Le message laissé sur le pineapple d’Erin disait approximativement ceci : “Erin, c’est Sambre. Si t’as cinq minutes demain soir, j’aimerai que tu passes à la boutique à l’heure de la fermeture. Pas avant. Je pense qu’on peut avoir besoin de tes services. Si ça t’intéresse. Enfin c’est comme tu veux, on peut se débrouiller sans toi sinon.”. Le ton était à la fois cordial, pressant et on y sentait une pointe de contrariété et un peu de distance aussi.

On ne pouvait pas dire que l’entente était parfaite, entre la jeune femme et Sambre. Ils avaient chacun leur petit caractère, à la foi incompatible et pourtant, il existait une étonnante tolérance entre eux. On pouvait légitimement se demander pourquoi. Erin était trop méfiante pour Sambre, et trop fière aussi. De son côté, il savait qu’il était probablement trop exubérant et familier pour elle. Et bien d’autres choses encore dans les deux camps, il en était certain.
Il était également sûr de certaines autres choses, au sujet de Miss Keller. D’une part, qu’elle appréciait peu qu’il l’appelle comme ça, d’autre part , que l’indépendance, la force et la débrouillardise de la jeune femme lui inspiraient beaucoup de respect et, il fallait le dire, une certaine pointe d'admiration. Une pointe, c’était tout. Il ne fallait pas exagérer. Et bien évidemment, elle resterait dans l’ignorance à ce sujet. Il était hors de question qu’elle le sache.

La journée avait suivi son cours aujourd’hui, calmement et sans surprise. La surprise, mauvaise en l'occurrence, ils l’avaient  découverte la veille alors qu’ils attendaient une importante livraison d’ingrédients rares dont ils attendaient l’arrivée depuis plusieurs jours. Un approvisionnement urgent, qui aurait dû être là sans encombres, être de grande qualité et en grande quantité.
Hors, à l’heure où le colis aurait dû être livré, par le réseau de cheminées sécurisé de l’atelier… Rien.
Pas de nouvelles non plus de leur fournisseur, lui qui était pourtant si prompt à venir réclamer un supplément en guise de “prime de risque” comme il aimait les appeler.

Encore aujourd’hui, alors que Sambre refermait la porte de la boutique et tirait les rideaux des vitrines d’un coup de baguette vif et silencieux, aucun membre de l’atelier n’avait de nouvelles.
Il avait appelé Erin dès que les flammes vertes dans la cheminée s’étaient volatilisées sans apporter leur dû.
Elle ne devrait pas tarder à se présenter à l’arrière de l’atelier d’ailleurs, elle qui était plutôt à l’heure, même s’il ne savait pas si elle allait réellement venir. La jeune femme était un peu versatile, et Sambre comptait bien sur son envie de saisir l’opportunité professionnelle pour la faire bouger, plus que sur le fait de lui rendre service à lui.

Le plus jeune des Lawrence traversa les étales, passa le comptoir en bois massif pour se rendre dans la première salle de préparation juste derrière. Le jour déclinant laissait passer dans les vitraux une lumière orangée, éclairant ainsi toute la pièce ouverte sur la boutique. Sur la gauche, une petite porte en bois donnait sur une petite cour entourée par de haut murs en brique qui, elle-même, donnait sur une ruelle étroite avant de rejoindre la rue adjacente, bien plus fréquentée. C’était là que Sambre avait donné rendez-vous à Erin. Elle apprécierait sans doute la discrétion et l’intimité de la cour.  

Posé sur de vieilles caisses en bois qui ne bougeaient pas de leur place depuis des lustres, il eut à peine le temps d’allumer une cigarette.
Quand il l'aperçoit enfin, il affiche un petit sourire en coin, le genre de sourire un peu agaçant quand même, il le savait. Est ce que ce sourire lui est adressé à elle particulièrement ou est-ce qu’il est juste satisfait d’avoir réussi à la faire venir jusqu’à lui ? On ne pouvait être sûr de rien.

- Salut Miss Keller. Merci d’être venu.

C’était déjà un bon point, même s’il n’était évidemment pas certain qu’elle accepte sa proposition.
En signe de paix et d’entente, il lui tend une cigarette, du même genre que la sienne, à l’air artisanale mais plutôt intéressante. Erin lui avait fourni une des plantes qui la composait, pour la consommation personnelle de Sambre.

- C’est fait avec une de mes dernières commandes. Tu peux goûter si tu veux, t’as participé à la conception en un sens. C’est pas fort, ça met dans de bonnes conditions pour parler affaires.

@feat  A. Erin Keller Let's go !

Égale à elle-même, Erin ne l’accueillait pas avec le plus grand des sourires à son arrivée. Et c'était un euphémisme. D’une manière générale, elle n’avait pas l’air ravie d’être là et ça n’avait pas l’air d’être uniquement provoqué par la présence du plus jeune des Lawrence et de son air goguenard qui disait “T’es venu.” en silence.
Certes, il y était pour beaucoup et il le savait notamment parce qu’il utilisait ostensiblement le prénom qu’elle lui avait répété un millier de fois d’oublier à tout jamais. Et pour être honnête à ce sujet, si Sambre continuait à user de ce patronyme secret, c’était parce qu’il oubliait de temps en temps le “bon” si son aînée ne le lui répétait pas. En fait, il préférait peut-être Erin, tout simplement.
La tête qu’elle faisait aujourd’hui cependant, n’était peut-être pas uniquement de sa faute à lui, non ? Il faisait plaisir à voir quand même, enfin, en terme de visuel au moins.

- Enfin Erin ! Un petit chien on l’appelle parce c’est mignon, qu’on a envie de jouer avec lui ou de lui faire des gratouilles sur le ventre. Toi… On aurait trop peur que tu mordes. Je t’ai appelé en tant que professionnel fiable !

Il a la tête d’un sale gosse qui oscille entre un “Je me fou de toi.” totalement conscient et assumé, et un “Promis, juré, craché !” presque innocent. Et pour l’heure, les deux étaient vrais.
Évidemment, il ne loupait pas une minute pour l’asticoter un peu, voire beaucoup, parce que c’était amusant et que Erin faisait partie de ce type de personnes qui appelaient la taquinerie justement parce qu’elles voulaient qu’on le foute la paix. Certes, dans notre cas, le risque qu’elle vous transforme en portrait façon puzzle était grand mais Sambre s’accordait toujours à dire qu’avec du risque, tout devenait beaucoup plus amusant.
Malgré tout, il avait admis, à l’instant même où il avait décidé de l’appeler, qu’elle était douée dans ce qu’elle faisait et que cela faisait d’elle une alliée de poids, en tout cas qu’elle pourrait rendre un grand service dans cette histoire, si toutefois elle était intéressée. Il ne le lui dira pas, bien évidemment, du moins pas tout de suite. Les flatteries seraient peut-être utiles plus tard, pour la convaincre peut-être.

- Tu préfères garder les idées claires, je comprends, c’est tout à ton honneur, quelle pro’ !

Sambre savait qu’il ne pourrait pas tourner autour du pot éternellement. Erin semblait déjà s’impatienter, et de son côté, il ne savait toujours pas comment tourner la chose, malgré le fait qu’il ait eu un peu de temps pour y réfléchir.
Ce n’était pas sa dernière chance mais tout serait beaucoup plus simple si un accord était trouvé aujourd’hui. Le Maître des Potions qui l’avait pris sous son aile serait d’une part, content de lui, d’autre part, il serait aussi plus détendu.
Le deal profiterait à tout le monde. Il fallait se lancer avant qu’Erin s’agace et se tire.

- D’abord, sache que ce n'est pas pour moi. Enfin, pas seulement pour moi.

D’un geste de la tête, il désigne la porte arrière de l’atelier. Elle devait savoir ce qui se trouvait derrière même si elle n’y avait pas forcément mis les pieds. Le lieu était reconnu. Les potions de qualité et le travail de recherche abattu entre ces murs était colossal.

- Un des fournisseurs nous a lâché.
Enfin…Ce n’était peut-être pas le terme exact.

- Lâché, en fait on n’en sait rien. On a pas de nouvelles alors que c’est le premier à venir gratter une avance sur salaire ou une prime de risques tu vois ? Donc soit il a trouvé un meilleur acheteur mais franchement on lui demandait rien qui puisse donner envie de le débaucher tu vois.

Ou peut-être que si, finalement.
Sambre tirait de temps en temps sur sa cigarette artisanale, entre certains mots, sur ses temps de pause et de réflexion. Ses sourcils étaient légèrement froncés par la contrariété de perdre du temps sur ses recherches et son travail en général. On ne force pas un passionné à faire des pauses. Si ça avait été de peintures dont il s’agissait, le drame aurait peut-être été encore plus grand.
Dans le plus grand des calmes, il conclut finalement.

- Ou alors il est mort ?

Sambre est bien cruel sous ses boucles blondes parfois.

- Donc… Je me disais qu’avec ton p'tit boulot, il avait secoué légèrement la cigarette pour illustrer son propos. Tu pourrais éventuellement te charger de nous approvisionner pour quelques petites choses.

Pendant qu’il parlait, sa main libre avait sorti de la poche de son pantalon, un petit parchemin encore roulé sur lui-même, qu’il tendit à Erin avec beaucoup de délicatesse, comme si l’objet en question était particulièrement fragile.
Il préférait lui laisser découvrir la liste plutôt que de la lui énoncer à voix haute.
Une liste était couchée sur le papier à l’encre noire, d’une écriture penchée particulièrement élégante qui était loin d’être celle de Sambre. Parmi les nombreux ingrédients on pouvait lire entre autre : filet du diable, mandragore, figuier d’Abyssinie et snargalouf.

@feat  A. Erin Keller Let's go !

Sambre lève les yeux au ciel, comme à son habitude quand Erin le presse de passer les détails pour en venir au fait. Ce qu’il ne comptait pas faire, malgré les nombreuses fois où la jeune femme lui avait demandé de le faire. En ça, ils étaient radicalement différents et Sambre avait bien l’intention de lui faire découvrir comment communiquer avec un artiste. Chose qui ne devait pas lui être familier, aux vues de son domaine d’expertise.
Cela dit, la communication en général n’avait pas l’air d’être son fort non plus.

- Je pose le décor Erin ! C’est important, et tu sais que les artistes ont le sens de la formule, même s’ils sont aux aboies. C’est ce qui fait notre charme.

Il soupire, en la laissant inspecter la liste, hochant simplement la tête quand elle constate que les ingrédients n’étaient pas la première poudre de perlinpinpin venue. S’il avait fallu tourner au coin de la rue, il se serait épargné son mauvais caractère.
Et ça, une fois n’est pas coutume, il eut la sagesse de ne pas le dire à voix haute. Et pour cause, il attend, et espère qu’elle lui dise oui. Alors il se tait, sage, en attendant son verdict.

De nouveau, il hoche la tête quand elle énonce ses conditions. Il les attendait. Mais il comprend, et elles ne différaient pas vraiment de celles qu’ils avaient d’ores et déjà établi entre eux.  

- Je sais Erin, je comprends et pour tout l’administratif chiant j’en fais mon affaire.

Cette fois il se redresse, l’air plus sérieux, beaucoup moins enfantin et joueur. Dans son métier, il aimait être pris au sérieux, malgré le plaisir qu’il prenait à la taquiner. Son regard violine la toise, il a soudainement l’air beaucoup plus adulte avec cet air là.  

- Je n’ai parlé de toi à personne, j’ai juste dit que je saurai trouver une solution de secours pour nos commandes les plus urgentes. Personne ne pose de questions, et le maître des lieux est un passionné, avant d’être un citoyen modèle.

Son sourire mutin éclaire de nouveau son visage. Il n’était jamais bien loin celui-là.

- Un peu comme moi.

Effectivement, Sambre était loin d’être le plus politisé du monde, et même s’il n’éprouvait aucune animosité envers le Ministère, à l’inverse d’Erin, il n’était pas le plus doué pour respecter totalement les règles. En fait, faire passer sa passion et ses envies avant toutes ces considérations le rendait finalement à l’aise autant pour respecter les chemins tracés, tout comme pour en sortir.

- Tu ne verras que moi, je m’assurerai que tout ne transite que par moi, marchandise, argent. Et si ça peut te rassurer, je ne te ferai pas revenir ici, on se rencontrera ailleurs. Qu’est ce que tu en dis ?

@feat  A. Erin Keller Let's go !

Sans dire que Sambre avait éprouvé un certain stress à l’idée qu’Erin refuse sa proposition, il fut particulièrement soulagé par son acceptation car celle-ci lui facilitait drôlement la vie. Certes, il faudrait maintenant composer avec le caractère orageux de la jeune femme, et comme il venait de s’engager à le faire, lui seul serait son contact. Il ne pourrait donc pas se débiner par flemmardise ou simplement pour éviter ses foudres et sa mauvaise humeur chronique.
Mais ce détail mis à part, il n’avait pas perdu de temps pour pallier la disparition du fournisseur et pour éviter de stopper ses propres recherches. Pour cela, c’était une belle victoire.
De plus, mais cela n’était encore une ébauche dans sa tête, l’idée de remplacer le Maître des Potions ayant grandi dans sa jolie tête blonde, toute bonne action était bonne à réaliser.

Les questions de sa nouvelle alliée le sortent de sa courte réflexion et il darde alors sur elle ses yeux violines en fronçant les sourcils. Ce qu’elle pouvait être désagréable quand elle s’y mettait, il lui proposait un travail presque honnête et elle trouvait encore le moyen d’être contrariée.

- J’ai un ami qui tient une galerie d’art, on se verra là-bas. J’ai bien compris que tu n’étais pas friande d’artistes mais les soirées qu’il organise sont très sympas et personne ne sera surpris d’y voir une fêtarde dans ton genre et un artiste dans le mien. En plus, l’alcool y coule à flot.

Le sous-entendu était clair, n’était-ce pas à cause de son penchant pour les soirées arrosées qu’elle lui avait révélé le fameux “prénom-que-personne-ne-doit-utiliser” ?
Cependant, avant qu’elle se vexe et surtout pour la rassurer, il ajouta.

- Il s’agit surtout d’assurer l’intérim le temps qu’on sache ce qui est arrivé à ton prédécesseur et qu’on le remplace de manière transparente et légale. Quelques semaines, tout au plus. Aller, pour viser large, disons un mois et demi. Ne fais pas cette tête, il suffira de se donner rendez-vous chaque fin de semaine dans ces folles soirées et tu n’auras même pas l’impression de me rendre service.

Son sourire s’élargit alors qu’il fait disparaître d’un coup de baguette le mégot de la cigarette qu’il vient de terminer. Il la rangea ensuite dans le revers de sa veste, et se hissa sur le tas de vieilles caisses, souplement.

- Si jamais tu n’étais pas encore tout à fait convaincu, dis-toi que je te revaudrai ça.

@feat  A. Erin Keller Let's go !

Premier haussement d’épaules du potionniste qui retient une réponse pourtant bienvenue. Évidemment qu’elle ne travaillait pas pour être en sa compagnie, elle travaillait pour l’argent comme tout le monde. Et sous ses airs de bouledogue méchant, elle n’était rien de plus qu’une sorcière comme les autres, à l'affût du moindre galion pour espérer une vie tranquille. Et sur le moment, si cette pensée le fait sourire, Sambre se garde bien de la partager.

Et quand elle trouve encore le moyen de râler sur les solutions qu’il propose, il soupire en songeant que cette période de collaboration allait être particulièrement fastidieuse à tous les niveaux.
Et c’est un nouveau haussement d’épaules qui répond alors qu’il garde le silence, ou presque. Un soupir lui échappe.

En pinçant les lèvres avec une moue de petit prince dédaigneux, il siffle en réponse à une accusation, certes plutôt réaliste et qui était de bonne guerre avec ce moment où il avait délicatement insinué qu’Erin était peut-être légèrement alcoolique.
Mais quand même. Ça faisait mal de l’entendre, surtout quand il doutait que son interlocutrice soit bien plus équilibrée que lui.

- Je suis loin d’être paumé. Malgré certaines de mes fréquentations.

Et son regard appuyait directement sur la présence de sa nouvelle et provisoire associée. La suite lui fait lever les yeux au ciel et il secoue la tête avec dépit. Alors que la jeune femme s’éloigne déjà sans demander son reste. Il hausse le ton pour qu’elle ne loupe pas une miette de sa réponse quelque peu teintée d’ironie. A peine. Non, beaucoup.

- Ah ben c’est vrai tiens ! L’allée des Embrumes c’est vraiment la discrétion assurée…

Et, sûr qu’il ne gagnera rien à la retenir un peu plus longtemps même pour la taquiner un peu, il repasse la porte dérobée de l’atelier en pesant les plus et les moins de cette entrevue.
Ça ne s’était pas si mal passé finalement.

@feat  A. Erin Keller Let's go !