Tu fais jouer ton épaule sous la douche, tique. Tu sens comme une gêne depuis une heure. T'étais pourtant sûr de n'avoir sacrifié que ton nez dans l'arrestation d'Atlas. Tu coupes le robinet d'eau chaude, plaque tes cheveux tremper en arrière. Probablement un faux mouvement. Maintenant, que l'adrénaline est retombée, tu payes, rien inattendue, rien d'incroyable.

Tu sors de la douche en étouffant un bâillement, peine encore à pleinement réaliser ce que vous avez accomplit ton père et toi. T'as le corps lourd d'une certaine fatigue, un mince sourire aux lèvres parce que tu juges avoir mérité toutes les récompenses que tu pourrais demander à Ezra. Après tout, tu l'as débarrassé d'Atlas. Tu passes ta main sur le miroir de la salle de bain pour écarter la buée. Soudain, ton regard accroche, dans la glace, une légère veinure noire au niveau ton épaule. Tu lèves le bras, grimace. Serait-ce... ?

— Fait chier.

T'étais pourtant sûr de ne t'être pas fait toucher. Ce connard a réussi à t'empoisonner. T'ouvres le placard à pharmacie, parcours des yeux votre inventaire en sachant pertinemment que tu ne trouveras pas ce dont tu as besoin. Tss. Voilà ce qu'on gagne à se la jouer petite maison dans la prairie, à vouloir à tout prix embrasser la vie affreusement normale souhaitée par Ezra. Depuis le temps que tu lui dis que cette maison mérite sa salle d'armes et son atelier. Mais non. Et voilà le résultat, t'es empoisonné et t'as rien sur place pour y faire face. Tu grognes, ton premier réflexe est d'envoyer un sms à ton père, mais tu te ravises au dernier moment. Non, tu ne peux pas faire confiance à cet homme. Tu vas passer au manoir, te servir toi-même comme un grand et revenir te poser sur ton canapé pour savourer ta victoire. Faudrait pas lui laisser le temps de s'organiser pour te planter un couteau dans le dos. Tu t'habilles rapidement, passe sur ton débardeur une large chemise à carreau. Le genre de tenue "d'hiver" que tu ne portes jamais mais avec un peu de chance Ezra ne posera pas de question. Tu descends les escaliers, t'as entendu sonné, tu crois, mais t'en a pas grand-chose à foutre. Sûrement un livreur, Ezra commande presque autant de trucs que toi.

— Bébé, je sors j'en ai pour pas long-

Tu renifles. Fronce les sourcils. Y a comme une odeur.

— Manquait plus que lui.

Tu avances dans le salon pour découvrir la figure horripilante d'Elijah. Il ne t'avait pas manqué. Lui, son sourire à la con, son sens du timing. Tu viens passer un bras possessif autour des épaules d'Ezra.

— Beau-frère.

Tu le salut d'un hochement sec de la tête. T'es furieux. Tu dois bouger, mais il a fallu que ce cloporte se ramène. Et tu ne peux pas, hein ? Tu ne peux pas laisser cet énergumène seul avec ton mec. Plutôt crever, tu supportes déjà qu'il passe du temps ensemble chez lui, t'es pas assez concilient pour qu'ils en passent ensemble chez toi. Tant pis, si le poison était fulgurant tu serais déjà mort. La propagation est lente. Tant qu'il ne s'impose pas pour le reste de la soirée, tu devrais pouvoir gérer. Tu trouvera bien une excuse pour le virer.

— Il fait sa vie, c'est un grand garçon indépendant. Comme toi, non ?

Qu'est-ce qu'il fout chez vous ?

— Qu'est-ce qui nous vaut le plaisir de ta visite ?

Tu encaisses la petite frappe d'Ezra dans un roulement d'yeux exaspéré. Sois gentil, qu'il te fait comprendre. Gentil. T'as bien envie de lui répliquer que c'est un concept qui t'es étranger quand t'as la gueule d'un autre Strauss que lui en face de toi mais il a l'air de si bonne humeur, Ezra. Depuis le temps qu'il a pas eu un sourire aussi niais sur le visage. Tu lui trouves des airs adorables. T'es juste mort de jalousie qu'il faut que son frère soit là pour que tu puisses le voir.

— Une résidence secondaire, hein ? T'es devenu bobo depuis que t'es plus une pu-

Tu te retiens, lance un coup d’œil à Ezra. C'est pas ton style mais t'as dit que tu serais sympa. Alors tu te pares de ton plus éclatant sourire.

— Depuis que tu ne travailles plus dans le service à la personne ?

À voir la tronche d'Elijah tu dois admettre qu'être plus subtile et moins frontale t'apporte une certaine satisfaction. Même si ton sourire se fige, crispé. Lui aussi sait être subtil. Tu lances un regard à Ezra, l'air de dire "Ah ! Tu vois que c'est pas que moi !". Mais t'as jamais compté sur lui pour défendre ton honneur.

— Clair qu'entretenir l'alcoolisme dans notre pays c'est clairement une mission sainte.

Mais tu crois que tu vas le tuer. Oui. Ton sourire oscille plus du côté du meurtrier que du côté de l'avenant. Ah. Le chien. Il projette, hein ? Il s'imagine sa petite vie tranquille aux côtés d'Ezra ? Ça rêve sa vie sans toi ? Mais il n'a pas compris, il sera crevé comme un rat avant tes premiers cheveux blancs. Ta mâchoire se tord, tu retiens le poing malheureux qui ne demande qu'à se figer contre sa joue. Tu viens te ranger derrière Ezra embrasser sa tempe en bon animal possessif tout en fixant Elijah. Tu attrapes ta bière dans un sourire. Au moins et malgré la présence de cette punaise sur ton sol, y a des bonnes nouvelles.

— Quoi il ne t'a rien dit ?

Tu te dérides, un sourire triomphant aux lèvres.

— Atlas est derrière les barreaux. Ce fils de pute va finir interné ou a Azkaban.

Tu décapsules ta bière, viens t'adosser contre la cuisine non sans un regard pour Ezra.

— C'est finit, enfin.

Et le pire et chose que tu n'aurais jamais cru possibles : t'arrives à te satisfaire de sa vie en captivité plus que de son propre décès. Tu couves Ezra d'un regard où se mélangent désir et fierté.

— C'est grâce à Ezra, c'est lui qui a eu l'idée.

Tu te sens fier comme un bœuf, riche comme un roi. On t'a appris à jamais te réjouir trop tôt, mais t'as jamais su te faire humble et modeste en quoi que ce soit. Pour la première fois depuis que tu as été mordu, tu touches du doigt l’échappatoire, le monde fantasmé où Atlas serait suffisamment loin pour ne plus être menacé, suffisamment vivant pour te donner une raison de te battre. Et t'es fier, fier de ce petit bout d'homme que t'as si longtemps écarté de tes guerres. Ezra avait été utile. T'avais pourtant allègrement moqué ses plans. T'ira pas t'en excuser, ta joie outrepasse bien son besoin de te faire admettre tes tors.

Tu bois une gorgée de ta bière sans soupçonner rien de la haine que couvait Elijah. Quand son regard se braque sur toi, tu hausses un sourcil, le dévisages comme si tu dévisageais un sombre abruti.

— Bien évidemment que non, du con, j'suis censé être mort.

T'es mort. T'as enfin fait ton propre deuil. Tu t'appuies un peu plus contre le bar, lance un regard sans équivoque à Ezra. Son frère n'est pas le couteau le plus aiguisé du tiroir.

— C'est mon père qui va témoigner.

Ce qui te fait doucement penser qu'il faut que tu lui rendes visite avant de finir à l’agonie. Tu fais jouer en silence son épaule pour évaluer la douleur. Retient une grimace. Tu bois une seconde gorgée de bière.

— On a des preuves, tout ce qu'il faut. Atlas est loin d'être sain d'esprit s'il finit pas à Azkaban, il finira dans un asile.

Et tu ne sais pas laquelle de ses prisons te fait bander le plus. T'as un sourire mauvais lève ta bière comme pour trinquer dans le vide.

— Après tout il a butté sa propre mère, c'est tout ce qu'il mérite.

Tu dévisages Elijah, glisse un sourire.

— T'es pas d'accord ? La famille c'est sacré chez vous, nan ?

Et maintenant que tu as imposé le fait d'en faire partie, ça te semble plus si insupportable que ça.

Tu fronces les sourcils, partager ta joie avec Ezra était une chose mais partager ta joie avec Elijah était définitivement au-dessus de tes forces. Son petit sourire condescendant à le sacro-saint don de te tendre. T'ignores ce qu'il a foutu ces derniers mois et tu t'en fou. Mais t'as horreur des charognes qui viennent festoyer sur les proies que tu as toi-même chassé.

— Dommage t'écoutera pas.

Tu croises les bras, réponds à son sourire avec relevant le menton, fier, provocateur.

— C'est pas un putain de vocal random et c'est pas un jeu.

Probablement les propos les plus censés et sérieux de ta journée. Tu le défies du regard d'insister. T'as pas envie de partager ça avec lui. TA victoire. TON triomphe. T'as pas envie de le voir joyeux ou de l'entendre jubiler de TON exploit. Besoin possessif de garder le fruit de ta vengeance pour toi. Tu chéris ta rancune et ses conséquences peut-être même plus que tu ne chéris Ezra. D'ailleurs, il ne faut pas longtemps pour qu'il l'ouvre et te blesse de nouveau. Tu tournes la tête vers lui avec une expression scandalisée à peine voilée. Il hausse les épaules et t'en crois pas tes yeux. Genre, comme-ci chaque minute qu'Elijah passait ici n'étaient pas mortelles pour toi ? Tu le juges, furieux. Ça ne lui suffit pas de le voir chez lui, maintenant faut qu'il l'invite chez vous. Et quand Elijah accepte en plus de sous-entendre qu'il va passer la nuit ici tu ne retiens pas ton agacement.

— Ah, parce que tu comptes squatter en plus ?

De mieux en mieux. Tu grinces des dents. Un dîner passe encore mais tu crains l'étendue des dégâts si tu dois attendre le lendemain matin. Tu pourrais les laisser seuls une heure ou deux, le temps de prendre l'antidote et de t'assurer qu'il fonctionne. Non... Non, tu ne peux pas. Ce furoncle dans ta propre maison c'est trop. Tu viens attraper Ezra par la hanche pour le ramener à toi.

— C'est que j'avais d'autres plans.

Tu le regardes, il peut bien faire un effort pour toi, hein ? Pour vous ? Après tout tu l'as débarrassé d'Atlas. Après tout, tu lui donnes tout ce qu'il te réclame. Il peut voir son frère quand il veut, mais pas ce soir. Il peut faire ça pour toi, hein ? Tu presses un peu plus sa hanche, prend un ton volontairement plus suave.

— Le genre de plan que t'aimes, bébé.

Qu'il le vire, c'est ta putain de vie qui est en danger, là.

T'es scandalisé. Comment ça demain ? Comment ça ne presse pas ? T'enrages, outre l'urgence, t'es blessé dans ta fierté. Tu l'aguiches et ça ne suffit pas. Elijah. Elijah. Elijah. À croire que voir son frère coucher ici est plus excitant que de coucher avec toi. Tss, y a pas à dire, tu le détestes. Lui, Elijah, avec son brothercomplex de merde. Il ne peut pas détester sa fratrie comme tu le fais ? Non, faut qu'il vienne frapper à ta porte, s'imposer dans ta maison, dans ton quotidien. Tout ça pour te narguer à coup de maison secondaire et d’espérances de vie supérieure. Tu contractes la mâchoire, froissé. Mais quand vos épaules se percutent, tu sens le vif élancement dans ton épaule blessée et tu grimaces. Mais plus que ça, tu vois le regard suspicieux d'Ezra.

Merde.

Tu vas pour faire un pas en arrière mais Ezra est vif, il te devance en déchirant le haut de ton t-shirt pour mettre à nu ton épaule zébrée de noir. Tu te tends, détournes le regard comme un enfant boudeur pris en faute. Merde. Il n'était pas censé le voir. Il n'était pas censé savoir. Merde.

— J'ai payé ce t-shirt avec ta carte bleue, tu sais ?

Humilié. T'es humilié. C'est désagréable d'être pris en faute par Ezra. C'est mortel quand le sale nez d'Elijah s'approche. Tu recules franchement pour te mettre derrière Ezra, tout ton dégoût tourner vers son frère, tu lances.

— Je suis pas de ce bord-là, éloigne toi.

Tu poses une main sur ton épaule, rabat ta chemise ouverte dans un élan pudique pour couvrir la blessure.

— Tss, j'ai pas fait gaffe. C'était qu'une égratignure, je l'ai même pas sentie.

Ah, puis lui qui ouvre sa gueule, toujours. Tu grognes, tournes un regard hargneux vers Elijah.

— Mais putain je suis pas con pauvre abruti. Je l'ai vu, j'allais justement chercher l'antidote mais il a fallu que tu te pointes !

Tu pointes Elijah du doigt en regardant Ezra.

— Je compte réagir quand ton trou du cul de frère se sera cassé de notre maison !

Tu lèves le menton, furieux, pour le prendre de haut. Espère-lui faire baisser sa garde, le forcer à la reddition. Mais t'as été pris en faute le premier. Tu ne peux pas négocier. Fait chier.

— Putain vous me faites chier.

Tu sors une clope de ta poche pour la caler entre tes lèvres.

— J'en ai pour même pas une heure. Quand je reviens il a intérêt à plus être là et c'est pas négociable.

Tu vas le virer toi-même et tu feras à Ezra sa fête. Y a pas idée de te mettre en position de faiblesse devant son abruti de frère.