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Fatiguée.
Ses pas se traînent sur le bitume.
Ses yeux sont cernés.
Elle ne sait plus si c'est le manque de sommeil, les regrets, la culpabilité ou la résignation qui alourdit ses traits. Peut-être un tout. Peut-être aucun. Elle n'a pas encore dormit - courtoisie de l'hôpital. Des urgences sous les bras à ne plus pouvoir en tenir une tasse de café. Elle rêve de son lit et pourtant redoute la solitude et les tréfonds de son subconscient qui s'est montré agressif, ces derniers temps. Les insomnies la tirent par le col, les cauchemars la tirent des bras de Morphée, les terreurs nocturnes la font hurler dans le calme de sa demeure. Elle a tenté de se calmer. De penser à autre chose. D'avancer. De ne pas laisser Novembre avoir raison d'elle.

Rien n'y fait.
Elle y pense, ressasse, obsède.
La colère de Lancelot la hante. La folie de Freya la guette. Ses jours loins de l'académie magique semblaient paisibles, dans une routine bien huilée. Pourtant les fantômes ne cessent de revenir l'attaquer. Elle ne s'en plaint à personne. N'a personne à qui se plaindre. Personne de confiance - entourée, pourtant, elle l'est. Elle l'a toujours été. Et si elle culpabilise tant à l'idée de les garder loin d'elle que de ne plus arriver à croire qui que ça soit, ce n'est toujours pas assez pour faire déborder ses inquiétudes au-delà de ses lèvres. Toujours, depuis si longtemps, terrée dans sa solitude. Une solitude choisie dont elle ne peut se plaindre. Comme toute chose dans sa vie qui lui est arrivée, elle en est la seule coupable - et elle le sait.

Alors sur le chemin du retour qu'elle rallonge sans trop s'en rendre compte, sans trop faire attention où elle va, malgré le mauvais temps qui semble pouvoir tourner à l'averse à la moindre seconde, ce n'est pas du réconfort qu'elle cherche, juste une distraction pour oublier, ne serait-ce que l'espace d'un instant. Ne plus penser à avant, ni à maintenant. Elle irait bien boire, à nouveau. Elle qui n'a jamais été une grande consommatrice, elle sent pourtant que ça serait une pente facile sur laquelle dégringoler. Et l'envie y est. Pour le moment, elle tient encore bon. Elle ne sait pas combien de temps ça va durer. Elle ne veut pas y penser. Elle repense à son miroir qu'elle a à nouveau cassé. C'est le deuxième cette année. Un soupire passe ses lèvres. Elle devrait juste arrêter d'en acheter. Comme pour tout le reste, elle voudrait juste oublier.

C'est une vitrine qui la sort de ses pensées. Ca fait un moment qu'elle vit au Chemin de Traverse et des salons de thé, elle en a vu. Celui-ci ne lui dit pourtant rien. La Harpie Dorée. Un joli nom, se dit-elle. Un bref regard à l'intérieur - pas trop de clients. L'ambiance a l'air sympa. La décoration est jolie. Elle n'a pas faim, mais un thé ? Elle réfléchit une seconde. A bien y réfléchir, il ne lui en reste plus chez elle. Elle n'a plus de café non plus, d'ailleurs. Elle devrait faire des courses. La simple idée lui vole toute son énergie - elle n'en a ni l'envie, ni la motivation. Elle sait déjà qu'une fois rentrée elle va dormir (aussi bien qu'elle en est capable) et sauter le repas du soir, plongée dans ses dossiers. Alors avant tout ça, une tasse de thé pour se donner du courage... Pourquoi pas.

Elle ouvre la porte, passe l'entrée. Un clac derrière elle pour signaler qu'elle s'est fermée. Elle regarde autour d'elle. Il n'y a pas beaucoup de monde, effectivement, c'est calme. Tant mieux. Elle n'a jamais aimé le brouhaha des voix. Ca l'insupporte. Les bibliothèques ont toujours été son endroit préféré pour une raison. Ses mains, qui ne cessent de s'aggraver jour après jour, les plaies ne faisant que se multiplier, tant en nombre qu'en profondeur, sont sagement rangées dans les poches de son manteau. Pour une fois, sa tenue est d'un noir uni, elle ne porte pas son cardigan - à regret. Il est si confortable. Au-delà du comptoir, elle aperçoit une silhouette - un... une ? Une serveuse, sûrement. Grande. Elle penche légèrement la tête sur le côté. Observe ses cheveux. Longs, noirs. Un brin abîmés, de là où elle se tient, il semblerait. Elle se demande s'ils sont doux, malgré tout. Ca a l'air d'être le genre qu'elle aime bien coiffer. Elle se fait aussi la - très rare - réflexion que cette silhouette lui plaît. Ca ne lui traverse la tête que l'espace d'une seconde, une pensée brève et futile bien vite chassée, mais elle fut là, si c'est intéressant à noter.

Son regard se traîne sur une table à l'opposé de toute foule. Tentant. Mais il n'y a personne au comptoir et les chaises sont assez hautes. Comptoir ça sera. Elle finit par s'y avancer, prenant place sans trop réfléchir. Manteau sur ses genoux. Elle attrape à peine l'une des pancartes qui annoncent le choix de boissons ; elle sait ce qu'elle veut, vérifiant simplement que ça s'y trouve. Dès qu'elle trouve le nom, sa voix - calme, maîtrisée, douce, comme toujours - résonne dans le silence ambiant.

▬ Excusez-moi, je vous prendrai un thé au citron s'il-vous-plaît. Avec une goutte de lait.

Elle repose le pamphlet, pose un bras sur le bar, puis son coude, y mettant son menton et son visage impassible alors qu'elle regarde au dehors sans trop faire attention à ce qu'il se passe dans la boutique. Ses manches, trop longues, ne laissent voir que le bout de ses doigts où quelques coupures traînent mais la majorité est cachée. Elle se demande s'il va pleuvoir. Elle aimerait. Elle ne sait pas combien de temps elle va rester, combien de tasses elle va prendre. Peut-être une, peut-être cinq. S'il pleut, elle trouvera un moyen de patienter. Et quand elle sortira, ça sentira le petrichor. L'idée la ravit. Un battement de cils sur ses yeux fatigués où le soleil ne brille plus, loin de l'éclat qu'elle a pu avoir un jour - semblable au ciel, dehors. Une constante de gris, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur que les autres semblent pourtant prendre pour des éclaircies. Jolie, mais plus rayonnante. Douce et gentille. Dévouée. Fatigante. Fatiguée.

Elle rêve seulement d'un thé...
Et de son lit.

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Elle s'est perdue dans le fond de ses pensées.
Un jeu dangereux - elles sont profondes et souvent bien noires. Souvent, quand elles l'harponnent, elle ne peut rien y faire. Peu importe à quel point elle voudra s'en défaire, peu importe à quel point elle voudra se distraire - ses pensées reviennent l'agresser dans des vagues d'anxiété qui ne cessent de la manger. Elle a toujours été prône à ce genre d'inquiétudes démesurées, mais les années avaient rendu la chose dantesque, pour ne pas dire maladive. Elle savait parfaitement qu'il n'était pas normal d'être tenue éveillée la nuit par ses craintes, par toutes les possibilités de tout ce qui pouvait potentiellement arriver. Mais si elle était normale, elle le saurait. Et le monde s'en porterait un peu mieux.

Un soupire passe ses lèvres.
Elle soupire souvent, ces derniers temps. Elle ne s'en rend même pas compte à dire vrai. Ca vient avec la fatigue, avec la vie d'adulte ; elle laisse le bonheur lui échapper par tous les pores. Alors elle se dit qu'elle va profiter de son thé et repartir, peut-être, pour retrouver le fond de son lit. Peut-être qu'elle laissera Salem dormir avec elle. Elle n'aime pas trop le laisser se balader librement, de peur qu'il ne se coince quelque part... Mais il est tellement collé à elle dès qu'il le peut, ça ne devrait pas être un problème. Ca ne l'a jamais été, jusque là.

Le bruit d'une tasse qui se pose.
Elle ne se retourne pas de suite, murmurant un merci. Elle sait que c'est sûrement trop chaud et qu'il lui faut attendre, même si sa jambe bascule dans le vide sous l'impatience. Comme d'habitude. Et puis, la présence en face d'elle ne semble pas s'écarter. Elle tente de l'ignorer. Elle n'a pas envie de taper la converse, aujourd'hui, même à une serveuse avec des jolis cheveux. Tu as l'air misérable. Ah. Elle a la voix bien grave quand même, cette serveuse. Et la langue pas très polie. Elle repose ses yeux sur son interlocuteur, donc, et pas interlocutrice, avant de se figer.

Impossible de cacher la surprise dans ses yeux.
C'est une blague. qu'elle retient à peine hors de ses lèvres. Pincez-la, elle rêve. Novembre veut sa mort. D'abord Lancelot, ensuite Freya et maintenant, Eamon ? Evidemment, il a l'air absolument euphorique à l'idée de la croiser - même si la joie, chez Eamon, ça a toujours été plus discret. Mais là... Là, clairement, il a l'air de rêver qu'elle ne fasse demi-tour hors du magasin. A juste titre. Elle a tout cassé, entre eux. Sa poitrine se serre et à nouveau, comme chaque jour sur cette maudite Terre, la culpabilité l'engouffre en vagues violentes, accompagnée de regrets et de tristesse. Elle l'observe s'asseoir en face d'elle - hésite. Est-ce que sa phrase était une invitation au dialogue ? Elle va sûrement l'énerver. Elle énerve tout le monde. La poigne de Lancelot lui revient en tête et fait couler son estomac. Elle esquisse un sourire. Pale copie de ce qu'elle a pu un jour faire. Lancelot lui a fait comprendre la leçon. Elle n'a pas le droit de regretter. Pas le droit de se plaindre. Pas le droit de demander. Elle ne peut rien réparer. Cette fois, elle ne laisse même pas une braise d'attentes se raviver avant de l'écraser.

▬ Tu as l'air en forme.

Enfin, elle l'espère.
Elle s'est souvent demandé comment il allait.
Son amabilité ne la repousse pas - ça n'a jamais été le cas et ça n'a jamais changé, preuve en est. Au milieu des torrents qui agitent ses yeux, c'est une pointe de soulagement qui la prend. Il est en vie et il n'a pas l'air en mauvais état. De quoi éteindre bon nombre de ses inquiétudes silencieuses ces dernières années. Une hésitation, encore. Le bout de ses doigts cachés vient jouer avec la hanse de sa tasse. Comme d'habitude. Ses yeux se baissent dessus avant qu'elle ne l'observe un peu plus. Contrairement à elle, le temps a l'air de lui avoir réussi. Encore plus grand qu'elle ne se le rappelle, des cheveux à faire pâlir plus d'une demoiselle... et de manière générale, une très bonne apparence. Elle repense au commentaire qu'elle s'est fait sur sa silhouette et se trouve affreusement stupide - c'était Eamon. L'espace d'une seconde, elle s'est dit qu'Eamon était à son goût. Elle efface la pensée aussitôt.

▬ Toujours entouré de thé, hein.

Et elle ne parle pas de ses aspirations de jeunesse qui ont l'air de lui avoir manqué, parce qu'elle n'est pas idiote et qu'elle ne veut pas sauter dans le plat les pieds liés. Ce n'est pas de la pitié qui la motive et encore moins de la déception. Eamon n'a jamais eu besoin de ces deux choses, elle n'allait pas lui en donner.

▬ T'as les cheveux plus longs, aussi.

Elle porte sa tasse à ses lèvres, souffle doucement dessus.
Une petite gorgée - une petite grimace. Trop chaud. Elle le savait.
Elle sort un peu sa langue brûlée. Impatiente. Comme d'habitude.
Si différente sans pourtant avoir changé.

▬ Ca te va bien.

Et peut-être que ça lui irait encore mieux tressé ;
Elle n'ose même plus en rêver.
Et elle ne le montre pas, mais elle a peur de l'énerver au moindre mot, de le faire fuir comme Lancelot. Parce que malgré tout, malgré la distance, elle est toujours contente de pouvoir lui parler ; parce qu'il s'agit d'Eamon et qu'elle non plus elle n'a jamais oublié. Alors si elle ne demandera rien, si elle jure qu'elle ne se prêtera plus à la folie que d'avoir de l'espoir, elle espère pouvoir profiter juste de quelques minutes à lui parler au détour d'une tasse de thé.
Comme d'habitude.

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Nonchalant, froid - pour ne pas dire glacial, peut-être même est-ce un brin de dédain ou de mépris qu'elle lit sur le visage d'Eamon. Elle n'en est pas sûre. Sa tenue respire l'indifférence. Elle s'en estimait chanceuse. Indifférent, c'était toujours mieux que d'être complètement haïe. Encore une fois, elle ne peut s'empêcher de repenser aux réactions de Lancelot. A la colère qu'elle a provoquée chez lui. A la rancoeur qu'il abritait à son égard. Ses mains se resserrent sur sa tasse. Elle sait qu'elle l'a mérité. Qu'elle mérite toutes les réactions de ces gens, qu'elle a abandonnés. Peu importe ce qu'ils pouvaient lui lancer au visage, elle était prête à l'accepter, même s'ils décidaient de la réduire en pièces, elle n'est pas sûre qu'elle se débattrait. Après tout, elle a l'air de bien avoir détruit une partie de leur vie - ça ne serait que justice de lui rendre la pareille.

Pourtant, à sa surprise, Eamon semble prêt à lui accorder un brin de conversation - peut-être est-ce en l'honneur de leur relation passée. Elle en doute. Elle ne sait pas quelle intention ça peut bien cacher, mais ce n'est pas elle qui va s'en plaindre. Même si le ton est sévère, combien de temps ça fait qu'elle n'a pas entendu sa voix ? Dire que dans sa jeunesse, elle crevait de ne pas pouvoir l'entendre au moins une fois dans sa journée. Elle se souvient de quand il avait commencé à s'asseoir à côté d'elle, durant les cours. Elle se sentait tellement fière, tellement satisfaite qu'il vienne à ses côtés de lui-même sans qu'elle ait à lui courir après. Maintenant c'est un comptoir qui les sépare et elle se doute qu'il ne viendra plus prendre la place mitoyenne. Tout ce qu'ils avaient, c'est terminé. Et ça ne reviendra jamais.

A qui la faute dit-il, et ça lui arrache un petit rire. Discret, silencieux. Rien à voir avec ses éclats cristallins de jeunesse qui illuminaient la pièce comme un carillon. Pourtant, pour une fois, c'est bien sincère. Un franc parlé qui lui a manqué, durant toutes ces années. Et qui n'a jamais cessé de l'amuser sans qu'elle ne se froisse de tout ce qu'il puisse lui balancer.

▬ Je plaide coupable.

C'est vrai, le thé, c'était son idée. Même si Eamon avait toujours eu, semblait-il, un intérêt pour la chose, elle était celle qui avait nourrit les braises de cette passion en ne cessant de le fournir en dégustations. Elle prend le blâme sans hésiter. Mais pour une fois, c'est une chose qui ne lui apporte aucun regret. Pas quand elle a pu observer le visage de son ancien camarade s'émerveiller devant des senteurs inconnues qu'il ne cessait de découvrir. C'était bien trop précieux à ses yeux pour qu'elle n'en vienne à le regretter, pour une fois.

Evidemment, Eamon sait que ça lui va bien. Confiant, comme toujours. A raison, après tout. Ca lui allait vraiment bien. Si elle avait aimé ses cheveux mi-longs, elle trouve qu'une longueur plus soutenue le mettait vraiment en valeur. Même si elle gardera ça pour elle.
Il lui demande si elle est pressée et elle esquisse un maigre sourire.

▬ Pour du thé au citron ? Toujours. Surtout si tu l'as préparé.

Elle ne doute pas que ça sera un des meilleurs thé de sa saveur favorite qu'elle aura l'occasion de boire. Alors, oui. Peut-être était-elle un peu plus impatiente qu'à son habitude. Elle prend le temps, toutefois, de souffler dessus pour éviter de répéter son erreur. Les brûlures à la langue, c'est vraiment pénible. Elle finit par prendre une gorgée qu'elle savoure les yeux clos. Un léger soupire passe ses lèvres. Elle aime tellement ça, comme thé. Ca lui rappelle tout ce qu'il y a de meilleur dans ce monde. Tout ce qu'elle a chérit le plus dans sa vie. C'est tellement réconfortant. Sur ses lèvres, un sourire un peu plus apaisé se dessine l'espace d'une seconde. Un peu plus ancrée dans le monde, un peu plus sereine. Comme si ses épaules pesaient un peu moins lourd, tout à coup. Il n'y a pas qu'Eamon qui avait développé un véritable amour pour le thé, à n'en point douter. Elle aussi s'était laissée charmer.

C'est un calme bien vite chassé par son constat. Son sourire s'efface promptement. Oui, elle est toujours là. Toutes ces années, elle était terrée dans le Londres magique. Ses yeux restent baissés sur sa tasse de thé. Elle se doute que ça devait sembler étrange, inconsistant avec le récit de sa vie jusqu'à la cassure qu'elle a laissé à son adolescence. Elle ne s'était jamais cachée d'être très attachée à sa famille, qu'ils étaient particulièrement soudés. Qu'elle avait toujours si hâte de rentrer pour les retrouver, malgré son amour pour son entourage à Poudlard. Alors qu'est-ce qu'elle foutait là encore ? Loin d'eux, qui vivaient à l'autre bout de l'Angleterre. Elle reprend une gorgée de thé. Il n'y a pas de réponse à donner. Elle est là, c'est un fait.

Et puis, à sa question, elle le regarde d'un air surpris, clignant des yeux. Coiffeuse ? Elle ? Oh. La conversation au sein de leur tour lui revient rapidement. Encore une fois, un petit rire lui échappe, semblable à un mirage. Eamon ne le sait peut-être pas, mais ça faisait bien longtemps que juste ces petits bruits si éphémères ne s'étaient échappés de ses lèvres, comme ça. Comme quoi, malgré le temps et sans le savoir, il faisait toujours partie des gens qui lui apportaient le plus de joie.

▬ Non. Même si je pense malgré tout que j'aurais fait bonne carrière dans le milieu.

Nouveau sourire sur ses lèvres, comme un réflexe. Si elle ne sourit pas, c'est un peu comme si elle n'existait pas, il faut croire. Quand bien même ça ne soit qu'une mécanique huilée par son cerveau.

▬ Je travaille à Sainte-Mangouste.

Elle reprend une gorgée de son thé. Qu'est-ce qu'il est bon. Bien meilleur que ceux qu'elle est capable de faire. Juste pour ça, elle ne regrette pas d'être passée.

▬ Je suis au service des empoisonnements par poisons et plantes.

Et si indiquer son statut de guérisseuse en cheffe ne l'intéresse que peu - la fierté qu'elle a éprouvé à sa promotion déjà morte depuis longtemps - elle sait que médecin était bien loin de tous les plans qu'elle a pu jamais évoquer auprès d'Eamon. Elle hausse les épaules, comme si l'information n'était pas si importante que ça. Elle hésite une seconde, finissant par demander presque timidement.

▬ Et toi ? Tu fais quelque chose sur le côté ?

Ou toi aussi, tes rêves, tu les as abandonnés ?
Elle avait franchement du mal à pouvoir croire qu'Eamon avait laissé son amour des potions disparaître même si ce n'était pas la cible de son métier. Un hobby, peut-être. Une reconversion en devenir. Lui ? Abandonner ? Même face aux abysses il trouverait un moyen de parvenir à ses fins et d'atteindre ses buts. C'était une conviction et une force de caractère qu'elle avait admiré au fil des années et qui semblaient... impossible à effacer. Même avec le temps, même avec tous les changements, ça lui paraissait absolument impensable.

Elle regarde sa tasse, jette un coup d'oeil sur le côté par la fenêtre. Ah. L'averse a enfin commencé à tomber. Elle se reconcentre rapidement sur Eamon ; lui portant toute son attention. Sa curiosité à son égard peut sembler maigre, mais à nouveau, c'est surtout par peur de poser une question qui viendrait réveiller des sentiments qu'elle ne pourrait imaginer. De la haine, de la rancune. Tout ce qui pourrait se cacher sous un masque imperturbable qu'il maîtrise bien mieux que dans le passé. Une légère grimace lui échappe, avec un ow silencieux quand elle a le malheur de poser ses doigts à même la tasse - le chaud sur ses coupures à vif, c'était loin d'être agréable. Elle agite légèrement sa main qui se découvre, bien qu'elle remonte machinalement sa manche dessus à nouveau. L'hiver avait à peine commencé que les cassures de sa peau ne cessaient de se multiplier. Elle devrait investir dans des gants, ça éviterait peut-être le pire.

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Si Eamon avait toujours été perçant dans son approche, comme un aigle qui traque ses proies, cherchant les opportunités et les faiblesses, il semblait s'être encore plus aiguisé avec les années. Elle ne savait pas si c'était pour le meilleur ou pour le pire. Avant, elle lui trouvait de la prestance. Une certaine grandeur. Une noblesse dans ses ambitions. Certes, elle savait que ces dernières n'étaient peut-être pas les plus justes. Elle se souvient avoir appris la nouvelle alors qu'ils ne se parlaient plus. Elle avait tenté, malgré tout, de le contacter. De savoir réellement ce qu'il s'était passé. Elle voulait l'entendre de vive voix, ou même par message. Mais venant de lui. Pas des murmures, pas des on-dits incessants qui volaient dans les couloirs. Elle voulait des réponses sans jamais lui en avoir données. Elle n'avait rien eu. Un silence convenu. Elle avait compris. Elle ne demanderait plus.

Néanmoins, malgré la distance et les années, elle pouvait sentir que quelque chose avait changé. Elle avait l'impression de voir un animal blessé dans ses derniers retranchements, sans trop savoir l'expliquer. Prêt à tout. N'ayant rien à perdre. Malgré l'indifférence, malgré les regards ternes et froids, malgré tout ce qu'il portait sur lui, quelque chose sonnait dissonant. Elle ne saurait mettre le doigt dessus. C'est bizarre de retrouver quelqu'un avec qui on a partagé sa vie, mais qu'on ne reconnaît plus. La pensée la noie d'une certaine nostalgie. D'une tristesse bien aimante. Leur proximité avait été l'éclat le plus magique de sa scolarité. L'apothéose de ses journées. Le confort d'une maison, d'un foyer auquel elle pouvait rentrer. Se plaindre. Rire. Jouer. Provoquer. Rivaliser. Mais la bâtisse était en ruines et il n'y avait plus rien à sauver. Elle commençait doucement à l'accepter.

Essayer autre chose que le thé au citron.
Elle regarde sa tasse. Elle en avait essayé plein, des thés, à dire vrai. Des excentriques, magiques, et des normaux de sa patrie natale. Elle en avait aimé, détesté, ignoré. Le citron avait traversé les années et était resté son préféré. Toujours avec une goutte de lait. Parfois avec un souvenir dans une tour partagée. Un sourire un peu nostalgique sur ses lèvres.

▬ C'est vrai... Mais ça ira. C'est celui qui m'apaise le plus.

Elle ne dit rien, mais peut-être qu'elle évoque autre chose que le liquide dans sa tasse. Une odeur familière qui remonte à chaque fois qu'elle sort un sachet. Le confort d'une chaleur dans laquelle elle aimait se prélasser. Enlacer. Une main qui venait se mêler à la sienne. Elle ne dit rien. Ne dira rien. C'est un non-dit qu'elle laisse libre d'interpréter. Elle veut bien être la seule à se souvenir et ressasser. Même si la relation est morte, les souvenirs sont là. Elle est prête à les emmener aussi loin qu'elle le pourra. Dans la solitude, s'il le faut. C'est la seule chose qu'on ne peut pas lui enlever.

Il dit d'arrêter de mentir - elle voudrait bien. Mais elle ne sait plus trop comment on fait. Elle fait mourir un peu son sourire, une vague courbure restant présente malgré tout. L'impassibilité ne lui est plus une habitude. Les émotions qu'elle portait sur sa manche tout le temps sont enfouies si profondément qu'elle n'en trouve plus le chemin. En elle, c'est aussi gris que le monde qu'elle perçoit. Anesthésiée. Peu importe à quel point on la secoue, rien n'y fait. Elle est cassée. Elle voudrait dire pardon, mais elle a peur d'attiser une colère nouvelle. Une contrariété qu'elle voulait effacer. (Lancelot n'avait pas aimé ses excuses) Elle ne sait pas quoi dire d'autre. Elle n'a rien d'autre à dire. Alors elle se tait, simplement.

Tu sauves des gens ?
Non, je les détruis.
D'ailleurs, je t'ai sûrement cassé un peu, toi aussi.
Elle marche sur les débris des relations qu'elle a défaites, sur les sentiments des autres qui tentent de se rapprocher alors qu'elle les tient éloignés. Elle repense à Freya. Repense à Betsalel. A Lancelot. A tout le mal qu'elle a fait et qu'elle ne cesse de faire. Elle se trouve absolument détestable. Une menteuse qui porte une blouse immaculée pour cacher le sang qu'elle traîne à ses pieds. Des tâches qui ne cessent de s'aggrandir au fil des années. La culpabilité lui tord les entrailles.

▬ On peut dire ça, je suppose.

Elle sait que peu importe le nombre de gens qu'elle éloigne de la mort, elle en rapproche deux fois plus et bien plus vite. Quelle blague. Il n'y a pas de fierté dans ses yeux. Même si elle n'est pas chez les aurors, elle ne brille plus. Elle n'a plus l'ambition qu'elle avait - pourtant, elle est en haut, maintenant. C'est elle qui règne dans son département. La plus haute à atteindre. Intouchable. Intouchée. Elle est la seule qui a réussit à s'élever, alors que c'est lui qui aurait dû y être.
(On se sent seul, en haut, tu sais ?)

Eamon semble avoir encore quelques aspirations, malgré tout. Ca la rassure un peu, quelque part. Pas tout n'a changé. Une certaine constante est restée. Eamon sans rêves, aussi sombres soient-ils, ce n'est plus vraiment Eamon. Elle espère, quelque part, qu'il trouvera le moyen de briller.
(Si tu savais, Persy. Si tu savais.)

Il l'abandonne un instant et elle profite de ce moment de répit pour remonter sa manche sur son poignet, observant les dégâts sur sa main. Elle fronce légèrement les sourcils. Si les plaies et les cicatrisations ne se comptent plus, sans compter les traces blanches d'anciennes blessures qu'elle porte depuis quelques récentes années, elle était sûre pourtant qu'à son arrivée toutes ses plaies étaient fermées. Sur ses phalanges, de nouvelles cassures sont apparues - fines, le sang ne coule pas mais s'y accumule simplement. Elle soupire doucement et remonte sa manche, se disant que ça finira bien par sécher. Ca pique, ça brûle. Mais elle a l'habitude. Elle réfléchit au potentiel coupable. Le frottement de sa manche ? La chaleur de la tasse ? La différence de température entre dehors et dedans peut-être ? Dur d'être sûr. Elle reprend une gorgée de son thé avant de vérifier sa deuxième main, tout aussi amochée. La même, cicatrices en moins. La température, sûrement, alors. Elle range sa main droite, ignorant la sensation. Appose à nouveau son visage dans sa main. Cligne des yeux. Elle est fatiguée, vraiment. Elle regarde la pluie dehors.

▬ Ca n'a pas l'air de vouloir se calmer, uh...

Dans son regard, bien que faible, se lit une légère contrariété.
Elle n'a pas envie de courir sous la pluie.
Mais elle ne sait pas si c'est une bonne idée que de s'éterniser.
Elle ne peut pas s'empêcher de penser qu'Eamon la veut partie. Aussi loin de lui que puisse se faire. Elle ne lui en voudrait pas. Elle comprendrait. Ah.

▬ Mer- Refuse de jurer. Polie comme toujours. Mince. Mon linge.

En train de prendre la pluie sur son balcon, à n'en point douter.
Un rare claquement de langue contre son palais. Un énième soupire passe ses lèvres. Sa manche se plante contre son visage.
Bon Dieu, qu'est-ce qu'elle est fatiguée.
Il va lui en falloir, du thé.

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Son thé, elle pourrait en parler pendant des heures. Pas seulement celui au citron. Tous ceux qu'Eamon a pu lui faire goûter, tous ceux qu'il a bien pu lui préparer. Au final, ils sont tous ses préférés. Du moment que c'est lui qui les lui fait. Mais tout comme elle ne sourit plus, elle ne s'épanche plus trop. Si son honnêteté lui colle à la peau et déborde toujours parfois accidentellement, elle est pourtant bien plus maîtrisée. Elle protège son coeur des écorchages. Elle ne s'accroche plus. Les gens, elle les laisse graviter autour. Elle les surveille, les laisse penser qu'ils sont proches. Pourtant elle a toujours le pied dans l'ouverture de la porte - pour laisser partir comme pour s'enfuir. Alors sa réponse est un simple hochement de tête. Une confirmation sans jamais abreuver le mirage qu'elle fut un jour. Elle ne veut pas laisser penser qu'il puisse un jour être de retour.

C'était ce qu'elle voulait.
Pourtant, le voilà qui fait une blague. L'espace d'une seconde, elle le regarde d'un air surpris. Le temps que ça ne fasse son chemin - il faut dire qu'elle n'a plus l'habitude ! Et ça change de son air si glacial. Ca vient tirer sur quelque chose, en elle. Quelque chose d'injuste, qu'elle n'a jamais su contrôler - elle a toujours eu un faible pour le sarcasme. Et surtout celui un peu sec d'Eamon. Dans le temps, elle éclatait d'un rire cristallin. Et si elle n'en est plus capable aujourd'hui, si elle n'est qu'un soleil éteint, l'espace d'une seconde, ses rayons semblent traverser les nuages pour une éclaircie. Alors qu'il se retourne rapidement comme pour s'évader, elle n'arrive pas à retenir un pffrr qu'elle étouffe derrière ses lèvres, hâtivement couvertes par son poing pour être sûre qu'un rire ne sorte pas. Elle s'assure de tourner la tête de l'autre côté, alors que ses épaules se secouent dans un bref rire soufflé, aussi discret que possible. Elle espère qu'il n'a rien vu. Elle espère qu'il n'en reste rien sur son visage, fait comme elle peut (mais dans ses yeux au milieu de la nuit morte y'a quelques discrètes étoiles qui brillent un peu)

▬ Je sais, je parle vraiment comme un camionneur. Une vraie terreur.

Il revient avec une trousse alors qu'elle hausse un sourcil. A en juger parce ce qu'elle aperçoit dans l'ouverture, c'est une trousse de soin, mais elle n'a pas l'impression qu'il se soit blessé depuis qu'elle est arrivée. Un flacon et des bandages se posent devant elle. Elle les regarde. Relève ses yeux sur Eamon qui lui enlève son précieux thé.

▬ Wow. Si peu de confiance en ma coordination. Choquée.

Il a peut-être raison.
Et pourtant, elle ne comprend pas.
En elle, ça se serre un peu.

Elle devrait être contente de cette attention détournée qu'elle ne connaît que trop bien malgré le temps qui s'est écoulé. Sauf qu'elle n'a pas l'impression de la mériter. Sauf qu'elle n'a pas l'impression de mériter une quelconque douceur de la part de l'ancien Serdaigle. Elle lui a fait du mal. Leur proximité était indéniable. Elle s'est imposée dans sa vie seulement pour en partir sans rien dire. A nouveau la culpabilité vient la tourmenter alors qu'elle regarde les soins devant elle. Elle ne mérite pas son inquiétude. Elle ne mérite pas qu'on s'occupe de son bien-être. Elle le mérite encore moins venant de lui. A la limite, elle mérite une colère, une rancune. Fichtre, s'il lui prenait l'envie de l'empoisonner, comme il l'a fait à d'autres, elle ne saurait lui en vouloir. Si elle en venait à mourir, elle se dirait qu'au moins une personne dans sa vie aura eu justice. Les étoiles et les éclaircies ne sont plus. L'automne et les feuilles mortes sont revenues.

Elle attrape les bandages et le désinfectant et s'attèle à sa nouvelle tâche, machinalement. Elle l'a faite des centaines de fois. Elle ne cache plus ses mains - à quoi bon, il les a probablement vues pour lui sortir ça. Elle n'en est pas fière mais elle n'en a pas honte pour autant. Elle est trop usée. Elle les cache surtout pour ne pas choquer ou ne pas mettre mal à l'aise. Il faut dire que ce n'est pas trop joli.

Mais ce n'est pas comme s'il y avait quoi que ce soit d'attirant chez elle.

L'espace d'une seconde, elle croise les yeux d'Eamon et la question qui sort de ses lèvres finit de taire le peu de vie dans son regard. Comment lui dire ? Oui, j'ai essayé de survivre. J'ai essayé d'être normale. J'ai essayé de ramener une morte que personne n'arrive à enterrer sans comprendre qu'elle ne pourra jamais revenir. Mais elle n'a jamais réussi. A chaque fois qu'elle tente de se relever, ce n'est que pour retomber. Un peu plus fort. Un peu plus bas. A chaque fois. Une déception de plus. Un échec de plus. Un cauchemar de plus. Elle baisse ses yeux sur sa main droite, observant les traces blanches qui parcourent ses doigts, sa paume et la naissance de son poignet. Le souvenir d'éclats de miroir à ses pieds lui revient. La culpabilité avec. L'ombre qu'elle a cru percevoir derrière son reflet qui ne cesse de la hanter. Est-ce qu'elle a fait autre chose ? Oui. Elle a tout essayé.

Mais elle commence doucement à lâcher prise.
Elle n'a même plus la force d'être désespérée.
Elle se dit sereinement qu'il sera sûrement bientôt temps de tout arrêter.
La pensée lui amène un certain soulagement.
Se dire que ça va se finir, ça permet tout de suite de respirer.
Comme une longue course et on voit enfin la ligne d'arrivée.
Un léger sourire sur ses lèvres.
Elle relève les yeux vers lui.
Elle reprend ses propres évasions.

▬ Peut-être. J'ai eu deux ou trois projets en tête.

Vague réponse qu'elle lui retourne. Elle aussi, peut être injuste comme ça. Elle retourne son attention sur ses propres mains, s'occupant de ses blessures. La tâche n'est pas aussi aisée qu'elle l'aimerait, malgré son expertise. Ses plaies la lancent, et ça crispe ses mains, les fait parfois sursauter. Pourtant, elle finit par y arriver. Elle plie et déplie ses doigts pour s'assurer que ce n'est pas trop serré, qu'elle peut les bouger aisément et que le sang continue de circuler comme il faut. Elle relève les yeux sur Eamon, à nouveau.

▬ Merci pour les bandages et le désinfectant. Ca allait en arrivant mais je crois que le choc thermique n'a pas été très appréciable.

Elle agite un peu ses mains, remontant par habitude ses manches dessus. Elle en profite aussi pour dégager quelques mèches qui lui tombent dans les yeux, bien que son regard ne reste fixé sur son compère.

▬ J'ai le droit de reprendre mon thé, maintenant ? C'est un peu le paroxysme de ma journée, je dois avouer, donc j'ai hâte d'y retourner.

Un rire discret, à nouveau.
Une triste vérité, sûrement.
Bien que le thé soit toujours un agréable moment qu'il doit sûrement comprendre. En parlant de ça, tiens.

▬ Et du coup, toi qui travailles ici et puis avec ton amour légendaire pour le thé... Tu en as découvert des nouveaux délicieux que tu pourrais me recommander ?

Un avis avisé qu'elle prendrait à coeur d'écouter.
Puis elle penche légèrement la tête, un léger sourire aux lèvres.
Elle ne peut pas retenir la question qui suit.

▬ Ou tu es toujours aussi obsédé par le thé à la violette ?

Comme si elle avait pu oublier son préféré.

era

sed

Comme à son habitude, Eamon a la délicatesse d'une gifle au visage du dos d'une main décorée de bagues. Ca la fait soupirer légèrement, bien qu'un sourire ne quitte pas ses lèvres. Elle hausse doucement les épaules. Elles viennent de nul part d'intéressant, vraiment. D'une obsession qu'elle ne maîtrise pas et de chutes qui ne cessent de s'ammasser et de s'empirer. Elles viennent du tréfond de la nuit, de l'aube au petit matin, de ses heures de travail, d'un cauchemar éveillé. Elles viennent d'un peu partout, d'un peu n'importe quand, toutes ces dernières années. Elle a l'habitude de la question. D'habitude, elle se contente de mentir, ou d'une demie vérité - ça vient avec la profession, j'ai été maladroite à la maison. Mais elle ne voit pas l'intérêt de mentir à Eamon - il relèverait facilement la chose et, au mieux, serait vaguement vexé avec un haussement d'épaules, au pire froissé et demandant de réelles explications. Alors elle finit par dire d'un air détaché.

▬ Les coupures viennent de nettoyages de main. Savon, désinfectant, frottements répétitifs et acharnés... Les cicatrices... Elle réfléchit comment formuler la chose, une seconde. J'ai eu un accident avec un miroir.

Ni un mensonge, ni trop précis.
Un juste milieu qu'elle est prête à lui accorder.
Elle observe ses mains bandées avec indifférence, bien qu'un certain dégoût l'habite. Si elle pouvait, elle sortirait la petite bouteille de désinfectant de sa poche et s'empresserait d'accomplir son rituel, mais ça mouillerait les bandages sans satisfaire ses pulsions. Si elle sait en partie d'où ça vient, elle était toujours époustouflée par la manière dont son cerveau semblait distordre ses pensées. Elle se sent sale. Tâchée. Souillée. L'envie de rentrer et de prendre une douche interminable qui ne fera passer la sensation que pour quelques heures, si elle a un peu de chance. C'est toujours le même cycle, la même répétition. Elle secoue la tête doucement. Rien ne sert d'y songer maintenant.

Quand son thé retrouve sa place devant elle, elle est un peu soulagée.
Elle vient rapidement reprendre sa tasse entre ses mains, prenant une gorgée qu'elle savoure. A nouveau, ses épaules se détendent. Le thé la fait décompresser à n'en point douter. Elle savoure chaque gorgée en écoutant Eamon qu'elle trouve étonnamment ouvert. Elle s'attendait à ce que ses questions soient ignorées, comme les toutes premières qu'elle avait voulu lui poser, au tout début. Plus qu'en découvrir, hein ? Elle continue de le regarder dans le silence qui suit, attentive. Il semble un peu plus détendu, un peu moins sur ses gardes. Elle se demande bien pourquoi, mais ce n'est pas elle qui va s'en plaindre.

Au fond, elle revoit un mirage du jeune homme qu'elle a côtoyé.
Elle a l'impression d'apercevoir une once de douceur qu'elle a cultivé pendant des années. Une faiblesse qu'elle a écrasé. Elle l'aimait tellement, pourtant. Elle l'aime toujours autant. Toujours. Et ça la fait un peu sourire, à nouveau. Si elle lui associait l'odeur du citron, elle ne pouvait que repenser à lui dès qu'elle achetait du thé à la violette. Ce n'était pas son préféré et pourtant, par habitude, ces douze dernières années, elle en avait toujours à portée de main chez elle. Comme si quelqu'un allait venir s'inviter et en boire en discutant de tout et de rien à ses côtés.

La suite la surprend un peu.
Eamon avait donc finit par entamer ses propres recherches en thé ! Elle trouvait que ça lui allait parfaitement. L'esquisse d'un sourire trahit ses sentiments à l'égard de cette passion qu'il a toujours nourrit et, en elle, ça fait un petit arrêt juste l'espace d'un battement. Toujours aussi faible envers les expressions qu'il peut bien lui montrer, même s'il tente de les cacher. Il semble avoir trouvé une nouvelle obsession pour le sol, n'en retirant son regard.

Et puis, une invitation.

Elle en reste muette, quelques secondes.
Elle a le droit de revenir ? Elle pensait qu'Eamon ne passait pas un très bon moment, pour être honnête. Malgré la légèreté de la conversation et son flow naturel comme à leur habitude, une synergie qui semblait toujours leur revenir, elle s'était simplement dit que lui aussi ne voudrait pas la revoir. Ca ravive quelque chose qu'elle a voulu s'efforcer de tuer depuis qu'ils ont commencé leur conversation. Une toute petite braise. L'ombre d'un espoir. Elle s'était dit qu'il fallait mieux le faire maintenant, plutôt que trop tard. Les mots meurent dans sa gorge. Elle trouve ça un peu injuste - elle faisait ça pour lui, surtout. Pour ne pas rouvrir les plaies. Pour ne pas rappeler tout ce qui a pu le blesser. Pourtant il semblait prêt à recommencer quelque chose - même si ce ne serait sûrement jamais comme avant. Quelque chose, c'était tellement plus que rien. Elle a un peu de mal à y croire.

▬ Tu es sûr... ? Je peux revenir ?

Le doute dans sa voix. La culpabilité dans ses yeux.
Pourtant, à cette idée, ses orbes grisent se dégagent pour laisser place à une tendresse qui ne s'est jamais éteinte à son égard. Elle est peut-être un peu plus ténue qu'il y a toutes ces années, mais définitivement présente. Elle n'avait pas peur de lui, elle n'avait à son égard aucune appréhension. Juste une adoration certaine qu'elle avait traîné avec elle en silence tout ce temps.

▬ Je trouve ça génial que tu te sois lancé dans ce genre de recherches !

Et sa voix semble un peu plus vivante, un peu plus joviale.
Son sourire est tendre et sincère ; diffus, mais évident.

▬ Si j'ai le droit de revenir et que t'es d'accord...

Elle hésite une seconde - peut-être que c'est trop égoïste ?
Trop capricieux ? Elle tente le coup, pourtant.

▬ J'aimerais beaucoup goûter ce que tu prépares.

Aucune peur d'être empoisonnée ou de servir de cobaye.
Pas une once de méfiance. Juste une confiance qui ne l'a jamais quittée.
Et si elle n'est pas aussi éclatante, il ne fait plus l'ombre d'un doute qu'elle est peut-être plus vivante qu'elle ne peut le laisser croire, au fond. Il lui faut juste les bonnes personnes. Les bons mots. Les bons intérêts. Tout ce qu'il a toujours su éveiller en elle. Elle reprend un peu de thé, l'air un peu apaisée quand elle relève ses yeux sur lui, une idée ayant germé en elle.

▬ C'est peut-être un peu présomptueux mais... Si jamais tu as besoin de quelqu'un pour servir de testeur, je serais plus que ravie d'aider.

Une proposition un peu timide mais toujours si sincère.
Et dans ses yeux, outre son affection, c'est une envie maladroite de passer du temps avec lui à nouveau. Elle a peur, un peu - est-ce qu'elle arriverait à l'accepter dans sa vie ? A contrôler ses peurs et à ne pas chercher à le rejeter une nouvelle fois pour se préserver ? Pour le préserver ? Elle ne sait pas. Elle ne peut pas en être sûre. Elle a peur de le prévenir, peur de le faire fuir si elle lui dit que tout n'est pas certain. Elle a aussi peur qu'il ne change d'avis et qu'il ne se transforme en Lancelot, avec des mots durs et un reality-check qu'elle a dû mal à assimiler. Mais il s'agit d'Eamon. Et comme Lancelot, pour lui, elle est prête à prendre le risque du peut-être. Peut-être que ça peut marcher. Peut-être qu'elle pourrait à nouveau marcher à ses côtés. La peur ne la quitte pas, mais elle a finit de la retenir de tenter. Les braises qu'elle a voulu éteindre brillent faiblement, persistantes. Elle avoue, après un bref silence. Honnête toujours au milieu de ses mensonges qu'elle ne cesse d'entasser.

▬ Je suis contente de t'avoir retrouvé. Tu m'as manqué.

Injuste, toujours.
Pourtant sur son visage se lit la sincérité.

era

sed

Il est sûr - il est toujours si sûr de ce qu'il veut. Elle a toujours admiré ça. Elle, elle a toujours l'impression d'être perdue et hésitante dans tout ce qu'elle entreprend. Avoir la clarté d'esprit de faire des choix ne semble pas être à sa portée. Sûrement est-ce pour ça aussi qu'elle aime les gens un peu tranchants. Pour compenser ce qu'elle n'est pas capable de faire. Ca rend les choses plus faciles pour suivre le courant. Bien qu'elle n'hésiterait pas à dire que quelque chose lui déplaît... sûrement. Aujourd'hui, elle n'est plus trop sûre de rien. Jusqu'à quel point serait-elle capable de laisser les autres l'écraser ? Elle ne sait pas. Elle n'a pas non plus envie de tester. Mais elle prend note de la conviction d'Eamon et veut lui faire honneur. Elle n'a pas envie qu'il le regrette. Pas à nouveau, en tous cas.

▬ D'accord. Je reviendrai, alors.

Une promesse qu'elle s'efforcera de garder. Après tout, le salon est aussi idéalement placé pour elle. Pile sur le chemin du retour du travail. Juste avant sa maison. L'arrêt idéal pour ne pas être trop déprimée quand elle se retrouve dans le vide et la solitude de son appartement. Un peu de compagnie et un thé délicieux pour rendre la nuit plus supportable. Ca sonne pour elle comme une bénédiction. Elle a déjà hâte de leurs prochains échanges - s'halte dans sa pensée. Elle n'a pas le droit d'être aussi avare. Alors elle se reprend bien vite - juste ce qu'Eamon est prêt à lui accorder. C'est tout ce qu'elle s'autorisera, cette fois. Plus d'égoïsme. Sinon, elle va encore abuser et blesser. Pas la même erreur deux fois. Du moins, on peut essayer.

Il hausse les épaules à son commentaire. Elle hésite une seconde en entendant sa réponse. Un hobby, c'est vrai. Rien de plus. Sûrement ne fera-t-il pas carrière dans le thé. Pourtant, elle secoue la tête doucement. Un hobby, c'est déjà tellement.

▬ Ce n'est peut-être qu'un passe-temps, mais c'est gratifiant, non ? Si c'est quelque chose qui te plaît, c'est suffisant.

Son sourire se fait discrètement taquin, un éclat léger d'espièglerie dans ses yeux. Un air discret mais familier pour quiconque l'a côtoyée dans la tour de nombreuses nuits autour de tasses de thé et de livres partagés.

▬ Et puis, ça te force à prendre des pauses. A délaisser le reste l'espace d'un instant. C'est important. C'est prendre soin de soi aussi, s'adonner à ce genre de choses.

Après tout, elle n'est plus là pour lui courir après et lui dire de tout lâcher. Elle est contente que quelque chose ait pu remplacer ses discours incessants sur l'importance de faire une pause. Ce n'est plus son rôle aujourd'hui... ça lui manquerait presque. Mais c'était une autre époque. Il est grand, maintenant. Sûrement est-il assez responsable pour avoir un train de vie sain. Elle n'en sait rien, elle. Ce n'est pas son cas, après tout.

L'ombre d'un sourire se dessine sur les lèvres d'Eamon à sa proposition et son regard ne se fait que plus tendre. C'est fou comme, même après tout ce temps, la plus discrète expression de joie chez lui l'attendrie toujours autant. Elle se demande s'il s'est adouci, avec les années. S'il est juste plus simple à faire réagir. Après tout, elle n'a pas l'impression d'avoir dit quoi que ce soit d'extraordinaire pour mériter ce genre de réactions si précieuses.

Il accepte son aide - elle en est ravie. Vraiment ! Elle se sent privilégiée, à nouveau, d'avoir le droit à ce genre de traitements. Une tâche complexe, dit-il... Elle s'estimait toujours novice en thé, comparée à lui, mais elle ferait de son mieux à n'en point douter. Et puis, si Eamon doutait de sa capacité à apprécier les saveurs qu'il avait à lui présenter, elle ne doute pas qu'il aurait refusé. Alors c'est un petit sourire sur ses lèvres qui prend place.

▬ Je ferai attention à être à la hauteur de tes espérances, promis.

Si ses collègues la voyaient, ils se demanderaient sûrement qui est assis dans ce siège. Sûrement pas Persephone. Pas la même qu'ils côtoient au travail - le sourire poli, raffiné, douce et sans aucune personnalité. Si ce n'est donner des ordres et réclamer des dossiers. Ou peut-être commandant une pizza une fois passé neuf heures du soir alors qu'ils sont encore tous coincés à travailler. Mais souriante ainsi ? Même si c'est discret... Même avec le gris de la pluie, elle brille, très légèrement. Un rappel de son éclat d'antan que plus personne ne peut apprécier. Elle n'est pas la seule à être privilégiée, il semblerait.

Et ça ne fait que s'accentuer quand ces deux mots passent ses lèvres. Toi aussi. Elle lui a manqué. Elle a manqué à Eamon ! Ce n'est pas rien, quand même ! Alors en elle, ça se réchauffe. L'espace d'un moment, elle a l'impression que novembre lui est bien loin. Qu'elle goûte à un avril doux, la brise lui caressant les joues. Elle se sent bien, ici. Maintenant. Et ça fait tellement longtemps. Ca lui ferait presque un peu bizarre. Mais rien de dérangeant. Au contraire. Un goût de reviens-y très tentant.

Il espère qu'elle ne disparaîtra pas de trop tôt. Ah. Elle repense à ce qui lui a traversé l'esprit tout à l'heure. C'est dur de promettre, après ça. Et même sans, elle ne savait pas ce qui allait arriver. Son cerveau qu'elle déteste est tellement imprévisible après tout. Même Fallen manquait parfois de sortir de sa vie et n'y était restée qu'à force de persistence et d'acharnement. Mais pas tout le monde avait cette force. Ni sa patience. Surtout sans en connaître les raisons. Alors elle ne peut se permettre de jurer. De mentir et de trahir. Plus cette fois.

▬ Ahah, j'essayerai.

Ca, elle le promet. Elle va essayer. Elle fera de son mieux. Elle espère que ça sera suffisant. Mais elle doit bien avouer que ça l'effraie, un peu. Combien de temps, déjà ? Depuis la dernière fois qu'elle a réellement accepté quelqu'un près d'elle. Sans mensonges. Sans fausses promesses. Sans déjà penser à s'échapper ? Ou être abandonnée ? Elle ne sait plus. Bien trop pour qu'elle ne puisse se le rappeler. Elle espère qu'avec Eamon, ça sera différent. Elle s'efforcera de ne pas être trop bizarre. De ne pas être trop difforme. C'est tout ce à quoi elle peut penser. Et sinon... Peut-être que cette fois c'est elle qui sera délaissée. Qui sait. Elle verra bien. Elle connaît les risques, après tout. Mais cette fois, j'ai envie d'essayer.

Sur cette pensée déterminée, elle s'autorise à prendre les dernières gorgées de son thé. Seulement pour s'étrangler dessus à la question qui reste en suspend. Rapidement, la tasse est reposée, en toute sécurité. Dieu merci, elle ne recrache rien - mais elle tousse, pour sûr, couvrant sa bouche d'un poing alors que l'autre se porte à sa poitrine douloureuse. Une fois calmée, elle relève des yeux incrédules vers le serveur. Elle ?! Des enfants ?!

▬ ... Des quoi... ?

Elle a l'air tellement confuse ! Elle avait oublié qu'elle était dans cette tranche d'âge. Ca jasait parfois, à l'hôpital - on lui disait qu'elle était une belle femme, qu'elle était populaire. Qu'il y avait sûrement un mari ou une femme à trouver quelque part ! Un foyer à fonder ! Comme en réponse à ses constats, elle secoue doucement la tête à la question.

▬ Heu... Non. Je suis plutôt du genre mariée à mon travail.

Travailler à l'hôpital, ça n'est pas de tout repos il faut dire. Surtout avec ses responsabilités... Surveiller toute une section, ça crevait. Heureusement elle travaillait majoritairement avec des gens formidables ! Mais le travail, ça reste ce que c'est. Du travail. Elle agite légèrement sa main devant elle, un brin amusée de sa propre situation.

▬ Et puis, tu sais, sur ce point là j'ai pas trop changé depuis Poudlard... J'ai jamais été dans une relation ou quoi que ce soit. J'me sens pas vraiment concernée par la chose, tout ça.

Un bref rire. Toujours aussi aveugle à ce qui l'entoure. Aux regards qui débordent d'intérêt et d'amour. Toujours le nez dans ses études et ses dossiers, bien plus intéressée par des lignes sur le papier. Même si elle ne s'accroche plus au cou de n'importe qui, sa douceur est toujours aussi efficace pour attirer qui le veut. Et elle ne semble pas le remarquer. Sa naïveté lui fait toujours défaut, faut-il croire. Elle demande, tout de même.

▬ Et toi, alors ? Des enfants ? Casé ? Ou même marié ?

Elle pourrait s'arrêter à des questions, mais son honnêteté semble lui revenir au fil de la conversation alors qu'elle se sent plus à l'aise - et ça sort tout seul, visiblement.

▬ Tu étais déjà charmant à Poudlard, mais vu comment les années t'ont réussi, je n'en serais pas étonnée une seconde ahah.

Elle l'a toujours trouvé beau, après tout. Ce n'était pas vraiment un secret dont elle s'était gardée dans sa jeunesse. Et le sentiment est toujours d'actualité. C'est sans gêne qu'elle l'avoue. Puis son regard se porte sur sa tasse désormais vide.

▬ Oh ! Je vais te reprendre un thé s'il-te-plaît.

Elle ne compte pas partir tout de suite, il semblerait. Elle réfléchit une seconde. Qu'est-ce qu'elle pourrait commander ? Elle hésite. Et finit simplement par sourire très légèrement.

▬ Pour le parfum, je te fais confiance. Surprends moi.

Elle est sûre que ça sera excellent de toute façon.

era

sed

Elle se retient de lever les yeux au ciel, rapidement. Tout le monde a besoin de pauses, mais il semblait, contrairement à ses espérances, que la notion soit encore inconnue au brun. Pourtant, elle avait passé des années à tenter de la faire entrer dans sa tête. Peut-être qu'il était trop abruti par les potions et le savoir pour arriver à ingérer l'information. C'est pourtant simple comme notion ! Sans pause, on finit par burn out, par s'éclater. Et s'il burn out, il ne pourra plus faire ce qui le passionne. C'est littéralement se tirer une balle dans le pied. On pourrait lui dire qu'elle n'est pas bien placée pour faire le commentaire, mais la nuance est pourtant là : elle est consciente d'avoir besoin de pauses, et s'en octroi de temps à autre, comme maintenant. La plupart du temps, elle les évite volontairement en pleine connaissance de cause. Elle ne niait jamais leur importance ou son besoin d'en avoir. Tout aussi destructeur, mais moins benêt. Un soupire, discret. Un murmure qu'il peut à peine entendre s'il tend l'oreille, qui pourrait passer inaperçu facilement.

▬ Manquerait plus que j'ai à te faire danser pour que tu en reprennes...

Coup bas, peut-être, que de ramener aussi clairement ce qui semble avoir été évité jusqu'ici. Mais il n'a qu'à l'ignorer si ça lui déplaît.
Quand il prend son temps (le bougre) pour réfléchir au retour de questions, elle en profite pour l'observer un peu plus. Contrairement à elle, il a l'air détendu. Dans son élément. Un instant, ses yeux se posent sur les bagues qui ornent les doigts de son camarade. Elles pourraient signifier tout et n'importe quoi. Peut-être avait-elle raison ? Peut-être qu'Eamon était effectivement marié. L'idée ne lui semble pas impossible. Qu'est-ce qu'elle en dirait, elle ? Elle réfléchit une seconde, impassible. Elle dirait qu'une petite partie d'elle, presque silencieuse, serait légèrement amère à cette nouvelle. Mais elle secoue doucement la tête, regardant ses propres mains alors qu'elle s'occupe de complètement tuer la dite voix.

▬ Hmm... Je ne pense pas que ça soit le cas.

Et pas simplement parce que ça l'avait vaguement... Vaguement quoi ? Elle ne savait même pas. Mais ce n'était pas la question - le fait est qu'elle doutait, si Eamon était encore semblable à celui qu'elle a connu, qu'il ne sacrifie sa vie professionnelle et ses quêtes personnelles pour un amour et l'engagement d'un foyer. Peut-être s'il s'agissait de quelque chose de politique - et encore. Il était tellement indépendant et égocentrique, qu'il aurait été capable de refuser les obligations de sa famille de but en blanc. Enfin, selon elle en tous cas. Peut-être que ces douze dernières années l'avaient drastiquement changé et qu'elle était loin du compte. Peut-être qu'elle ne l'avait jamais réellement connu aussi bien qu'elle le pensait. Les possibilités étaient là et ce n'était que l'image, sûrement idéalisée, d'un adolescent qu'elle a côtoyé. C'était un homme qu'elle avait en face d'elle, à présent, et presque un étranger.

Sa réponse semble pourtant en accord avec les quelques esquisses qu'elle avait de sa personnalité. Et peut-être que la voix qu'elle tente d'étrangler en elle est soulagée avant de s'éteindre.

▬ Comme c'est étonnant.

Mais c'est qu'elle ferait de l'humour.
Contrairement à elle, qui n'avait absolument aucune expérience dans ce genre de domaines, elle ne doutait pas qu'il devait en avoir un minimum - après tout, elle le pensait quand elle a dit le trouver charmant. Et malgré tout ce qu'Eamon pouvait s'entêter à dire, si elle avait réussi à trouver sa personnalité charmante quand ils étaient plus jeunes, elle ne pouvait pas être la seule sur Terre à le penser. Viendrait sûrement un temps ou quelqu'un d'autre arborerait ce genre de pensées à son égard. Elle le lui souhaitait, en tous cas. Malgré tout ce qu'il avait pu faire, malgré tout ce qu'il pouvait encore faire, et malgré la manière dont ils s'étaient séparés, elle ne lui souhaitait que tout le bonheur et toute la réussite du monde. Juste une place dans ce monde où il pourrait s'épanouir et trouver la sérénité qu'il lui a toujours manqué.

Un rictus familier vient prendre place sur ses lèvres alors qu'elle l'observe. A son tour, elle esquisse un semblant de sourire, toujours aussi sincère dans ses propos.

▬ Qui a dit que je parlais uniquement de ton physique ?

Certainement pas elle.
Certes, il était devenu encore plus... Est-ce que le terme attirant était correct ? Elle ne saurait dire. L'attirance a toujours été un concept un peu abstrait pour elle. En tous cas, elle ne l'avait jamais trouvé repoussant physiquement et ce n'était pas les années qui avaient changé cet avis, au contraire. Mais sans sa personnalité, elle ne se serait jamais attachée autant à lui qu'elle l'eut été. Elle avait aimé Eamon pour qui il était, dans son entièreté. Elle n'avait jamais été superficielle pour ce genre de choses. C'était son intellect, ses passions, sa langue bien aiguisée, son arrogance et ses tendresses inattendues qui avaient pris une place spéciale à ses yeux. Même ses humeurs changeantes et ses demandes d'attention égoïstes, elle les avait chéries. Sans oublier leurs joutes verbales occasionnelles. Eamon était un tout, à ses yeux. Aujourd'hui encore. Elle ne voyait pas en lui qu'une belle gueule, un sourire charmeur et une carrière sabotée. Et ça ne serait jamais le cas.

Elle le laisse aller à la réflexion qu'incombe le choix de son thé.
Son regard se porte sur son dos alors qu'elle soutient son visage de sa main. Ses cheveux étaient vraiment longs, uh. Même si elle ne devrait pas, elle se laisser aller à imaginer les coiffures qu'elle pourrait faire avec, maintenant. Après tout... Il n'était pas dans sa tête. Et son visage se gardait bien de trahir ce genre de pensées. Alors peut-être que c'était un secret qu'elle pouvait garder pour elle. Elle pourrait faire une tresse d'une longueur descente, maintenant... Peut-être même des plus élaborées. Elle aussi avait plus d'expérience dans ce domaine, alors sûrement qu'elle pourrait faire quelque chose de plus que respectable. Dommage que les pointes aient l'air abîmées... Elle est sûre qu'elle pourrait les rendre si doux et soyeux. Si agréable à toucher et à jouer avec.

L'espace d'une seconde, elle repense aux bains qu'elle laisse parfois prendre Parsifal prendre... Seulement pour esquisser l'ombre d'un sourire résigné. Ouais, non. Impossible que ça n'arrive avec Eamon. Ils n'avaient pas du tout le même genre de relation. Parsifal et elle avait un lien particulier qui permettait ce genre de choses. Peut-être aussi que la pensée d'avoir des hommes nus dans sa baignoire alors qu'elle s'occupe de leurs chevelures devrait lui faire ressentir autre chose, mais elle n'a pas trop l'air de s'en occuper. Ce qui la préoccupe bien plus est la possibilité de pouvoir s'occuper d'un shampoing du brun. Ses priorités n'avaient jamais été les bonnes dans ce domaine et ce n'était pas quelque chose qui changerait si facilement.

Ce qui la sort de ce doux conte est une odeur inconnue.
Prononcée, mais pas agressive. Elle en redresserait presque un peu la tête, comme un chat dont l'intérêt aurait été captivé. Eamon lui en parle une seconde. Particulier ? Elle n'y connaît pas grand chose en thés, elle le sait. Mais cette odeur est définitivement agréable. Elle se prête au jeu de fermer ses yeux une seconde pour se laisser bercer par les fragrances de la théière.

▬ C'est vrai que ça sent plus fort... Mais c'est...

Elle rouvre ses yeux, penchant légèrement la tête sur le côté. Elle hésite une seconde sur son choix de mot.

▬ Délicat ? Nuancé. Une note d'agrume, mais ça reste léger...

Un sourire un peu plus prononcé, bien que toujours timide, pointe le bout de son nez. C'est surtout ses yeux qui trahissent son intérêt et sa curiosité pour la chose. Ses bras se croisent sur le comptoir alors que ses jambes s'agitent dans le vide, preuve de son envie impatiente de goûter à la boisson.

▬ Ca sent bon, en tous cas.

Son air fatigué semble presque avoir fondu pour une curiosité qu'elle a besoin de satisfaire, une envie de connaître l'inconnu et de pouvoir ajouter une nouvelle feuille au livre que sont ses connaissances. Si la passion ne l'habite pas pour son métier, ce sont ce genre de petites choses qui ravivent la flemme de la Serdaigle qu'elle fut un jour dans les mondanités de la vie de tous les jours. Elle vient reposer son visage dans le creux de sa main.

▬ Je suis entrée un peu par hasard mais... Sans regret. Je crois que ça va devenir mon nouveau salon de thé préféré.

Ses yeux qui vaquaient sur les étagères remplies de parfums tous plus étrangers les uns que les autres se retournent sur Eamon, toujours emplis de cette douceur particulière à son égard.

▬ Surtout si tu y travailles, j'avoue.

Elle laisse échapper l'ombre d'un rire à cette pensée.

▬ Ca fait bizarre, un peu. C'est moi qui vais venir chercher ta compagnie quand bon me semble cette fois et toi qui m'accorderas des pauses... Les temps changent, hein.

L'inverse de leurs habitudes.
Pourtant, au fond d'elle, elle sait.
S'ils échangeaient leurs informations et qu'il venait à réclamer sa venue à des heures improbables, elle laisserait sûrement tomber ce qu'elle fait pour le rejoindre sans hésitation à nouveau. Les temps changent, mais les habitudes ont la vie dure quand on s'appelle Persephone.

era

sed

Elle ignore le regard noir qui lui est lancé, consciente de l'injustice de ses propos. Elle a lancé ça si facilement, comme si l'absence ne l'avait pas ébranlée. Comme si elle n'avait pas passé des mois à rêver de ce bal, de ces valses qu'ils auraient partagé devant tous les autres. De cette promesse qui lui était chère et tendre et qu'elle n'avait jamais pu réaliser. Comme si, à ce fameux réveillon qu'elle avait manqué, elle n'avait pas passé la soirée effondrée dans son lit. A s'en vouloir. Tout ce qu'elle avait pu vivre ne semblait pas, à ses yeux, pouvoir justifier de briser la confiance d'Eamon. Alors trahir l'amitié qu'il lui avait accordée, après cela... Douze ans passés, elle y repensait toujours. La culpabilité toujours présente comme au premier jour. Si elle y pensait assez fort, elle se remettrait sûrement à pleurer.

Mais ses larmes, qu'elle a toujours eu beaucoup de mal à verser devant autrui, étaient désormais réservées au silence de sa demeure et à sa solitude. Déshumanisée jusque dans son absence supposée de malheurs - une sainte, voilà pour quoi la majorité la prenait. La même image que tant lui ont imposée quand elle était jeune et radieuse, un éclat brute de pureté. Elle n'en était que le pâle reflet - un mensonge. Toujours en quête d'égaler ce qu'elle a pu être sans jamais y arriver. Elle ne savait plus, aujourd'hui, qui elle était. Mais il n'y avait plus personne pour l'aider à trouver la vérité - alors à quoi bon persévérer ?

Eamon lui dit qu'elle a perdu la raison.
Si ce n'était que ça, qu'elle avait perdu. S'il savait à quel point c'était vrai. Il s'était toujours donné des airs de grand méchant, comme s'il était voué à n'être qu'un antagoniste alors qu'il eut été son héros. Son roi, plus qu'un prince. C'était elle aujourd'hui qui s'était perdue de vue. Sa réalité n'était qu'une fabulation. Elle danse entre les cauchemars et les illusions de son cerveau malade. Elle avait tout perdu. Alors perdre la raison était le dernier de ses soucis. Elle se contente d'en sourire. Toujours. Comme si sa situation était légère et désinvolte. Elle savait pourtant qu'il connaissait son honnêteté.

▬ Ou tu m'as juste fait perdre la tête. A qui la faute ?

A nouveau, elle reprend ses tournures.
Une plaisanterie qu'elle se permet - comme elle l'a fait tant de fois. Toujours dans cette ambiguïté et cette douceur qui lui est propre. Mais plus que l'humour, c'est ce thé qui l'intéresse. Cette fragrance nouvelle à laquelle elle s'habituerait bien. Une envie d'en embaumer sa maison dans les soirées difficiles.

▬ Il sent vraiment très bon, oui.

Elle savait qu'elle avait raison de laisser Eamon choisir son thé, après tout. Elle lui faisait confiance. Pour ça, comme pour le reste. Malgré leur séparation, ce n'était pas quelque chose qui avait changé en elle. Aussi bizarre et naïf cela puisse-t-être. Et elle souffle un rire discret à son commentaire, haussant les épaules.

▬ Je passe la majorité de mon temps libre dans des salons de thé, alors des serveurs j'en connais. Rares sont ceux qui lancent de tels regards noirs et dont l'humour est aussi sec.

Elle pose ses yeux dans les siens, espiègles.

▬ Si c'était quelque chose qui me faisait fuir, tu le saurais. Je suis sûre de mes préférences.

Sa froideur ne l'avait jamais dérangée et son humour l'avait charmée. Elle qui raffole de sarcasme, de remarques intelligentes et coupantes, de piques à échanger - elle était faible aux rares blagues qu'il laissait tomber, depuis longtemps. Et elle doute que ça ne puisse changer.

Elle accepte la tasse de thé entre ses doigts, la levant pour pouvoir en humer toutes les fragrances, yeux clos, se perdant l'espace d'une seconde dans un monde olfactif. Un soupire passe ses lèvres alors qu'elle rouvre ses paupières, contente. Elle se met à souffler dessus, prenant son temps pour être sûre de ne pas se brûler cette fois.

La première gorgée est redoutée - est-ce qu'elle va aimer ?
Elle a dû mal à décrire les saveurs. Elle en reconnaît beaucoup plus - à force, même si ses connaissances théoriques sur le sujet sont faibles, son palais est bien entraîné.

▬ Hmm... Pamplemousse ?

Le parfum le plus fort qu'elle reconnaît immédiatement. Une autre gorgée qu'elle savoure, avant de regarder sa tasse.

▬ Et... De la rose, non ?

Un peu moins sûre, elle n'en avait pas bu autant mais le parfum lui semblait familier. Elle fronce un peu les sourcils dans sa réflexion. Quelque chose d'autre s'y mêle... Mais quoi ?  Elle sent, pense... Mais la solution lui échappe. Comme une habitude qui revient après de longues années sans jamais l'avoir quittée, c'est une moue un peu contrariée qui la prend. Frustrée de ne pas avoir la solution, que ses connaissances ne soient suffisantes et pourtant avides, toujours, d'en apprendre plus. Une avidité qui prend le pas sur sa contrariété quand elle retourne ses yeux vers le maître du sujet.

▬ Il y autre chose, non ? Quelque chose de... Elle hésite, regarde sur le côté une seconde. Floral ? Il me semble. Mais je ne sais quoi.

Elle espère avoir une réponse, elle n'en dormirait probablement pas sinon. Elle voit déjà les heures d'insomnies passées à lire tout ce qu'elle peut trouver sur le thé au lieu de s'occuper de ses dossiers... Oh l'envie y était mais le travail devait malgré tout prendre le pas sur les loisirs. Rien que d'y penser, sa fatigue revient un peu. Ces papelards finiront par la tuer.

Est-ce qu'elle oserait venir chercher sa compagnie ?
Elle reste silencieuse, une seconde. Quelque part, elle a toujours l'envie de s'excuser. L'envie de dire qu'elle se rend compte que c'est injuste de se frayer une place dans sa vie d'une telle manière. Qu'elle comprendrait s'il était rancunier ou en colère ou déçu. Mais à quoi bon dire tout ça si elle ne peut toujours pas lui expliquer ce qui a provoqué sa fuite ? Et si c'était la goutte de trop qui faisait qu'il lui claquerait la porte au nez une dernière fois ? Elle ravale ses demies confessions, se contentant d'un peu d'espoir.

▬ Si tu m'y autorises. Je comprendrais si tu ne veux pas me revoir.

Pourtant, elle avoue.

▬ Mais je serais heureuse de pouvoir passer du temps avec toi. J'étais sincère quand j'ai dit que tu m'avais manqué. Sans toi, c'était...

Elle regarde ses mains, un instant.
C'était quoi, Persy ? C'était dur. C'était chiant. C'était morose. L'impression d'avoir laissé une partie de son coeur dans ses mains avant de prendre la fuite. De n'avoir jamais été la même depuis. Elle secoue la tête. Elle n'a pas le droit de lui jeter ce genre de choses. De vouloir l'attacher à nouveau à elle. Dans un sourire nostalgique discret, elle s'autorise un euphémisme.

▬ C'était pas pareil.

En douze ans, elle n'avait jamais rencontré quelqu'un de similaire. Jamais quelqu'un avec qui elle a pu revivre une telle synergie, une telle symbiose. Et elle n'en avait pas eut envie. C'était quelque chose qu'elle associerait toujours à Eamon, même dans trente ans. Personne ne pourrait le remplacer dans sa vie.

Elle redresse la tête à la mention de pouvoir aider.
Elle adore se rendre utilise - Persephone adore aider. Ses yeux brillent un peu plus alors qu'elle s'ajuste dans son siège, pleine d'une curiosité nouvelle. Qu'est-ce qui pourrait bien mériter son attention ? Elle observe le bocal qui se pose devant elle comme une merveille, une curiosité, un mystère qu'elle doit décrypter. Elle s'autorise à se pencher un peu, après avoir poussé sa tasse pour éviter toute distraction, afin de sentir le parfum qui s'échappe du mélange. Ses yeux s'ouvrent avec un éclat de surprise, alors que l'espace d'une seconde son expression se ferait presque vivante.

▬ Oh...

Quelque chose de familier et pourtant d'inconnu. Ses airs de félins curieux la reprennent, l'envie de quémander une tasse pour satisfaire son besoin de savoir. Elle est prête à suivre les étapes de création de ce thé, à n'en point douter.

▬ J'en pense que si ce n'est qu'un échantillon... J'ai terriblement hâte de voir ce que tu vas en faire. Ca sent terriblement bon. Je... Ca m'arrive rarement, mais les mots me manquent.

Elle a peur d'être trop osée dans sa réponse.
Son hésitation se sent, mais elle finit par la braver.

▬ Je sais pas comment l'expliquer mais... Ca me rappelle... Avant ?

Quand tout était plus simple.
Quand ils étaient heureux et insouciants.
Dans une tour qui était leur maison et que le monde était leur royaume.
Elle finit par secouer la tête, jouant avec ses doigts par réflexe. Comme toujours.

▬ Ah... Non, oublie, c'est sûrement stupide comme commentaire.

Elle reprend sa tasse, ses doigts jouant avec.

▬ Mais vraiment, hâte de pouvoir goûter le produit fini. Si ça ça n'est qu'un hobby... Un petit rire. Un vrai. Discret, mais là. Tu ne peux t'empêcher d'être redoutable dans tout ce que tu entreprends, hein.

Et elle, elle admire.
Comme elle l'a toujours fait.

era

sed

Son humour rebuté, elle lève l’espace d’une seconde ses yeux au ciel alors que son attention est portée sur sa table. Amusée par cette réponse malgré tout, elle souffle - bien qu’elle n’en pense pas un mot.

▬ Dommage, ça valait la peine d'essayer.

Pas du tout. Elle paiera plein pot même si on essaye de lui faire une ristoune. Elle n’accepte pas ce genre de faveurs ; tout travail mérite juste salaire, après tout. Et enfin, la réponse tombe à ses interrogations. Bleuet ! C’était donc ça… Eamon parle d’esthétique alors qu’elle observe la boisson. Curieuse mais surtout pensive. Si la boisson était jolie… Elle ne la marquait pas plus que ça. Sans relief, sans contraste, les teintes brouillées par leurs similarités, elle reste insensible à la beauté qu’elle ne peut percevoir. Sûrement, se dit-elle, que ça doit être joli. Quand on en voit les nuances. Pour elle, ce n’est pas très impressionnant. Mais elle n’en dira mort. Elle espère presque, au fond, qu’Eamon a oublié cette information qu’elle avait dû à demi dévoilé. A contre-coeur. Bien que la véritable nature de son secret soit toujours inconnue - et elle espère bien que ça restera ainsi jusqu’à ce qu’elle ne finisse dans une tombe.

Elle le regarde balayer ses inquiétudes d’une main agacée, avant qu’elle n’hausse un sourcil, l’air de dire j’ai dit ça, moi ? Quand est-ce qu’elle a bien pu balancer ce genre de…

▬ Ooooooooooooh, ça !

Ca lui revient, ça y est. Dans la tour. Ce fameux échange un peu épineux qui avait révélé une facette loin de sa douceur et de sa gentillesse. Elle ne pensait pas qu’Eamon s’en souviendrait… Et surtout, elle admet après toutes ces années la supercherie.

▬ Je n'en pensais pas le moindre mot.

Vraiment, aucun.

▬ C'était juste pour taper là où ça fait mal.

Elle hausse légèrement les épaules. Hausse un sourcil, le regardant d’un air amusé.

▬ Je tenais beaucoup trop à toi pour ne pas être enchaînée, déjà.

Elle dit ça comme si c’était une évidence - après tout, pour elle, ça l’était. Mais son air amusé s’efface alors qu’elle repose ses yeux sur sa tasse.

▬ Enfin, je suppose que je suis vraiment partie, au final.

Mais elle n’avait pas fait ça par envie et ça se sent. Au moins, Eamon ne voulait pas la chasser. Elle pouvait réellement rester et revenir. La nouvelle allège un peu ses peines. Savoir qu’elle serait accueillie… aussi chaleureusement qu’on puisse l’être, disons, par son ancien camarade lui mettait du baume au coeur. Peut-être que tout n’était pas perdu au final. Un camarade qui semble aussi partager ce sentiment de différence qu’elle évoque quand ils furent séparés l’un de l’autre. Elle ne saurait exprimer correctement à quel point il était dur de respirer sans lui dans sa vie. Il n’était pas le seul à obtenir des pauses, à l’époque. Elle aussi prenait un break de son quotidien en sa présence. Une bulle où ils étaient confinés et pourtant parfaitement libre, baignant dans le réconfort et la tendresse qu’ils pouvaient partager. Elle doute que leur relation ne puisse un jour reprendre ce niveau d’intimité… Mais elle se contenterait de ce qu’elle peut obtenir. C’était déjà bien assez de ne pas être chassée.

Eamon se rassoit, lui assurant que son commentaire n’est pas stupide. Elle le pensait, elle. Comment un thé pouvait rappeler une période de sa vie ? C’était étrange, comme sentiment. Son sourire en coin ne lui échappe pas, néanmoins, la faisant - presque par réflexe - sourire légèrement en retour. Toujours si sensible au moindre rictus aussi léger soit-il.

▬ C'est vrai. On s'ennuie jamais avec toi.

Je ne m’ennuie jamais avec toi.
Il repose le flacon qu’elle observe en retour, se demandant à quoi il pouvait bien ressembler… En couleurs, évidemment. Curieuse mais résignée depuis trop longtemps à ne pouvoir se contenter que d’une image sans saveur. Sans trop réfléchir à sa question, elle hoche la tête.

▬ Oui, toujours le même.

… Attends une minute. Elle relève un regard un brin surpris vers lui, sourcil haussé.

▬ ... T'as gardé mon numéro ?

Pendant douze ans ? Enfin, elle ne l’avait pas supprimé non plus - mais elle était Persephone. Sans compter qu’elle se sert de son téléphone aussi souvent qu’elle ne se sert d’une tondeuse à gazon, elle était du genre à se raccrocher à toutes les miettes qu’elle pouvait récupérer des relations qu’elle avait un jour connu. Mais, Eamon ? Elle pensait qu’il avait tracé sa route sans plus trop penser à elle. Après tout, il avait réussi à vivre sans elle avant. Elle se disait, après sa disparition, qu’il retournerait à sa vie d’ambitions et de grandeurs où elle ne le gênerait plus. Elle ne pouvait pas l’avoir marqué tant que ça, sûrement. Il avait avoué qu’elle lui avait manqué… Mais pas à ce point. Pas vrai ? Elle secoue légèrement la tête comme pour ne plus y penser.

▬ Hâte d'avoir de tes nouvelles sur le sujet, en tous cas.

Elle hésite, puis ajoute.

▬ Pas que sur ça, d'ailleurs. Si tu veux juste papoter un moment... Tu sais comment me joindre.

Seulement pour admettre.

▬ Enfin, je fais pas trop attention à mon téléphone... Surtout au travail et je finis souvent à des heures... Peu communes, on va dire.

Un soupire à la pensée, sa fatigue revenant au galop. Son manque de sommeil aussi. Malgré le thé, elle se sentait légère, un peu étourdie peut-être mais rien qu’elle ne puisse pas cacher ou qui ne l’empêche de marcher. Elle reprend, après avoir regardé par la fenêtre l’averse qui semble s’être apaisée.

▬ Je devrais rentrer.

Mais comme toutes ces soirées dans leur tour, elle n’en a pas envie.
Son regard presque contrarié ne saurait le cacher.