Ça te semble être une idée compliquée davantage qu’une mauvaise idée. Tu gardes pour toi cette objection, adossée à une vieille colonne de béton, en face de Tleyotl et en biais par rapport à la source du bruit qui t’écorche les oreilles.
— C’est ce que j’ai dit tu confirmes.  Mais je t’ai jamais dit que c’était facile. Il y a une nuance.
Petit sourire aux lèvres, tu répliques : Je te fais confiance là-dessus. Tu peux l’élever ou le tuer, je m’en contrefiche.
En fait, tu veux juste t’en débarrasser. Ce qu’il en fait, ça ne sera plus ton problème.
Haussant les épaules, tu termines : Sa vie ou sa mort ne dépend que de toi.

Petit rire à sa proposition :  Je n’y avais pas pensé, avoues-tu.  Mais ça me parait une excellente idée. C’était sans doute une boutade de son côté mais tu prends l’idée au pied de la lettre. Ça vous en débarrasserait (utile) tout en générant du remue-ménage au Ministère (agréable).
Le sourire devient carnassier cette fois.
Et puis, on pourra le voir en action. Avec un peu de chance, un magizoologiste dans le coin pourra trancher pour nous.

Snallygaster ou pas ?

La caisse tremble et finalement s’ouvre (tu avais dû oublier d’y jeter un Collaporta), Tleyotl grimpe et tu commentes pince sans rire :
— Oh, en effet on m’a menti sur la marchandise.
Et si avec un autre ça t’aurait exaspéré, tu savoures l’amusement qui point. Ça n’est pas Tleyotl qui te le provoque (tu évites de te moquer de tes amis, en règle générale), mais bien la bête et l’ambiance dans l’entrepôt.

Tu as récupéré la bête dans une transaction louche (comme celles que tu as l’habitude) et n’ayant pas spécialement d’idées sur quoi en faire, tu t’es dit que l’offrir au propriétaire d’un commerce louche serait une idée comme une autre.
— Dans le Ministère, ça serait un beau spectacle. Dans la nature, personne ne pourrait en profiter… argumentes-tu, levant les yeux pour le voir du haut de son perchoir.

Et puis tu seras toujours partante pour gêner ce Ministère que tu détestes, ça n’est pas un secret pour vous deux.
Le “beau spectacle” en question s’approche de toi en sifflant. Sans te presser, ta baguette dans une main, tu jettes un flipendo à la créature, la remettant à sa place : dans la cage dont la porte se referme en claquant. Et pour faire bonne mesure (ou épargner vos oreilles, au choix), ajoutes un silencio et le fameux collaporta qui manquait. — Cette fois, elle devrait se tenir tranquille. Nonchalante, tu ranges ta baguette dans ta poche arrière, prête à servir au cas où.
Tu n’as pas bougé de ton pilier quand tu précises, satisfaite de toi :
— La voici calmée et facilement transportable.

— Y a-t-il un matin où je ne me réveille pas ainsi ?
La demande est purement rhétorique ; non il n'y a pas un seul de ces jours.

Y a-t-il un jour où tu ne te réveille pas dans un monde dont tu exècre la moindre parcelle ?
C’est triste, quand on y pense mais pourtant terriblement vrai.

Tu souris à ses pitreries, adresses simplement : Elle prenait bien trop ses aises dans mon entrepôt.
Avant d’ajouter, un brin narquoise : Pour une créature que tu fuyais comme la peste, te voici vite radouci.
Nomade perpétuelle et pourtant curieusement territoriale. Après tout, tu peux crécher chaque nuit dans un endroit différent mais les marchandises aiment rester immobiles dans l’attente d’un transfert.

— Il n’y qu’ainsi que je trouverai la paix, affirmes-tu. Air sombre tout à coup, bien trop résolu. N’est-ce pas de toute façon ce que nous cherchons tous les deux ?

Tes yeux qui se promenaient sur les piles de l’entrepôt retrouvent son visage à tes derniers mots. Tu t’aventures sur un terrain glissant et tu le sais.
Après tout, peut-être extrapoles-tu ce qui te saute aux yeux ; peut-être ne vois tu que ce que espère à tout prix voir : une porte ouverte vers une possibilité ; une porte de sortie. Mais peut-être saisira-t-il la perche que tu lui jettes.

L’espoir fait vivre ; vivre c’est tout ce à quoi tu aspires.

Retrousse le nez à la plaisanterie, même si pas vraiment offensée.
Isolée du monde, juste Tleytotl pour te voir, tu redeviens un peu plus celle que tu étais, il y a longtemps, tu redeviens l’adolescente que tu as été, vague spectre de l’adulte que tu aurai pu être - mais que tu n’es pas.

— Est-ce que tu essaies de dire que la chose dans cette cage finira radoucie ? Permets moi d'en douter.
Drôle de plaidoyer ; tu diriges loin de toi la légèreté ; de toute façon déjà le sérieux reprend ; l’entracte de courte durée est déjà finie.

D’amusant boute-en-train, Tleytotl se fait portraitiste d’un individu mystérieux ; inconnu et qui pourtant résonne en toi. L’esprit va vite, droit au but qu’il rêve d’atteindre et peu importe si ça n’est pas le but que l’autre veut te faire atteindre.
Dans le portrait discret tu vois une figure ; ses traits t’enchantent, rentrent en vibration avec ce à quoi tu aspires ; ce à quoi tu rêves. Ces rêves asséchés, flêtris, presque morts, ces rêves que pourtant tu continues d’arroser dans l’espoir qu’ils repartent, ces rêves dont tu entretiens l’agonie qui s’étire.
Lisant entre les lignes, tu en écartes deux sans ménagement pour rentrer au coeur du sujet.
Après tout, tourner autour du pot n’est pas vraiment ta tasse de thé.

Mais malgré la rudesse de l’entrée, ta voix se fait calme, posant chaque mot avec précaution, chaque mot anodin qui derrière les apparences innocentes se révèle pourtant bien lourd de sens.
— Et cet homme simple pourtant très inspirant… Accepterait-t-il de rencontrer d’autres aspirants à la liberté ?