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Les gens partent.
C'est vrai. Tous, un jour ou l'autre, ils finissent par partir. Elle avait laissé partir et avait fermé des portes. Trop, peut-être, pour son âge qui n'est pas si avancé que ça. Malgré sa douceur, il y avait dans ses yeux cet air - celui des gens qui ont vécu, un peu trop. Celui qui dit qu'elle avait vu des choses qu'on aimerait oublier. Qu'on a vécu des guerres qu'on a jamais vraiment pu gagner. La distance en arme qu'on porte, les regrets et les remords en fléau, la culpabilité dans son ombre qui ne la quittera jamais. Même sa famille n'est plus vraiment là. Sa mère est partie se noyer, son père s'est perdu dans ses sombres idées. Ses frères sont au loin derrière des barreaux. Il ne reste qu'elle, tentant de ramasser les morceaux. Si elle veut l'avoir à nouveau dans sa vie, elle n'ose songer pourtant qu'ils puissent bâtir quelque chose de solide. Retrouver la douceur qu'ils ont un jour partagé. La complicité qui les liait. C'est une époque révolue. Ils sont partis, ils ont changé. Elle sait qu'elle ne sera à nouveau qu'une page qui finira par se tourner. La seule question qui se pose est : combien de temps va-t-elle durer ?

▬ Tu as raison.

Une résignation de plus venue avec les années.
Si avant elle avait du mal à y croire, elle savait désormais que plus personne ne pourrait réellement l'aimer. Tout comme son coeur avait du mal à faire ce qu'il avait toujours fait si bien ; effrayé, il semble être endormi. Il a pris ses distances des autres, ne voulant plus être écorché. Et c'était sûrement mieux ainsi.

Eamon parle peu - il n'a jamais été du genre très bavard... En général. Il s'épanchait plus avec elle, au fil du temps. Elle avait presque oublié que c'était un privilège. Elle accepte la chose, se rappelant sa place avec un maigre sourire. Tant pis. Des nouvelles de temps en temps et un thé, ça lui suffirait. Et même si elle aimerait venir tous les jours... Elle n'abuserait pas. Une fois de temps en temps. Pour ne pas être trop chiante. Pour ne pas trop s'imposer. Pour ne pas être étouffante. Le temps où elle venait le cueillir hors de ses passe-temps à chaque occasion donnée n'était plus. Avec parcimonie. C'est ce qu'une adulte ferait. C'est ce qu'elle s'autoriserait. Elle n'était plus Persy. Juste Persephone. C'était déjà bien assez.
(Et parfois un peu trop dur pour exister)

Le service d'empoisonnement ? Calme ? Un hôpital, c'est toujours la course. Même si c'est vrai qu'elle courait moins quand elle n'était que médicomage... Maintenant, en plus, c'est les réunions administratives, les meetings pour les projets de recherches, les financements qui manquaient tout le temps, superviser les rapports et les compte-rendu, les patients en urgence, les boulettes des autres à réparer, les nouvelles recrues à assigner, et celles qu'il faut recruter... les collègues qui tentent de s'empoisonner et qu'elle doit sauver, les déprimés qu'elle ramasse dans les couloirs... Un soupir passe ses lèvres.

▬ Trop souvent. Beaucoup trop.

Un maigre sourire, toujours aussi fatigué.

▬ Je rentre d'un shift de plus de... Elle compte, regardant sur le côté, avant de retourner son regard sur lui, désabusée De trente heures et j'ai pas encore dormi. Et évidemment, j'ai du travail qui m'attend chez moi... Et encore plus qui m'attend demain au labo.

Pas étonnant que le thé lui fasse du bien.
Elle finit sa tasse, d'ailleurs. Un autre soupir plus content lui échappant. Le meilleur des remèdes. Eamon appuie sur son envie manquante de partir alors qu'elle observe ses traits. Doux et pourtant étrangers. Malgré le sarcasme et les souvenirs, elle ne pouvait s'empêcher de constater qu'elle ne connaissait plus l'homme en face de qui elle se tenait. Rien de surprenant. Pas moins attristant pour autant.

▬ Si j'écoutais mes envies, tu te coltinerais ma compagnie jusqu'à trois heures du matin et tu devrais être celui qui me force à partir. Enfin, si je ne m'écroule pas avant.

Petit haussement d'épaules. Elle abandonne.

▬ Mais il faut bien. Le devoir m'appelle.

Et potentiellement son lit.
Ou le canapé, si elle n'arrivait pas jusqu'à sa chambre. Et un repas... Qu'elle oubliera. Elle sort de la poche de son manteau son portefeuille, sortant l'appoint qu'elle dépose sur le comptoir de manière ordonnée avant de le ranger. Elle descend du tabouret, enfilant le manteau noir sur ses épaules pour plonger ses mains dans ses poches. Un dernier regard vers Eamon, accompagné d'un sourire habituel. Elle ne dira pas merci pour le thé - elle doute qu'il s'en formaliserait. Les remerciements et les excuses, ça n'a jamais trop été son domaine. A la place, elle dit ce qui compte vraiment.

▬ Le thé était délicieux. Tout comme ta compagnie, même si tu plaides le contraire. J'ai adoré en découvrir un nouveau. Et surtout, j'ai adoré te revoir. Bon courage pour le reste de la journée.

Son sourire s'agrandit à peine.

▬ Et pense à prendre des pauses.

Elle ne peut pas s'en empêcher, c'est plus fort qu'elle.
Toujours à tenter de veiller, ne serait-ce qu'un peu.

▬ A la prochaine, Eamon.

Pas un adieu, cette fois. Pas d'excuses et de rejet.
Un lendemain où peut-être elle reviendrait.
Elle fait demi-tour, pour de bon cette fois, passant le pas de la porte un peu plus sereine que quand elle est entrée. Si elle est toujours aussi fatiguée... Son coeur est un peu plus léger, à n'en point douter.
Peut-être que Novembre n'aura pas été si terrible qu'elle l'eut pensé.