Sambre retient un soupir de soulagement, professionnel devant le Directeur du Département de Contrôle et de Régulation des Créatures Magiques, lorsque celui-ci accepte d’entrer dans le secret des livres interdits détenus par l’atelier. D’ailleurs, la proposition d’Antoine Savoy est largement appréciée à sa juste valeur, même si c’est fait d’un simple signe de tête honoré empli de gratitude, Sambre est sincèrement touché par son offre.

C’est peut-être la raison qui lui fait se mordre la lèvre, craignant d’avoir déçu son aîné quand il n’a pas plus de réponse à lui apporter sur le fond de leurs problèmes. Rien de satisfaisant en tout cas, qui lui donne la désagréable sensation de passer du petit génie prometteur à l’enfant qui déçoit une figure paternaliste.
Dans son perfectionnisme latent, Sambre accepte peu l’absence de résultats, en particulier quand il s’agit des siens. Les quelques mots bienveillants d’Antoine Savoy sont un maigre réconfort face à ce besoin de ne jamais décevoir. Prendre son temps pourquoi pas, si c’était synonyme de productivité.

- Je ferai de mon mieux. Vous avez ma parole. Ce livre n’est qu’un chemin parmi d’autres que nous trouverons, c’est certain.

Suivant ses gestes des yeux, Sambre doit admettre qu’il n’était pas préparé à la suite. Lui qui pourtant cerne et discerne les gens avec une certaine habileté, il reste quelque instant sans voix.
Que l’homme politique soit réaliste sur le monde qui les entourait était un avantage plaisant. Sambre avait en horreur la démagogie et les choix sans nuances. Mais ce qu’il capte chez l’homme du ministère, brièvement, le laisse pantois. Ce n’était plus de la dévotion, à ce niveau, c’était de la rage, soufflé d’une voix douce.

- Vous avez l’air d’être un grand homme Monsieur Savoy. Je suis étranger aux enjeux politiques. Mais votre sens du sacrifice pour la cause est tout à fait remarquable.

Un trait de caractère dont lui-même se sentait dénué, en tout cas pour le moment, et qu’il qualifiait, selon l’humeur, de qualité ou de défaut.
Se détachant du bureau, il s’approche de Savoy pour poser brièvement une main sur son bras avec douceur, accompagnant le geste délicat d’un sourire qui se veut confiant, suivi d’un rire amusé.

- J’ose espérer que nous n’en arriverons pas là ! Je m’en voudrais si nos expériences devaient mettre en danger un homme du ministère.

A quel moment, sa vie avait-elle pris ce tournant, l’autorisant à pratiquer son art sur des individus certes consentants mais bien vivants, venus à lui en pleine conscience ? Une pensée pour Asclepios le fait se mordre la langue pour retenir à demi un sourire.
Sortant sa baguette d’un revers de sa veste, il lance dans un murmure et un geste élégant, un sortilège de duplication sur le vieux livre.

- Vous emporterez cette copie avec vous. Quelque chose me dit qu’après nos échanges, vous apprécierez de pouvoir le feuilleter en toute tranquillité. Elle finira par disparaître bien sûr, mais vous aurez quelques heures devant vous pour prendre des notes.

Il hésite, puis souffle en fixant un point devant lui, le regard dans le vague, emporté par sa propre réflexion. Savoy l’avait convaincu de poser librement ses questions.

- Il faudrait pouvoir en observer un lorsqu’il se transforme.

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Sambre ne lève pas les yeux au geste paternaliste d’Antoine Savoy, à sa main qui se pose sur son épaule, rassurante, bienveillante. Pourtant elle ne manque pas de produire son effet, chassant son perfectionnisme étouffant en partie.

Sa proposition de rendez-vous lui fait hausser un sourcil et accroche un sourire sur ses lèvres. Pouvait-on réellement dire à un homme du Ministère qui venait de l’engager sur un projet qu’à son âge, les samedi soirs entre vingt heures et minuit étaient plutôt animés? En toute amitié bien sûr.
Un rire léger lui échappe.

- Il m’arrive d’exposer certains samedis soirs Monsieur Savoy mais… Je trouverai le temps pour vous recevoir évidemment.

Il reprend à mi-voix, taquin mais sincère.

- Quant à cette notion d’équilibre, je ne suis pas certain que les juges du Magenmagot voient les choses sous votre angle s’il venait à vous arriver malheur.

D’un geste de la main, Sambre fait signe qu’il n’attend pas de remerciement. Après tout, la duplication n’était que temporaire et Savoy devrait faire vite. Mais le jeune potionniste avait eu le sentiment de devoir lui offrir un gage de confiance, après celle qu’il lui avait accordée.
Et il avait fini par se tourner vers Antoine Savoy à nouveau pour l’observer, ayant perçu du mouvement du coin de l'œil. Curieux, ses yeux violines suivent les gestes du sorcier.

Fasciné, il regarde le filament argenté s’étirer entre la pointe de la baguette et la tempe de son aîné, et silencieux comme pour ne pas interrompre un rituel sacré. Allait-il vraiment lui confier ses souvenirs ? Oui. Incroyable. Sambre n’en revient pas et accueille les deux fioles entre ses mains comme si Antoine Savoy lui avait confié la chose la plus fragile au monde.

- Vous… Me les confiez ? Êtes-vous sûr ? Je… Je n’imaginais pas que vous répondriez à ma requête aussi vite à vrai dire… Et de cette manière.

Levant le regard vers le visage de l’homme du Ministère, le jeune potionniste ne peut cacher l’éclat d’intérêt qui brille au fond de son regard, surtout lorsque Savoy avait mentionné une transformation récente sous potion. Le champ des possibles en termes de recherches venait de s’ouvrir d’une façon phénoménale.

- Votre confiance me touche, Monsieur Savoy. Vous n’imaginez pas à quel point.

Renchérissant, car il sent bien que son excitation de potionniste passionné transparaît dans sa voix qui reste douce, mesurée et basse malgré le fait qu’ils soient totalement seuls dans une pièce réputée pour garder bon nombre de secrets sans jamais les laisser sortir, car le Maître des Potions était une tombe à ce niveau.

- Bien sûr, personne d’autre que moi n’y aura accès, vous avez ma parole, fusse-t-il faire un serment inviolable pour vous en assurer que je n’hésiterai pas. Vos secrets seront bien gardés.

Certes, le jeune homme s’emballe mais l’opportunité entre ses mains est trop belle. Avec prudence et délicatesse, il contemple le contenu des fioles à la lumière du jour. Nul doute que fouiller dans les souvenirs du directeur de département lui amènerait plus de questions encore mais il se raisonne. Il fallait s’en tenir à la recherche alors sa question s’oriente professionnellement.

- Ce loup-garou, celui du plus récent souvenir… A-t-il été mordu ou est-il né lycanthrope ?

Accrochant son regard au sien, il demande sans pouvoir prédire la réponse.

- Peut-être souhaitez-vous m’accompagner lors de ma première visite dans vos souvenirs.

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Sambre mord brièvement sa lèvre. Pas qu’il soit gêné de parler de son art, mais le directeur de département n’était pas venu à lui pour composer avec sa vie d’artiste, sa deuxième vie en somme. D’un geste élégant, Sambre minimise l’information.

- Je suis peintre, et certaines galeries ont accepté mon travail. Par courtoisie, j’essaie d’être présent. Mais disons le dimanche soir, ou le lundi soir ? Enfin, je ne veux pas vous ennuyer.

Il ne se passait rien d’important ces soirs-là, hormis lorsqu’il devait rejoindre Asclepios. Mais il s’adapterait.
Après tout, Antoine Savoy, à peine débarqué dans son atelier, et dans sa vie professionnelle, montrait déjà l’étendu du sérieux qu’avait sa demande, et prouvait qu’il saurait y mettre les moyens. Sambre n’avait plus aucun doute sur le fait qu’il donnerait de sa personne.
Et dans son regard violine, il espère bien le convaincre de la réciproque.

A l’aveu que lui fait son aîné, Sambre coule un regard vers lui mais préfère ne pas fouiller dans les détails. Il le ferait bien assez en s’introduisant dans les souvenirs confiés. Malgré tout, il comprend un peu mieux l’investissement et le sacrifice du père.

- Je garderai une curiosité tout à fait professionnelle Monsieur Savoy, je vous le promets.

C’est bien pour cela que Sambre était des plus à l’aise à l’idée de le faire plonger dans la pensine du Maître des potions avec lui, au moins pour une première fois. Quand l’accord est donné, Sambre s’approche d’une étagère dont le centre est orné d’une colonne en bois ouvragée qui se révèle être une étagère contenant le bassin d’où émet une lumière argentée.

- J’espère que vous ne pensez pas que je prenne un peu trop mes aises dans ce bureau. Cet atelier est un havre d’expérimentation. Et nous y avons beaucoup de liberté.

Peut-être trop parfois. Faisant rouler délicatement les fioles entre ses doigts, il invite Antoine Savoy à s’approcher. De son côté, Sambre était prêt. Il n’attendait qu’un signe de sa part.

- Nous pouvons utiliser cette pensine, si vous le souhaitez. Mais si vous préférez attendre l’une de nos prochaines rencontres, pour utiliser la vôtre peut-être, je le comprendrais tout à fait.

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De la surprise mais pas d’étonnement quand le Directeur de Département révèle être un amateur d’art. Cela collait définitivement trop bien avec le personnage pour que Sambre y croit immédiatement, sans réserve, et c’est l’artiste en lui qui répond d’un sourire flatté dont émane une certaine fierté.

- Etant toujours à la recherche de regards nouveaux, j'accueillerai le votre avec plaisir. Comptez sur moi pour vous y inviter. Je serai très honoré de vous voir à l’une de ces expositions.

Appréciant la confiance dont Antoine Savoy fait preuve, et qu’il remercie d’un hochement de tête discret et poli, Sambre pose un regard confiant sur le bureau chaleureux et surchargé, et dans lequel il espérait parfois secrètement pouvoir s'asseoir un jour si tout se déroulait comme prévu.
La minute suivante, il songeait vivre de son art, indécis, incertain.

- Bien, Monsieur Savoy, allons-y dans ce cas.

Avec délicatesse, le potionniste ouvre la première fiole, celle du souvenir le plus précieux, le plus récent, celui qu’il préfère analyser en la compagnie de celui qui le lui a confié. Ses gestes sont aussi mesurés et délicats que lorsqu’il manipule les ingrédients de ses potions, alors que le filament argenté s’écoule lentement et avec la légèreté d’une plume jusqu’à la Pensine dont la surface ondoie d’une multitude de frémissements légers.
C’était captivant.

Sambre n’avait pas pour habitude d’utiliser ce genre d’instruments, quand bien même ils le fascinaient littéralement au point qu’il doit s’arracher de sa contemplation pour relever les yeux vers le directeur, et pose alors une main sur la sienne, au bord de la Pensine.

Penché au-dessus des volutes de brumes, les voilà qui basculent dans le premier souvenir d’Antoine Savoy. Confié comme un secret.
Sambre appréhende, en proie à une excitation grandissante malgré l’homme qui se tient à ses côtés et devant lequel il ne doit rien laisser paraître, alors que le souvenir prend forme autour d’eux. Il a promis un professionnalisme exemplaire.
Sage comme une image, le jeune homme observe tout, patiente, avec la curiosité et la rigueur du scientifique, l’attention et l’intérêt de l’artiste, alors que les volutes de fumées dessinent et reconstituent leur décor dans lequel Sambre avance prudemment.

- Où sommes-nous ? Chez vous ?

Redevant silencieux, car ses yeux s'accrochent à un deuxième Antoine Savoy, celui du souvenir, qui toque à une porte alors que Sambre s’approche de lui, essaie d’entendre sans écouter pour ne pas être trop intrusif. Mais il est difficile de ne pas se laisser dévorer par sa curiosité.
Croyance ? Quoi ? Non. Impossible.
La porte s’ouvre, et la pudeur fait glisser les yeux du potionniste sur le mobilier de la chambre avant de se poser sur le garçon à l'air malade. Et il reste interdit, sans voix. Est-ce que ses yeux lui jouaient des tours ? Est-ce que c'était...

- C’est lui ? Votre fils ? Enfin...
Savoy avait surement compris sa pensée sans qu'il n'ait à s'étendre d'avantage.
- Croyance est un loup-garou ?
Il chuchote comme si le souvenir pouvait l'entendre, comme s'il risquait de déranger le duo qu'il contemple avec incrédulité.
- Est-ce que c'est ça qui l’affaiblit à ce point ?

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La question du directeur de département tinte à l’oreille du potionniste, le ton semble moins assuré mais le jeune homme n’y prête pas attention, songeant qu’il affabule. Après tout, son client avait accepté de le laisser prendre ce chemin, il en avait même été l’instigateur.

- Nous avons fait notre scolarité ensemble à Poudlard.

Sambre s’approche un peu plus du “père” et du “fils”, mais garde une distance suffisante comme pour laisser l’intimité à ce qui n’est en réalité que volute de fumée et de souvenir. En réalité, il utilisait rarement la Pensine et n’avait absolument pas l’habitude de voyager dans le temps et les pensées, encore moins lorsqu’il s’agissait des pensées des autres. Cependant, il devait admettre que l’idée d’Antoine Savoy de partager ses souvenirs ainsi était véritablement du pain bénit. Observer sans danger était une chose non négligeable dans leur nouvelle entreprise.

- Ne vous en faites pas, je ne dirai rien. Je suis simplement surpris. Je ne savais pas.

Comment aurait-il pu savoir ? Qui plus est, à cette époque là, Sambre était bien plus étranger que maintenant, aux crises et questionnements du monde des sorciers.
Lentement, il coule un regard sur son aîné pour l’observer un bref instant alors qu’il tourne autour du duo qu’il essaie encore une fois de ne pas trop écouter pour ne pas s’insinuer dans leur histoire.

- Le protéger des effets de sa transformation ?

Les deux hommes se mettent en mouvement, et Sambre les suit, sachant que le directeur fera de même. L’appréhension se mêle à l’excitation de la découverte et le potionniste fait tourner ses bagues entre ses doigts.

- Sous votre surveillance… Je suppose qu’il avait pris sa potion tue-loup ? Depuis des siècles nous leur faisons avaler cette potion qui n’est qu’une demi réussite.

De nouveau, il réfléchit, ça lui permet de ne pas s’interroger sur ce qui relie ces deux-là, et pourquoi tout semble si triste autour d’eux.

- Pourquoi ne peut-elle pas mieux fonctionner… ? Permettre de maintenir l’apparence humaine… Ce serait la première étape ?

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Sambre n’avait rien dit mais il lui semblait alors évident que trahir n’était pas dans sa nature, du moins dans ce contexte-là. Et après tout Sambre n’avait jamais été confronté à ce genre de situations. D’ailleurs en principe, il conservait jalousement ses secrets, même lorsque ses amis s’inquiétaient pour lui. Personne n’était infaillible, évidemment, mais, dans le fond, confier ses secrets à un potionniste caché derrière ses chaudrons, n’était-ce pas le meilleur moyen de les enterrer loin des oreilles indiscrètes de son ministère.

La réponse du directeur peine à trouver un véritable sens dans l’esprit observateur de la scène. Les questions, à nouveau, lui brûlent les lèvres mais il se refuse à en poser certaines, cela devenait intrusif pour son client, mais aussi pour Croyance.
Innocemment, il demande quand même, loin de se douter qu’il mettait les pieds dans le plat.

- Je croyais que la potion devait les rendre inoffensifs ? Est-ce qu’ils restent cependant un danger pour eux-même ? C’est à cause de leur conscience humaine qui lutte contre la transformation ?

Loin des considérations personnelles, très loin même, Sambre attend en croisant les bras. Il attend, prend bonne note, heureux d’apprendre que son compagnon de route saurait être une seconde paire de mains efficace pour leurs expériences.
La réponse de Savoy lui arrache un soupir désolé.

Soudain, la dynamique change entre les deux êtres du passé et par réflexe, n’ayant pas encore l’instinct de se rappeler qu’il n’est que dans un souvenir, Sambre se rapproche du véritable directeur sans lâcher des yeux la transformation qui semble commencer.
Ses doigts ont le réflexe de s’agripper à la manche du directeur. Est-ce qu’il était impressionné ? Clairement. Peut-être effrayé, aussi, par la réalité.
Aucune horreur dans les yeux cependant, seulement beaucoup de compassion et de questions.

- Est-ce que… c’est aussi douloureux que ça en a l’air pour lui ?

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Seuls les sons, les bruits et les voix du souvenir résonnent à présent et Sambre observe en silence ce que jamais il n’aurait imaginé voir un jour, retenant son souffle comme si le loup allait pouvoir le sentir, ressentant les battements de son cœur comme s’il avait été dans la pièce avec eux.
La confirmation du directeur de département sur la souffrance dont il est témoin laisse un poids sur ses épaules. Le préparateur de potions ne s’était jamais posé de questions autre que celle de l’efficacité de ses mixtures. Il ne s’était jamais interrogé sur les personnes qui en faisaient usage, que ce soit pour un philtre d’amour ou une potion tue-loup.

La main d’Antoine Savoy le tire du souvenir et de ses songes au même instant et ils sont à nouveau dans le bureau surchargé du maître des potions. Sambre reste un instant agard et absent, fixant la pensine quelques secondes avant de s’en détourner.

- Je suis désolé pour Croyance.

Car il voit bien que revivre le souvenir n’avait pas laissé son aîné indifférent.
Et de son côté, la transformation l’a ébranlé. Peut-être est-il même un peu plus pâle.

- J’espère que nous trouverons un moyen de l’aider. Lui. Et les autres.

Sa main si joliment baguée se pose sur celle du directeur, toujours sur son épaule, compatissant, avant qu’il ne s’écarte pour récupérer le souvenir et referme la porte sur la pensine.

- Nous verrons bien ce qui ressortira de notre travail.

Avec un sourire encourageant, il souffle.

- Encore mille merci, pour votre confiance. Je n’abuserai pas plus de votre temps, si vous avez affaire ailleurs. Et je n’oublie pas… que vous affectionnez la peinture.

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