— Ez' va t'habiller on bouge.

C'est lâché simplement alors qu'il est à table entrain de prendre le petit-déjeuner avec Noah. Toi sur le canapé, les yeux rivés sur l'écran que tu ne quittes pas même quand tu parles. T'attends les questions, les interrogations, les refus. T'y coupes court alors que tu décides de te tourner vers eux finalement. Les lèvres sans un sourire et le regard sérieux, tu les toises en silence. Ezra, Noah. T'attardes un peu plus sur lui pour lui faire comprendre de même pas songer à te faire chier ce matin parce que c'est pas une bonne idée puis tu regardes de nouveau Ezra.

— C'était pas une suggestion, on sort maintenant.

Tu lui adresses un petit sourire encourageant, ceux qui disent que t'es pas vraiment en colère, que tu sais ce que tu fais. Et sans répondre à aucune de leurs questions, tu te retournes pour reprendre le visionnage de ton émission en attendant qu'il se prépare. Toi t'es déjà prêt.

— Ah, et pense à prendre de l'argent tu vas en avoir besoin.

Sûrement.

* * *
Ce sont les rires et la foule toujours si dense qui vous accueillent sur le chemin de traverse. Et t'es pas si étonner de constater que même un 26 décembre tout est bondé. Tu t'écartes un peu du point d'entrée et entraînes Ezra avec toi pour ne pas gêner le passage alors que tu lui expliques, un peu gêné.

— Désolé, j'avais besoin de prendre l'air.

T'éloigner de Pembroke, de Noah et Elijah, de toutes les emmerdes dans lesquelles tu te trouves sans les avoir cherchées. Un regard pour Ezra, t'avais besoin de le retrouver aussi, t'espères qu'il comprend.

— Comme ça fait un bail que t'es pas vraiment sorti j'ai pensé que ce serait plus cool à deux. T'avais besoin de fringues, nan ?

Toi aussi, ça tombe bien.

— Ouai.

Tu sais pas vraiment quoi répondre de plus, pris entre l'envie de lui dire que c'est pas sa faute alors que ça l'est un peu et celle faire exactement le contraire tout en sachant que ça foutrait le bordel. Et t'as pas vraiment envie de foutre le bordel pour l'instant, alors tu parais sûrement aussi distant qu'il ne semble l'être avec toi quand tu dévies un instant ton regard. T'es content d'être là, plus encore qu'il soit venu, mais c'est devenu tellement bizarre entre vous que tu sais plus comment te comporter avec lui dans des moments simples comme celui-ci.

Tu serres les doigts sur le petit paquet qui traîne dans ta poche, réfléchis à quand pourrait être le bon moment pour lui donner sans que ça paraisse trop bizarre. Tu voulais pas le faire chez lui, pas avec ce gros con de Noah pour venir tout gâcher. Ce type est vraiment une plaie, tu te demandes encore ce qu'Ezra peut bien lui trouver. Tu le détestes. Tu le détestes tellement putain.

Soudain tes doigts qui glissent dans la chevelure d'Ezra pour l'ébouriffer un petit peu, tu étires un sourire narquois en même temps que tu retires ta main.

— T'es canon avec, mais faut voir à renouveler ta garde-robe de temps en temps. Ça fait combien d'années que tu t'es pas racheté de fringues ?

Il a l'air gêné tu crois.
C'est un peu bizarre, tu comprends pas.

— Hm...
Ça craint.

Tu le regardes quand il mentionne à quel point vos moments à deux sont rares depuis quelques temps. Le sourire disparu et l'air plus grave qu'il ne faudrait quand tu rétorques.

— Ça me manque. ...Viens.

Du tac au tac parce que t'as pas le coeur à lui mentir, tu laisses échapper un soupir bruyant avant de lui faire signe de la main pour qu'il te suive. C'est vrai qu'il te manque Ezra, et c'est bizarre de te dire ça alors que vous vous voyez tous les jours ou presque. Ça t'énerve de te dire qu'il te manque autant. Parce qu'il devrait pas, ça devrait pas se passer comme ça, pas vrai ? Non, ça devrait pas. Tu refuses que ça se passe comme ça, mais t'es complètement démuni et tu n'as aucune idée de quoi faire pour changer ça.

Ah bon sang,
quelle emmerde.

Tu l'entraînes avec toi à travers la foule pour rejoindre une boutique de vêtements que t'as aperçu de l'autre côté de la route. De loin ça avait l'air plutôt sympa, ça devrait être son style. Enfin. T'es d'avis qu'Ezra pourrait porter n'importe quoi, même un sac poubelle plein de détritus que ça lui irait quand même. L'image te fait sourire quand tu passes la porte du magasin avant de lui lancer un regard.

— Sérieux arrête de tirer la gueule ou je t'abandonne ici.

Tu hausses les sourcils en provocation. Tu vas le faire même si c'est toi qui l'a emmené oui, il sait que t'en es capable. Après ça tu files dans les rayons afin de chercher le vêtement parfait.

Le pire c'est que tu oserais, fumier. Un ricanement qui s'échappe et le sourire en coin qui s'étire avant que tu ne partes fouiner dans les rayons. De temps en temps tu lui jettes un regard pour savoir où il est avant de continuer ta recherche. Tu sembles en pleine réflexion quand tes yeux se posent sur un col roulé noir coton (du cachemire en vérité) que tu attrapes d'une main. Tu trouves rapidement d'autres vêtements que tu penses pourraient lui plaire avant de retourner vers lui.

— Ez' regarde.

Le sourire qui s'étire un peu quand tu lui montres tes trouvailles. Avec le pull, une chemise noire tout ce qu'il y a de plus simple, un pantalon beige en coton et un boléro noir finement brodé de jaune sur tout le devant. T'as l'air vraiment fier quand tu lui tends, malgré tout un peu septique même si ça ressemble fortement à ce qu'il porte tous les autres jours de l'année.

— T'essayes ?

Ouai, c'était pas vraiment une question en fait.
Tu le pousses gentiment jusque la cabine.

— Je vais voir si y a autre chose.

C'est bizarre, encore. T'as l'impression de louper un truc, de pas vraiment être à ta place. T'aimerais bien être à ta place avec lui, ça te manque. Quand est-ce que ça s'est brisé entre vous ? Pourquoi t'as jamais rien vu ? Tu serres les poings en marchant dans l'allée. T'es trop con Hermès.

Tu t'arrêtes devant des pantalons en toiles gris pour réfléchir un instant. C'est ça, chasse tes mauvaises pensées avant de tout casser. Prends ce pantalon et vas le voir. Tu lui donnes et. Et ? Bordel. Le rideau que tu tires pour te glisser à l'intérieur de la cabine, t'avais pas prévu d'entrer pendant qu'il se changeait. Et le voir torse nu te fait déglutir malgré toi. Merde merde merde. Reprends-toi abrutis.

— Tu mets trop de temps.

Hausses un peu les sourcils en provocation tandis que tu t'appuies contre un des murs en contreplaqué. C'est pas très grand mais il y a assez d'espace pour t'éviter de lui marcher dessus. Un petit sourire quand tu lui tends le pantalon sans le quitter des yeux.

— Tiens, j'ai trouvé ça aussi.

L'esquisse légère qui se dessine à tes lèvres quand il s'exclame sur ta présence. Tu te contentes de hausser les sourcils en lui disant qu'il met trop de temps pour cacher ton trouble avant de t'adosser contre l'une des parois. Le pantalon gris que tu poses sur la pile comme il te l'indique, tu te contentes de l'observer. C'est sûrement un peu bizarre, ça semble plutôt vicieux même vu de l'extérieur (t'imagines) comme tu le scrutes avec insistance alors qu'il se change. Mais t'as besoin de comprendre. T'es un peu long à la détente, tu le sais, alors tu te dis qu'en le regardant la réponse te sauterait peut-être en plein visage.

T'as aucune idée, t'as aucune idée de qui il est.
Tu fronces les sourcils. Que ce putain de clebs aille se faire enculer, bien sûr que tu sais qui est Ezra. C'est juste que.
Quoi ?

— Hum hum.

T'es certain que dans d'autres circonstances sa gêne t'aurait amusé. T'en aurais joué, t'aurais rigolé. Mais tout te semble tellement bizarre aujourd'hui que ça ne ferait qu'aggraver les choses pas vrai ? Tu le connais, Ezra. Toi et Elijah c'est la même, vous êtes à gerber a projeter vos fantasmes de merde de lui. Tu projettes rien. Rien du tout. Tu sais qui il est et il sait qui tu es.

— Alors ?

Tu te détends un peu, à peine.

— Le pantalon est bizarre, nan ? pas que le pantalon, enfin. Tu devrais essayer le beige.

Tu le laisses faire sans le quitter des yeux. C'est définitivement trop bizarre, ce silence. Y a une époque où ils ne gênaient pas, une autre ou vous saviez quoi dire pour combler les blancs. Y a plus rien de naturel dans votre situation aujourd'hui. Ça t'agace alors tu tiques de la langue.

Toi aussi t'en as quelque chose à foutre putain.
Plus que lui, au moins tout autant.
Putain.

— C'est quoi le problème, Ezra.

Sans bouger de là où tu es. C'était pas censé sortir aussi sèchement, mais t'en peux plus. T'as besoin de savoir, tu veux des réponses et tu n'arrives pas à les trouver en le regardant -t'arrive même pas à te concentrer correctement sur lui, à cause de l'autre brute épaisse qui vient parasiter tes pensées.

— Me dit pas rien et me dit pas que tu sais pas. Y a forcément un truc.

Qu'est-ce qui a changé ?
Dis-moi que je te connais encore Ezra.
Dis-le moi.

Les sourcils qui se haussent un peu quand il parle, te regarde au bord du malaise après s'être changé. Tu le regardes, silencieux et sans détourner les yeux. Le beige n'a jamais été sa couleur préférée, mais tu voulais le voir essayer parce que tu veux qu'il arrête de se cacher. Il est si beau quand il ose Ezra, il t'énerve.

— J'aime pas.
— Je sais.

Mais il ne s'arrête pas là, et tu te tends aux mots qui sortent de sa bouche. T'es plus si sûr de vouloir avoir cette conversation. Pourquoi il te regarde pas quand il te dit tout ça hein ? J'ai l'impression que tu m'en veux ? C'est le cas. Et tu t'en veux pour ça.

Il aurait pas supporté, qu'il dit.
Ça te fait sourire, amer.

— Noah t'aurait consolé t'en fais pas. C'est toujours comme ça que ça finit nan ?

T'as conscience que c'est pas juste mais c'est de sa faute si tout s'est brisé entre vous. Cet enfoiré t'a tout prit. Tout.

— Mais c'est pas pour ça que j'suis en colère Ez', pas que. Ce putain de cirque dure depuis des années et j'en ai marre. Faut que ça cesse maintenant.

Tu fais un pas pour t'approcher sans le quitter des yeux.

— Tu m'évites.

Un autre.

— Tu t'occupes de moi comme si j'étais un gosse. J'devrais être content hein ?

Tu t'arrêtes derrière lui pour plaquer brusquement tes mains de part et d'autre de son visage. T'es fatigué de tout ça, tu veux que ça s'arrête.

— Pourtant t'as jamais été aussi éloigné de moi que depuis qu'tu fais tout ça. Retourne-toi !

La voix un peu plus forte quand tu ordonnes, tu veux qu'il te regarde toi et pas vos putain de reflets dans le miroir.

— On se parle plus Ez. Mais on se comporte encore comme si on était pas-

Tu t'arrêtes.
Des étrangers.

Tu refuses de le dire et détourne un bref instant les yeux pour ravaler les mots comme ta salive. Comment vous en êtes arrivés là ?

— Mais je m'inquiète pour toi putain !

Et pourtant c'est Noah qu'il mentionne du bout des lèvres. C'est Noah, son frère, ces putain de Priest, son travail. C'est tout sauf toi et tu peux pas t'empêcher de laisser échapper un souffle amer.

— Arrête tes conneries..

C'est pas pour toi qu'il s'inquiète, ou peut-être qu'il le croit mais si c'était vraiment le cas il ne ferait pas ça. Te prendre dans ses bras. La surprise te tend, tu le laisses faire sans vraiment comprendre où il veut en venir parce que le Ezra que tu connais ne fait pas ça. Sauf quand il cherche à fuir; t'es persuadé que c'est devenu tellement inconscient chez lui qu'il ne s'en rend même plus compte. Tu peux comprendre, pourtant, ce qu'il ressent. Tu saurais pas mettre de mot dessus mais tu comprends.

— Tu veux savoir pourquoi j'suis jaloux de lui Ez' ? Parce que tu te rends même pas compte qu'on a plus rien. Il a tout prit. Et me dit pas que c'est pas vrai.

Tu l'écartes juste assez pour pouvoir le regarder dans les yeux avant d'enchaîner sans le laisser parler, ou en lui coupant la parole, s'il avait essayé.

— Avant c'est à moi que tu montrais tout. Aujourd'hui la seule chose que tu fais c'est essayer de me défendre pour rien et d'arrondir les angles avec ce connard. C'est pas d'une mère dont j'ai besoin putain.

Tu le lâches finalement, le repousse brusquement mais sans violence pour te reculer jusqu'au rideau, après avoir attrapé le pantalon gris, et le toiser de haut en bas.

— Même si t'aime pas, ça te va bien.

Esquisse éphémère qui s'étire à tes lèvres avant que tu ne sortes et alpagues la première vendeuse qui passe, juste à côté des cabines. Tu lui lances le pantalon.

— Trouvez-lui le même en noir, il préfère.

Finalement tu t'éclipses à l'extérieur pour te poser contre le mur les mains dans les poches juste à côté de l'entrée. Toi aussi tu fuis parce que t'es pas certain d'avoir la force de supporter ce qu'il risque d'arriver. T'as peur de le perdre. Qu'il choisisse Noah encore et pour de bon. Après tout vous n'avez plus rien alors pourquoi rester ? Pourquoi tu restes, toi ? Les doigts qui serrent le petit paquet dans ta poche droite.

— Fait chier putain.

T'es vraiment trop con.