Tu hoches la tête. L'important étant que Sainte-Mangouste soit au courant pour le prendre en charge à votre arrivée. En plein milieu d'une rue moldu tu es pieds et poings liés. Thursday sait de quoi on parle, la loi est son domaine (au même titre que la langue des signes visiblement). Vous emportez Leslie dans une rue isolée. Tu vérifies qu'aucun regard indiscret de ne vous suit et d'un hochement de tête pour dire à ton frère que la zone est sûre, tu agrippes son bras et l'épaule de Leslie et vous transplaner.

Vous débarquez dans le hall une poignée de seconde plus tard. Une infirmière accourt vers toi en expliquant avoir reçu un appel de ton téléphone. Tu hoches la tête, désigne Leslie dans les bras de ton frère du menton.

— Apportez un brancard. Je le veux dans ma salle de consultation immédiatement. Préparer une décoction d'achillée millefeuille pour la douleur.

Tu tournes des talons faits un pas dans la direction de Leslie avant de t'arrêter.

— Le docteur Asenov a été prévenu ?
— Non pas encore docteur Stuart...
— Épargnez-vous cette peine pour le moment. Je le ferai.

Tu reviens à la hauteur de ton frère et de Leslie. Tu n'oublies qu'il y a moins de deux minutes, vous étiez prêt à vous étriper.

— Je vais prendre le relais. On va l'amener pour qu'il se repose et lui donner de quoi soulager et prévenir la douleur.

Tu regardes ton, désormais, patient. Tu te doutes qu'il ne va plus pouvoir parler de la journée. Tu espères que ce n'est pas définitif. Tu penses que non. Il avait parlé d'un quota journalier.

— Asenov n'a pas encore été mis au courant. Je ne le ferai pas sans votre accord. Vous allez venir dans ma salle de consultation, vous pourrez vous reposer là-bas en toute discrétion.

Le brancard arrive, tu le fais asseoir dessus. Tu sors ta baguette pour le guider. Tu regardes ton frère, l'envie de lui cracher qu'il peut maintenant s'en aller, que, pour une fois, son domaine de compétence s'arrête ici et qu'il n'y a pas sa place. Les mots te brûlent sur la langue, mais tu ne dis rien.

— Si tu veux rester le temps de ta pause, il y a des sandwiches disponibles à la cafétéria des visiteurs. Tu sais où ma salle se trouve.

Balancé d'un ton bourru. Tu uses de ta baguette pour guider le brancard jusqu'à l'ascenseur. Tu ne regardes pas si Thursday vous suit, va d'abord se chercher à manger ou décide de partir. Tu rentres dans l’ascenseur, appuies à ton étage. Ton attention toute portée sur Leslie et ton cocktail acide de colère et de culpabilité.

— Je suis désolé.

Pour lui et seulement pour lui.

Tu ne relèves même plus les signes. Tes explosions sont aussi destructrices qu'elles sont rapides. Et comme à chaque fois que tu sors de tes gonds, tu t'en retrouves vidé. Merde. Merde. Merde. Pourquoi t'es passé encore ? Un immature et un colérique. Tu repasses en boucle chacune de tes répliques, les détestes davantage à chaque nouvelle écoute. Ta mâchoire se serre. T'as honte. T'es en colère. Contre toi, contre Thursday, peut-être même contre lui.

Tu ne sais pas quoi lui dire, tu te mures dans un silence lourd. Tu es désolé. C'est tout ce que tu peux lui cracher.

La porte de l’ascenseur s'ouvre et tu retrouves non sans soulagement le calme de ton service. Tu embarques le brancard jusqu'à ta salle de consultation, non loin de ton bureau. Tu ouvres la porte d'un coup de baguette et pénètres dans la pièce.

— Venez, appuyez vous sur moi.

Tu passes une main autour de sa taille pour le soutenir et l'aider à s'installer sur le lit d'examen. C'est à ce moment-là que l'infirmière toque pour vous apporter ce que tu lui as demandé. Elle ne s'attarde pas, le pli furieux à ton front est un signe assez évocateur qui n'a pas l'envie ou le besoin qu'on s'attarde. Elle ferme la porte derrière elle et, sans un mot, tu viens ouvrir la préparation. Tu t'assures à l'odeur et à l'aspect qu'elle a été bien faite et tu reviens vers Leslie pour la lui donner. Tu te serres d'une paille pour qu'il puisse la boire en douceur.

— Allez-y doucement, ça va vous soulager.

L'effet est rapide, les soins magiques beaucoup plus efficace que ceux moldu. Tu reposes la potion, te comportes avec un professionnalisme presque mal venu dans votre situation.

— Au vu de sa nature maudite, je doute qu'on puisse arranger l'état de votre langue. Mais cette potion vous rendra cela moins désagréable.

Ce n'est pas ce que tu dois dire. Seulement, tu ne sais pas. Tu ne sais pas quoi dire. Il te semble que tout ce qui pourrait sortir de ta bouche sonnerait faux. Alors tu sors ton téléphone pianotes en silence si l'écran. Le téléphone de Leslie vibre peu de temps après.

Je suis sincèrement désolé. Ce qu'il s'est passé là-bas est inqualifiable, je vous ai forcé à épuiser votre quota. J'espère... Que ce n'est pas une conséquence permanente ?

Tu hésites, pianotes de nouveau.

Je me sens honteux, je vous ai montré une facette particulièrement repoussante de ma personnalité.

Tu te racles la gorge.

— Je vais rester avec vous, jusqu'à ce que vous sentiez un peu mieux.

Tu souffles du nez, malgré toi. Merde. Décidément, il a un don. Arriver à te tirer un peu d'amusement peu importe les circonstances. Il avait réussi à faire pareil leur de votre échange de textos. Tu lèves les yeux vers lui, le sourire que tu lui esquisses est timide, légèrement hésitant. Tu tapes de nouveau, l'heure plus grave. T'as honte de ce que tu as montré. Tu sais qu'à la maison, ton père aurait certainement plus pointé du doigt Thursday que toi, il n'empêche que tu es assez conscient de toi-même pour comprendre que tu es une part du problème.



Nouveau sourire. Il a raison. Sauf que te flageller est la base même de ton existence. Tu l'observes en silence. T'as plus tellement envie de parler, tu te sens bien plus à l'aise à écrire, comme lui. Au moins, ne va-t-il pas te pointer du doigt et prendre le parti de ton frère. Ils avaient l'air proche. Il te semble que Thursday le tutoie, connaît son prénom. Comment se sont-ils rencontrés ? Ici ? Peut-être sur une de ses applications de rencontre avec lesquelles Tuesday te taquine vos soirs de beuverie ? Tu baisses de nouveau les yeux sur ton clavier, recommences à pianoter. Tu t'es adossé contre le mur, pas bien loin de lui.

Thursday a l'air de tenir à vous.

Tu hésites, essayes de déchiffrer toutes les micro-expressions qu'il peut trahir. T'es mal à l'aise à le savoir peut-être être ce que tu soupçonnes. Tu reprends.

Vous... Vous fréquentez ?

La façon polie de demander si ton frère sort avec lui. Si lui sort avec ton frère. Ou si c'est le genre de plan susceptible de se concrétiser pour eux incessamment sous peu. L'idée te contrarie. Thursday pourrait bien se pendre au bras de n'importe qui que votre père n'y trouverai rien à redire. T'as jamais pleinement accepté cette liberté d'exister qu'ils ont, tous les six, et que tu n'as pas. T'as jamais pleinement accepté que c'est justement pour qu'ils en jouissent que tu as volontairement choisi d'être un digne premier. Tu lèves des yeux interrogateurs vers lui. S'il te dit oui. Tu ne sais pas, peut-être qu'envoyer des sms à plus de minuit ne sera plus une option envisageable.

Tu as l'impression que la question le gêne. Son premier message va en ce sens. Tu fronces les sourcils, pas tant par contrariété que par réflexion. Tu ne peux être que d'accord avec lui. Tu connais le besoin de ton frère de trouver réconfort et support auprès des autres. Tu connais son besoin de se faire aimer et la tendresse (faiblesse) de son cœur. Quelque part, sa réponse te rassure. On ne dit pas ça de quelqu'un qu'on fréquente.

Tu hausses un sourcil, un peu plus contrarié. Sa vie privée. Voilà une excuse qui en dit plus long qu'autre chose. Tu relèves la tête, tu n'as pas envie d'élaborer une théorie peut-être fausse à leur sujet, cependant le choix des mots n'aide pas. Et si tu confrontes Thursday, que te dira-t-il hormis un "c'est ma vie privée, va te faire voir" ? Tu pousses un soupir. Lorsqu'il relève le menton vers toi, tu baisses de nouveau les yeux sur ton écran. Merde. Il sait vraiment comment s'y prendre. Tu relèves la tête, articule en silence les mots "bien joués" avant de secouer la tête, un rictus au coin des lèvres.

Il a cependant éludé la question et ça ne t'a pas échappé.

C'est ce que j'avais supposé, mais je suis heureux de l'apprendre. J'ai demandé à ce qu'on ne prévienne pas Asenov pour le moment. J'ai cru comprendre que vous préfériez resté discret.

Tu envoies, attends que le portable vibre, qu'il rebaisse les yeux sur son écran et qu'il les relève, pour mimer le secret, un doigt sur les lèvres. Tu as conscience que si tu as honte, lui doit se sentir humilié. Plus les secondes passent, plus tu prends conscience de ton comportement et du bazar que vous avez mis. Vous ne pourrez probablement plus manger de Ramen.

J'ai deux questions

Tu le regardes une seconde avant de pianoter de nouveau.

Est-ce que votre "vie privée" implique qu'il serait plus correct d'annuler notre rendez-vous de dimanche ?

Tu envoies, retapes.

Et est-ce que je peux espérer pouvoir déguster de nouveau des Ramen au miso ?

Connard. Tu hausses un sourcil, tu ne savais pas que leur rapport était tendu. Tu ne diras donc rien. Leslie est un adulte et ça ne te regarde pas. Tu as déjà trop à faire avec tes propres histoires de famille pour investir les siennes. À tes questions, les réponses ne tardent pas. Tu remarques une expression quelque peu confuse, puis un sourire. C'est plutôt plaisant, cette communication en deux temps.

Tu te laisses porter, peut-être trop. Par réflexe et provocation tu réponds.

Parce que ça n'en était pas un ?

Tu réalises trop tard l’ambiguïté de ta phrase. T'empresse de taper.

Ne gaspillez pas votre quota, alors. Je tiens à ce que vous ayez assez de mot en stock pour me dire "le grand-père c'est moi".

Tu as un rictus un peu plus prononcé. Tu l'observes s'installer, félin, à croire qu'il s'installe comme chez lui. L'image t'amuse, son impertinence te stimule. C'est une qualité rare, c'est peut-être ce que tu apprécies le plus chez lui, actuellement. Tu reviens à ton écran, fronces légèrement les sourcils.

Vous pensez qu'ils accepteront de nous reprendre ?

Tu es quelque peu perplexe face à cette affirmation. Néanmoins tu tapes.

Alors disons que si vous ressortez vivant de votre épreuve de dimanche, je vous paierai un bol.

Tu le regardes avec impertinence, l'air de lui dire que ça n'a peut voir pas de chance d'arriver. Soudain on frappe à la porte. Tu tournes la tête et juges avec sévérité l'infirmier qui y passe sa tête timidement.

— Docteur Stuart ?
— Quoi ?

Tu aurais très bien pu dire "tu me déranges, dégages, que ça aurait été plus poli".

— Désolé de vous déranger, mais c'est au sujet de la patiente de la 220...
— Ah, oui bien sûr. J'arrive donnez-moi une minute.

Tu te tournes vers Leslie.

— Je dois aller voir une patiente, elle n'accepte les analyses sanguines que si c'est moi qui les pratiques.

Tu roules des yeux, c'est le job des infirmiers pas de toi, le chef du service.

— Reposez-vous d'accord ?

Tu pianotes sur ton téléphone avant de l'agiter pour lui faire signe que tu lui as envoyé un message.

Vous en aurez besoin.