l’humeur maussade prend ses racines dans le ciel couvert qui voudrait renoncer à ses éclats de soleil sans pourtant y parvenir. entre les nuages se battent quelques lueurs pour donner un peu d’or à londres, mais rien d’assez luisant pour attirer les yeux d’alexander, plus habitué à chasser dans l’ombre.

mais chasser quoi ?

quand son coeur le suppli d’être lâche et de rejoindre la femme qui ne jure que par la domination, son âme le torture, lui inflige d’être de ces hommes qui gardent ranger dans un coin de tenebre le moindre sentiment trop tendre. il a beau panser ses fantasmes en se jouant de croyance, comme si son existence pouvait absorber celle d’une autre… quand dans ses yeux il espère se noyer il se souvient, à chaque instant,

que s’il devait mourir il voudrait que ce soit ses yeux à elle, qui le défient.

toutefois il lutte. pose à côté de ses affaires le peu d’amour malformé dont il est capable, s’habille de ses ruses et de sa bêtise pour en enrouler plus d’un ; aujourd’hui il rejoint quelques vieilles connaissances qu’il s’interdisait de rencontrer plus souvent qu’une fois par an. ce genre de banalité n’était pour lui qu’un exercice pour se muer, parfait pion de la société.

véritable bonheur accroché à son visage tel un masque qui se refuse de l’abandonner, il erre au chemin de traverse comme guidé par la perspective d’une bière après quelques emplettes, s’il sait encore écouter ses camarades de promenade il se souvient que l’un des trois s’est promis de trouvé un cadeau pour sa femme.

entre deux moqueries son regard parcourt l’horizon, sa grandeur lui offrant tout le bon plaisir d’admirer le bon peuple qui aimait se perdre comme lui. quand elle se démarque,

au milieu de tous. s’il pouvait vomir son dégoût pour l’intérêt qu’il lui porte alors il n’aurait plus que de la bile pour tenir sa journée ; mais malgré lui son ventre se noue, et la surprise le fige.

« ta femme te fait cocu, et on l’a tous deviné sauf toi. » sa parole s’échappe et son corps en fait de même, alors qu’il quitte son groupe qui, choqué, ne dit mot, tandis que d'un bras tendu il fend la foule pour le mener jusqu’à elle.

droit sur son passage il fait barrage, et sans expliquer son apparition il sort de sa poche sa baguette, qu’il laisse tomber au sol. le bruit du bois contre le sol n’est rien dans le bruit environnant des pieds qui tapent les galets de ces rues. mais pour lui ça sonnait comme un abandon atroce.

ce n’était pas la première fois qu’elle était apparue. mais jamais elle n’avait cédé à le rejoindre. jamais. et s’il savait qu’il ne vivrait pas pour toujours, il savait aussi qu’il ne lui resisterait
jamais.

« j’attendais tes excuses en courrier, en tête à tête, que tu en pleurs ou que tu en ris, que tu le penses, ou non. j’ai attendu ariana peut être avais-je encore trop de respect pour toi. comment vis-tu ton quotidien d'agresseur ? les remords te sont confortables la nuit ? je pourrais te tenir plus chaud. mais tu n’as jamais pensé que je puisse t’accompagner toute une nuit, pas vrai ? ou peut être dans une niche. »

c’était la colère d’avoir abandonné son ego qui crachait ces mots, quand tout ce que ses yeux disaient
tu m’as manqué.

elle commande, presse un doigt contre ses lèvres, et sans magie ni parole le silence s’invite dans sa gorge alors il se tait, selon sa volonté suprême. tant qu’elle lui fait fasse il ne peut avoir honte d’être réduit à si peu, mais il sait par avance qu’à son départ il lui faudra bien des violences pour se sentir homme à nouveau.

mais pour l’instant c’était un chien.

l’horrible baiser pour le féliciter d’être à ses pieds, ou pour le punir d’être revenu trop tard ; il hésite mais il est sûr qu’elle est toujours aussi douée pour marcher sur les limites de ce qu’ils devraient oser l’un pour l’autre.

la différence seulement, c’est qu’alexander lui ne sait plus vraiment où se placer, quand arrêter, ou quoi tenter. trop d’ardeur et c’est la folie qui le cueillera, pas assez et c’est l’ennui qui la séparera d’elle.

à sa question il comprend qu’elle lui somme de parler, se doit-il alors d’être concis ?

« non. »

mais c’est impossible de faire court.

« tu étais tout le temps avec moi tu sais. » il tapote sa tempe avec son index, l’air amusé. « pourquoi aurais-je envie de revoir la petite bourgeoise qui a pointé sa baguette sur moi ? »

c’est qu’il crève d’envie d’hausser le ton pour que les oreilles indiscrètes se délectent de ces détails, mais malgré la foule qui les bordent c’est comme s’il gardait cette conversation intime pour eux. il s’approche alors d’un pas, laissant ses mains caresser les épaules d’ariana pour se figer finalement sur ses bras.

« je t’ai vu te promener bien des fois et à des heures des fois questionnables, mais j'étais inquiet, tu comprends. quelle chance de tomber sur toi dans un endroit bondé, pour une fois ! qu’est-ce que je risque ? que tu marches sur mon pied ? »

il la lâche, rangeant ses mains derrière son dos pour se préserver de plus de contact. il ne suffirait que d’un regard alambiqué, que d’une parole obscène : un simple mot et il pourrait la tirer dans les méandres de ses vices pour laisser la terreur les gouverner sans plus jamais se retenir. c’est en tout cas là l’étendu de sa gourmandise qu’il contient dans un sourire forcé, débordant d’une politesse acerbe.

mais comme ses tirades qu’il ne peut laisser mourir dans un mutisme, il y a ce désir de la toucher qu’il ne parvient pas à réfréner. alors du bout des doigts, comme un enfant timide, il revient effleurer ses bras, cherchant à rejoindre sa taille. ariana douce ariana, en la redécouvrant si lentement au milieu des pas lourds et bruyants de tous ces autres qui ne savent prendre le temps de l’admirer, il se souvient, s’interdit.

cette femme si parfaite aura toujours assez d’égocentrisme pour se refuser à lui et il doit procéder avec, sans en perdre la tête. c’est ainsi que la vie le torture, mais c’est ainsi qu’il sait qu’il se tient encore droit sur le chemin de sa mort.

« es tu seulement un peu heureuse de retrouver ton clébard , princesse ? »

ou doit-il disparaître pour la traquer dans l’ombre ? est-ce que tout est mort, entre eux ? une négation de sa part et c’est leur tombe qu’il s’en irait creuser dans ce silence qu’elle préfère tant.

« que jamais je ne te ferai de mal. », voilà qu'il aboie sans avoir pris le temps de réfléchir. et comme ses mots ne savent se promener qu'en troupeau, il ajoute ; « jamais je n'ai levé ni ma main ni ma baguette sur toi. la seule douleur que j'ai pu te donner je l'ai toujours laissé te séduire, le commun des mortels appelle cela plaisir. les griffures, les mordillages. c'est juste de la tendresse avec un peu de sang. »

sa main liée à la sienne il a le cœur qui bat fort, parce que ça fait longtemps ; parce que personne d'autre qu'elle ne pouvait lui offrir ce toucher si délicat qu'il en est immonde car il retient sa violence. pourquoi toute cette douceur ariana ? il aurait mordu ce pouce qui caresse sa joue mais le bruit des pas avoisinant le ramène à cette réalité déconcertante : cette société est prude. en dehors de quatre murs la pudeur des autres les protège. il s'imagine chez elle ou chez lui, — quoi qu'il ne l'amènerai probablement jamais chez lui, sa main oh a sa peau douce et si claire déjà entre sa mâchoire il aurait croqué ses doigts avec amour elle n'aurait pas gémit, peut être seulement grimacé ? les bibelots sur le buffet du salon, renversés au sol, d'un revers de main à peine enragé juste impatient, il aurait pu la tenir contre lui, se lover contre elle pour en apprécier sa chaleur… elle aurait sûrement planté ses ongles partout sur lui, pour le marquer, pour qu'il n'oublie jamais (il ne l'oublierai jamais) qu'il lui appartient. mais il soupire ; car cette vision fugace pourrait durer des heures mais dans sa tête elle n'existe que pour quelques secondes.

que pouvait-il faire, alors ? figé face à elle il se demande même comment elle pourrait bien interpréter ses inactions. mais bon sang, qu'est ce qu'il voudrait la mordre.

« dis moi que tu es désolée. dis moi ça et j'aboierai ce que tu veux. j'ai besoin de savoir si tu joues au même jeu que moi ou si tu te défends simplement. je n'ai jamais eu peur de toi ariana parce qu'en plus de ne pas avoir peur des femmes de manière générale, j'ai toujours cru que nous nous cherchions avec amusement. mais ce soir là, tu avais… cette rage… et je me suis retenu de te mettre en cage — oh mon dieu. que j'aurai aimé t'avoir dans une cage après cela. mais je me suis retenu ; parce que je savais que tu regretterais. alors, regrettes-tu ? »

de toute sa froideur quand bien même il a laissé parlé ses désirs de l'avoir pour lui tout seul, il a déversé pour elle la profondeur de sa crainte ; celle de n'être qu'un chasseur pour elle. quand toutes leur entrevues lui paraissait romantique pourquoi avait-elle subitement eu peur ? comment pouvait-elle croire qu'il voulait voir l'effroi dans ses yeux, quand le désir était leur essence.

alors tant qu'elle n'aura pas dit pardon il ne lui offrira plus que cet alexander mort. celui qui ne joue plus de peur qu'elle ne le craigne plus ; celui qui en n'exprimant pas ses désirs profonds ne pourrait lui glacer le sang. celui qu'elle n'aimera jamais.

elle le dit, le concent, l’avoue : chantent dans ses oreilles comme l’absolution. mais il n’est pas le seul qui jamais ne parvient à faire taire sa parole quand elle veut tout donner, alors elle ajoute : que c’était nécessaire, presque légitime, finalement. mais ça, il ne l’entend pas. non ça résonne encore dans ses tympans, sa douce voix qui admet le regret, qui lui dit sans vraiment le confesser que leur jeu n’a jamais pris fin. il sourit, hébété, trop gâté d’un coup, par ses dires, par ses ongles qui marquent d’eux-même la fin de leur pause. c’est beau de la revoir enfin, sans se cacher. c’est beau, il pense, muet, sourds à ses propres songes : c’est beau de l’aimer.

ça n’a rien à voir avec la violence que croyance lui inspire non, de simples conversations avec elle suffisent à faire battre son coeur, il se dirait même qu’il n’a pas besoin de sang quand elle est si jolie simplement vêtue de culpabilité, mais il étouffe un rire - non du sang il en aura toujours envie. morte ou vivante. morte ou vivante, ariana.

et en te tirant ailleurs elle t’extirpe aussi de cette idylle qui n’existe que pour toi. tu te laisses emporter, un regard contrarié pour ta baguette qui finit bousculée par les passants ; « ma baguette… » une pointe de tristesse dans la gorge et ta voix se brise, on y entend la peine, le deuil qui doucement s’apprête à lui nouer l’estomac.

mais ses yeux par automatisme (par amour) finissent inlassablement par retomber sur sa tendre, et trop obsédé par elle il n’entend pas les premiers éclats de voix qui se moquaient d’elle.

mais obéir ? à quoi ? il la décortique, rêverait que ses mains l’accompagne dans cette tâche mais un coup d’oeil à son visage et il croit comprendre qu’elle craint pire que lui, alors il écoute ce qui se dit, façonne un puzzle sans difficulté tant les détails fusent pour la couronner reine de la détresse de deux parents.

puis elle serre sa main. il ne parvient pas encore à dire quoi que ce soit ; des fois les bons mots ne viennent pas aisément. sa main libre ne risquant pas l'hémorragie, il est venu la poser sur ses cheveux soyeux, se délectant de ce toucher dont il crevait tant de sentir à nouveau. chaque seconde le tirait vers l’envie, chaque minute de retenue vers l’explosion. après tout ce temps ariana après tout ce temps pourquoi ne se contenter que de ça ? sans expression ses lèvres se tirent une seconde, mais le sourire ne parvient pas à tenir contre ses pommettes. alexander n’a pas faim de bonheur mais il a faim d’elle et aujourd’hui il sait que la colère de sa compagne les frustera tous deux.

comment pallier ça ?

« ariana épouse moi. » glisse cinq doigts du sommet de son crâne à sa joue si douce. « je manipule des cadavres tous les jours, je peux en faire disparaître un, trouver le nom d’un homme qui plaît. je peux le devenir. jouer la comédie. ça ne marchera jamais ariana pour alexander alors laisse moi jouer la comédie ; que je puisse y goûter : à un avenir avec toi. » c’est comme avoir deux vies, finalement. elliott lui avait appris. ça n’a pas l’air bien compliqué. anderson pour lui, thompson pour elle ou qu’importe. « je peux me faire pardonner, je peux te sauver. »

embelli soudainement d’un bonheur rusé, ses yeux s’illuminent, le sang coulent dans la paume de leur main mais contre sa joue lui il est encore si doux, si tendre,

car il a comprit. en l’abîmant elle ne ferait que s’effriter pour lui disparaître.

il attendrait, alors. qu’elle lui demande. comme ses ongles qui s’étaient immiscés dans sa chair avant qu’elle ne le lâche : c’était une requête, pas vrai ? c’est pour ça qu’il se tentait à devenir le bon gendre. c’est ce qu’il crut entendre, dans un murmure. sauve moi.

et c’était bien la seule pour qui il essayerait.

tout est sourd, pourtant en plein saccage. se battent à l’intérieur de lui le chaos et l’ambition : comme un avenir heureux qui croit enfin effleurer le possible, mais inlassablement ébranlé par la mort qui s’impatiente. alexander chaque jour c’était le dilemme d’y croire ou d'admettre que rien ne le sauverait — c’était marcher, silencieux, se laisser bercer par les cris de deux tiraillements qui lui implorent : tu mérites. mais quoi ?

la vie, ou la mort ?

ses mains à la tombée de la nuit, peintent de sang il a volé des centaines de derniers souffles. pourquoi le sien pourrait être apaisant ? dans les yeux d’ariana se trouvaient toujours, contre vents et marées, qu’elle le cherche ou qu’elle le chasse : la perspective de quelque chose de plus beau que le chaos.

serait-ce alors l’amour ? peut-il le dire sans que sa langue ne fourche ? laisser sa pensée timide mettre des mots fragiles sur un sentiment qu’il se pense capable d’étouffer en une seconde ? peut-il la tenir contre lui, sincèrement, sans se jouer de ces situations qui se rient d’eux ?

serait-il un jour capable de se moquer du monde bien plus que le monde ne se moque de lui ?

quand elle le questionne autant qu’il se questionne, il répond, sans une réflexion sur les questions, quelques « oui. » à chaque interrogation, jusqu’à ce que sa main ne soit contrainte de tâcher la robe qu’elle porte, si sublime.

il baisse ses yeux, la parole en suspens. oui ? mais que serait-il, cet enfant anderson ? aussi foutu que le reste de ses hommes ? et si c’était une petite fille ? grandirait-elle dans l’ambition des lantsov ? le doute mérite-t-il qu’il joue le jeu ? que fera-t-il du petit s’il perdait le pari ?

faudrait-il s’en débarrasser ? lui laisser une chance ? disparaître lui-même pour tenter de duper la mort ? qu’elle le suive lui dans sa cavale et pas ce gavroche qui ignore tout du chaos ?

les questions se chevauchent s’entassent se brusquent et il n’y trouve que du boucan, incapable d’entendre la moindre réponse, mais son visage mime pour lui : non. d’une lenteur qui l’expose, empli de doute. est-il en train de remettre en question ses principes pour un mariage ? alors c’est vrai, c’est l’amour, finalement, qui rend fou ?

« je peux jouer le rôle du père si tu me le demandes, mais je ne le serais pas. »

un froncement de sourcil et soudain une interrogation se fait plus criarde que les autres. il ose alors poser les termes de son marché :

« et toi ariana ? » il déglutit, fait un pas de plus vers elle. « tu peux partager ton lit avec un homme qui rentre tard, après avoir chassé pour le plaisir ? tu peux regarder ton père dans les yeux, dire que tu es heureuse de ce mariage ? porter un enfant neuf mois et le laisser dans mes bras, sans crainte que je ne lui fasse du mal ? aimer l’homme que je suis en public, sans détester celui que je suis avec toi ? » sa main quitte sa robe, alors il glisse doucement ses ongles contre les bras de son rêve.

« accepter que j’essaye, entendre que je puisse échouer ? »

il voudrait sourire mais quand ses lèvres se courbent, ses sourcils se froncent, trahissant la crainte qui l’habite à cet instant.

« tu épouserais l’homme que je peux incarner, ou tu m'épouserais moi ?

ne pleure pas. »

qu’elle ne laisse pas couler sur ses joues la peur, le doute. qu’elle soit dure, fière, sûre. douter ne leur est pas permi à cet instant.

ses yeux trahissent la surprise quand lui reste noyé dans le sérieux. dans ses songes défilent trop d’histoires qu’il ne se croit pas capable de vivre sans les teinter de sang, et pourtant quand ariana entre dans le cadre de chacune d'entre elles, soudain c’est le calme. dans les ténèbres il y a un éclat de lumière, fragile, mais il se sait, se connaît. il lui suffit de mettre la main dessus pour retrouver les méandres de ses cauchemars les plus sublimes. même ariana ne pourrait faire disparaître les ombres de ses vices, et dans la vallée de ses plaisirs il n’y a véritablement aucune place pour le correct. il déglutit, entrevoit la perspective d’un avenir à la fois radieux, mais sanglant.

quand elle s’élève, faisant danser ses doigts contre sa peau, il oublie tout, lui pardonne même d’effacer ses pensées. ses lèvres frôlant les siennes, son souffle pour combattre le sien, il chuchote, comme un aveu dont il aurait honte, mais qu’il n’a jamais caché :

« c’est moi. »

alors ses mains viennent tenir son visage près de lui pour qu’elle ne s’échappe pas, tachant sa joue de son sang. il concède, se penche un peu pour qu’elle n’essaye pas trop fort. c’était un peu de lui pour lui prouver avant même le début, qu’il ferait tout pour elle. obéissant comme à son habitude, il ne trahissait pas leur quotidien de conflit en résistant quelques secondes, caressant ses lèvres des siennes avant de lui donner ce qu’elle avait commandé.

peut-être ce baiser servirait-il à sceller les mariés ?  

il se sépare d’elle, pourtant sans la lâcher. ses yeux ouverts qu’il s’était refusé de fermer tout du long, attendent qu’elle se perde dans son regard. dans cette parenthèse

« alors tu épouses alexander louis anderson ? tu laisseras mon nom tenir compagnie au tien ? il faudra que tu m'éduque, ariana. que tu m’apprennes comme à un ignare, ce que je fais seul : comment le faire à deux. tu me diras stop si souvent que bien des fois tu n’auras même plus la force de le crier. je ne sais pas te toucher sans ne pas te marquer. je ne sais pas être avec toi sans faire le coq. je ne sais pas ce que je te dois, ce que je dois te dire, ce que je dois encore pouvoir te cacher. »

pour accompagner ses mots, il a laissé ses mains saisir les avant-bras de sa tendre, pour les tirer derrière lui, qu’elle installe ses poignets contre ses épaules, qu’elle lie ses mains contre sa nuque. qu’elle se niche, dès aujourd’hui, contre lui, tant qu’il se sent encore chaud, encore vivant, encore pantin de cette société qui se moque de sa déchéance. qu’elle profite.

« tu accepterais tout ça seulement pour survivre à ton père, ou bien l’as-tu toujours souhaité par amour ? »

qu’il profite.

elle le dit. de sa voix qui vient chanter dans ses oreilles le détail le plus précieux de sa vie ; il déglutit, et ses yeux deviennent ronds. ariana sasha anderson. ce nom reste coincé dans sa tête alors qu’elle s'évertue à le faire frémir un peu plus encore, de par ses mots plus sincères que les précédents, de ces vérités qui se cachaient derrière leur quotidien depuis le tout début.

il se souvient une seconde, de la première fois qu’il l’avait découverte. petit bonbon qu’il a remarqué à ce congrès ridicule, quand la politique le faisait rêver. c’était elle parmi le monde, elle seule pour capter toute son attention. pauvre femme entourée d’homme, comme une souris au milieu des chats. mais jamais elle ne s’est cachée ; jamais ce soir-là ne s’est-elle laissée apeurer par les félins. lui le savait depuis ce premier instant — elle était la proie qui le ferait courir jusqu’à sa fin.

alors était-ce sa fin ? ses ongles contre la peau de son cou, il inspire comme son premier souffle. c’est bien réel et il n’est pas installé dans sa tombe.

elle avait tort. elle avait toujours eu tort, elle avait toujours menti. elle avait dit tant d’horreurs, elle l’avait même maudit pour être sûre que jamais son âme ne trouve le moindre réconfort : son horrible mère lui avait toujours souhaité solitude et abandon. et s’il devait crever dans une mare de sang,
jamais n’avait-elle expressément dit

qu’il ne manquerait à personne.

la tristesse le comble, écrasant la timide joie qui lutte pour se faire une place dans les expressions de son visage. il l’embrasse, d’une rapidité qui tue l’instant.

« je te retrouve ce soir, ne pars pas te coucher sans moi. »

et dans la hâte ses mains viennent défaire les siennes, alors il s’élance dans la foule, ne se laisse retenir ni par elle ni par ses amis, ignorant même que sa baguette, gravée de son histoire, ne sera plus qu’un bâton abandonné dans la ville.

pour le moment il eut plus important que n’importe qui, que n’importe quoi
il lui fallait

retrouver sa mère.