Comme toujours, il ne pouvait pas s’en empêcher. C’était plus fort que lui. Que serait-il sans ses machinations incessantes, son léchage de bottes permanent ? Que serait Canopus sans sa malice et son vice ? Prêt à tout pour placer parfaitement ses pions sur l’échiquier du succès.

Moi j’observai cela de loin. Suffisamment proche pour scruter, capter quelques mots par-ci, par-là ; mais assez à l’écart pour éviter d’intervenir, bien que ce ne fut pas l’envie qui manqua. Mais pour ton bien Darya, je retins mes pulsions. Car à cet instant, ma seule envie fut de faire vivre l’enfer sur terre à mon frère.

Je me doutais fortement de ce qu’il essayait de faire, je reconnus avec aise le visage du garçon Lestrange. Sans doute qu’il essayait de te vendre comme une jument. Pour autant je n’agis pas, me contentant de médire intérieurement, marmonnant mes petites piques dans ma barbe. Intervenir maintenant ne ferait que desservir tes intérêts. D’autant plus que le dernier mot ne lui reviendrait pas. Comme nous le savions tous, le rôle du patriarche était tenu par un autre que lui.

Ce qui devait le ronger autant que moi, ou plus ? Probablement. J’attendis donc, patiemment. Enfin, après quelques minutes qui parut une éternité ; je vins à toi lorsque tu fus enfin seule, à l’écart de ce spectacle affligeant.

Lorsque tu remarquas ma silhouette, tu t’adressas à moi avec politesse, bien que dans ta voix je pouvais sentir une forme d’agacement, de fatigue ; je ne sus vraiment dire quoi. Sans te répondre, je fis léviter à quelques centimètres du sol, une autre chaise pour la placer à côté de toi.

Saisissant le verre que tu attrapas pour finalement lui aussi le faire léviter près de moi alors que je m’installai confortablement. Dans un premier temps, lorsque je pris la parole, le masque modula une fois encore ma voix, te laissant dans l’inconnu, malgré les indices que je parsemai :

─ Tu te trompes mon enfant, tu es exactement la compagnie que je recherchai. Je marquai une pause, te laissant dans tes pensées avant de reprendre : tu es ravissante, Darya. Et alors ce calme dont tu as fait preuve devant la comédie que jouait ton père, impressionnant. Un petit rire amusé pour détendre l’atmosphère, difficile alors que tu avais toutes les raisons d’être méfiante.

Qui avais-tu près de toi Darya ? Avais-tu seulement une idée ? Peut-être qu’un coup de pouce supplémentaire ne serait pas de refus. Moi j’étais d’une humeur joueuse ; je gardai donc le mystère intact tant que tu n’avais pas compris qui se cachait sous le masque que je portai. Au contraire, j’en rajoutais même une couche pour te taquiner.

─ Voudrais-tu danser avec moi, plutôt que d’enchainer les verres ?

Désolé de te tourmenter ainsi ma chère nièce… mais il ne fallait pas m’en vouloir ; les moments que je passais avec toi étaient aussi rares que précieux, je comptais en profiter jusqu’à la dernière seconde, quitte à te faire tourner un peu en bourrique. Il n’y avait là aucune cruauté, juste un brin de malice.

Louise a écrit:

─ Toujours masquée, va à la rencontre de Darya, plaisante sur son père et l'invite à danser.

Ah… j’en avais oublié à qui je parlais. Cette méfiance dont tu faisais preuve, cette posture que tu arborais en toute circonstance ; Darya, croyais-tu vraiment que le monde cherchait à te nuire ? Croyais-tu vraiment que tu n’avais que des ennemis ici ?

Tes alliés, qui étaient-ils ? Je n’en savais rien. Néanmoins ce n’était pas cela qui me faisait le plus mal. Oh non. Ce qui me brisait le cœur, c’est de ne pas avoir de place dans le tien. Mais je l’avais mérité, la faute était mienne. Toi tu faisais honneur à ton père à cet instant, tu le défendais en dépit du fait que tu savais pertinemment que j’avais raison.

Ce soir, je ne fus pas la seule à porter un masque. La différence étant que le mien, je pouvais l’enlever quand je le voulais. Toi, tu n’avais d’autres choix que de le garder, d’autres choix que de faire bonne figure. Peu importe ce que tu réservais à ton géniteur, je ne faisais aucunement partie de tes plans si toutefois tu en avais. Hors de l’équation, ce qui me chagrinait à un point que tu ne pouvais imaginer.

Je n’avais réussi qu’à envenimer un peu plus cette soirée déjà délicate pour toi. À mon grand regret. Toutefois je n’avais pas dit mon dernier mot.

Ma main se posa sur mon masque alors que je repris tes mots :
─ Pas « ta » famille. Enfin t’apparut le visage sous le masque alors que je continuai : la nôtre, ma chère enfant. Un clin d’œil, je te laissais le temps de bien t’imprégner de mes traits avant de les dissimuler de nouveau dans mon désir de rester inconnue aux yeux de tous.

Oui de tous sauf des tiens. Peut-être que tu ne comprendrais pas la signification de ce geste, mais il avait plus d’importance que tu ne pouvais t’en douter. Je n’étais pas dupe ma très chère nièce, j’avais mes doutes sur ce que tu ressentais. Moi aussi, quand je passais la moindre minute en présence de ton père, je n’avais qu’une envie, c’était de prendre une douche pour me débarrasser de sa pestilence.

Un petit rire amusé devant ton air circonspect, tu ne relâchas pas ta garde pour autant bien évidemment. Mais tu avais près de toi une alliée Darya, si mon geste n’était pas suffisamment clair, peut-être que mes mots pouvaient t’aider ?

─ C’est ma présence ici qui t’étonne ou bien le fait que je suis venue te trouver ? Tu connais mon statut, devine le reste. N’oublie jamais que je suis toujours là, même sous la forme d’une ombre qui se cache dans les recoins de vos existences. À ce titre, je décide quand je veux me montrer sous le feu des projecteurs.

Soulevant une nouvelle fois mon masque pour avaler un verre d’une traite, je me levai pour finalement te faire face. La main tendue vers toi, je te proposai :

─ L’air ici est… un peu étouffant non ? Que dirais-tu d’en changer un petit peu ? Je crois que respirer un peu ne te fera pas de mal. Je pris sans doute un peu trop mes aises alors que je surenchéris : mais je me dois d’insister sur un point Darya. Me ferais-tu l’immense honneur de m’accorder une petite danse ? S’il te plait ? Après cela, si tu as besoin de silence et de quiétude, je m’en irai sans faire d’histoire. Je te le promets.

Une échappatoire, voilà ce que je te proposais. Un instant où tu pouvais lever le masque à défaut de le retirer complètement. Un moment de ton précieux temps… était-ce trop demander ?

Louise a écrit:

─ Elle dévoile son identité à sa nièce et entame la conversation, insistant sur le fait de danser avec elle.

Quelle ne fut pas ma surprise de voir ton facies s’adoucir même l’espace d’un instant. Allégresse de te voir esquisser un sourire aussi maigre fut-il. Cela ne faisait que confirmer que tu avais passé un mauvais moment en compagnie de tes parents et du garçon Lestrange.

La fatigue se lisait sur ton visage, tu avais l’air de suffoquer. C’est aussi pour cela que je suis venue te trouver mon enfant, pas seulement dans l’espoir de te voir baisser ta garde ; mais pour te donner un petit bol d’air. Tu l’avais bien mérité.

T’entendre me dire que j’avais bien fait, même si ça t’avait probablement échappé… c’était comme une douce mélodie à mes oreilles. Même si je me doutais bien que tu ne me voyais pas encore comme une alliée, le fait de ne pas me voir comme une ennemie était déjà un grand pas en avant bien que cela n’avait l’air de rien.

Après la surprise vint la satisfaction lorsque tu vins rejoindre ta main à la mienne, acceptant ma proposition dans le même temps. Ce fut avec enthousiasme que je t’entrainai alors que d’une voix de velours je continuai de te flatter, rien que pour le plaisir d’observer ta réaction :

─ C’est un privilège que de partager cette danse avec l’une des demoiselles les plus ravissantes de la soirée. Cela nous fait un point commun. Sans me vanter bien évidemment. Bien évidemment.

Voilà que je t’entrainai avec moi, toujours avec cette tendresse dont tu n’avais pas l’habitude. Pour toi ça devait être une anomalie, surtout dans ta propre famille ; ce qui en y réfléchissant, était triste à dire. Lorsque nous fûmes suffisamment à l’écart, hors d’atteinte des regards indésirés, tu me pris de nouveau au dépourvu.

Une confidence à laquelle je ne m’attendais pas, mais sans que cela ne perturbât mes pas. Je t’écoutai avec une attention toute particulière, songeant aussi bien aux intentions de ton père que les réminiscences de l’enfance que j’avais partagé avec lui et Orion.

Un long soupir qui s’échappa de mes lèvres avant de te répondre :
─ Décidemment, il n’a vraiment honte de rien. Il me semble que le garçon est le patriarche de sa famille si ma mémoire est bonne ? Il me semble aussi que certains de leurs membres ont des âges similaires aux vôtres ? Je suppose que tu vois où je veux venir…

Rien qui vaille donc. Du Canopus dans le texte. Et lorsque tu me demandas s’il avait toujours été ainsi, je fus d’une franchise sans ambages :

─ Lorsque nous étions enfants, ni ton père ni ton oncle n’avait de place dans leur vie pour leurs ambitions et leurs machinations. Ton grand-père ne pouvant me donner l’attention dont j’avais besoin, Canopus et Orion eurent la lourde tâche de s’occuper de moi la majorité du temps. À l’époque, je ne voyais que le frère, pas l’homme qu’il devenait. Je pense qu’il n’a pas toujours été ainsi, mais qu’aujourd’hui personne ne pourra le changer. Je marquai une pause, approchant mon visage de ton oreille pour te susurrer ces mots : mais dans cette famille, il n’y eut jamais plus ambitieux que moi. Et cela non plus ça n’a pas changé.

Je restai fidèle à moi-même, de la même façon que lui. Depuis le début nous avions toujours étés différents. J’avais conscience que ce que je disais n’avait rien de rassurant, ce pour quoi je repris :

─ N’oublie pas une chose cependant, Darya. Canopus est ton père, oui, mais il n’est pas le patriarche de cette famille. Et même s’il doit penser le contraire, il y a des limites à son pouvoir, ses plans et ses ambitions. Rien d’étonnant… lorsqu’un esprit est aussi fermé qu’un coffre-fort, les limites s’imposent d’elle-même. S’il ne manque pas d’ambition, il manque cruellement de vision. Alors que sous mon impulsion, nous nous éloignâmes petit à petit de la piste, je conclus : vous n’êtes pas seuls mon enfant. Izar et toi, vous n’êtes pas seuls. Plus maintenant.

Bien que la confiance ne régnât pas encore entre nous, ma volonté de faire de moi une alliée sur laquelle tu pouvais compter n’avait pas changé. Certes, je n’étais pas désintéressée dans cette démarche… mais j’avais au moins le mérite de vous proposer une façon de voir les choses différemment. Un avenir plus optimiste. Un avenir que vous méritiez.

Louise a écrit:

─ Une danse, des confidences et des souvenirs d'enfance dévoilés. Louise veut faire d'elle une alliée de sa nièce.

Ces maigres sourires qui s’esquissèrent sur ton visage, de quoi me donner un peu de baume au cœur, ces moments étaient si rares… tellement que je me demandais si c’était sincère. Sans doute que oui, tu baissais inconsciemment ta garde à cause de la fatigue ?

Quelle importance, ça me fit plaisir, rien de moins. Pendant que la musique guidait nos pas, je t’écoutais parler de la famille Lestrange. Evonice, je la connaissais bien, pas autant que toi visiblement, mais elle ne m’était pas inconnue. Le reste en revanche, que ce fût le patriarche ou les autres… je n’y avais jamais prêté attention. Parce qu’au fond, ce n’était que des informations de plus à mettre dans un coin de mon esprit, rien de primordial.

Puis ton attitude changea lorsque tu parlais de ton frère. Ce fut à ce moment précis que je vis véritablement une bribe de ce qu’il y avait derrière ton armure. Cette tendresse que tu avais pour Izar, ce lien que vous sembliez partager. À bien des égards, cela me fit penser à celui que j’eus avec Orion. Tu voulais ce qu’il y avait de mieux pour lui.

L’intention était honorable, certes… mais nous touchions là un problème épineux. Oui, Darya… et toi alors ? Qu’en était-il ? Tu disais de ton frère qu’il pouvait aimer, mais toi ? Pourquoi parlais-tu comme si l’amour n’avait pas de place dans ta vie ? Croyais-tu que cette place inexistante ou ne l’avais-tu simplement pas encore trouvée… je n’en savais rien et cela me chagrinait une fois encore.

Tellement que je dus me retenir de toutes mes forces de ne pas te couper la parole. Tellement que l’espace d’une seconde, mon corps se raidit alors que mes mains resserrèrent leur emprise sur les tiennes, sous l’intensité de cette tension. Maudire Canopus, il ne me restait plus que cela à ce moment-là ; la rage me faisant trembler si bien que cela perturba mes pas quelques secondes.

Pire encore lorsque tu parlais de lui, comme si son emprise ne connaissait aucune limite. Comme s’il était le plus grand danger de ton existence. Dans ton ombre il y avait systématiquement une part de la sienne et même si ça me révoltait, ça ne m’étonnait pas.

Cette fois, impossible de me retenir. La colère explosa… malgré le calme froid de mes paroles :
─ Non. Je ne suis pas d’accord. Izar n’est pas le seul à mériter une vie meilleure. Je comprends que tu veuilles le protéger de ton père, mais ne parle pas comme si tu ne rentrais pas toi aussi dans l’équation. Bon sang Darya… un soupir alors que mon visage se rapprocha du tien, un geste de main rapide afin que tu fusses en mesure de voir mon visage et mes saphirs qui se plantèrent dans tes iris ambrés. Qui penses-tu être dans cette famille ? Une étrangère ? Une nuisance ? Tu es une Black, Darya. Autant que ton frère, autant que tes cousins, autant que moi. Le sang d’Altaïr et Sélène coule dans nos veines. Tu n’es pas une pouliche à vendre au plus offrant ni une matrice bonne qu’à faire perdurer notre lignée.

J’hésitais à te le dire… mais il le fallait. Sans doute que je prenais un risque énorme, mais je ne pouvais pas me retenir. J’avais atteint un point de non-retour. Toujours en te regardant droit dans les yeux, je rapprochai un peu plus mon facies du tien, comme si je voulais de toi que tu scrutas mon âme :

─ Tu redoutes la colère de ton père ? Attends un peu de voir la mienne. Qu’importe que le vent hurle, jamais la montagne ne ploie devant lui. Si tu as peur quand il souffle, attends de voir ce que donne la tempête.

Le temps te le fera comprendre, Darya. Je te ferai comprendre qu’il y avait encore pire que surestimer ton père… me sous-estimer moi.

─ Mes excuses… le masque pour de nouveau cacher mon visage. Mais ton bonheur m’est aussi important que celui d’Izar. Peu importe ce que tu peux en penser et le peu de confiance que tu m’accordes. Je ne ferai rien pour contrecarrer tes plans de mon côté… tu décideras de m’y inclure ou pas, ça te regarde. Mais tous les enfants d’Altaïr ne sont pas tes ennemis. Fais ce que tu veux de cette information.

Louise a écrit:

─ Folle de rage contre son frère, Canopus, Louise souhaite faire comprendre à Darya qu'elle a autant d'importance qu'Izar pour elle et qu'elle est prête à faire vivre l'enfer sur terre à quiconque leur fera du mal.

Oh ça je n’en doutais pas mon enfant. D’aucune façon je ne te sous-estimais. Cependant… je mentirais si je disais que j'avais estimé l’ampleur de cette rancœur que tu vouais à ton père. L’homme ne méritait pas ta haine Darya. Il ne méritait pas de hanter tes pensées.

Car c’est bien ce qu’il faisait actuellement, ma petite nièce. Canopus occupait une place prépondérante dans tes pensées, ton cœur et tes projets. Même lorsque tu parlais de toi, tu avais une pensée pour lui. Ton existence gravitait autour de lui comme les planètes autour du soleil. Mais déclarer la guerre à ses ennemis était-il vraiment moins dangereux que d’œuvrer pour la paix ? Pour toi, le choix semblait évident.

À mes yeux, tu manquais non seulement de nuance, mais également de sagesse. À mesure que je t’écoutais parler, cela ne faisait que me faire souffrir. J’eus l’impression d’être la seule à t’avoir témoigné un peu d’amour et de tendresse depuis ta plus tendre enfance… et ce fut tellement surréaliste que je peinai à y croire. Mais ça ne m’aurait pas étonné pour autant.

Peu importe si tu ne craignais pas ma colère, tu n’en faisais pas l’objet. Elle était dirigée vers l’étalon et sa jument. Canopus et Lavender. Pourtant, même si je le voulais le haïr, il était et resterait mon frère, rien au monde ne pouvait changer ce fait immuable.

Je voulais œuvrer pour le bien de cette famille. Toute la famille, même ceux qui n’avaient jamais compris la valeur de ce mot. Face à ta résolution, Darya, se confrontait la mienne :

─ Je comprends, Darya. Mais sache que je ne te suivrai pas dans ta quête. Sans diriger cette famille, je tiens toutefois à faire tout ce qui est en mon pouvoir pour son bien. Toute la famille, même les vilains petits canards. Un long soupir avant de reprendre : toi tu veux supprimer ceux que tu hais. Moi je veux sauver ceux que j’aime. Qui de nous deux a raison ou tort… seul l’avenir nous le dira.

Nos résolutions inflexibles, sans être ennemies, nous n’étions pas amies pour autant. Je ne voulais pas m’opposer à toi, car même sans te connaître réellement, mes sentiments pour toi restaient intacts. Comme j’aurais aimé que ce fût différent, comme j’aurais aimé t’emporter avec moi quand tu étais encore haute comme trois pommes. Comme j’aurais aimé être là pour toi avant tout cela.

Maintenant, je ne pouvais que constater l’ampleur des dégâts. Et cela ne me faisait que me rappeler mes erreurs, mon passé… et ce terrible secret que je gardais. Pour autant, était-ce une raison pour abandonner ? Non, évidemment que non, c’était mal me connaître.

Même si le monde entier était contre toi Darya, je serai là pour toi. Tu clamais être une monstruosité, car tu n’avais sans doute entrevu aucune alternative. Il y avait un monstre en chacun de nous, ma chère nièce. Mais celui-ci ne grandissait qu’en le nourrissant. À t’entendre… tu le faisais chaque jour. De mon côté, je fus persuadée que tu n’étais pas dénuée d’humanité. Viendra le temps où je ferai tout ce qui sera en mon pouvoir pour te le prouver.

Car oui, mon enfant, j’étais aussi bornée que toi. Si tu voulais vraiment jouer à ce jeu… je te promettais d’être l’adversaire la plus vaillante que tu n’avais jamais affrontée. Et s’il fallait opposer ton monstre au mien… eh bien soit.  

─ Tu n’es pas entourée que de haine. À la seconde où ton regard a croisé le mien, j’ai su que je t’aimerai comme si tu étais mon propre enfant. C’est sans doute déplacé de te dire cela, mais je regrette que tu ne sois pas mienne. Je ne sais pas… je ne sais pas si je pourrais te regarder t’autodétruire sans rien faire. Mais pour ce qui est de te haïr, jamais. Jamais cela n’arrivera. Tragique est notre existence si elle ne laisse de place qu’à la haine. Que serait l’avenir si nous restons dans le passé ? Songes-y mon enfant. Masque ôté l’espace de quelques secondes, lèvres qui vinrent déposer un baiser lourd de sens sur ta joue. Puis ces derniers mots que je vins glisser à la faveur de tes oreilles, espérant faire vibrer ton âme, même si ce n’était qu’un infime tressaillement : je t’aimerai toujours, Darya. Même si le monde entier te déteste. Moi, je t’aimerai toujours.

Dis-je dans un murmure à peine audible, comme si j’avais peur de prononcer ces mots. Le masque de nouveau sur mon visage pour dissimuler une larme qui perlait sur ma joue. Pourquoi fallait-il que ce fût ainsi, Darya ? La vie et ses vicissitudes…  

Louise a écrit:

─ Ecoute les confidences de Darya sans pour autant en accepter la teneur. Lui avoue qu'elle aurait aimé être sa mère et qu'en dépit de tout elle ne pourra jamais la haïr.

Ce fut peut-être le seul moment depuis notre rencontre ou j’avais réussi à percer ta carapace. Impossible pour moi de rater cet instant. Sans savoir d’où cette larme venait, de la fatigue ou bien la réponse de ton cœur à ces mots d’amours que je vins te susurrer. Mais elle était là.

Heureusement d’ailleurs que mon masque dissimulait mon visage et ce sourire gêné que j’avais. Quand tu me dis que je ne devrai pas, mon premier réflexe fut de faire non de la tête sans dire le moindre mot. Non pas que je ne voulais plus te parler, mais je sus à cet instant que l’émotion allait moduler ma voix encore plus que le masque le faisait.

Cela me rassurait de savoir que tu pensais à l’avenir… malgré mon inquiétude à ton égard sur la « menace » que représentait ton père. Voilà ce qu’il avait semé ; tu voulais être la tempête qui l’emporterait. À t’écouter parler, tu étais prête à creuser sa tombe s’il le fallait. Peu importe ce que je pouvais te dire, sans doute que tu ne changerais pas d’avis.

Cela en disait long sur la détresse qu’était la tienne si le monde que tu voyais se devait d’être débarrassé de mon frère.  Cela en disait long sur lui, sur toi, sur votre relation. Tout semblait tout bonnement irréparable. Plus j’y pensais et plus je me disais que même mon propre père ne m’avait jamais fait ressentir une animosité pareille.

Canopus était-il vraiment ce monstre que tu décrivais ? N’y avait-il réellement aucune bonté en lui ? Plus j’y réfléchissais et plus je pensais que si elle existait, elle était en effet bien dissimulée, sous d’innombrables couches de vilénie.

Je comprenais ce que tu ressentais… mais cela ne me procurait aucune joie de savoir que la situation paraissait si désespérée que tes pensées envers ton géniteur étaient plus sombres que le noir.

─ J’espère que vous aurez des enfants… j’espère que vous serez heureux, l’un comme l’autre. Je conçois que dans ta vision de l’avenir, ton père ne fait pas partie de l’équation. Moi-même je ne conçois pas l’idée qu’il s’approche de près ou de loin de la descendance de notre fratrie. Mais avant de te lancer dans un projet que tu pourrais éventuellement regretter, explore toutes les options qui s’offrent à toi.

Je marquai une pause avant de t’emporter avec moi loin de la piste de danse. Loin des œillades indiscrètes. Lorsque nous fûmes suffisamment à l’écart à mon goût, j’ôtais une dernière fois mon masque afin de déposer un baiser sur le dos de ta main.

─ Merci pour ce moment, mademoiselle Black. Ce fut un véritable plaisir que de danser avec une créature aussi charmante que vous. Petit rire amusé avant de reprendre, m’osant à te proposer : Darya ? Avant que ne se mette en branle tout ce que tu pourrais prévoir, j’aimerais m’entretenir un peu avec toi. Seule à seule cette fois. Mais plus que cela, j’aimerais passer un peu de temps avec toi. Que tu en apprennes plus sur moi et vice versa. Je pense que… légère hésitation avant de reprendre, la voix tremblante : je pense que si l’on doit un jour se faire confiance mutuellement, autant savoir ce qui nous motive, l’une comme l’autre.

Mais surtout, et ce fut sans doute ce que je voulais dire, admettre depuis le départ… si bien qu’enfin j’arrêtai de tourner autour du pot :

─ Mais au diable les prétextes. Je voudrais juste t’avoir rien que pour moi, un peu plus souvent. Que dirais-tu de me revoir dans quelques jours ? Peut-être cuisiner un petit quelque chose pour que cela soit plus convivial et moins formel ?

Le doute sur mon facies alors que j’attendis ta réponse dans un mélange d’appréhension et d’excitation. Refus ou acceptation, je ne regrettai rien, ça au moins, j’en étais certaine. Le moindre moment passé avec toi me rappelait à quel point j’avais été idiote de m’être éloignée de vous. Mais à contrario de mon frère, j’étais prête à assumer et réparer mes erreurs.  

Louise a écrit:

─ Remercie Darya pour leur petite danse et lui propose de se revoir quelques jours après le gala.