Ta journée au ministère est similaire à toutes les autres. Tu ne détestes pas être juge, cela te procure une visibilité et un statut auxquels tu tiens, néanmoins tu ne peux nier qu’un peu plus de liberté et de folie ne seraient que peu demandé. Tu transplanes au manoir, l’heure du dîner approche, et tu ne prends la peine de saluer personne avant de te rendre à ta chambre pour te changer. Ton père n’a que faire que tu lui dises « bonsoir », de toute façon, vous vous verrez à table.

Tu laisses ta baguette sur ton bureau, puis tu t’avances jusqu’à surplomber ton lit – impeccablement fait, comme d’habitude. Tu es fatigué, mais en même temps tu apprécierais de sortir pour te détendre. Peut-être le feras-tu plus tard, au sus des uns et autres membres de ta famille. Tu te débarrasses de ta cape de sorcier puis, tranquillement, tes doigts rejoignent le bas de ta chemise que tu commences à déboutonner. Tu ne prends pas garde à la porte qui s’ouvre, néanmoins tu te retournes en entendant le raclement de gorge. La vision de Leslie, ici dans ta chambre, te fige un instant. Que fait-il ici, au manoir ?

Tu clignes bêtement des yeux, le temps pour lui de s’avancer et t’expliquer la raison de sa venue. Il est venu pour voir Monday, évidemment. Tu ne peux empêcher une pointe de jalousie que tu sais mal placée. Tu souris, néanmoins, un peu taquin.

« Tu t’amuses donc à visiter toutes les chambres pour découvrir le reste de la semaine ? »

L’excentricité de votre famille et ses particularités sont un sujet qui revient quelque fois sur le tapis. Tu te doutes aussi qu’il en parle avec Monday, parfois. Rapidement, ton regard le scanne de haut en bas – ton cœur s’emballe, parce que vous vous amusez rarement à faire du tricot ensemble.

« Je l’ai terminée hier soir. Je suis outré par la fin, je t’interdis de me faire regarder des trucs pareils. »

Un léger rire, qui se tarit tandis que tu t’avances instinctivement d’un pas supplémentaire vers lui. Sa présence te perturbe, ici, dans cet environnement spécial qu’est celui de ta famille. Les inconnus sont rares, entre les murs des Stuart.

« Tu passes beaucoup de temps avec lui, non ? »

Monday.

@Leslie Mirzoyan | Aout 2032

Tu ne sais pas ce que ses paroles veulent dire, tu ne comprends plus rien, ou peut-être que tu ne veux tout simplement pas comprendre. Tout est trop compliqué, tu sais ce que cette relation étrange t’a déjà coûté, tu n’es pas prêt à la perdre. Ou peut-être que si ? Et Leslie, est-il vraiment venu voir Monday pour venir te chercher à la première occasion passée ?

Tes mains restent suspendues dans les airs, un flottement le temps d’une réflexion, d’une tension qui s’instaure mais qu’il s’empresse de rompre. Ce n’est pas plus mal, c’est même bien pensé. Rien ne serait plus étrange que de faire quoi que ce soit ici, dans ta chambre au manoir. Ton visage se détend, ton sourire fleurit enfin. La série. Death Note. Tu lèves les yeux au ciel quand il se moque.

« Pourquoi est-ce que les bonnes histoires finissent toujours par la mort d’un des protagonistes ? »

Une question que tu te poses, quelques fois ; une réflexion qui te ramène à celles que tu couches sur le papier de tes livres. La vie et son rythme te permettent souvent d’oublier comme tu es un mélancolique.  

Tu ne peux pas t’empêcher de lui demander, à propos de ton frère, c’est plus fort que toi. Cette stupide altercation au restaurant te revient, les cris de Monday, votre aller sur le trottoir, Ste Mangouste. Tu détestes encore tout ce que tu as pu montrer de toi-même, pourtant, tu es là. Jaloux. T’as vraiment un problème, Thursday, parce que jamais vous ne vous êtes promis ou même dit quoi que ce soit. Profite, putain. Profite.

« Plus trop disponible ? »

Tu fronces un peu les sourcils. L’été a été chargé, mais tu ne te souviens pas d’avoir refusé de le voir si souvent que ça. Peut-être une ou deux fois.

« C’est vrai que j’ai été un peu occupé au Ministère. »

Tu n’es pas sûr du signe pour le désigner, alors tu utilises celui de « travail ».

« Est-ce que les préparatifs du gala avancent bien ? Vous avez la musique, la nourriture, la décoration ? »

Tu étires un sourire malicieux.

« Tu vas m’inviter ? »

Même si tu sais déjà que non.

@Leslie Mirzoyan | Aout 2032

Tu lis les paroles au bord de ses doigts, tu souris et tu lui hoches la tête pour acquiescer. Bien sûr que tu serais d’accord, tu n’es jamais fermé à étendre ta culture quelle qu’elle soit. Et passer du temps avec Leslie, c’est simple. C’est fluide. C’est éloigner les disputes – car vous n’en avez pas – et oublier les sursis. De nouveau, quand il te demande si tout se passe bien au travail, tu hoches la tête, tu te mets à signer.

« Pas grand-chose de palpitant, mais pas mal de travail de paperasse. »

Tu souris, tu ne veux pas l’inquiéter avec ce genre de futilités – et tu as parfaitement conscience comme ton travail peut paraître ennuyeux. Tu viens plutôt sur le terrain du gala de Sainte Mangouste qu’il prépare en compagnie de ton aîné, un sujet évidemment jamais abordé entre vous. La malice entre les doigts, tu répètes tes signes quand il te fait comprendre qu’il n’a pas suivi.  Tu fronces un peu les sourcils, affichant une surprise sincère.

« Tu t’emmerdes à l’organiser et tu ne comptes pas y aller ? »

Un rire t’échappe, mais pas moqueur. Tu apprécies sa fraîcheur et sa sincérité. Pourtant, quand il t’invite la semaine suivante, tu hésites quelques instants. Tu ne sais pas vraiment quoi penser, tu ne sais pas ce que tu dois dire, ce que tu dois imaginer. Tu penses à Monday, quelque part dans le manoir, tu te sens mal. Tu l’observes de haut en bas, le regard traînant sur son corps que tu connais bien désormais. Tu te sens mal, et pourtant, c’est une part de toi dont tu n’es pas fier qui répond à son invitation.

« Je suis libre, oui. Tu sais ce que tu veux voir ? »

Le sourire engagé, tu te poses les fesses contre le bord de ton bureau, la chemise toujours ouverte sur ton corps. Tu n’es pas pudique, vous n’en êtes plus là. Tu penches légèrement la tête sur le côté, tes yeux qui vont de la porte de ta chambre jusqu’à son visage à nouveau. Tu as le cœur lourd, et même si une part de toi aimerait s’en foutre et profiter, l’autre s’acharne à te le faire payer.

- Leslie, qu’est-ce qu’on fait ?

Tu pinces les lèvres.

« Tu aimes bien mon frère, non ? »

@Leslie Mirzoyan | Aout 2032

Tu ne bosses pas à Sainte Mangouste, aussi tu ne sais qui est Carter seulement que de nom – tu as déjà entendu Leslie ou ton frère en parler. Tu souris avec amusement. Ça ne t’étonne pas de sa part qu’il se soit fait enrôler contre son gré, certainement à bon coup de grommellements muets. A vrai dire tu te demandes même pourquoi il n’a pas cherché une parade dès le début. Ça lui aurait bien ressemblé.

Tu l’observes, tu aimerais que les choses soient aussi simples entre vous que vous le faites penser. Casual. Qu’il n’y ait aucun problème sur le fait qu’il fréquente ton frère, que vous traîniez ensemble, que vous couchiez, de temps en temps. Tu aimerais être capable d’entretenir ça, mais une part de toi t’en empêche. Une part bien trop encrée, un passé, ta famille. Ton frère.

Alors tu lui poses la question, celle qui annonce toujours quelque chose de compliqué. Parce qu’au fond, Thursday, tu sais que quelqu’un finira par être blessé. Tu en es sûr. Tes yeux sont plantés sur lui, tu es incapable de le lâcher. Ses mains. Les mots qu’il signe. Pas plus que toi. Tu ne peux pas nier que ton égo est nourri par cette réponse. Tu gardes le silence l’espace d’une seconde, suffisamment pour qu’il ait le temps de venir se faufiler jusqu’à toi, entre tes jambes. Tu as subitement plus chaud.

- Je ne suis pas jaloux.

Et c’est vrai, tu ne l’es pas.
Ou tu ne crois pas.
Cela fait une réelle différence.

Monday n’a jamais ramené personne à la maison – les filles qu’il a eu l’audace de présenter à votre père ne comptent pas. Et même si initialement ce n’était pas au manoir qu’il avait donné rendez-vous à Leslie… Tu pinces les lèvres, en pleine réflexion. Tu te souviens comme si c’était hier de sa réaction au restaurant.

« Je crois qu’il t’aime bien. »

Tu poses distraitement tes mains sur ses hanches. Le geste est intime.

- Je me disais juste que si, toi aussi, tu l’aimes bien…

Monday te tuerait de dire des choses pareilles. Littéralement.

Doucement, tes mains remontent de ses hanches jusqu’à ses flancs. Le t-shirt se lève, dévoilant quelques centimètres de sa peau claire. Tu te mordilles l’intérieur de la joue. Tu te souviens, plusieurs semaines auparavant, de la dispute éclatée entre Basile et toi. Si vous aviez tous les deux su que vous vous plaisiez, les choses se seraient passées différemment. Mais le temps est bien loin, tu peines à réfléchir posément, sa présence devient ton casse-tête. Tu finis par sourire. Tu ne sais plus trop où tu en es.

- Laisse tomber. J’ai hâte d’aller au cinéma. Cette fois, c'est toi qui paie le pop-corn. Je te rembourserai ensuite.

T’as le sourire large, le bas-ventre qui pétille de votre proximité.

@Leslie Mirzoyan | Aout 2032