La compétition est rude, mais tu as réussi à tenir les deux premières semaines du show sans te faire éliminer. Tu te sens dans ton élément, Zadig... c'est juste que tu ne pensais pas faire face à des talents comparables au tien. Certains arrivent à se hisser à ta hauteur et ça te fait peur. Tu crains que quelqu'un d'autre puisse remporter le coeur du public d'ici la finale. Parce que OUI, tu iras en finale. Ça ne peut pas en être autrement.

Tu vas d'abord commencer par faire perdre Basile Delacroix, pour chasser de son visage son petit sourire insolent et conquérant. Puis tu t'arrangeras de le mettre hors concours définitivement.

Assis dans les couloirs entre deux répétitions, tu fomentes à des plans diaboliques sans aucun sens, pris d'une migraine à force de te torturer. Parce que le seul à souffrir de ta cruauté, c'est toi-même. Le seul à avoir peur de perdre, c'est toi. Empoisonné par le besoin insatiable et empoisonné de gagner.

Une silhouette passe devant toi, et si d'abord tu ne daignes pas relever le menton de ton feed witchtagram, c'est de voir que la personne s'arrête qui te force finalement à t'y intéresser. Pendant un moment, tu plonges ton regard dans le sien. Sol.

— « Tu veux quoi ? »

Pas aimable pour un sous. Tu sens ton coeur se serrer.

— « Hm... Désolé. »

Tu passes une main dans tes cheveux. Baisses les yeux sur la photo affichée. Une fille en maillot de bain, cette sorcière influenceuse que t'as rencontré sur un plateau de tournage. Tu fixes de nouveau Sol, tapotes du pouce sur l'écran pour liker la photo avant de verrouiller le pineapple.

— « Tu vas bien ? T'es là pour le shooting de la semaine ? »

Tu ne réagis pas trop quand il te lâche la première bombe. Tu fronces les sourcils, confus, et fais claquer ta langue sur ton palais sans relever. Pour toi. Qu'est-ce que ça signifie ? T'es chamboulé Zadig, et même si t'es habitué à ce genre de répliques de la part de fans... quand ça sort de sa bouche c'est différent. Lui n'a aucune attente envers toi. Il est grisant dans son honnêteté. Un peu malaisant aussi. Merde.

— « Évidemment que tu viens pour moi. Pour qui d'autre ? »

Tu étires un sourire charmeur et mystérieux. Sourire qui s'évapore quand il parle de la fille sur la photo. Tu prends le soin de ranger ton pineapple dans ta poche dans un geste pressé et pressant, puis hausses les épaules.

— « Hmm... Non, pas vraiment une amie non- »

En tous cas, pas aussi belle que toi.
Tu bloques. Mais qu'est-ce qui lui prend ? Tu le dévisages presque l'air méchant avant d'éclater de rire - visiblement toujours mal à l'aise et nerveux. L'envie de répondre du tac au tac Bah alors ? Tu veux me sucer ou quoi ? mais il te coupe dans ton élan en poursuivant la conversation. C'est vrai que tu lui as demandé comment il allait (et il est l'un des rares où ça t'intéresse vraiment). Tu ne fais pas semblant d'écouter, même si ça a l'air.

— « C'est cool que Blair t'ait filé cette opportunité. Ça doit te changer des livraisons. Ça a quand même plus de gueule le showbizz que le monde des pizzas. Hein ? »

Mais il enchaine, il te complimente. T'es comme un gosse Zadig. Le problème avec toi c'est qu'il faut pas te lancer sur tes performances parce que tu pourrais commencer à te vanter pendant des heures avec un petit air hautain et suffisant.

— « Putain, incroyable. »

Tu ressors ton tel, le déverrouilles et actualises witchtagram.

— « Tu pourras m'en filer pour mon feed ? Je veux les meilleures. »

Vous n'êtes vraiment pas du même monde. T'arrives pas à croire que tu l'as rencontré par hasard lors d'une soirée où t'as fini minable. Tu sais pas comment il fait pour te regarder avec ces yeux là, après ce qu'ils ont vu la dernière fois. Tu te pinces les lèvres pour les humidifier et baisses les yeux sur ton pineapple, encore. Tu préfères fuir que d'affronter son sourire idiot.

— « Rassure-toi, il n'y a que les stars qui montent sur scène. »

Tu ne te rends pas tout de suite de la violence de tes mots. D'à quel point c'est carrément méprisant. Quand tu captes que tu l'as peut-être vexé (dieu que les gens sont fragiles !) tu tentes de te rattraper.

— « Je veux dire... T'es pas moins important. Sans les gens comme toi pour filmer, on serait rien. »

Un discours que tu n'aurais jamais eu avant. Y'a que devant lui que tu fais le beau parleur alors que derrière t'es une merde avec les équipes techniques. La vérité c'est qu'ils peuvent filmer ce qu'ils veulent ces bâtards, sans toi pour briller sur leurs écrans, y'a rien.

— « Chez toi ? Ah, euh... T'sais je suis super occupé avec les répétitions et ... j'sais pas si j'aurai le temps de passer le soir. »

Tu laisses un ange passer.

— « Hm. Sinon tu veux venir à la soirée de demain ? C'est avec les participants et des membres du staff. Et d'autres potes à moi. Ça te dit ? »

Evidemment, comme le gros aveugle et sourd que tu es - tu ne te rends pas compte de sa déception. Tu donnes même l'air d'en avoir rien à foutre tellement tu l'ignores mais son enthousiasme, à contrario, te parait démesuré. Tu bats des cils, hausses un sourcil presque hautain quand il s'exclame. Puis tes lèvres ourlent un sourire doux et chaotique à la fois. Il a vraiment cette attitude niaise qui te fait gerber d'habitude, pourtant son attitude si douce à ton égard réchauffe ton coeur (oui oui il existe).

— « Ouai sérieux. Bah alors, t'es sourd ou tu me crois pas quand je parle ? »

Tu laisses échapper un petit rire de ta bouche pincée. Puis t'as les joues qui rosissent quand il te lâche qu'il est content de passer du temps avec toi. Tu tousses dans ton poing.

— « Ouai ouai. »

Tu le toises sans malveillance, ouvres l'application des messages pour chercher son contact. Vous parlez peu, alors t'as besoin de scroll un moment avant de le retrouver.

— « Je t'envoie l'adresse. Et arrête, la dernière fois tu t'es bien ambiancé non ? »

Tu te lèves, poses une main sur son épaule.

— « Faut que je te fasse rencontrer du monde. Les contacts de Blair c'est bien mais... moi je peux te présenter des gens bien plus intéressants. Et puis faudrait qu'on te trouve une petite meuf. »

Malgré le sourire, les doigts agrippent et s'accrochent au tissu de son t-shirt dans un élan possessif. T'as lâché ça comme ça et pourtant ça t'énerve. T'as besoin et envie qu'il ne regarde que toi.

— « T'acceptes d'être mon acolyte ? »

T'as la haine, la haine, la haine.

T'as un souvenir beaucoup trop vague de la dernière soirée. T'as une image de lui présent, dans ces toilettes, à un moment où tu étais vulnérable. Il avait réussi l'exploit de gagner ta confiance, t'escortant jusqu'à une chambre pour... non, le reste c'est flou. Tu te souviens pas. Seulement de l'avoir recroisé dans les bureaux de Blair quelques semaines après, par hasard. Tu n'avais même pas fait l'effort de garder le contact de par toi-même.

— « Et profite-en, d'habitude j'ai aucun neurones de disponible pour penser à ce genre de choses. »

Tu t'en fous de tout, de tout le monde - mais surtout pas de toi. Ton leitmotiv depuis le début de l'adolescence : tu es le seul qui compte, les autres ne seront que des divertissements ou des outils nécessaires à ton ascension. Peut-être que ce dernier précepte fut le plus dur à respecter. Tu penses à Isha, Algae, Icare... Et maintenant Sol. Merde.

— « T'inquiète t'es pas obligé de boire, je m'en branle. Mais si tu veux... monter un peu. Demande-moi, je ramènerai une fournée qu'un ami a ramené de son voyage. »

Tu hausses un sourcil pour l'intimider, le surplombant de toute ta hauteur. Grimace confuse quand il se permet de passer la main dans tes cheveux, t'as un mouvement de recul, agressif.

— « Qu'est-ce que tu fais ?! »

Parce que t'aimes pas du tout ses manières d'instaurer une intimité tendancieuse.

— « Me touche pas si je te l'ai pas demandé. »

T'as l'air d'un chiot sur la défensive, t'as horreur de ça. Tu te racles la gorge pour reprendre le fil de la conversation. De quoi parliez-vous, déjà ? Ah. Oui. La copine. Il en a pas. Ah bon. Ça l'intéresse pas. Ah. Pourquoi ? Bon.

— « T'as raison. Les meufs c'est prise de tête et être en couple c'est vraiment le pire truc qu'on a inventé. J'arrive pas à faire durer mes relations plus d'une semaine. Je me lasse toujours. Dingue, hein ? »

Parce que ce sont jamais les bonnes.
Et tu n'as aucune idée, Zadig - d'à quel point tu as besoin du bon.