«On dirait qu’il s’est genre… séparé en deux? J’sais pas comment le dire. Du jour au lendemain, il a changé. C’était un gars dur qui ne voulait rien savoir de qui que ce soit. Il se foutait de pas mal tout le monde, en vrai. J’ai passé des années de ma vie dans le même dortoir que lui, je lui ai demandé plein de fois s’il voulait aller regarder le match de quidditch avec moi puis les autres gars, et… jamais. Bon il est venu, peut-être une ou deux fois, mais en faisant la gueule et en se poussant vingt minutes après.

Puis, un bon matin, pouf. Je sais pas, je comprends pas. C’était un gars renfermé, désintéressé. Là, il parle à tout le monde, il s’intéresse à tout, et on peut lui demander de l’aide pour pas mal n’importe quoi puis il va dire oui. Genre il garde mes animaux pendant des semaines quand il faut que je rentre aux États, et il me dit que ça lui fait plaisir.»
     - Ami quelconque.

«Il est beaucoup plus sensible qu’il en a l’air. Y’a des sujets comme ça qui viennent le chercher, sans raison; à un moment donné, on mangeait ensemble et je lui parlais de comment ça se passait avec mes parents. J’avais besoin de conseils, t’sais, vu que… Enfin.

Sa mine est tombée, il avait l’air nerveux et tout. Je lui ai demandé ce qu’il avait, ce qu’il se passait. Il m’a répondu des je sais pas et il me demande ce que ça fait. Ce que ça fait de parler à ses parents, pis de devoir penser à ce que je vais leur dire. Comme si lui, il en a jamais eu.

Finalement, il a payé l’addition du resto – pour nous deux, oui –, il a pris sa veste et il est parti, juste comme ça. Il avait même pas fini de manger, il m’a juste dit "j’me sens vraiment pas bien, j’me sens coincé et j’ai un gros mal de tête… j’vais rentrer, j’suis désolé." … Une semaine après, il m’a largué.»  
     - Ex-copain quelconque.

«Quand il ne va pas, il passe son temps à peindre. Ça lui arrive de sauter des jours de travail. Il dit que ça l’aide à faire sortir le poison. Ces toiles-là, je les ai jamais vues, mais je sais qu’il en a beaucoup. J’veux dire, j’ai vu le nombre - vu qu'il les achète au boulot -, mais jamais ce qu’il y a dessus. Il n’a jamais voulu m’en parler.

C’est bizarre, parce que d’habitude Jordan dit pas mal tout ce qui lui passe par la tête. Il ne mâche jamais ses mots non plus. Quand je lui demande ce qui ne va pas, il me dit d’un mauvais ton "ce n’est pas de tes affaires". Ça me surprend un peu; c’est pas quelqu’un de très patient, mais c’est pas non plus quelqu’un d’agressif. On dirait que c’est instinctif chez lui; comme si certaines choses vont le tiquer au point où il régresse. Il m’en a déjà parlé; quand il était ado, c’était très commun pour lui de se mettre en colère, de crier sur les gens et d’en venir aux poings. Pourtant, je ne l’ai jamais connu comme ça, en tant que collègue. Le pire que j’ai vu de lui, c’est qu’il s’énerve devant une commande terminée d’un client absent. Il chouine, mais c’est tout.»
     - Ex-collègue quelconque.

«J’aurais pu y passer ma vie; le regarder dessiner, peindre et sculpter tous les matins. Me prélasser dans son lit, dans son pullover couvert de nuages, à boire dans sa tasse de chocolat chaud. Il peut se passer des heures sans qu’il ne dise un mot. Son love language, c’est les gestes, les actions. Reste qu’il n’est pas très câlin. Sa plus grande forme d’affection, c’est sans doute s’il laisse quelqu’un le regarder travailler. C’est "plus intime pour moi que tout ce qui peut se passer dans un lit", qu’il m’a dit.

Il était prêt à m’emmener partout, il m’invitait toujours; c’est comme ça que j’ai su. Ses sentiments sont implicites, plus que la normale. Jordan ne parle pas de ce qu’il ressent, il te fait comprendre ce qu’il ressent. Si tu te dis qu’il t’aime bien, c’est parce que c’est le cas… à moins que ta boussole pointe vers le sud.»
     - Ex-copain.

«Peu de gens le savent - en même temps c'est un peu le but, vous me direz, mais Jordan est très secret vis-à-vis de son chez-soi. Il a beau se vanter d'être un livre ouvert, il s'abstient de dire beaucoup, beaucoup de choses. Il n'irait pas parler à n'importe qui de ses moments... obsessifs? Il peut rester bloqué des heures à penser à quelqu'un, à ce qu'on pense de lui, mais il ne l'admet pas. Au fond, il a peur de décevoir. Il a peur qu'on le juge s'il admet avoir joué toute la nuit devant sa télé. Jordan à l'extérieur et Jordan à l'intérieur, c'est deux bêtes complètement différentes, et on y peut rien. Le pire, c'est qu'il n'agit pas pareil avec tout le monde; on pense qu'il dit tout ce qu'il veut, qu'il joue franc jeu, mais... Il n'aime pas dire ce qu'il pense, ce qu'il pense vraiment. Ça m'a pris des années pour m'en rendre compte, vu qu'il ne se dévoile pas...»
     - Amie de longue date.