Il est de bonne humeur. Intéressant. Tu ne pousserais pas vers le charmant, mais tu avais anticipé un changement de masque autrement plus... Violent. Mais non. Alexander plaque encore ce sourire insolent sur ses lèvres, il observe comme un gosse en pleine chasse au trésor. Est-ce qu'il se fera monstre quand il en aura terminé ? Et tu te demandes pourquoi tu as accepté qu'il vienne. Curiosité malsaine ? Besoin de te conforter dans tes idées ? De te donner une excuse pour tout arrêter. Oh, mais c'était sans compter sur sa fine intelligence, à Alexander. S'il soupçonne cette éventualité, tu peux être certaine que jamais, au grand jamais, il ne fera rien pour te donner le courage de le quitter.

— Du thé, donc.

Tu tapes doucement sur ta paume et Nina arrive. Tu lui passes quelques mots. Du thé. Tes vêtements. La petite elfe hoche la tête, disparaît dans l'embrasure de la porte sans un regard méfiant pour votre invité. Un soupir. D'un geste de ta baguette, tu allumes la lumière, finis de te tirer ta fermeture éclair pour dénuder totalement ton dos. Tu lui laisses une seconde entrevoir ta peau avant de tourner vers lui. L'observe de bas en haut avec le dégoût qui te va si bien.

— Oh, et à quoi pensais-tu exactement ?

Nina revient, le service à thé flottant derrière elle et vos traditionnelles pâtisseries russes dans les mains. Elle pose le tout sur la table, tend une tasse de thé fumante en proposant sucre et miel avant de revenir vers toi. Tu te délestes de ta robe dans un soupir satisfait. La classe à un prix : l'inconfort. Le rituel est bien rodé et tu te refuses à faire d'Alexander une exception à ce quotidien si ancré. La petite elfe prend ta robe échouée à tes pieds et te tend une robe beaucoup plus légère et simple, presque semblable à un peignoir affreusement chère mais beaucoup trop ouvragé pour être autre chose qu'une tenue un minimum habillé. Tu la passes, libères tes cheveux de leur coiffure sophistiquée et prends le temps de te délester de tes boucles d'oreilles et de ton collier. Tu ignores superbement Alexander le temps de l'opération, comme-ci il n'était pas là, faisant de ton invité un voyeur malgré-lui, le positionnant volontairement dans la position de l'espion. Tu adresses un sourire à Nina, qui embarque tes chaussures en plus et là, seulement là, tu fais honneur à la présence de ton invité.

— Les hommes sont de piètres travailleurs, en général.

Tu viens t'étendre dans le large canapé en face de son siège, piocher un petit gâteau sur le plateau.

— Par ailleurs, tu perds ton temps, je ne laisse rien dans mes poches quand tu es dans les parages.

Tu lui adresses une parodie de sourire. Outre le thé, Nina a ramené cet alcool russe que tu aimes déguster le soir. Tu t'en sers juste un fond, viens faire tourner le verre dans ta main.

— Tu es de bonne humeur... Je suis surprise, j'avoue.

Tu embrasses la pièce du regard, fait mine de réfléchir avant de tremper tes lèvres dans ton verre.

— Dans la mesure où tu m'as pressé pour que notre entrevue ne se limite pas à la pomme d'or, j'aurai espéré que tu aurais des plans plus précis.

Tu le regardes, l'observes de nouveau.

— Mais pas de violence physique donc... Quel dommage, je suis très douée pour marquer la peau.

Tu poses volontairement tes yeux sur sa main meurtrie. Finis par les relever.

— Mais en théorie nous pouvons tout faire. La maison est grande, tu as l'air d'être le genre à aimer fouiller pour en tirer tes propres hypothèses. Faisons donc un jeu, Alex. À partir de ce que tu vois, tire des conclusions sur moi. À chaque bonne réponse, tu auras le droit de me demander une précision. En échange, tu me diras quelque chose de toi. Ton enfance, tes goûts, ton histoire, ce qu'il te plaît.

Tu tapes dans ta paume. Signe avec un sourire quand Nina arrive. Elle hoche la tête revient tout aussi rapidement avec un petit flacon entre les mains.

— Et pour que le jeu soit équitable et garantie sans tricherie, toi et moi allons prendre une petite dose de veritaserum. Sois content, Alex, je ne gâche pas mes réserves personnelles pour jouer avec n'importe qui.... Alors ?

Tu glousses, fausse innocence, fausse candeur. Il grommelle, fait bien moins le malin à présent. Tu masques ton sourire avec ton verre, ferme sagement les yeux en étendant tes jambes devant toi, féline.

— Il faut bien que je m'amuse aussi.

Tu bois ta part de veritaserum, preuve de bonne foi, mais seulement une fois qu'il a bu la sienne. Tu dois avouer être fière de coup. Mais surtout, tu dois avouer être curieuse de voir ce qu'il va ressortir de votre jeu. Tu hoches la tête, ignores son mécontentement. Tu sais qu'il ne sera que passager. Car il a beaucoup à gagner à jouer. Tu vous sais semblable, dans cette curiosité morbide et malsaine que vous avez l'un pour l'autre.

Ton regard dérive de lui au grand tableau qui domine le salon. Tu te glisses hors du canapé, marche, danse presque, pour te planter sur la pointe des pieds, devant lui. Tu effleures du bout des doigts la toile. Qu'importent les mensonges que tu aurais pu lui servir, tu sens tous les mots trompeurs se faire lourd et douloureux dans ta bouche. Preuve que la potion fonctionne bien. Alors allons-y pour la vérité.

— Hmm... Pour ne jamais oublier. L'amour a tendance à endormir le négatif pour survivre. Mais moi, je ne veux pas oublier le négatif.

Tu te tournes vers lui, tu sais qu'il ne se contentera pas de cette simple explication.

— Tu sais, je ne pense pas que toutes les femmes se valent. En vérité, j'exècre beaucoup de personnes dont je partage pourtant le sexe.

Toutes ces filles trop simples, trop heureuses, trop... Trop.

— Celles qu'on éduque comme "des filles" souffrent moins. Elles se contentent de ce qu'elles ont et pensent trouver là le bonheur parce qu'elles n'ont rien connu d'autres. Mais ça n'a pas été mon cas. Ils m'ont élevé comme ils ont élevé leurs fils. Ils m'ont fait croire que j'avais le droit et la force de prendre tout ce que je voulais prendre. Ils étaient fiers.

Un rire cruel.

— Alors quel choc se fut pour moi quand on m'a subitement demandé de rester dans l'ombre et de me concentrer à la sainte tâche de procréer. J'étais furieuse. Je trouvais ça cruel et injuste. Ils ont fauté. Ils ont eu tort de me dire que je pouvais tout avoir avant de tout me prendre. Alors j'ai décidé que je prendrai tout quand même. C'est trop simple de vous insuffler des rêves plein la tête pour vous dire ensuite qu'il faut arrêter.

Tu te glisses vers lui, viens t'asseoir sans la moindre gêne sur ses genoux, le regard toujours fixé sur le tableau.

— La rancune est comme l'amour, elle s'entretient. Voilà pourquoi ce tableau est là.

Tu tournes ton regard vers lui, viens glisser ta main sur son épaule.

— À ton tour, Alex. Raconte-moi donc ce que tu veux de toi. Mais attention, je veux que ce soit à la hauteur de mes propres confessions.

Ari. Le revoilà, le petit surnom doux qui avait quitté sa bouche pourtant depuis plusieurs minutes. Tu notes qu'il suffit d'un contact pour qu'il calme sa hargne. Bon à savoir. Tu ignores la main sur ta cuisse, pose ton coude sur ton épaule pour caler ta tête contre ta paume. Un sourire qui passe sur tes lèvres.

— Personne ne t'oblige à parler de ta famille.

Mais tu sais qu'il le fera. Parce qu'il le doit, parce qu'il te connaît, parce que tu ne te conteras pas d'une simple anecdote sur son poisson rouge, non. Et il est bon, Ariana, de forcer tout en laissant le choix. C'est insidieux, c'est le genre de finesse dont tu apprécies l'efficacité.

— Tu n'as pas envie de me dégoûter.

Tu souffles ça pour toi-même. Te décale un peu quand il se penche pour boire une gorgée de sa tasse, revient de remettre dans ton ancienne position dès qu'il t'en donne la possibilité. Et puis tu écoutes, sage, les révélations écœurantes. Tu te surprends à n'y ressentir aucun choc.

Ainsi donc maman était battue, papa était violent. Quand tu imagines son visage tu vois le sosie d'Alexander, les traits plus tirés par la violence. La pomme n'est pas tombée loin de l'arbre. Tu te demandes si cette pauvre femme savait dans quoi elle s'engageait. Il te révulse ce père que tu n'as jamais vu. Tu te demandes s'il lui a souri en toute connaissance de cause ou s'il avait cru sincèrement au bonheur. Tu te demandes si la noirceur est dans les gênes ou si elle vient après. Tu fronces les sourcils, pose ta main sur la sienne pour la détendre. Inutile de te planter au sang. Si c'est ça, tu iras te rallonger sur le canapé et le récompenser en prenant tes distances.

— Tu ne l'as jamais vu comme une figure respectable, donc. L'aimais-tu ?

Quoi que, tu te demandes s'il a seulement été capable d'aimer. Ah. Maintenant que tu le regardes, tu te rends compte, Ariana. Alexander est de ces hommes pourris dont on ne peut rien sauver. Mais tu fantasmes, malgré toi, un scénario dans lequel, voulant te pourrir plus encore, il te baiserait les pieds. Un scénario où cet homme dont l'enfance n'a été que sauvagerie serait forcé de jouer de douceur. Tu te promets, Ariana, que si Alexander de te donne pas ce que tu veux (et que veux-tu ?) tu le feras finir à Azkaban. Ça ne devrait pas être très compliqué.

— Tu te serais sans doute plus épanoui à Koldovstoretz. La violence là-bas fait partie des expériences qu'on tolère tant qu'on ne franchit pas une certaine limite.

Tu poses ton regard sur lui, viens doucement pianoter sur son torse.

— Ma mère... Très bien.

Tu lèves les yeux au plafond, prends le temps de réfléchir quelques secondes. Vous avez l'air d'un vieux couple qui se raconte leur journée. L'image est autant comique que terrible.

— Je ne la déteste pas. Elle est sévère, mais elle est aussi ambitieuse à sa manière. Je crois qu'elle était aussi heureuse qu'inquiète de mettre au monde une fille comme elle. Enfin, la tendresse n'a jamais été dans nos mœurs. Chez nous tout se méritait du moindre regard jusqu'au morceau de pain à table.

Tu lui souris.

— Je pense que tu l'apprécierais sans pour autant la trouver intéressante. Elle aime que tout soit à sa juste place. Elle n'irait jamais empiéter sur le territoire de mon père mais aurait la force de caractère de ne pas le laisser empiéter sur le sien. En revanche, je ne sais pas s'il t'apprécierait, elle. C'est que ton compte en banque et tes loisirs laissent à désirer si je me calque sur ses critères.

Tu te penches à ton tour, viens piocher un petit biscuit pour le caler entre tes lèvres. Tu laisses le sucre envahir ta bouche. Une sensation dont tu ne te lasses jamais.

— Tu es toujours en contact avec lui ? Ton père je veux dire.

Tu agites ton petit biscuit dans l'air.

— Tu parles de tes parents avec beaucoup de détachement. J'aurai tendance à dire que c'est parce que tu ne ressens rien pour eux, mais je peux me tromper.

Ton regard revient au tableau de ta famille. Que tu le veuilles ou non, il y a en toi plus d'humanité qu'en Alexander.

— Ils veulent que je marie. Que j'enfante.

Tu glisses un regard vers lui.

— Quelque chose me dit que tu t'ennuieras quand j'aurai trouvé quelqu'un digne de me passer la bague au doigt.

Tu ne dis rien. L'esquisse d'un sourire indulgent, tu le laisses t'entourer de ses bras, tu le laisses à son hilarité. Pourtant, ça brûle dans la gorge. Pourtant, t'as mal, Ariana. Il te fait m a l. N'a probablement aucune conscience de ses couteaux en forme de mot. N'a probablement aucune conscience de comment il te plante. Quelque part ça t'arrange. L'humiliation serait plus terrible encore. Tu retiens ta main, la retiens sur son torse, pour ne pas te trahir, pour ne pas la voir échouer sur ton ventre. Un geste réflexe honteux que tu peines à refréner à mesure sur le temps avance. Et tu te hais, encore plus que tu le hais lui. Si seulement tu étais ce cliché, Ariana. Si seulement tu étais constante et logique dans ton personnage. Ne pas être une bonne épouse te passe encore. L'amour n'est pas romantique, l'amour est changeant. Mais qu'on te mettre aussi violemment dans la face que tu ne seras jamais une mère capable te retourne l'estomac. Pourtant tu as toujours tout fait parfaitement. Pourtant tu es mieux que ta mère, mieux que toutes les mères que tu as rencontré jusque-là.

— Koldovstoretz, mon ange, ce n'est pourtant pas si compliqué.

Tu soupires, profites qu'il t'ai piqué ton biscuit pour te pencher et en reprendre un autre. Toute en tension. Si Alexander avait été quelqu'un d'autre, s'il avait été à tout hasard un Silas tu aurais pu montrer ta frustration. S'il avait été une Lune, tu aurais pu peut-être même lâcher quelques larmes furieuses. Mais tu ne peux pas. Sans le mensonge la seule arme qui te reste pour te protéger de lui c'est ton calme. Alors tu respires, fait semblant. Face à sa beauté insolente et son mots piquant tu ne peux pas craquer. Fermes yeux, comme-ci tu savourais la caresse de ses doigts sur ton dos. Ferme les yeux pour reprendre ton calme.

— Je vois.

Il va falloir que tu changes de sujet. La discussion aura été bénéfique mais elle te coûte trop. Réveille des peurs aussi irrationnelles que celles des petites filles et ça malmène tes fondations. Et tu ne dois pas. Tu ne veux pas. Non, sous aucun prétexte tu ne veux lui laisser le loisir d'agrandir tes failles.

Mais il est gourmand, Alexander.

qui voudrais de toi

Tu encaisses. Calme. Non, il ne gagnera pas. Pourtant, tu te sens brisée, assaillis par le doute soudain. Tu veux la gloire, tu veux la force, tu veux la victoire. Tu veux l'amour, tu veux ce petit être dans tes bras, tu veux ce ventre rond, tu veux ressentir cet amour que tu fantasmes, qu'ils te vendent tous. Mais qui voudrait de toi ? Tu as rejeté Silas par peur et il a sauté sur l'occasion. Oh, non,tu ne dois pas lui en vouloir. Pourtant qu'il ne pleure pas ton départ te met soudain hors de toi. Les hommes qui t'ont donné de l'importance n'ont été que des histoires courtes, sans avenir, où il n'était question que de brûler la chandelle par les deux bouts. Est-ce que tu es condamnée à ça, Ariana ? Tu prends le temps de sourire, douce, dangereuse. Viens caresser sa main du pouce. Il t'a meurtri et tu as envie de le tuer pour ça.

— Dois-je en conclure que tu es le seul à avoir la capacité de ne pas me décevoir à défaut d'être parfait ?

Tu lui en veux. Il ne peut pas comprendre. Il se moquerait. Te prendrait de haut plus que quiconque. Le jeu prendrait fin. Tu le perdrais. Alexander te mépriserait à te voir caresser avec tendresse ton ventre. Une partie de toi se dit que ce ne serait pas à un mal. Seulement, il t'a blessé, c'est intolérable.

— Toi qui est si clairvoyant, dis-moi, dis-moi comment vois-tu mon bonheur ?

Avec qui ? Avec quoi ?

— Et je t'en prie, ne prends pas le mot bonheur au pied de la lettre, nous savons très bien de quoi nous parlons.

Il te fait glisser avec la délicatesse d'un amant. Tu prends place sur le fauteuil, trône, impérial, alors que tu l'observes du coin de l’œil parcours la pièce.

— Tous le monde en a, non ?

Tu viens poser ta tête au creux de ta paume, croises lascivement les jambes. Tu l'imagines, oui, figé face aux morts. Comme ça doit être grisant pour lui de voir des muscles en action. Tu imagines, aussi, à quel point cela doit être épuisant. Tu souffles doucement du nez. Clairvoyant, oui. Analyste, certainement. Alexander ne s'est jamais sous-estimé, c'est une qualité qui t'agace autant qu'elle te plaît. Et puis vient sa sentence alors qu'il s'agenouille.

Tu ne seras jamais heureuse.

Sa joue posée contre ta cuisse. Étrange, comment tes doigts viennent tendrement masser son crâne alors que ton regard, lui, vomit des flots de haine et de mépris. Tu le détestes. Lui et ses images. Lui et son récit qui sonne bien trop juste pour être faux. Tu détestes l'avenir qu'il te dépeint. Tu détestes qu'il rende le rêve fade, presque cauchemar. Alors que tu le veux, tu le veux tellement. Ce ventre qui se gonfle, cette vie entre tes bras, le cœur qui s'emballe. Pourtant, tout est si froid. Tu te souviens qu'un homme avait dit, une fois, que tu n'aimais que toi. Mais c'est faux. C'est faux, n'est-ce pas ? Tu aurais tant d'amour à donner. À lui, ce petit être béni. C'est faux, c'est faux, il a tort. Ses lèvres sur ta peau, tu frisonnes. Pourquoi ne pourrais-tu pas te contenter de toi-même en enfantant ? Pourquoi ne pourrais-tu pas être l'individu en te mariant ? Ton regard aussi tranchant qu'une lame.

— Se satisfaire soi-même, tu dis...

Et soudain tu veux le ravager. Tu veux le réduire à l'état de simple outil. Son regard impertinent, son ton condescendant, son esprit si clairvoyant. Et tu as l'envie soudaine, Ari, de le rendre dépendant pour qu'il ne puisse plus jamais se satisfaire que de lui. Si le bonheur t'est refusé alors le sien... Haha.

— Alex...

Tu te penches en avant, glisse un doigt tentateur sous son menton, pour relever sa tête. Un sourire tendre (dangereux) à tes lèvres.

— Serais-tu disposé à m'apprendre ?

C'est décidé, Ari. Tu vas rendre cette immondice accro. Tu vas l'asservir à le rendre fou et tu le jetteras quand viendra un homme capable de te mettre la bague au doigt. Tu le réduiras au silence en l'assourdissant de ce bonheur qu'il pense que tu n'auras jamais. Tu lui imposeras la magnificence de ta descendance et le rayonnement dû à ton triomphe. Car tu seras la mère, l'épouse, la reine, la femme, la grande, l'impitoyable, la puissante, la politique, l'adulée. Et lui. Lui, seuls ses cadavres iront lui tenir compagnie.

— Qui sait... L'expérience pourrait te plaire. Je suis sûre que tu es du genre à aimer les écolières.

Tu t'approches, imposes qu'il se redresse alors que tes lèvres frôlent la commissure de ses lèvres.

Tu vas le réduire en esclavage.

Fou, hilarité dans sa bouche, hilarité dans ses traits. Il plonge à ta nuque, le goût de ses lèvres toujours sur les tiennes. Des airs d'enfants, soudain. Tu l'observes et tu te dis qu'il est dérangé. Tu l'observes et tu te dis que sa réaction n'est pas si déplaisante que ça. Alex et son rire enfantin, la folie dans ses yeux, c'est presque candide et tendre. C'est presque trop facile. Tu voies ce soir beaucoup trop de failles que tu peux exploiter. Ah. Non. C'est mauvais.

Il passe derrière toi, masse tes épaules avec une délicatesse qui te fait hausser un sourcil. Tu tapotes l'accoudoir du bout des doigts... Non, tu ne lui as pas demandé ça. Mais tu tais la remarque, consciente que la vérité pourrait mettre fin à cette euphorie dont tu apprécies un peu trop les bienfaits. Tu crois que l'enfant d'Alex est bien le seul que tu ne voudrais pas porter. Comment élever un enfant doté d'un père pareil ? Non, ce serait vicié depuis le début et de trop mauvais augure. Non, il te fallait un partenaire digne de ce nom. Cet enfant, quelques qu'ils soient, se devait d'avoir un bon départ. Mais puisque qu'il veut fantasmer, tu le laisses faire. Tu contentes de lever la tête, de l'observer à travers les mèches rosées qui glissent de ton front.

— Et toi, en as-tu seulement conscience ?

Tu te lèves, féline. Glisse jusqu'à un tiroir pour en sortir un petit nécessaire de couture. Viens délicatement sortir une aiguille avant de te piquer volontairement le doigt sans plus de cérémonie. Il a raison, Alex, le jeu est dangereux. Pourtant c'est bien la première fois que tu le sens plus proche que toi de craquer (est-ce vraiment le cas ?). Tu as l'envie irrépressible de le consumer, Alex, de le faire tien. L'envie de dominer, comme pour prendre une revanche, comme pour te rendre justice. Mais surtout, l'envie de dominer parce qu'il n'y a rien de plus stimulant et grisant en cet instant. Il est rare, Ariana, que tu aies le sentiment de jouer à arme égale avec quelqu'un. Et aussi fou que ce soit, Alexander est peut-être le seul homme au monde à se faire adversaire digne de toi.

Tu t'approches, à ton doigt perle le sang. Tu poses sans la moindre hésitation le doigt rougi sur ses lèvres. Condescendance dans ton sourire quand tu murmures.

— Tu parles beaucoup trop.

Tu hausses un sourcil, penches élégamment la tête.

— Cela te surprend ? Je suis pourtant connu pour être généreuse.

Tu appuies ton doigt un peu plus fort. Oui. Oui. Oui. Oui. Oui. Tu seras cette muse dont il sera obsédé. Tu vas gagner.

— Tu vois, je crois que je peux tout te prendre, cœur, corps, tout. Parce que tu as compris ce soir que tu ne trouveras jamais meilleur que moi.

Il fait de ton sang la peinture et de sa bouche un pinceau. Tu fermes les yeux, laisses ses lèvres décorées de rouge ta peau délicate. Ah, le jeu dangereux semble avoir pris un tournant particulier. C'est trop bien ancré, désormais, qu'il n'y aura pas de retour en arrière. Tu en as peur, mais tu n'as jamais été une petite joueuse. L'appel du gain est trop fort, trop attrayant pour que tu aies le courage d'arrêter. C'est tellement plus simple de se laisser happer.

Un rire cristallin, son front contre le tien.

— Tu ne veux pas de lit, mais tu veux m’amener dans ta chambre. Alex, voyons.

Indulgence méprisante, alors que tes doigts, poser contre sa nuque caresse lascivement sa peau. Tu hésites, pourtant tu sais déjà au fond que tu es allée trop loin pour avoir la sagesse de te retenir. Tu considères, pourtant tout est déjà considéré. Tu ne fais que retarder l'inévitable, autant pour le torturer lui que te torturer toi. Après tout, tu aimes te sentir désirable.

— Tu parles vraiment trop.

Tu poses tes lèvres sur les siennes, glisse tes doigts à l'arrière de sa nuque pour l'empêcher de se dérober à tes baisers. Tu l'embrasses, fièvre dans le corps, fièvre dans la tête, presse ton bassin contre le sien. Ta bouche avide qui le cherche, qui le goûte, il te semble que cela fait bien longtemps que vous avez lancé les hostilités dans ce seul but. Le souffle court, tu te dis que la chambre n'est pas loin, que tu pourrais le pousser un peu plus. La perspective de vos corps qui se lient et tremblent réveille en toi une envie profonde et difficile à contenir mais tu te fais violence. Tu veux le rendre fou et tu crains qu'à te consommer tu ne perdes le pouvoir qu'il t'a donné. Alors tu romps doucement le baiser, papillonnes adorablement des yeux une seconde. Tu le goût de ton propre sang dans la bouche.

— Maintenant va.