La porte de foyer franchie, c'est le calme qui tombe. Pas l'explosion de joie, l'excitation d'un milliard de possibilités. C'est comme un lâcher de rideau brutal venant imposé une fin violente, le lien coupé entre l'effervescence de la scène et le silence des coulisses. Tu observes Alexander monter et tu restes plantée dans l'entrée. Tes doigts se tordent entre eux avec nervosité. Tu es magnifique dans ta superbe robe de mariée, mais ton visage est grave. Tu as repoussé du mieux que tu le pouvais le moment du départ. Mais voilà la fête officiellement finie et, toi, coincée avec ton mari. Tu baisses tes yeux sur tes mains et t'impose de dénouer tes mains dans un souffle. Tu crains les minutes à venir, tu crains la déception, crains d'être comblée. Ton père serait fier de l'apprendre et cette pensée vient tordre tes lèvres avec un rictus amer : Vous n'avez encore rien fait. Alexander, n'a encore rien fait. Tu fixes l'escalier, souffle une dernière fois et grimpe à l'étage.

Tu découvres ton époux déjà occupé à se dévêtir. On le croirait rentré d'une journée au bureau. Tu te racles doucement la gorge pour lui signifier ta présence mais tu sais qu'il t'a déjà remarqué. Alexander a été capable de te repérer au milieu d'une foule noire de monde alors qu'il n'avait pas volonté à te chercher. Tu le dévisages, tu attends une discussion. Tu attends une action. Ton regard passe de sa silhouette au lit. Tu ne comprends pas, pourquoi il ne te touche pas.

— Je ne te laisserai pas la fuir, surtout. Je ne comprends pas.

Tu attrapes entre tes doigts le fin tissu de ta robe.

— Ce n'est pas par conviction religieuse, ce n'est pas que tu ne me désires pas. Alors je ne comprends pas, est-ce que l'acte te dégoûte, est-ce que-

Non. Il a peur. Tu entrouvres les lèvres en sentant ton cœur se soulever lorsqu'il décrit pour la première fois sa façon d'aimer. Il censure les éventuels mensonges que tu pourrais lui servir. Tu n'es pas à l'aise, aimer dans la douleur ne t'inspire pas d'excitation. Tu voulais la passion, retourner le lit, malmener les meubles, pourquoi pas. Mais la perspective des os qui cassent te fait peur.

— Je- Je vois.

Tu regardes ton mari avec un brin de méfiance. Tu veux partager une intimité avec lui, tu en as besoin. La bête peut-elle être contenue ? Faut-il la cadrer ? Est-ce seulement possible ? Tu ne veux pas échouer à accepter ce qu'Alexander peut-être pourtant dieu seul sait les préjuger qui t'assaille. Tu te surprends à porter la main sur sa joue et à déclarer avec une assurance qui te désarçonne.

— J'ai été élevée à la dure mais ça ne veut pas dire que je saurais encaisser ça pour autant. J'entend que cette... Violence fait partie de toi et... Je veux te connaître, toi.

Tu ne sais pas si c'est influencé par ta fierté de femme ou conditionné par ce devoir d'épouse que tu portes malgré toutes l'ambivalence que ça soulève.

— Alex, je suis ta femme, je veux partager une intimité avec toi. Comment... Comment pouvons-nous procéder ?

Tu glisses tes mains pour agripper sa chemise.

— Est-ce que... Est-ce que la violence peut-être progressive et partager... ?

Tu ne vois pas d'autres solutions. Tu ne pourras pas garder le lion en cage, c'est sans doute frustrant, mais tu as appris à accepter les faits. Tu pourrais le forcer à se faire chaton mais ça n'aurait aucun véritable intérêt. À trop vouloir contenir son entourage, on finit par le faire fuir. Et, surtout, il y a au fond de toi cette espèce d'excitation et de curiosité malsaine. Un amour atypique, qui brise les codes assimilés depuis l'enfance, la belle image du conte de fées auquel tu as eu si honte d'aspirer. Un amour adulte, parfois sale, parfois violent. Peut-être que se vous vous griffez avec passion, tu n'auras plus honte d'avoir autant (et encore) désespérée d'être aimée. N'empêche, tu as peur d'avoir mal. Tu laisses le tissu de la chemise de ton mari caresser le bout de tes doigts.

— Je ne veux pas que tu me casses. Mais tu peux me marquer, si tu veux.

Tu lèves tes yeux vers lui, le rouge aux joues, une pointe d'incertitude, comme-ci il y avait une honte à lui demander.

— Je veux te marquer aussi.

Tu veux. Tu veux. Tu veux. Le cœur un peu battant, les lèvres entrouvertes.

— Je veux... Que tu me laisses t'accepter.

Tu dois l'éduquer, mais tu veux aussi te découvrir. Tu serres un peu plus le tissu de sa chemise. Le corset qui met ta poitrine en valeur se soulève à mesure que tu respires.

— Je ne suis pas une gentille fille.

Tu veux être plus tellement plus. Tu glisses ta main contre ta hanche et soulèves le tissu de ta robe pour découvrir ta jambe. Sur ta cuisse est nouée une lanière de cuir dans laquelle est coincée ta baguette. Tu lèves les yeux vers lui. Tu l'as toujours sur toi. Tu sais t'en servir.

— Est-ce que tu me trouves vulgaire ?

Soudain, tu as peur te perdre tes titres de noblesse. Est-ce qu'il te trouverait laide si tu osais lui témoigner qu'en dehors de la famille et de l'amour idyllique, tu veux le piquant, le feu brûlant ? Est-ce qu'il ne deviendrait pas déçu ou lasse de ne plus te voir comme une figure digne et virginale ? De façon déloyale, tu guides sa main dans ton dos jusqu'au lacet que tu lui fais pincer et doucement tirer.

— Je t'aime.

L'étreinte de la robe se desserre. Tu soutiens un regard presque timide. Tu veux te faire lionne, reine mais douceur aussi. Tu veux être tout et tu as peur de le perdre. Entre vous ça n'avait jamais été que des suggestions et des promesses. Tu as peur que toi, dans toute ton entièreté, ne sois pas suffisant.