Les phalanges sont violacées, abîmées par le froid et la vie au grand air lorsqu'elles frappent contre le bois de la porte. De l'autre côté, on lui dit d'entrer. Il se fige et hésite une seconde, pris à la gorge par ce sentiment qui l'envahit habituellement avant de pénétrer dans une habitation par effraction pour en soutirer les biens de valeur – alors qu'ici, on l'invite. Mais les mauvaises habitudes ont la vie dure.

Il entre finalement dans la pièce sombre, à peine éclairée par la réverbération de l'écran d'ordinateur. L'obscurité bienvenue à ses yeux photophobes lui fait enlever son chapeau, devenu inutile. Le regard se glisse d'abord sur le chat qui se mue silencieusement dans un coin, puis sur toi, sur le lit, tout emmitouflé. Le tableau lui tire un demi-sourire amusé.

T'es drôlement habillé.

Plus il la regarde, cette combinaison requin, plus elle l'amuse, et c'est un petit éclat de rire qui finit par s'extraire de sa gorge, avant de se changer bien vite en quinte de toux. Le poing contre les lèvres, plus par peur d'éructer du sang que par réelle politesse, il ne peut s'empêcher de ressasser le surnom affectueux qui a franchi tes lèvres à son arrivée. Comme toujours, ça le gêne, et une teinte rosée empourpre lentement ses pommettes.

Je te dérange pas longtemps, qu'il lance pour donner le change. Je veux juste savoir si tu as de l'herbe.

Comme ç'a été convenu entre vous. L'héroïne est une amante cruelle, à l'étreinte étouffante, qui parsème des douleurs là où elle caresse le manque. Parfois, l'inconfort est trop grand, et il faut le réduire. Là est l'accord que vous avez passé, mais à l'idée du paiement – de la contrepartie qu'on attend de lui, le rose sur son visage s'accentue. Ce n'est pas le genre d'échange dont il a l'usage.

Il se tient immobile dans la pièce, n'osant pas esquisser un pas pour s'approcher malgré votre échange complice. Difficile pour lui de se sentir à sa place. Pourtant, lorsque tu ouvres les bras, il ne résiste pas : entre vous deux, ça exhale la solitude et la mort qui rôde ; un parfum qu'il connaît sur le bout des doigts et dont il vient volontiers s'imprégner auprès de toi, un des rares aptes à le comprendre. Il s'approche finalement du lit, la démarche prudente, et se laisse faire quand tu l'y fais s'asseoir. Cette patience, ce sous-ton rassurant, ils sont si doux à son cœur esseulé, tu sais. Un sourire glisse sur ses lèvres abîmées alors qu'il se détend peu à peu, attrape le joint et le briquet que tu lui fourres dans les mains avant de te lever. Il ne prend pas la peine de se retourner pour te regarder faire, connaissant ta cachette par cœur, et se contente plutôt de faire jaillir une flammèche du briquet pour faire repartir le joint tiède qu'il glisse entre ses lèvres sitôt qu'il se consume de nouveau. Les yeux se ferment un instant alors qu'il inspire une pleine bouffée, goûtant les vapeurs euphorisantes qui commencent déjà à panser ses douleurs. À côté de lui, un sachet d'herbe atterrit sur les couvertures, et il s'en saisit pour le fourrer dans sa poche alors que tu remontes sur le lit, toujours emmitouflé dans cette combinaison qui l'a tant amusé, lorsqu'il est arrivé.

C'est parfait.

Murmure qui s'extrait d'entre ses lèvres alors que tu te penches vers lui pour tirer une bouffée sur le joint à ton tour. Son cœur s'accélère, alors que les termes de votre accord ressurgissent dans son esprit, lui faisant remonter le rose aux joues.

Je sais pas ce que je ferais sans toi, qu'il lance pour gagner du temps avant d'aborder le sujet fatidique.

Il te regarde le temps d'un instant, avec ta capuche trop grande qui ne cache pas tes cernes, avec ce vêtement ample qui cache un corps mince et fatigué. Reprenant une taffe sur le joint pour se donner un peu de courage, il prend le temps d'exhaler lentement avant de se lancer sur la question qui le préoccupe :

Tu sais ... Je sais ce qu'on s'est dit, je sais sur quoi on s'est mis d'accord, mais je continue de penser qu'on devrait pas. Je suis malade, tu sais, tu devrais même pas me toucher.

Tu devrais pas le risquer, toi qui est déjà si fragile.