Tu te regardes rapidement dans la glace du hall, passe une main dans tes cheveux. T'as dit oui. T'as dit oui par ego, par frustration, par colère. T'as dit oui pour l'humilier, pour le rabaisser, pour le foutre plus bas que terre. T'as dit oui pour être ce soir le plus grand et lui le plus petit.

Mais face à la porte de Sally te prend l'envie de rebrousser chemin, de rentrer chez toi, persuader que t'es de te jeter dans la gueule du loup, persuader que t'es que tu files droit vers un piège dont t'auras jamais les ressources pour t'en sortir. Mais si tu n'appuies pas sur cette fichue sonnerie t'en entendra reparler. La prochaine fois que tu le verras -parce que tu vas le revoir- ce sera son mépris, sa condescendance dans le regard. Plutôt crever que de lui donner l'occasion de te prendre de haut de nouveau. Tu, soupir, déboutonne le col de ta chemise pour mieux respirer et sonne.

Basile Delacroix c'est ça ?

T'as un sourire maladroit que t'essaye de faire convainquant.

— Sally, c'est ça ?

T'es censé être déjà venu. T'as besoin que de la juger deux secondes pour savoir qu'elle est le genre de nana que tu ne pourras pas supporter plus de deux minutes. L'espace d'une seconde t'a peur qu'elle te rejette, mais en hôtesse de goût elle te prend ta veste, fait tout comme-ci était parfaitement prévu.

Bien, une pro-hypocrite, parfait.

Elle t'amène dans le salon, moment que choisit Zadig pour couper la musique. Il a un grand sourire. C'est le roi incontestable de la fête. Et tu comprends beaucoup trop tard ce qu'il va faire. Ta gorge qui se noue, ton ventre qui se tord.

Non. Non. Non.

Qu'est-ce que t'avais dit qu'il se passerait pour lui ce soir, Basile ? Ah, oui, l'humiliation.

Tu fais de ton mieux pour ne pas fixer le sol, pour regarder dignement l'assistance comme-ci t'étais à l'aise, comme-ci t'étais exactement ce que Zadig décrivait. T'as la haine, la colère qui bat les tempes. Et il sourit. Il sourit cette enflure. Trop fier. Trop heureux. Tu savais que c'était un piège. Tu le savais !

On t'applaudit, tu sens bien que le cœur n'y est pas. T'es au bord des cris, Zadig qui s'approche de toi, te prend dans ses bras. Ravale le début de gerbe qui monte à tes lèvres, ravale la pensée déplacée qu'il sent bon, l'enfoiré. Il va payer. Tu vas tellement le faire payer. Tu souris, comme-ci tu retrouvais ton meilleur ami.

— Tu sais que je ne peux pas te dire non, Zaggy.

Tu regardes Sally, lui décroche ton plus grand sourire.

— C'est mon meilleur-ami, tu le savais pas ?

T'as envie de charcuter la gorge au rasoir. Tu passes une main dans le dos de Zadig.

— Ah mais je t'en prie, t'avais parlé de plan très sympa tout à l'heure...

Tu le laisses te guider, souris et ris à chaque mot. Fait semblant. Ta première occasion de te mettre en avant se présente sous la forme d'un tapis. Discrètement, tu bouges tes doigts, laisses le tapis se prendre au pied de Zadig juste au moment où il passe dessus. Tu pourrais le laisser tomber de tout son long, décides de le rattraper à la dernière minute, comme un héros.

— Hola, mon grand ça va ?

Tu ris, solaire, insupportablement solaire.

— Me dis pas que t'es déjà bourré, on devait faire la fête toi et moi, non ?

T'adresses un regard aux quelques curieux qui se sont précipités.

— Tout va bien, il semble que la joie le rende maladroit.

On pouffe à côté de toi.
Tu veux jouer, Zadig, on va jouer.

Tu triomphes alors que lui serre les dents. Un merveilleux sourire sur ton visage alors que t'en rajoutes. Lui si gracieux, si beau quand il tombe. Putain, même dans la chute il faut qu'il soit beau. Le genre de gars capable de rendre tout aesthetic y compris sa rencontre avec le tapis. T'aurais dû le laisser se fracasser le nez contre le sol mais peut-être aurait-il trouvé le moyen d'être beau en saignant. Il t'énerve, Dieu qu'il t'énerve. Légèrement plus crispé quand il s'appuie sur toi pour se relever. Appuie sur ta taille, tu ne relèves pas, pas encore assez stupide pour lui donner du grain à moudre, mais tu te jures, putain, tu te jures, Basile, que tu vas lui donner de quoi craindre ce qui est plus petit que lui.

— Fait attention quand même, hein.

T'appuies sur sa main qu'il a posée contre ton épaule, presque tendre. Tu te retiens de le griffer.

— C'est que je veux te voir debout encore longtemps.

Sourire éclatant, complice, putain tu veux lui cracher à la gueule mais t'es trop lâche pour le faire. À la place tu glisses ta main dans son dos, le tapotes doucement, enjoué.

— Bon bon, présente-moi !

Et il s'y applique. Putain, il est fort. Tu lui dois ça, il est doué. Son sourire avenant, son bagou. Si tout ça était naturel et pas dû à son tour de magie Velane tu pourrais presque être admiratif (tu l'es, tu l'assumes juste pas). Il se remet bien, encaisse la gêne et la jette par-dessus son épaule. Il sait rester digne, le salaud ! Tu l'observes du coin de l’œil. Pourquoi son truc marche à tous les coups ? C'est sa belle gueule ? C'est son regard ? C'est la façon dont sa risette se creuse quand il sourit ? C'est quoi ? C'est quoi putain ? Fait chier. Tu te re-concentre, te fais charmant, un sourire pour chacun, des mains qui se serrent, des rires qui se lancent. Toi aussi t'es doué à ce petit jeu. T'échanges quelques mots, rentres dans le moule du semi-gobelin ultra sympathique qu'on est content d'avoir en ami. Il va voir, Zadig, quand comment tu vas captiver son auditoire. T'en seras pas le dieu, mais t'en sera le petit rayon de soleil. C'est pas grand-chose, mais tu sais que pour lui ce sera déjà trop. Et tout ce qui est de trop pour lui et assez pour toi.

C'est sa pression contre ton épaule qui te fait lever la tête. Tu lui offres un sourire tendre et taquin, ne montre rien de la bouffée de panique qui te prend soudain. Ton dos se souvient encore trop bien de sa rencontre douloureuse avec la porte. Il a compris que c'était de ta faute, le tapis, il est furieux parce que tu t'es pas enfuie en courant. Il va te plaquer dans un coin (encore), peut-être même mettre te faire passer par-dessus le balcon et écrire une lettre de suicide à ton nom. T'as pas envie de monter avec lui, terrifié. Mais tu trouves aucune excuse suffisamment bonne pour y échapper alors tu acceptes.

— Bien sûr, Zaggy ! Je connais pas la maison, mais je te suis.

Tu le laisses passer devant, déglutis légèrement avant de lui emboîter le pas. T'es mort, Basile. T'es mort. Si mort. Tu l'observes de dos. Maudit la façon dont sa chemise enveloppe parfaitement ses épaules. Soudain tu te sens à l'étroit, maladroit dans ta propre tenue. Tu baisses la tête, fixes tes pieds en montant les escaliers. Quand tu le vois s'éloigner des gens encore en haut pour vous conduire dans une chambre à l'écart t'as mal au ventre. Merde. Merde. Merde. Merde.

Tu rentres.

— Whoua sympa ici.

Tu fais comme-ci t'admirait la déco. Peut pas empêcher de souligner, autant pour provoquer que pour pas t'effondrer.

— Heureusement que t'as dit que c'était pour discuter, on aurait pu se poser des questions, haha.

Un regard vers la porte, t'aurait vraiment dû lui laisser se fracasser son magnifique nez sur le parquet.

T'es vraiment une merde, tu le sais ça ?
T'as envie de lui dire qu'il ne t'apprend rien.
T'as la sagesse de te retenir.

T'es terrifié. L'impression d'être la souris en face du gros chat, d'être de nouveau le petit Basile coincé dans les toilettes de Beaux-Bâtons et d'Ilvermony par des gars beaucoup plus grands (pourquoi fallait-ils tous qu'ils soient si grands ?) et en soif d'ego (comme-ci t'avais volé le leur, est-ce que t'as vraiment une tête à voler l'ego de qui que ce soit ?).

Tu restes droit, prudent. Qu'il se laisse tomber sur le lit, ça te rassure sur le coup, ça te fait déglutir ensuite. Parce qu'il a l'air un peu trop sûr et détendu à ton goût et que t'as appris, putain t'as appris presque plus rapidement à te méfier d'un Zadig sûr de lui qu'à compter. Tu lui jettes des regards nerveux, partagé entre la frustration de le voir aussi digne et puissant et l'admiration malsaine, parce que y a plus royal que lui et que ça t'énerve, Dieu que ça t'énerve. T'es lucide quant à sa perfection et c'est peut-être ça le pire. Tellement lucide que t'es trop conscient du fossé entre toi et lui.

— Tu gagnes quatre fois plus qu'eux, évidemment qu'ils sont faux-culs.

Tu lâches un petit rire. T'aimes pas la rudesse et la justesse de ses confessions. Tu ne sais pas ce qu'il cherche. Sincèrement t'aurais peut-être plus aimé qu'il te cogne jusqu'à ce que t'en saignes ou qu'il te passe par-dessus la fenêtre comme initialement imaginé. C'est que tu pourrais lui dire, c'est qu'il pourrait comprendre (s'il n'a pas déjà compris). Pourtant, ça n'aurait rien d'inédit, t'es quasi-sûr que la totalité de son entourage est comme toi à jalouser et désirer ce qu'ils n'ont pas, ce que lui a (est). Mais ça te fait peur, ça te dérange, la sensation de lui donner la carte de trop et, à défaut de ton arrêt de mort, de signer un contrat destiné à faire vraiment de toi son chien. Tu jettes un œil à la porte, à lui, tournes des talons d'un coup mais il est plus rapide. Il se cale de dos contre la seule sortie. T'es obligé de lever la tête pour le toiser, il est formidablement grand. Évidemment, en plus d'être beau il fallait qu'il soit grand.

— Je croyais que c'était mon rôle d'être plaqué contre les portes...

Tu grommelles, baisse la tête. T'es piégé. T'aimes pas être piégé. Quand est-ce qu'il va se décider à te taper que tu puisses sortir, faire semblant lécher ses pompes pendant 4h jusqu'à ce qu'il soit assez alcoolisé pour que tu puisses t'enfuir (le faire dégueuler sur sa pute de Sally avant de partir) ? Mais non. À la place, il sort un petit sachet de poudre que tu rattrapes maladroitement en levant les mains. Tu le regardes interdit, l'air de ne pas comprendre. Ton regard qui oscille entre le sachet et sa figure de statut grec. Puis tu ricanes, mal à l'aise.

— Hahaha... T'es pas sérieux.

Tu secoues le sachet, l'ouvres, t’espère que c'est du sucre. Suffit que d'a peine renifler pour comprendre que ça en est pas. Tu le refermes, recules, te laisses tomber sur le lit, visiblement perdu.

— Je... Je ne peux pas prendre de ça.

Tu relèves les yeux, suppliants.

— Zadig, je ne peux pas prendre de ça.

Est-ce qu'il percute ? Est-ce qu'il a la moindre foutue idée de ce qu'il te demande ? De ce que ça implique ? DE COMMENT C'EST DANGEREUX ? Non ? Si ? Est-ce qu'il est con ou au contraire machiavéliquement intelligent ? T'es perdu, t'as un sourire nerveux, désabusé, t'espère encore qu'il te dise qu'il rigole, qu'il va te cogner. Tu soutiens ton regard, espèce une étincelle d'hilarité. Puis tu percutes et ton visage se décompose.

— .... Putain t'es sérieux.

T'as un rire nerveux, instable.

— Moi qui avait peur que tu me tabasses... Hahaha... T'es sûr que tu ne veux pas me tabasser ?

Tu perds doucement pied. Tu jettes le sac, te lèves d'un bond.

— Foutredieu, Zadig, tu me demandes de me droguer !

Mais il n'a pas l'air d'en avoir quelque chose à faire ?

— Et tu consommes de ça ? Tu sais ce que tu risques si ça se sait ? Si on te surprend ? Personne n'aime les drogués, tu sais ? Même quand ils sont incroyablement beaux !

T'es dépité, dans l'incompréhension, soudain furieux. Si t'étais pas terrifié, t'aurais l'humour suffisant pour dire que c'est la troisième étape du deuil.

— Merde j'ai jamais pris de ça !

Tu t'approches, désignes le sac du doigt.

— J'en prendrai pas tout seul !

Tu fulmines, c'est peut-être bien la première fois que tu t'énerves vraiment. Ce serait incroyablement impressionnant si tu ne tremblais pas comme une feuille.

— T'as pas le droit de me demander ça, c'est totalement con ! Si tu veux me droguer, t'as car te droguer aussi !

T'as dit ça autant par sidération que par panique.
Mais, miracle, t'as la lucidité de te dire que c'est un peu du marchandage, ça. L'étape 3.5 du deuil.
Merde.

— MD, cocaïne ou sucre en poudre on n'a pas le même gabarit au cas où ça t'aurait échappé.

Tu grommelles, plus frustré qu'un petit vieux. Tu trembles comme une feuille, on pourrait même croire que tu vas claquer entre ses doigts. Putain. Putain. Putain. Putain. C'est pire que toutes les tortures que t'as eues l’indécence d'imaginer. T'es terrifié. Il prend ça à la légère mais toi non. Il t'en parle comme-ci c'était aussi commun de descendre un verre d'alcool et pourtant ça te semble être un bon de géant, une limite à ne surtout pas franchir. Terrifié, oui. Pourtant t'as pas d'autre choix que de le suivre. T'encaisses sa claque dans le dos et te laisses traîner jusqu'à la commode. T'as même le droit à un tuto live Tu le regardes, médusé. Il le fait vraiment, sans aucune appréhension. Passe derrière ton dos, ses mains chaudes sur tes épaules. Tu déglutis. Son souffle contre ton oreille t'arrache un frisson aussi culpabilisant que déplaisant. Tu fixes la poudre étalée sur la table, fronces les sourcils.

— C'est du délire...

Tout te hurle de ne pas le faire. C'est peut-être parce que tout te hurle de ne pas le faire que t'es pétrifié. La pression délicieuse de ses mains comme les serres d'un vautour. Zadig est un vautour. Le contact de sa bouche contre ta peau te fait sursauter, tu tournes la tête, éclat effrayé dans les yeux, décontenancé aussi.

— Et qu'est-ce qui me dit que t'ira tout raconter, toi ?

T'as balancé ça avec moins d'assurance que t'aurais voulu. Tu te persuades que tu ne rougis pas. Un sourire tremblant quand tu balances, essaye de faire genre.

— Mens-moi mieux que ça, tu veux ?

Ton regard se retourne vers la poudre.

— Une grande blonde aux yeux bleus on aura tout vu putain...

Tu déglutis. Tourne la tête une dernière fois.

— Ton portable. Pose ton portable. J'ai pas confiance.

T'attends qu'il le fasse, puis tu t'approches de la commode, penches la tête en avant et sniffe, d'un coup sec, comme il t'a montré. Élancement dans ta narine, tu titubes, percute son torse avec ton dos. Légèrement sonné. C'est bizarre. Tu clignes des yeux, appréhende la moindre sensation mais rien d'aussi transcendant ne te vient. Tu restes immobile quelques secondes.

— Je... me sens étrangement normal.

Et tu ne sais pas si c'est une bonne ou une mauvaise nouvelle.

— Putain et maintenant... ? Tu comptes me torturer encore longtemps Zaggy ?

Tu ne sais pas si c'est la peur, le stress ou les deux mais tu lances avec une franchise qui ne te ressemble pas.

— Je trouve, en effet, que t'es le dernier des cons.

Tu te retrouves projeté contre la commode, la tête devant la poudre. Tu suis du coin de l’œil son téléphone qui se pose, commet probablement la plus grande erreur de ta vie (ce ne sera que la 654535154e) et sniffe.

Tu te retrouves à tituber un peu, le bras de Zadig à ton épaule pour te guider vous quittez la pièce. Sincèrement, tu t'attendais à plus. La seule chose que tu ressens c'est une pointe de détente, une légère euphorie. T'es persuadé que t'es un homme mort avant minuit, mais t'en ai plus à pisser dans ton froc, c'est presque si t’accepterait pas ton sort avec une certaine noblesse. Tu sais pas si c'est normal, dans un sens t'as pas envie de le savoir. Manquerait plus que l'autre connard juge que tu sois pas assez sous effet pour te forcer à prendre une autre dose. Tu te laisses guider, y as du monde autour, t'observes ça d'un œil curieux. Tu sais pas ce qui te prend, un courage ou une bêtise soudain quand tu passes ton bras dans son dos, comme deux grands potes collés l'un à l'autre. C'est peut-être juste une ultime provocation.

Sally débarque, deux verres à la main. Et who, who, who, elle te fait les yeux doux, là, on est d'accord ? Elle te colle, sa hanche à la tienne, des yeux foutrement grands de biche et des cils que tu fixes, un peu stupide, ils sont naturels ou ce sont des extensions ? Tu perçois malgré toi les effluves de son parfum alors que tu prends délicatement le verre. Ton regard qui passe discrètement vers le visage de Zadig et.... Foutrecul... Il est jaloux ?

— .... Oh, je commence vraiment à bien m'amuser.

Tu glisses, voix suave malgré toi. C'est son truc, c'est définitivement son truc. Tu lui avais dit que vous n'aviez pas le même gabarit, que chez toi ça allait faire des ravages. En temps normal, tu te serais déjà réfugié derrière lui, t'aurais baissé les yeux, tu l'aurais mis en avant conscient que c'est toi qui allais payer les pots cassés si tu retenais trop l'attention. Alors tu sais pas si tu te sens glorieux ou héroïque à te détacher de Zadig pour te rapprocher de Sally. T'as bien la sensation d'être terrifié par les conséquences de tes actes quand tu glisses ta main autour de l'épaule de Sally avec un sourire complice avant de fixer Zadig. Mais quand tu vois l'éclat jaloux dans son regard, quand tu vois qu'il te voit, quand tu vois que tu peux lui prendre, quand tu vois qu'il peut te considérer comme une menace tu te sens puissant. C'est bon. Putain, meilleur que sa MD ou meilleur que tout ce que t'as pu goûter. Tu existes. Tu vaux tout aussi bien que lui, sinon pourquoi il en aurait quelque chose à foutre, Zadig ? Putain, oui, oui, oui. Tu le pointes du doigt le regard pétillant, les pupilles qui trahissent néanmoins l'effet de la drogue. T'es audacieux. Sans ça t'aurais dit que t'étais suicidaire.

— Ce qu'il te dit pas, c'est que c'est sur son ordi et avec lui que j'ai découvert qu'il y avait une catégorie "produit laitier" et "animé" sur witchporn.

Tu lui offres un clin d’œil. Audacieux et suicidaire on a dit.

— Il préfère définitivement la catégorie produit laitier si je me souviens bien de son historique.

T'éclates d'un rire innocent, bois une gorgée, alors que tu t'étais juré de pas boire plus d'un verre.

— On était jeune, je suis sûr que ça lui a passé depuis. Moi, je voulais juste lui montrer le dernier clip de Kelly Spears... J'étais un grand fan.

Tu désignes l'escalier du menton.

— Mais hormis les clips de Kelly Spears je suis un peu cinéphile. Je suis curieux de voir ce que tu aimes.

Tu me vois Zaggy ? Tu me vois ? TU ME VOIS ?

T'es mort.
On t'a dit que les yeux étaient le reflet de l'âme. Et, si t'en crois cet adage, présentement, l'âme de Zadig ne respire que pour voir ton cadavre s’étaler cinq mètres plus bas.

T'es mort.
Sincèrement le message ne pourrait pas être plus clair. Et t'es terrifié, Basile. Terrifié parce que tu sais que t'auras ni les ressources, ni le gabarit pour lui résister. Zadig est parfait. Et tu le penses parfait pour commettre ton meurtre et faire disparaître ton corps. Mais, au-delà de la terreur, il y a... Cette euphorie. T'es mort, il aura ta peau à la seconde où tu seras seul mais la lueur assassine dans ses yeux, le pli forcé de son sourire, la légère ride qui creuse son front de frustration... Ça... Ça... Tous ces petits témoignages de sa rancœur ça te fait vibrer, une jouissance que t'as pas le souvenir d'avoir connu avant. Parce qu'il te voit. Il te voit suffisamment pour se vexer de ta présence, pour se vexer de ton existence. Lui qui passait tant de temps à te regarder de haut, t'écraser sous sa botte. Les rôles ne sont en rien inversés et pourtant, pourtant tu te sens puissant, plus un chiot à sa solde, mais un caniche capable de mordre. Et tu crois, à mesure que les effets de la MD montent, que si tu ne supportes pas son insolence, tu meurs de son ignorance. Et tu crois... Tu crois que tu le trouves plus beau comme ça, la haine sur le visage. Alors tu lui décroches un sourire, décidément beaucoup trop réceptif aux effets de ce que tu as consommé. Et comme à chaque fois que tu ne t'appartiens plus te devient stupide et audacieux.

Alors tu te laisses entraîner par Sally, déterminer à te ravir de chacun de ses sourires (de tout ce que Zadig n'aura pas). Elle t'amène devant sa collection de blu-ray et tu t'assois en tailleur, comme chez toi, pour regarder les titres présents, sortir quelques boîtes. Elle s'éloigne de toi, c'est un peu à regret mais t'as l'attention d'un gosse et c'est presque comme-ci tu sentais encore la caresse de sa main sur ton épaule. Dos à elle tu souris, cette fille n'est pas une bimbo superficielle, vu sa vidéothèque, tu la classes même dans la catégorie "bourgeoise à la tête plus pleine qu'il n'y parait mais qui cache son jeu".

— On est inséparables depuis qu'on s'est rencontré sur les plateaux de Disney Chanel !

Faux. Ta seule consolation en voyant ta carrière déclinée, c'était d'être libéré de lui plus souvent. T'avais fui comme la peste cet énergumène, plus grand, plus beau, plus homme que toi. Tu sors une copie d'un vieux film moldu des années 2000 alors qu'elle poursuit. Ah. C'est intéressé. Ton sourire s'élargit, t'es prêt à tout prendre : du rêve improbable qu'elle a flashé sur toi au plan sadique visant à rendre un ex fou en flirtant avec un type plus moche (c'est toi ce type). Mais elle n'est pas comme ça, Sally. Non. En vérité, elle manque vraiment d'originalité. Ton sourire se fige, se fait cynique. Ah. Oui. Évidemment. Il fallait qu'elle l'aime lui. Évidemment. C'est. Toujours. Lui.

Et tu vois le visage de Zadig, son sourire suffisant. La légèreté avec laquelle il a joué avec toi, l’impertinence de sa bouche contre ta peau alors que tu te chiais dessus à devoir sniffer sa merde et là, soudain, t'as une idée. Probablement la pire de ta vie.

Tu te retournes, le regard brillant, pourtant t'as l'air sincèrement peiné. Tu te grattes la tête, gêné. Finalement, tu n'avais rien perdu de tes talents d'acteurs. Elle l'aimait, hein ? T’allais lui briser le cœur.

— C'est... Heu... Comment te dire, Sally. Il...

Tu fais semblant de chercher tes mots, troublé.

— Le problème c'est pas toi. Le problème...C'est que t'es une fille.

Tu te lèves, volontairement maladroit. T'as l'air de vouloir te cacher dans un trou de souris.

— Je... Je suis pas censé te le dire, mais t'as l'air d'être une chic fille et faut que tu comprennes que la situation est compliquée... Surtout pour lui.

Tu la regardes, penaud, t'approche de son siège pour t'accroupir devant elle.

— Zadig a toujours eu cette attirance-là, mais il ne l'a jamais assumé. Il... Il a peur pour sa carrière, pour son image, il n'est pas en paix avec ça. S'il s'évertue à fréquenter des filles, c'est pour fuir. Tout ce que tu pourrais gagner, c'est un coup d'un soir, mais rien de plus.

Tu lui souris, peiné.

— Je pense que... Je pense qu'il te respecte trop pour se servir de toi. Je... Je suis désolée, Sally... Je dois... Je dois te demander de ne rien dire. Pour lui. S'il te plaît...

Sincèrement, tu mentirais si tu disais n'éprouver aucune culpabilité. Ok, Zadig mérite, il mérite tellement. Tu prends plaisir à briser ses chances, plaisir à ternir son image, plaisir à profiter des armes que tu as contre lui. Tu pourrais même dire que tu lui rends service, à Sally. Zadig lui aurait rien apporté. Il se serait joué d'elle, il aurait profité de ses sentiments pour ne plus se sentir jusqu'à être lasse et chercher sa prochaine cible. Il lui aurait brisé le cœur. Dans un sens, t'as fait une bonne action. Elle est blessée, mais tu lui as épargné de s'entêter dans une romance impossible et à un sens unique. Et pourtant, ça te peine. Tu révises ton jugement, cette fille ne mérite pas les étiquettes que tu lui as collées. Tu secoues la tête. T'as bien fait. Zadig... Il ne faut pas que ce soit Zadig.

— Bien sûr, je comprends.

Tu la regardes, probablement s'enfuir quelque part. Tu ne peux pas dire que t'es fier. Tu te convaincs que c'était un mal pour un bien. Tu relèves, soupir. La solitude de la pièce à quelque chose de tentant mais t'as pas envie de rester seul. Si Zadig revient ça va être ta fête. À ce stade, c'est plus prudent de te mêler aux autres. Qui sais-tu pourras essayer de rattraper le coup avec Sally, au moins qu'elle ne finisse pas la soirée sur un cœur en miette. Tu fais un pas vers la porte quand soudain il s'avance. Lui. Et tu déglutis.

T'es mort. Il a tout entendu.

— N-Non...

Il s'approche, tu recules. Mais il a les jambes longues, Zadig, et bientôt il te rattrape. Merde. Merde. Merde. Merde. Tu sais pas ce qui te terrifie le plus. Lui ?Sa main sur ton crâne ? Tes genoux qui cèdent ? Tes yeux rivés sur sa braguette ? Non. Non, c'est pas ça qui t'effraie le plus.

Tu me dégoutes.

Et c'est là que tu comprends que c'est peut-être bien la première fois qu'il a raison. Et là, là t'as vraiment peur. Parce que c'est toi qui as commis la faute. Tu as fait exactement ce que ce fils de pute aurait fait. Tu t'es servi de Sally. Et il a tout entendu. S'il te traite de merde ce n'est pas sans légitimité. Et c'est ça, Basile, qui vient te terrifier. Tu trembles un peu. Non. Non. Non. Non. Tes lèvres serrées, les yeux baissés. Ça monte, excès de frustration. Et tu sais toujours pas si la MD (tu vas dire que c'est la MD) mais tu bondis sur tes pieds, furieux.

— Par Merlin te fous pas de ma gueule, t’allait lui briser le cœur !

Tu sais pas si t'es courageux, débile ou suicidaire, probablement les trois. Tu le toises dans son siège, furieux, pour la première fois tout le mélange de dégoût, de colère, de jalousie, d'admiration (aussi) entièrement transparent.

— Tu savais très bien que tu lui plaisais ! TOUT LE MONDE te veut ! Mais toi, toi t'en as jamais rien eu à foutre, t'aurais jamais rendu honneur à ses sentiments parce que tout ce que tu veux c'est de voir que les gens sont assez cons pour tomber amoureux !

Tu t'approches, pointe un doigt accusateur contre sa poitrine, t'es penché face à lui, t'en as aucune conscience et c'est tant mieux.

— Te fait pas passer pour un sain, putain ! T'as pas changé, t'es exactement comme quand on était gosse. Tout ce que tu veux c'est être au centre, tu veux qu'on t'aime, mais toi t'aime que toi ! Sally mérite pas de tomber sur une merde comme toi !

T'appuie plus fort, t'as les traits, tremblant, déformés.

— T'es pas quelqu'un de bien, Zadig... Je suis peut-être la pire des merdes mais toi t'es pas mieux... Fait pas comme-ci... Fait pas comme-ci tu pensais pas à autre chose que ta petite personne... Fait pas comme-ci, t'étais capable de comprendre...

T'es pas prêt à considérer un monde dans lequel, en plus d'être plus beau que toi, il est aussi meilleur.

Parce que tu vaux mieux que lui, pas vrai ?

T'as hurlé ta haine et ton dégoût, ta tentative désespérée de reprendre un peu le dessus, de regagner des chevrons sur l'échelle de la valeur humaine. Il va te démonter, c'est sûr. Il va te taper, c'est clair. Mais c'est pas grave, ça fera que te donner raison. Quand tu verrais les bleus dans le reflet de la glace, tu pourras te dire que t'es pas plus horrible que lui et ça suffira à te faire passer une bonne nuit.

Sauf qu'il ne te frappe pas, Zadig, pas tout de suite.
Il penche la tête, dévoile son sourire de vipère et tu trembles.

Même toi ?

— Espèce de-

Mais t'as pas le temps de répondre. Il claque des doigts et soudain, oui, c'est la colère. Il n'a pas besoin de frapper, Zadig, il peut mettre des bleus sans pour autant marquant la peau. Et il s'y emploie, il met les bons mots aux bons endroits. Et t'as rien à dire, rien pour te défendre parce qu'il a raison, parce qu'il a putain de raison et que tu le hais avec passion pour ça. Tu rêves tes mains autour de sa nuque. Encore plus quand il enfonce le coup de grâce.

Alors quoi Basile ? Tu te remets pas du fait que je puisse te surpasser même sur ce terrain-là ?

T'as un sourire tremblant, t'as le rire nerveux. Tu le regardes, fou, hilare. T'as rien pour te défendre. Alors désespéré tu attaques.

— Na-Naturellement ? Parce que y a quelque chose de naturel chez toi ?

Tu ouvres les bras, la voix qui chevrote. Et tu attaques, attaques, attaques, attaques, attaques.

— Tu penses sincèrement que les gens t'aimeraient si tu n'avais pas ton attraction pour les y aider ?

Tu te mets à glousser, t'as trop peur pour cligner des yeux, quitter son visage ne serait-ce qu'une seconde.

— La seule raison pour laquelle t'es là où t'es c'est parce que t'es semi-velane. La seule raison pour laquelle les gens t'aiment, c'est parce que t'es semi-velane. T'es une fraude, Zadig, tu le sais, ça ? T'es une fraude...

Tremble, tremble, tremble, tremble.

— Moi je ne t'aime pas... Je t'aimerai jamais... T'es une fraude. T'es une arnaque. Y a rien de vrai et d'authentique chez toi. Y a rien de naturel chez toi. Alors arrête de me regarder de haut... La seule chose naturelle ici, c'est la haine que j'ai pour toi.

Dégoût, dégoût, dégoût, dégoût, dégoût
Haine, haine, haine, haine, haine
Mais surtout, envie, envie, envie, envie, envie

Tu le détestes. Lui, ses grands airs. Tu le détestes, lui gagnant. Tu le détestes, lui triomphant. Alors qu'il n'a pourtant rien, d'humain, rien de méritant, rien de spécial. Tu le sais, tu l'as vu, tu le vois non-stop depuis l'enfance. Tu le sais, c'est la vérité, ça ne peut être que la vérité. Tu l'as dressé en grand méchant de ton histoire et il pense pouvoir se faire passer pour meilleur que toi ? Non, jamais, intolérable.

Alors tu le toises, le sourire tremblant, fou. Qu'il attaque, qu'il vienne, qu'il essaye seulement ! Haha ! Tu vas lui montrer ! Tu vas lui montrer ouais ! Mais ses traits s'affaissent et tu comprends pas. Presque instantanément, tu perds ton sourire pas si triomphant. Tu comprends pas. C'est quoi cette expression ? Est-ce que tu l'as... Blessé ?

Il détourne la tête et soudain tu crois devenir fou. Il baisse les armes, il a l'air de lutter pour rester digne et tu comprends pas. Tu comprends la colère qui te prend (de quel droit il se permet de faire la victime, d'être humain ?), ni la culpabilité qui t'assomme (tu l'as blessé ? Pourquoi tu te sens horrible ? Il le mérite merde !)

— Je...

Je suis désolé.

Tu ravales ta salive. C'est encore un de ses tours, hein ? Tu vas t’aplatir et il va t'écraser. Non. Non. Non. Non. Tu baisses la tête, serres les poings.

— Fiotte... C'est quoi ton souci avec les fiottes ?

T'essayes de rire pour être méchant. C'est peu réussi.

— On pourrait croire que... Laisse tomber.

Tu détournes le regard, aussi buté que lui. Finis par le dépasser. Au seuil de la porte, tu lances avant de partir.

— Je sais même plus quoi penser de toi, tu me fais pitié.

C'est pas une victoire. Le goût amer dans ta gorge te fait dire que c'est pas une victoire.