dire. Pour une fois que tu t’intéresses à autre chose qu’à toi-même.

Une grimace de nouveau. De toute évidence, il avait du mal à baisser les armes.

- Excuse-moi. C’est un peu le bordel en ce moment. J’avais juste besoin de relâcher la pression.

Oublier. Comment Mads arrivait toujours à appuyer là où ça faisait mal ? C’était pire qu’une seconde nature chez lui. C’était contrariant. Mais pas que.

- C’est juste que j’ai toujours l’impression de faire les mauvais choix, de pouvoir les assumer en me disant que je suis détaché de tout. Un peu comme toi. Et en fait c’est pas vrai. Tu dois avoir raison quand tu dis que je suis une princesse.

Un rire lui échappe alors qu’il se redresse pour reposer enfin ses yeux sur le détective.

- Non mais vraiment, j’ai même croisé un putain de dragon au festival cet été et franchement je sais pas comment j’ai fait pour pas finir au service des grands brûlés.

En se renfonçant dans la banquette cependant, Sambre avait retrouvé son sourire et abandonné son verre.

- T’es bien sans tes lunettes aussi.

@Mads M. Kovačić uwu

Il n’aurait su dire si la menace de Mads de quitter les lieux et de l’abandonner seul avec ses démons était la raison qui l’avait poussé à parler, comme une épée de Damoclès au-dessus de la tête, mais une petite voix dans la tête de Sambre lui soufflait que oui. La question était plutôt de savoir s’il ne voulait pas rester seul, et se serait contenter de n’importe quelle compagnie, ou s’il n’avait pas envie de voir le détective partir.

Et à nouveau, quand Mads reprend la parole, le potionniste à la désagréable impression d’être sur des montagnes russes : d’abord confiant, tout en haut de l’attraction, surplombant le monde et savourant l’intérêt que lui portait son aîné, puis arrivait la descente brusque qui prenait aux tripes sous les petites piques acides habituelles du détective.
Les émotions constamment à fleur de peau, l’état général de Sambre ne l'aidait pas non plus à les minimiser.

Alors, puéril, il tire la langue et singe une grimace mais ne lâche pas le détective de ses yeux violines.

- Poulette, c’est pire que tout Mads. Et ça ne me donne pas envie de continuer dans le registre des compliments.

Mais il le contemple encore et ajoute plus naturellement qu’il ne l’aurait pensé, comme si les mots n’attendaient pas l’autorisation pour sortir de sa bouche.

- T’es mieux sans. Tu te la joues moins. Et tes yeux ne sont pas désagréables à regarder.

Docile, Sambre lève son verre et le porte à ses lèvres pour une seule gorgée qui lui brûle délicieusement la gorge. Ce qu’il y avait de fou avec Mads, c’est que malgré ses blagues toujours trop lourdes et son air désinvolte, il avait toujours réussi à arracher des sourires au lieu de lui donner envie de le mordre. Bon, peut-être que le jeune homme avait toujours envie de mordre, mais avec le sourire.

- Franchement, le dragon je m’en fou. Enfin je suis dégouté que les magouilles politiques aient bousillé le festival… Et effectivement, j'aurais aimé ne pas manquer de finir en rôti, comme tu dis.

Mais Mads avait raison, c’était léger pour se mettre aussi minable, parce que ce n’était pas la seule chose qui lui pesait. En même temps, parler de ce genre de chose au détective était peut-être la pire idée du monde.

- J’essaie d’oublier quelqu’un.

Voilà, il l’avait enfin, sa réponse, celle qu’il avait cherché en creusant sans se presser et avec patience. Mads était un homme endurant. En ce qui concerne l’épuisement mental des gens, en tout cas.

- Parce que je m’accroche toujours aux mauvaises personnes, et même quand on me dit de pas le faire, je le fais parce que je me crois au-dessus et capable d’assumer des trucs que je suis même pas capable de contrôler.

Une pichenette dans son verre à peine entamée, l’air plus gêné que contrarié cette fois-ci. Déballer ces constats n'était pas une partie de plaisir mais au moins ils ne tournaient plus en boucle dans sa tête.

- Jusqu’au moment où je me retrouve à t’en parler, à toi. C’est lunaire. Tu trouves pas ? Franchement si tu voulais te casser maintenant… Je t’en voudrai même pas.

S’il te plait, me laisse pas.

@Mads M. Kovačić uwu