Journée de merde, encore. C'est que ça deviendrait presque lassant d'aller taper du poing sur la table pour effrayer quelques cowboy en manque de sensation forte. Tu te demandes quand est-ce qu'ils vont comprendre, ces nazes, qu'on n'entube pas Romulus comme ça. Tu descends de ta moto, la gare devant la porte d'Ezra. T'as ramené une bonne bouteille, pratique d'aller agresser un apprenti bouché. T’espères que ça va lui plaire. Non, y a intérêt que ça lui plaise.

Tu sifflotes, glisse le double des clés que tu t'es toi-même approprié dans la porte. C'est là que t'entends, les éclats de voix. Et l'odeur, très légère odeur de sang. Un sang que tu ne connais pas. Tu traverses l'entrée pour rejoindre le salon, vois rouge. Premier réflexe la colère, tant qu'elle aveugle, parce que tu vois un type que tu ne connais pas trop proche d'Ezra, trop dans la violence pour que tu n'en veuilles à ce vampire qui tient tes tripes en otage depuis trop de temps déjà. Tu choppes l'homme par le col pour le jeter en arrière, pivote sur tes talons, furieux.

— ÉCARTE TOI DE LUI SALE ENCU-

Mais les mots s'étranglent dans ta gorge. Le visage que tu découvres, tu le connais. T'écarquilles les yeux. Recul d'un pas. T'es jamais fébrile, Noah. T'as peur de rien, Noah. T'as jamais baissé la tête devant personne, Noah. Mais face aux spectres du passé, Hyperion, t'as peur des fantômes.

— Non...

Tu souffles. T'es mort. T'es censé resté mort. Tu vas devoir le planter. Tu dois te protéger. Protéger Ezra. Si Atlas apprend ta position. S'il cafte. Tu vas devoir le planter. Le tuer. Là. Maintenant. Glisse une main derrière ton dos, sort discrètement le canif dans ta poche arrière de jean.

— Attila.

Tu transpires la peur par tous les pores. Des milliards de traumatismes dans la tronche. Même Ezra doit le sentir à ce stade.

La voix d'Ezra résonne au loin. Les mains moites sur le mange de ton canif, ton regard défiguré, braqué sur lui. Non. Non. Non. Désormais, le monstre est de sortie. La proie est identifiée.
Tu es vivant, qu'il dit.
Hyperion, qu'il dit.
Tu déglutis. Tu recules d'un pas, un peu chancelant. Ton corps contracté, tendu par la peur. Secoue la tête, un peu perdue.

— Je...

Peut-être bien la première fois qu'on te coupe les mots. Dans ta tête, ça tourbillonne. Folie terrifiante, comme quand on sait qu'on a fait une erreur qui nous coûtera la victoire. Comme le dernier faux pas de l'acrobate qui va tomber de son fil alors qu'il évoluait sans filet. Tous tes plans s'effondrent et ne restent alors que les mauvais choix. T'as même pas le courage de le contredire. T'es terrifié. Tu lances un regard à Ezra. Le même que t'as eu pour lui quand tu as toqué à sa porte, la première fois.

— Je...

Atlas. Il faut prévenir Atlas.

T'es yeux s'écarquillent. Tu plonges vers sa gorge pour le plaquer au sol avant d'avoir pu respirer. Ton canif s'échoue au sol.

— NON !

Tu serres. Tu pleures. T'as peur.

— POURQUOI T'ES LÀ ? POURQUOI T'ES LÀ ?

Mais il ne peut pas répondre, parce que tu sers.

— Il faut que je te tue... Si tu parles... Je dois me protéger... Le protéger lui... Tu comprends ?

Fou. C'est à califourchon sur lui, tes mains sur son cou, qu'on comprend alors l'étendue de tes traumatismes. Tu tournes la tête, vers Ezra, terrifié.

— Tu comprends... ?

NOAH NON !

Mais tu n'entends pas. Les mains jointent contre sa nuque, les lèvres pincées, tu serres, serres, plus fort, et son regard écarquillé sous la terreur fait naître un toi en sentiment coupable que tu n'avais plus (jamais) ressentit depuis longtemps. Et le chagrin t'étreins à la gorge. Tu avais brisé des souffles plus de fois que tu ne pouvais le compter, tu avais plus enlevé la vie que tu ne l'avais préservé. Tu étais un tueur, Noah. Un tueur qui avait trouvé de la noblesse dans ses meurtres. Puis de l'excitation, de la revanche, un sentiment de puissance, pour finir par une certaine lassitude, un détachement terrible. La mort était ton boulot. Mais ce cou délicat entre tes mains pour la première fois tu te sens sale. L'envie de vomir quand tu l'entends essayer de respirer. Les larmes qui pointent, toi qui ne pleures jamais. Et tu te sens sale. Si sale. Le cœur qui se meurt sous la douleur. C'est Attila. C'est Attila putain ! C'était ton ami. Ton seul véritable ami.

— Je dois le faire... Pardon... Pardon... Pardon... Pardon...

Murmures comme une litanie tes excuses. Comme-ci ça allait changer quelque chose, comme-ci il pouvait t'entendre, comprendre. Tu crois que tu ne te remettra pas de ce meurtre-là. Tu crois que c'est toi que tu assassines en l'étranglant comme ça. Et les mains d'Ezra qui ne parviennent pas à te libérer de cette transe horrifique. Tu le fais pour lui, pour vous, pour toi. Tu le fais parce que tu ne dois pas laisser Atlas le trouver. Tu le fais parce qu'il avait raison, Attila. Il (Ezra) t'a empoisonné et transmis une addiction incurable.

Mais soudain sa voix résonne, impériale, d'une force et d'une violence que tu n'avais jamais entendu avant. Tu lâches, par réflexes, regardes tes mains, dévasté. Elles ont tué tant de fois sans jamais trembler. Pourtant, aujourd'hui, elles tremblent, comme effrayées de leur propre capacité à prendre. Tu relèves ton regard rougi par les larmes. Devant toi Ezra qui tient la lame, plaque sur la gorge d'Attila le couteau. Tu le vois, puissant, terrible, prédateur alors que tu ne l'avais jamais vu autrement que comme une proie. Le voit comme l'homme qu'il n'est jamais avec toi. Et tu le regardes, la bouche entrouverte. Ravagé, Noah. Tu te lèves, soudain maladroit, ton corps soudain si fragile, on pourrait croire qu'une brise pourrait t'emporter. Tu t'approches, tends les mains devant toi. L'enfant que tu pensais mort qui revient, tes bras que tu passes autour du torse d'Ezra. Viens nicher ton front contre son dos. T'inspires. Tu trembles. T'as peur. Le passé qui revient. L'avenir incertain aussi. T'es devenu laid pour que lui reste clean.

— Arrête bébé.... Arrête...

Supplie, rauque. Faut pas qu'il devienne comme ça. Le regard d'Attila, que tu fuis, ça fait trop mal. T'allais tuer un ami. T'allais tuer un innocent (tu l'as déjà fait non ?). T'allais le tuer lui. Lui, ce visage que tu connais depuis l'enfance. Lui, ce visage souriant et sévère. Lui, qui avait été une partie de ton monde et ton univers. Lui, que tu avais aimé. L'un des seuls. Tu prends conscience qu'ils sont aux nombres de deux, ceux que tu as aimés et aimes encore sincèrement.

P- Pourquoi ?...

— Je ne veux pas qu'on lui fasse du mal.

Avoue. Parce qu'il avait raison. Il a toujours eu raison.

— Je ne veux pas qu'on lui fasse du mal, Attila. Je suis mort pour qu'on ne lui fasse pas de mal.

T'as pas en regard pour lui, le gryffondor, le lion, si lâche face au passé.

Il se détache de toi pour te ramener à lui, plus vite encore. Rien qu'un caprice, mais tu plonges dedans. Toi aussi, tu es égoïste. Tu viens le serrer, le sentir, qu'Attila contemple ne te rend pas plus pudique. Besoin d'ancrer sa chaleur contre toi, de retrouver la détermination soudainement envolée, car il y a encore visiblement des choses que tu n'as pas décimées. Il est ta seule motivation à l'humanité. Tu avais déjà sacrifié un clan entier pour lui, tu aurais pu sacrifier un ami s'il ne t'avait pas arrêté. Quelque part, tu as peut-être besoin qu'il voit, Attila. Combien il avait raison sur toute la ligne. Aussi horrible que ce soit, tu es presque soulagé qu'il avoue tes crimes, ainsi tu montres tes péchés.

— Je me souviens.

Tu tournes la tête, l'éclat de tes yeux, mauvais. Tu te redresses, ne lâche pas Ezra pour autant. Tu te drapes de nouveau dans la violence. Il y a encore des choses d'Hyperion que tu n'as pas tué. Des choses qui peuvent vous coûter. Des choses que tu vas devoir régler.

— Me donne pas une bonne raison de finir le travail.

Ezra ne sait probablement rien de ça. Rien de la vigilance de ton frère et de ton (meilleur) ami. Rien de la pression qu'on t'a mis à la détruire. Rien de comment tu as fui ton devoir, ta tâche. Rien de comment tu as préféré décimé tout le reste plutôt que de le décimer lui. Il ne le sait probablement pas, comment tu as été lâche, comment tu l'es encore, comment Hyperion était faible et comment tu lui ressembles encore. Tu n'oses pas le regarder, tu te concentres plutôt sur Attila. Il veut des réponses. Il a du culot de demander. Il a de la gueule. Il n'a que ça. Comme toi.

— Atlas ne doit pas savoir où on est.

Gronde, ce n'est que là que tu acceptes de t'éloigner d'Ezra. Soulève ton t-shirt sans un mot pour laisser apparaître la marque de morsure sur ton flanc. LA morsure. Et tu sais qu'il va comprendre tout de suite. Il n'est pas un chasseur, mais il connaît ton monde.

— Je ne suis pas mort parce qu'il m'a empêché de me suicider.

Il t'a refusé l'honneur, il a piétiné ta dignité. Autour de ta morsure d'autres marques, ton corps une véritable œuvre d'art qui porte le nom d'Atlas. Tu fronces les sourcils, abaisses ton t-shirt.

— J'te passe les détails, dit toi juste que s'ils m’ont déclaré mort c'est pas pour rien.

Tu tournes la tête vers Ezra. T'as le regard sévère, déterminé. Les yeux qui hurlent qu'ils peuvent ravager ta peau autant qu'ils le veulent mais la sienne, jamais.

— Lui il ne m'a pas tourné le dos.

Tu fixes un moment Ezra, revient sur Attila.

— Ferme ta gueule et reste en dehors de ça si tu veux vieillir, MacMillan. Tu sais de quoi j'étais capable à l'époque, je te laisse imaginer ce dont je suis capable aujourd'hui.