L'invitation était trop flatteuse.
C'était probablement la dernière pensée cohérente que Cassidan avait eue avant que tout ne s'accélère, ne devienne un grand flou aux couleurs des robes et des costards.
Du noir et du sang.
Il avait cousu jour et nuit, dessiné des heures durant. Proposé des idées, encore et encore. Son cerveau était à bout d'épuisement, pourtant, il était là.
Le premier couple lancé, il contemplait la splendide robe d'Angelica virevolter. En espérant que l'homme qui l'accompagnait se sente un peu à l'étroit dans ses propres habits.
Oh il savait, Cassidan, ce qu'il disait à sa partenaire quand il pensait que personne ne les écoutait.
Ses mains couvertes de pansements, installé dans un fauteuil bien plus grand que lui, il cousait silencieusement, ses yeux levés sur l'écran. Dans ces coulisses fort confortables, ils s'étaient assurés que les personnes invitées soient confortables - qu'ils soient les danseurs ou le staff.
Il se plaisait à être le staff, Cassidan, peu habitué au confort de la reconnaissance. Il n'était qu'un couturier, pourtant, les remerciements et les joies avaient déjà commencé à pleuvoir - renflouer ses comptes de nouveaux abonnements.
C'était prometteur pour sa carrière, il ne pouvait pas le nier.
Mais pour ses doigts, c'était une catastrophe - et alors que ses yeux sont ainsi ailleurs, il se plante à nouveau l'aiguille dans l'index, presque insensible à ce stade, et n'émettant donc aucune plainte de douleur.
Habitué, en somme.
Il se relève, Cassidan, abandonne la magnifique robe satin dont il raccourcissait le bas sur le bras de son fauteuil, pars à la recherche de pansements, récupérant un pauvre bout de mouchoir qui se gorge vite de son sang.
Il était un peu hémophile, bien qu'il ne le sache pas.

Excusez moi...

Sa voix est un souffle à peine parmi ces brouhaha bavards et actifs de ce qui se passe dans les coulisses des émissions du genre. Un homme, aux cheveux blancs, d'à peu près la même taille que lui mais bien plus impressionnant dans sa carrure, lui barrait l'accès à la boite à pharmacie - sa rédemption.

Pourriez-vous m'offrir un pansement ou me laisser passer, s'il-vous-plaît ?

Un large sourire sur ses lèvres, Cassidan attend, appuyant sur la petite plaie qui n'est pas prête à se laisser étouffer.

Ses joues s'embrasent à Cassidan.
Est-ce donc le médicomage qui a été envoyé ici ? Il savait qu'il y en aurait un - il espérait ne pas le croiser. Mais alors demander des pansements au soigneur, c'était encore pire comme entrée - il était bien honteux et embarrassé devant cet homme qui maîtrisait ces sorts qui jamais n'avaient voulu coopérer avec lui.
Mais surtout, l'homme le complimente, et Cassidan bafouille, détourne les yeux qu'il ne sait plus où poser.

Je ne suis pas... Je ne suis pas vraiment un virtuose ou quoi, vous savez, je ne suis pas... Je suis juste un couturier très maladroit et je suis désolé de l'état de mes mains, je... J'ai du mal avec les sorts de soin vous savez, je vous admire beaucoup d'aussi bien les maîtriser.

Il soigne ses mains, le médecin, et Cassidan observe la magie opérer avec des grands yeux écarquillés, car c'est toujours impressionnant de voir la peau se recoudre sans fil, de voir les chairs meurtries se réparer, là où pour lui elles étaient condamnées. Et lorsque l'homme lui offre un sourire, Cass' lui attrape les deux mains et les serre entre les siennes, avant de s'atteler à retirer tous ses pansements désormais vains, un à un.

Merci !! C'est bien plus efficace ainsi, en effet. Vous êtes incroyablement doux, vous savez ? Votre peau est très douce, c'est agréable. Vous utilisez une crème particulière peut-être ?

C'est à croire qu'il n'a pas vu les cicatrices que tous les autres ont sûrement dévisagé - à croire qu'il est indifférent à ce physique que les autres ont tendance à craindre.
Et c'est vrai. Car pour Cassidan, le visage n'est rien qu'une apparence qu'un rien peut modifier - et qui au final n'a aucune valeur.
Là où la douceur des gestes vaut tout un monde.

On dirait que Cassidan a perturbé son interlocuteur - et ça le fait rougir un peu plus, alors qu'il lève ses yeux sur lui légèrement, se mordant la lèvre en y réfléchissant.

Vous savez, il y a un monde entre virtuose et bon. J'ai eu beaucoup de chance ! Je ne suis pas très connu, pourtant ils m'ont déniché et m'ont proposé de designer les tenues et d'en coudre certaines. Cela ne fait pas de moi un génie. J'imagine juste qu'ils aiment montrer qu'ils peuvent offrir des opportunités à d'autres, moins connus.

Un faible sourire orne ses lèvres à Cassidan, alors qu'il roule en boule tous les pansements, contemple ses mains soignées avec un peu de surprise. Cela faisait longtemps qu'il n'avait pas pu ainsi contempler ses mains, et il réalise subitement qu'elles sont très fines et très marquées par les années de cicatrices qu'il n'a jamais fait soigner.

Pourtant elles sont si douces ! Il faut croire que c'est inné - ça doit être la preuve que votre nature est tout aussi agréable.

Il sourit Cassidan, tendrement presque, avant de regarder à nouveau ses mains, interdit.

C'est vrai... Mais je ne sais pas faire. Je ne sais que coudre, et la peau n'est pas faite pour ça.

Il ne lui montrera pas comment il le sait - se contentera de relever le nez vers l'écran et rire nerveusement.

Je ne savais pas qu'on avait le droit à un favori... Je n'oserais pas m'exprimer, je ne m'y connais en danse que pour l'ampleur des jupes que je dois faire. Et vous ? Savez vous danser ? Avez vous un favori ?

Un sourire éclaire ses traits, à Cassidan, alors qu'il observe cet homme d'un regard perçant, comme si c'est à même son âme qu'il lisait, capable de distinguer ce qu'il se voulait de dissimuler.

Vous savez, pour moi, lorsque l'on s'adonne au soin d'autrui, c'est qu'on est bon et qu'on aime voir les gens se remettre de leurs maux. Alors j'insiste que votre nature me paraît être d'une bonté innée - surtout que l'on n'accepte que plus difficilement les vérités.

Petit clin d'oeil presque taquin, Cassidan semble prêt à faire entrer l'idée dans la tête de Croyance par la force si cela est nécessaire. Cependant, sa main se lève pour couvrir ses lèvres lorsqu'il voit l'autre homme réfléchir un peu trop intensément pour une question aussi simple - venant poser une main chaude sur son avant-bras découvert.

Oui, Siren est très... élégant, oui.

Petit rire amusé - Cassidan connaissait bien les travers de son ami, et savait à quel point il apprécierait si le médecin phasait ainsi devant lui.
Sûrement qu'il lui offrirait de quoi nourrir son imagination.
Mais le regard de Cass' se baisse, se pose sur les bras de l'homme avant de remonter, de sourire.

J'ai des vêtements très légers dans l'atelier qui m'a été alloué, vous semblez avoir très chaud, je suis sûr qu'ils vous iront mieux que votre chemise. Et ne vous en faites pas, les manches sont longues aussi. Vous ne saurez pourtant même pas qu'elles sont là.

Cassidan se contente d'un sourire en réponse, un sourire doux, chaleureux, bienveillant. Le médecin a accepté et c'est le plus important, n'est-ce pas, d'entendre et d'accepter les mots gentils que les autres vous offrent.
Cassidan pourrait l'en arroser, mais il craint que l'homme s'y noierait.
Alors lorsque l'homme accepte de se faire rhabiller, Cass' le prend par la main pour le traîner dans son atelier - vide - où il le lâche enfin, l'observe quelques instants supplémentaires.
L'écoute, et surtout, l'entend.

Moi je trouve ça plutôt sexy.

Il aime les cicatrices, Cassidan, ces marques qui à chaque personne offrent leur vie. Et doucement il retourne l'avant-bras du médecin entre ses mains, passe le bout de ses doigts sur les marques. Puis ça tique, dans son cerveau, et il lève le regard sur ce visage balafré, sourit tendrement. Pas de pitié, non, de respect et d'admiration.
Car seul un loup qui se déteste se marque régulièrement.

Vous êtes un survivant, et ça, ça mérite d'être admiré.

D'un pas léger il se recule, s'écarte pour saisir l'un des cintres qui parsèment la pièce, en enlever le vêtement - le tulle si léger qu'on ne le sent presque pas.

Si vous n'avez pas l'habitude, vous vous sentirez comme nu, je vous préviens !

Un rire alors qu'il revient vers lui, et s'attèle immédiatement à déboutonner sa chemise - imperturbable.

Cassidan l'observe plus attentivement, soudain, se fait plus doux et plus avenant, alors qu'il retire la chemise des épaules de l'homme, note les marques, les blessures, les cicatrices. Sur ses avant-bras, des morsures - partout d'autres marques encore.
Certaines sont noires et Cassidan ne peut pas l'ignorer - reconnaissant ces plaies sans en dire un seul mot.

Je ne dis pas n'importe quoi. N'est-ce pas, au final, une preuve du chemin que vous avez parcouru ? Peut-être qu'aujourd'hui les marques vous sont rappels douloureux, mais je peux vous certifier, qu'au moins à mes yeux, elles vous rendent infiniment beau. La force dont il faut faire preuve pour ne pas se laisser succomber alors qu'autant de mal a été gravé dans notre chair, je ne peux que l'imaginer.

Sa main, fraîche, se pose sur cet avant bras mutilé, alors qu'il lui sourit, le regarde droit dans les yeux.
Doucement, il vient glisser la chemise sur son dos, le couvrant du matériau qui est légèrement trop grand pour lui - mais qui devrait quand même lui aller. Bouton par bouton, il recouvre sa peau, jusqu'à achever de le rhabiller, lui souriant alors qu'il se recule, Cassidan, toujours bienveillant.

Il vous suffira de baisser les yeux pour réaliser que si, vous êtes bien vêtu.

Il s'avance à nouveau et cette fois-ci c'est à son épaule que sa main s'arrime.

Vous avez fait votre travail - et je ne fais que faire le mien.

Il sourit, Cassidan, espérant qu'il offrira un peu de bonheur à cet homme trop affublé par le malheur. Il sourit, Cassidan, car il ne veut offrir que le meilleur de lui-même, ne veut pas que la souffrance s'éprenne de cet individu pourtant si bon. Et enfin, Cassidan sourit, car sans son sourire son masque s'effondre et se brise, se fend sans attendre, incapable de se maintenir s'il n'essaie pas d'offrir aux autres un visage accueillant.

Vous êtes dans une émission de danse, ça tombe bien !

Un léger rire, Cassidan le libère, s'écarte d'un pas, le contemplant.

Je trouve que cela vous va à merveille.

Il se contemple, se tourne finalement vers lui, et le jeune couturier penche la tête, curieux.

Qu'avez vous à l'esprit ? Demandez, n'ayez crainte !