Le restaurant de ramens sur la 12e.

Leslie t’en a parlé dans un message mais tu n’y as pas répondu tout de suite. Tu as été un peu occupé, que ce soit professionnellement ou… personnellement. Les temps sont compliqués, tu n’es pas sûr de la tournure que prennent certains éléments ; ils te débordent la tête, ils fissurent ton masque de perfection. Tu bous de l’intérieur. Alors à la première occasion, tu profites d’une journée plutôt libre pour t’en aller manger sur la 12e. Une fois que tu auras goûté aux ramens, tu pourras en parler à Leslie, le remercier si c’était bon ou l’insulter de t’avoir intoxiqué. Tu ne mets aucune possibilité de côté.

Tu regardes rapidement ton pineapple avant de partir. Tu n’as pas de message particulier, tu te contentes donc de vérifier l’heure à laquelle tu reprends dans l’après-midi avant de transplaner. Il fait chaud, l’été est bien installé, ta cravate du jour et ton veston t’étouffent encore plus que d’habitude. Tu desserres la première, tu vivras avec le deuxième.

Arrivé à la devanture, tu vérifies qu’il s’agisse de la bonne adresse. C’est bien là. Alors sans attendre, tu entres, tes yeux balaient l’endroit. Le thème est évidemment asiatique, rien d’étonnant concernant Leslie, et l’odeur est alléchante. C’est suffisant pour un premier abord. Tu t’approches du comptoir, à la recherche du serveur censé te placer ou te donner une carte, mais tes yeux sont attirés ailleurs, juste à côté.

Par une tignasse blanche.

Tu fronces légèrement les sourcils, mais il n’y a aucun doute. Tu pourrais de moins en moins le confondre avec un autre. Tu voudrais l’interpeller, mais tu vois qu’il est accompagné. La silhouette de dos t’es familière, cependant tu ne t’y attardes pas assez pour le reconnaître. A la place, tu lèves le bras pour capter l’attention du jeune homme, puis tu te mets à signer.

« Je voulais faire comme si je connaissais déjà avant de te répondre. Je ne vais pas pouvoir me la péter. »

Tu réprimes un rire, un sourire amusé au coin des lèvres.

« T’as un plat à me conseiller ? »

Tu t’apprêtes à commander ce qu’il te conseillera, peu importe ce que c’est. Si t’étais pas si bien élevé, sûrement que tu te serais même déjà incrusté. Non, à la place, tu restes où tu es, tes yeux l’observent, puis dérivent sur sa compagnie.

Que tu reconnais immédiatement.

Y a pas quarante-six sorciers avec cette coupe de cheveux et cette façon beaucoup trop droite de se tenir.

- Monday ?

Merde.

@Leslie Mirzoyan  @Monday M. Stuart | Juillet 2032

Tu perds un léger éclat de rire, pas offensé pour un gallion à propos de l’insulte, avant de lui renvoyer un clin d'œil. Evidemment que c’est pour t’impressionner, c’est ce que ton expression veut lui dire. Putain c’est con mais ça te fait plaisir de le croiser là, bêtement. Tu suis du regard le menu quand il te le pointe, puis tu déchiffres le nom du plat. Ramen au miso. Tu n’es pas sûr d’avoir déjà goûté du miso, ce sera donc une première.

Et t’aurais pu t’arrêter là.
T’aurais pu simplement le remercier, repartir, le laisser.

Non.
T’as reconnu ton frère, Thursday.
Et la surprise t’empêche d’avoir l’esprit lucide. Tu l’appelles par son prénom, le vrai, et tu ne te demandes même pas comment ils se connaissent. Tu sais qu’ils travaillent tous les deux à Sainte Mangouste. Merde, merde, merde.

Il se lève, vous vous faites stupidement face. Tu lis dans son expression qu’il n’est absolument pas heureux de te voir - depuis les années, tu le comprends bien mieux qu’il ne le voudrait. Tu te mords la lèvre, le regard déviant vers Leslie, puis tu reviens à lui.

- Sacré hasard, effectivement.

Un hasard en quelque sorte nommé Leslie. Tu te demandes quelle relation ils ont, pour venir manger en tête à tête. Est-ce qu’ils sont collègues, est-ce qu’ils sont en réunion, est-ce qu’ils sont plus que ça ? Tu laisses Monday faire les présentations, la main contre ta nuque. Son malaise est palpable, tu te demandes pourquoi. Non, t’as pas envie de savoir pourquoi.

« Qu’est-ce que tu fiches à manger avec mon frère ? »

T’as pas pu t’en empêcher, t’as signé presque de façon involontaire. C’est malaisant, t’as l’impression que cette histoire est en train de partir en cacahuètes et que absolument rien n’est sous ton contrôle. Tu finis par sourire. Les apparences, la droiture, c’est ce qu’on vous a toujours appris.

- 27 ans à se côtoyer et nous parvenons toujours à nous surprendre.

Léger rire.
Putain.

- Vous… travaillez ensemble ?

Vas-y, continue d’enfoncer des portes ouvertes. Y a un monde dans lequel vous avez pas l’air cons.

@Leslie Mirzoyan  @Monday M. Stuart | Juillet 2032

Et quand ce n’est pas sur le visage de Monday, c’est sur celui de Leslie que tu parviens à décrypter le malaise. Putain, vraiment, meilleur jour pour des ramens, Thursday. Bravo. Tu ne sais pas s’il va te répondre en signant, tu te rends compte que ton frère ne sait sûrement pas le faire, tu es donc surpris quand il le fait malgré tout. C’est con, mais t’apprécies ce petit truc que vous partagez, rien que vous - tu n’es pas assez un connard pour t’en vanter (pour le moment). Foutue compétitivité.

Un repas en échange d’un service. Tu hausses le sourcil que tu diriges brièvement vers ton frère. C’est nouveau, ça. Tu es intrigué, tu aimerais lui répondre que ça ne te dérange pas (c’est faux), mais c’est le moment que choisit Monday pour s’agacer. Tu le regardes, l’insolence noyée sous ta colère qui gronde du ton de sa voix. Vous n’avez plus 17 et 15 ans, désormais.

Tu voudrais lui dire de se calmer, mais Leslie te coupe dans ton élan. Heureusement, en un sens, car tu n’aurais pas pu t’empêcher d’être sarcastique. Tu aurais dit quelque chose pour le piquer, il se serait énervé, tu te serais énervé aussi. Personne ne veut voir ça, pas vrai ?

- Thursday, oui. Mais tout le monde m’appelle Terrence.

Menteur. Menteur. Tu détestes les émotions que vous faites passer sur son visage. Tu détestes l’idée qu’il se sente trahi. Tu ne l’as pas trahi. Ce n’est pas lui que tu as trahi. Tu n’as rien fait. Tu l’as rencontré, vous vous êtes plu. Si ça se trouve, tu étais même là le premier. C’est complètement puéril.

- Quand je suis arrivé à Poudlard, tout le monde l’appelait déjà Monroe. Tout le monde pensait que nos prénoms n’étaient qu’une blague… Alors j’ai dit m’appeler Terrence.

T’as du ressentiment envers lui, pour ça. T’avais que onze ans. S’il n’avait pas eu honte en premier, aucun d’entre vous n’aurait eu à faire la même chose. S’il n’avait pas montré l’exemple, peut-être que t’aurais moins de mal à être Thursday Stuart. Depuis si longtemps, tu as vécu avec la pensée que même ton prénom était une honte. Ton prénom, ce que tu fais, toi, toi, toi. Jamais assez.

Tu aurais pu redescendre. Tu aurais pu simplement respirer. Mais quand il se tourne vers toi en croisant les bras, quand il commence à te paternaliser comme il le fait toujours (et devant Leslie de surcroit)… t’as la sainte envie de craquer.

- Tu veux un parchemin de trente centimètres sur la question, aussi ?

Tu dérapes, Thursday. Reprends-toi.

- Je me souviens pas du moment où on a décidé que tu avais ton mot à dire sur chacune de mes relations.

Putain, vous êtes vraiment cons.

Tu te tournes vers Leslie et, sans vergogne, tu lèves les mains pour signer.

« Je suis profondément désolé. Il adore jouer les cons et gouverner ma vie. »

Tu serres les dents, mais tu respires. Tu lui souris, contrit.

« Je ne savais pas que tu le connaissais. »

De toute façon, pourquoi te choisirait-il ? Il peut avoir Monday. Monday est parfait. T’as aucune chance, Thursday.

@Leslie Mirzoyan  @Monday M. Stuart | Juillet 2032

Il te dit de ne pas le provoquer, ce qui conduit forcément à l’inverse ; un réflexe puéril et vieux comme le monde. Ça t'énerve que Leslie se sente obligé de s’excuser. Il ne devrait pas, il n’a rien fait de mal. Ce n’est pas sa faute, c’est la vôtre. La tienne. Celle de Monday. Faudrait soupirer et passer à autre chose, mais tu n’en as pas envie - tu sais que ton frère non plus. T’as trop cherché, tu t’es trop amusé des limites. C’est toujours comme ça.

Tu regardes Leslie qui dit être médicomage (ce que tu sais déjà), tu lis la frustration sur son visage. T’as bien compris au regard qu’il t’a jeté avant qu’il ne voulait pas que tu parles de vos relations - ce qui n’est pas étonnant. Il se retrouve en porte à faux et tu détestes ça, c’est ta faute, tu n’aurais pas dû le déranger, tu n’aurais pas dû parler, tu n’aurais pas dû venir. Putain. Tu signes pour t’excuser et tu as tout juste le temps de comprendre ce qu’il te répond que tu es pris par le col de ta chemise.

Les yeux écarquillés, tu quittes le regard bleu pour rencontrer celui de ton aîné.

- Je m’éclate, ouais.

T’es insolent. Tu scrutes les traits de son visage, plus tu t’énerves et plus tu apprécies chacune des rides de colère que tu y perçois. Il ne se rend pas compte, Monday. Il ne se rend pas compte de ce que c’est, de s’entendre dire à longueur de journée d’être comme lui. De voir tout le monde l’applaudir, lui. Il ne sait pas, il n’est pas toi. Toi, toi, toi l’éternel oublié.

Tu l’écoutes, t’as le sourire qui ne quitte pas ton visage. Tes jambes ploient sous sa menace, ça ne te dérange pas. Tu n’as pas peur de lui. Cela fait bien longtemps que tu n’as plus peur de lui.

- J’étais en train d’expliquer à quel point tu es un frère aimant. Tu ne fais que prouver mon propos.

Tu vas trop loin, ça va mal finir.

- Tu sais de quoi j’ai besoin pour me sentir exister, Monday ? De respirer.

Au propre comme au figuré. Tu agrippes son poignet que tu serres entre tes doigts, suffisamment pour lui faire comprendre de lâcher. Tout le monde vous regarde, certainement que vous ne pourrez plus remettre les pieds ici. Putain. Tu jettes un oeil à Leslie, t’es vraiment désolé pour lui, mais ton frère te fait péter un câble. Quand il parle de régler ça à l’ancienne, tu lâches un rire sardonique.

- Passe devant, grand-frère. Je te suis.

T’as pas peur, tu passes ton temps à te battre. Contre les autres, contre toi-même. Ton visage en est marqué, ton âme n’en parlons pas. Tu vas te battre contre lui si c’est ce qu’il souhaite, à la baguette ou aux poings, toi t’as besoin de ça pour relâcher la tension qui te prend les tripes.

« Pardon de te mêler à tout ça. »

Tu hausses le sourcil en direction de Monday. T’es le pire quand tu t’y mets. Tu le suis, peu importe où il te mène, vous vous toisez du regard. C’est plus fort que toi, Thursday, tu peux pas t’arrêter de le provoquer.

- Attention, Monday, si tu m’amoches de trop je vais encore pouvoir me faire passer pour la victime.

Vous avez fait ça des milliers de fois. Tu remontes les manches de ta chemise dans un geste machinal, tu frottes ton nez d’un revers du poignet. Tu sais te battre, tu es fort - certainement autant que lui -, tu es vif. Ta baguette est à portée de main s’il décide de changer les règles.

C’est dingue ce que tu peux le détester et tout à la fois l’aimer à en crever.

@Leslie Mirzoyan  @Monday M. Stuart | Juillet 2032

Sa façon de te traîner dehors te ramène des années en arrière. T’as l’impression de revoir Baron dans ses moments de colère, ou même lui-même, Monday. Tu sais qu’il a dû endosser le rôle du père, tu sais qu’il t’aime, aussi, mais quand il est comme ça…

Tu t’en fous. Tu te laisses faire, même si une part de toi se déteste encore plus que d’habitude. Vous vous montrez en spectacle devant Leslie. A quel point est-ce que cela va impacter votre relation ? Est-ce qu’il va vouloir couper les ponts après un épisode aussi désolant ? Tu n’as pas le temps de te demander la raison pour laquelle ton frère s’énerve si vite. Si tu l’avais fait, tu aurais sûrement compris. Mais le temps n’est déjà plus à la réflexion. Tu lèves les yeux vers lui quand il te provoque une fois de plus, tu souris du coin des lèvres.

- Excuse-moi, Monday, est-ce que tu es en train de parler de toi-même ?

T’as envie de le faire craquer, tu n’en peux plus. T’es dans une de ces passes, une de ces pulsions où tu as besoin de frapper, de hurler, d’avoir mal. T’es même prêt à lui laisser le premier coup. Tu lèves les poings en garde, tu le laisses foncer vers toi et t’agripper, tu attends la douleur de l’impact…

Et la voix de Leslie qui s’étouffe.

Vos deux têtes se tournent au même moment, la colère est soufflée, renvoyée plus loin dans les profondeurs. Ce n’est plus le moment, vous vous expliquerez plus tard. Tu le repousses de tes deux mains sur ses épaules et vous accourez vers lui. Tu laisses évidemment Monday prendre les rênes, c’est lui le médicomage. Tu n’es que juge. Un stupide juge. Tu ne sers à rien, Thursday. Tu ne sers à rien. Putain. T’as les yeux écarquillés d’effroi, t’as peur de le perdre aussi bêtement que ça. A cause de toi.

A cause de toi.
A cause de toi, toi, toi.

Le cri de Monday te ramène sur terre. Tu étais en apnée, le souffle coupé d’angoisse. Tu attrapes le téléphone quand il le jette, tu le déverrouilles. Ta photo en fond d’écran te fait perdre un instant, mais tu n’en dis rien. Pourtant une part de toi se sent aimée. Tu déglutis, tu appelles comme un moldu et te dépêches de débiter quand ils répondent. Une urgence. Le Dr Mirzoyan. La malédiction. Prévenez Raspoutine. Quand tu raccroches, tu les observes sur le trottoir. Tu n’en peux plus d’attendre, tu détestes le voir comme ça.

- On n’a pas le temps, Monday !!

Vous êtes en pleine rue moldue. Putain, t’es toi-même membre du Magenmagot, tu ne peux décidemment pas briser le code du secret. Tant pis. Tu t’élances vers eux, tu pousses Monday pour prendre Leslie dans tes bras et le soulever avec le plus de délicatesse possible.

- Dans la ruelle, on va transplaner.

T’as le regard qui tombe sur lui, qui cherche ses yeux pour le rassurer. Doux. Essoufflé.

- Respire, Leslie.

Tu jettes un regard à ton frère, tu espères qu’il ne va pas s’amuser à faire la moindre remarque. Ce n’est plus le moment. Il le sait. Vous vous dirigez en trombe vers une ruelle la plus déserte possible, et si des moldus doivent vous apercevoir transplaner, alors tant pis.

@Leslie Mirzoyan  @Monday M. Stuart | Juillet 2032