Ils sont tous les deux assis sur un banc. La cible est juste là, sous leurs yeux. C'est tellement facile qu'ils n'osent pas agir, persuadés qu'un des hommes de Strauss est postés quelque part, baguette à la main, prêt à frapper d'un maléfice au moindre geste suspect. Leur boss les avait prévenus que la tâche ne serait pas simple et que leur mission était somme toute dangereuse. Enlever l'époux d'un des leader du marché de la drogue, on ne pouvait pas rêver plus suicidaire. D'autant plus que Noah Strauss n'avait pas la réputation d'être un tendre niveau vengeance.

— Qu'est-ce qu'on fait, Chris ?
— J'sais pas, je le sens pas. C'est trop simple. Non. Non, on va attendre, va faire du repérage, je reste en back up.

Plusieurs heures plus tard, le constat tombe. Pas la moindre trace de surveillance, leur cible est bel et bien sorti seul et sans accompagnement. Du pain béni. Alors que leur cible se lève, les deux malfrats s'accordent sur un hochement de tête. C'est maintenant qu'il faut agir. L'un deux se glisse derrière lui et l'assomme avant de transplaner. Le second, jette un regard autour de lui et balance le téléphone dans le caniveau le plus proche avant de transplaner à son tour. La mission est accomplie.

**

Tu tapes du pied nerveusement. Tu sens la colère monter. Ezra n'est toujours pas rentré et tes hommes t'avaient innocemment expliqué qu'il était sorti. Sorti ! Sans surveillance ! Oh, tu les aurais tous étripés, mais l’inquiétude t’enserrait trop les tripes pour passer tout de suite à l'acte. En vérifiant son pinneaple et logiciel tracer-espion installé dessus, tu remarques qu'Ezra se trouve dans une rue non loin. Il ne bouge pas, tu te demandes ce qu'il fait. Est-ce qu'il te nargue et te punit encore ? Mais pourquoi cette fois ? Tu n'as rien fait ! Enfin, pas que tu saches. Vos mesquineries sont tellement devenues une habitude dans votre couple que tu te forces a repasser les événements récents qui auraient été susceptible de le pousser à se venger. Est-ce que c'est parce que tu as ronflé tout le long de son fils préféré ? Est-ce que c'est l'appareil photo que tu as ruiné en voulant faire des photos sous l'eau ? Tu ne vois pas, vraiment pas. De toutes façons tes hommes vont te le ramener. Tu vois enfin son pinneaple se déplacer dans la rue. Il va t’entendre. Il sait que tu as horreur de le voir traîner sans surveillance. Mais quand le pinneaple de ton mari passe la porte de ton bureau, ce n'est pas Ezra que tu vois. Juste un de tes hommes, le visage pâle et la mine anxieuse, comme un agneau face au loup.

— C'est... C'est tout ce qu'on a trouvé monsieur.

Tu poses ton regard sur le pinneaple souillé des ordures du caniveau. Ton homme de main t'explique le contexte de sa trouvaille. Tu sens ton nez te piquer, ta gorge s'assécher.

— ... Trouvez-le moi. TROUVEZ-LE MOI !

**

— Ah ! Voilà que la belle au bois dormant se réveille !

L'homme en face d'Ezra n'a pas du tout l'air d'un gangster. Le visage un peu poupin, roux, un sourire espiègle. Il est un peu petit pour son âge. Les rides aux coins de ses yeux indique la quarantaine bien tassée mais c'est assez surprenant comment il semble coincé entre deux âges. Il porte un costume vert, sous ses boucles rousses pointes deux oreilles à trop pointues pour être humaines et ses doigts démesurément longs accentues cette impression. Il a l'air presque chaleureux quand il s'adresse à Ezra.

— Bon sang, j'ai cru que tu n'allais jamais te réveiller ! Ça va, tes liens sont pas trop serrés ? Oh, t'excuse la déco, hein ? J'aurais bien voulu te mettre dans mon salon, mais, tu sais, pour l'ambiance, ici c'est mieux.

Il désigne la pièce du menton. Un genre d'entrepôt aux allures de caves. La pièce est démesurément grande et faite de murs de béton bruts. Il y fait assez froid, comme-ci il n'y avait aucun système de chauffage. Autour, sont disposées ça et là des palettes plastifiées et des larges étagères. Non, c'est définitivement un entrepôt. Ezra est attaché à un siège en fer froid. Les liens sont serrés aux possibles de sorte à n'avoir aucun jeu. L'homme se penche en avant en joignant les mains.

— Oh, oh, inutile de crier, personne ne t’entendra et tout ce que tu en tireras, c'est de me rendre violent ce que, bon entre toi et moi, j'aimerais éviter. C'est que... Je suis un grand pacifiste !

Il se lève, parti dans un monologue. Il a du bagou, parle beaucoup avec les mains. Il pourrait avoir l'air d'un humoriste mais son regard brille d'une cruauté inégalée.

— J'aime pas vraiment me salir les mains. Je sais ! Je sais... Ça fait partie du job, mais que veux-tu ! À chaque fois que je dérape je me sens mal pour mes compatriotes. T'sais ce que c'est, t'es semi-vampire non ? Les erreurs des uns impactent tout les autres, hm ? Alors je me dis, Samy, reste calme, on peut obtenir des infos sans couper de membre ou, Samy fait pas ça, tu vas le faire se vider de son sang mais hé ! Les gens ont tendances à pas vouloir beaucoup parler quand on les interroge. Ils mentent en disant qu'ils ne savent rien ou font les gros muscles en disant qu'ils ne diront rien ! Mais hé ! Tu ne vas pas me faire ça, hein ?

Soudain il se penche sur Ezra en planquant ses mains sur les deux accoudoirs.

— Tu vas pas me faire ça, hm ? Dis-moi que tu vas répondre à mes questions, hm, E z r a ?

Samy lui touche le bout du nez dans un petit ricanement espiègle avant de tourner sur lui-même et de soupirer un bon coup. Il ramène sa chaise devant Ezra et s'assoit dessus en croisant les bras sur le dossier.

— Alors, dis-moi tout. Où est-ce que ton mari cache sa cam ?

Sampson Murphy, aka le Gobelin, considérait avoir tout vu dans le milieu. Plus de quinze ans qu'il pataugeait dans la fange, à commencer du petit homme de main jusqu'à devenir numéro un. Les échelons gravit, il avait gagné les beaux costumes, renommées et confort, mais, malgré tout, il avait gardé un certain goût pour le "sale boulot". Il aimait parier sur les réactions de ses victimes. Pleurer ? Hurler ? Résister ? Ezra n'était pas son premier cobaye. En le voyant pour la première fois, il avait déjà décidé que cet homme irait se faire insolant avant de pleurer au premier doigt coupé. Mais Ezra Strauss ne fit rien de que Sam attendait.

Le semi-gobelin écarquilla brièvement les yeux. Il ne se serait jamais attendu à une telle réaction. Il l'observa sans mot dire, puis il explosa de rire à en reverser sa chaise.

— POUHAHAHA C'EST TROP FORT !

Il frotta ses mains avant d'applaudir en se levant.

— Putain, t'as presque faillit m'avoir ! T'as fait du théâtre ? Parce que sinon faut que t'envisage une reconversion ! Ah moins que... Oh, attends.. noooooon !

Il se frappe le genou comme-ci on venait de lui raconter la plus grosse blague de sa vie. Il contourna la chaise pour s'approcher d'Ezra et s'accroupir devant lui. Il posa les mains en signe de prière et ses coudes sur ses genoux.

— Attends attends attends, c'est vraiment comme ça que Strauss t'as dit de réagir ? C'est vraiment ton plan ? Mais, tu sais que le principe d'une caméra cachée c'est justement de piéger le piéger; hein ? Non parce que moi je sais précisément où je suis mais toi...

Il secoue la tête, son sourire espiègles se mue en un léger rictus sadique. Il secoua la tête, souffla du nez comme attendri face à un ami avant de lui tapoter le genou.

— Bon, bon, bon. Bravo, c'était vraiment inattendu, j'ai adoré, bravo vraiment. Maintenant file les informations.

Il claque des doigts et uns de ses hommes lui apportent un énorme sécateur. Sam s'en saisit et tapote doucement le doigt d'Ezra avec.

— Je te l'ai dit. Je suis un pacifiste. J'aime pas faire du mal au gens.

Plus la conversation avance, plus Sam se dit que quelque chose cloche. Il hésite. Il en avait vu, des gens adopter des comportements étranges sous la torture. La peur détraque le cerveau, après tout. Le truc, c'est qu'il n'avait encore rien fait. Il n'avait même pas entaillé sa peau ou couper le moindre doigt. D'habitude, les gens hurlent ou résistent un peu plus. Il se tournent vers vers son homme de main, les bras levés de déconcentration.

— T'as frappé fort comment, Chris ?
— Pas plus fort que d'habitude, boss.
— Ah.

Sam se penche, le menton entre ses doigts.

— J'arrive pas à savoir si tu te pisses dessus ou si tu te fous de ma gueule. Peut-être que t'es juste fou ? Combien j'ai de doigts ?

Il lui en présente trois qu'il agite sous le nez d'Ezra avant de tourner des talons.

— T'as vraiment VRAIMENT, aucune idée d'où t'es, hein ? C'est quoi ? Un jeu de rôle ?

Rien ne fais sens. Il est probablement juste dissipé. La peur détraque vraiment le cerveau. Le sécateur à la main, il considère l'arme quelques secondes avant de hausser les épaules. Peut-être qu'avec un petit doigt en moins... C'est là qu'Ezra balance avec insolence des noms d'endroit. Sam se retourne, une expression indéchiffrable sur le visage. Il semble soudain vexé et d'un coup il avale la distance qui le sépare d'Ezra pour le frapper au visage au point de faire basculer sa chaise.

— Je DÉTESTE qu'on se FOUTE de MA GUEULE !

Il se tape le front avec le plat de sa main en faisant des allés retour devant la chaise d'Ezra.

— Ez, Ez, Ez, Ez... Pourquoi tu me fais ça ? Tu veux que je me fâche, c'est ça ? J'aime pas ça, tu sais ? Je veux pas me fâcher contre toi. Mais là tu te fous de ma gueule, tu me prend pas au sérieux. Est-ce que tu comprends à quel point c'est irrespectueux et blessant ?

Il accroupie devant Ezra et tape du plat du sécateur le bois de la chaise, juste à côté de l'oreille d'Ezra.

— Parce que là, concrètement, je suis en plein dilemme. Comment je peux te faire confiance alors que tu te fiches clairement de ma gueule ? Parce que, y a un moment je vais devoir employer la manière forte, je suis désolé, Ez, mais c'est ce qui va passer, tu me laisses pas le choix ! Et après bon, je vais te torturer, te tuer et envoyer ta tête à Strauss et, bon, tu connais les règles du métier, ouais bien sûr que tu les connais il a dû t'expliquer comment ça marche, hm ? Strauss va vouloir me buter, donc on va s’entre-tuer, y aura beaucoup de morts et de sang versé et l'un de nos deux cadavres finira par servir d'avertissement aux autres cartels et franchement j'ai la flemme. Je suis pacifiste ! J'aime pas ce délire de massacre. Mais là tu m'aides pas, Ez.

Sam claque des doigts et Chris, son homme de main, s'empresse d'empoigner la chaise pour la redresser.

— Bon, je vais être gentil, je vais juste te donner un avertissement pour cette fois-ci.

Et il abat le sécateur sur le genou d'Ezra avec une force insoupçonné. Un crack sonore se fait attendre. Sam grimace, secoue la main.

— Aaaaaarf, ça fait mal hein ?

Son empathie semble réelle, mais bien vite balayer par une lueur de folie dans les yeux. Il prend le visage d'Ezra entre ses mains et le force à regarder.

— Oh non non, pleure pas, j'aime pas voir les gens pleurer, ça me fend le cœur. Écoutes, on est parti du mauvais pied, mais je suis sûr qu'on peut rectifier le tir. Je vais te laisser réfléchir cette nuit ok ? Et demain, quand je reviendrais te voir, tu me donneras les vrais nom des planques de ton mec, hm ? C'est bien, t'es un bon garçon.

Il lui assène une petite claque sur la joue avant de se relever.

— Tu le surveilles Chris. Tu lui donneras bien sa purée, hein ?

Et sur ce, Sam tourne des talons.


Des heures sont passées et personne n'a rien trouvé. Vraisemblablement, ton mari a été kidnappé. Devant Oswin, tu te penches à ton bureau pour observes les feuilles éparpillées ici et là. La pièce est totalement retournée. Tu aurais retourné toute ta baraque si ton bras droit n'avait pas réussi à te tempérer.

— Ça pourrait être n'importe lequel de ses enculés... PUTAIN !

Tu tournes comme un lion en cage.

— Toujours pas de demande de rançon ? De revendication ? De menace ?

L'homme de main en face de toi secoue la tête, conscient que chaque mauvaise nouvelle qu'il vient annoncer pourrait lui coûter ses dents. Pour venir te tenir informer, tes hommes ont tirer le rapporteur à courte paille. La seule raison pour laquelle tu ne t'en as pas pris physiquement à tes hommes c'est parce que Oswin te tient encore. Tu es mort d’inquiétude. Tes hommes retracent ce qui a pu se passer, mais les choses avancent trop lentement. Tu ne dormiras pas ce soir, ni le suivant. Jusqu'à ce que tu retrouves Ezra il n'y aura pas de repos pour toi. Et quand tu le retrouveras, parce que tu vas le retrouver, ce sera un massacre.

Il revient quelques heures plus tard. La contrariété ne l'a pas vraiment poussé à dormir. Il a joué avec ses couteaux, donné quelques ordres, quémander la compagnie de quelques amis. Toujours un œil rivé sur l'horloge murale de sa chambre, il avait décidé qu'après une nuit passée avec un genou pété, son prisonnier serait enfin en condition de répondre à ses questions. Il pousse la porte du agar en sifflotant, un paquet de viennoiseries à la main et une thermos de café bien chaude sous le bras.

— Bien le bonjour !

Il a un sourire éclatant et une expression joyeuse plaqué sur le visage. On pourrait croire un bon collègue arrivant avec quelques douceurs au bureau. Il traîne sa chaise juste devant Ezra.

— Oh, t'es réveillé ? Voilà qui est parfait ! J'ai ramené le petit-déjeuner, j'espère que tu as faim ! T'as le droit au café ?

Il tire sur le coin de sa bouche pour montrer ses canines. Sam ne connaît rien au régime des semi-vampires et il s'en fiche bien. Il pose la thermos et le petit sac en papier au sol avant de lever la tête vers Chris.

— Il a été sage ?

L'homme demain hésite quelques secondes. Ezra a tenté de le compromettre. S'il en informait Sam, il se ferait certainement torturer. Son regard passe sur le sécateur posé non loin.

— Très sage.
— Bien ! Merveilleux ! Tu peux aller te reposer, sois à l'heure par contre, hm ?
— Oui, boss.

Chris partis, Sam chantonne en ouvrant son sac en papier.

— Alors voyons voyons... J'suis passé à la boulangerie française du quartier... Hmmm, j'ai pris des croissants, des... Pain au chocolat, c'est ça ? Diantre, j'y connais rien en pâtisserie française mais c'est vachement bon ! Fait Aaaah !

Sans lui laisser le temps, Sam lui fourre un pain au chocolat dans la bouche.

— Bien, bien... Mâche. Et ne recrache pas ! Gâcher c'est vilain.

Malgré le ton joueur, c'est clairement une menace. Sam appuie sur la mâchoire d'Ezra de sorte à la forcer à mâcher et avaler. Il finit par se lever pour ouvrir sa thermos de café.

— Alors, est-ce que t'es décidé à ce qu'on devienne copain ? Je t'écoute, balance les noms.

— Aucun goût ?! Mon pauvre, comment tu fais pour ne pas avoir envie de te suicider ?

Il croque dans une viennoiserie en levant les yeux au ciel, d'un air distrait. D'une oreille, il guette les bruits de mastication, guette la possible régurgitation. Mais Ezra ne vomit pas. Il a l'estomac plus solide qu'il n'y parait. Dommage. Sam pousse sur la pointe de ses pieds pour se balancer sur sa chaise. Il époussette sa chemise pour y faire tomber quelques miettes de croissant.

— Le truc, tu vois, c'est que je t'ai cerné, Ezra Strauss. Tu te fais passer pour une mauviette, mais en fait t'en a dans le ventre. Moi je pense que tu te fou de ma gueule. Personne balance aussi facilement des noms.

Il se redresse sur son siège, considère Ezra du regard avant de pencher la tête sur le côté.

— Pour te croire, faudrait qu'on puisse... Rétablir un rapport de confiance, tu vois ?

Il se lève, le sac de viennoiserie toujours dans la main.

— T'vois, dans ma famille on avait une tradition. Pour régler les conflits on s’asseyait à table et on rompait le pain. C'était des repas un peu sacrés. Peu importe les problèmes, peu importe la rancœur, tu posais ton gros cul sur ta chaise et tu parlais à cœur ouvert. Interdiction de s'attraper à la gorge, interdiction de brandir les couteaux. Juste, on parlait. On va faire ça, d'accord ? On va s'asseoir, on va parler. Dans le respect des traditions, ok ?

Il sort un croissant cette fois-ci et lui engouffre dans la bouche.

— Allez mange !

D'une main il travaille sa mâchoire pour le forcer à garder la bouche fermée et à mâcher. De l'autre il attrape la thermos ou couvercle déjà dévissé.

— Allez un petit coup pour faire passer !

Et il lui asperge la figure de café brûlant. Sam réprime un sourire fou, merde, faut qu'il se contienne. Entre la nourriture ingérée par la force et le choc de la brûler, Ezra régurgite ce qu'il vient d'avaler. Sam bondit en arrière et dans un geste exagérément gauche il penche sa thermos pour renverser de nouveau du café brûlant.

— PUTAIN ! Regarde ce que tu me fais faire ! Zut alors !

Il n'arrive pas à se retenir de ricaner. Ezra est trempé de café brûlant mais ce n'est pas suffisant. Sam tape dans le pied de sa chaise pour la faire basculer en avant et agrippe le crâne du semi-vampire pour lui mettre la tête dans ses propres immondices.

— C'est vilain le gâchis, vraiment ! Comment tu veux qu'on s'entende si tu ne fais pas un effort ?

La tête dans son propre vomi, Sam espère bien lui faire cracher la vérité. Son histoire n'a aucun sens. Une blague ? Et puis quoi encore ! Il connaît le milieu et ses excentricités, mais il n'a jamais entendu parler de qui que ce soit assez fou pour séquestrer son conjoint et lui faire la misère pour le simple plaisir des yeux. Et la folie, Sam s'y connaît. Il prend un malin plaisir à enfoncer la tête d'Ezra dans ses immondices. Au bout de quelques secondes, il relâche sa prise et redresse d'un coup sec la chaise.

— Tu me perds, Ezra, TU ME PERD !

Il déverse le reste de la thermos dans sa gorge. Le café à un effet terrible que lui. Il commence à arpenter le hangar à petit pas rapide en jetant de temps à autre un regard à Ezra. Est-ce qu'il dit la vérité ? Il revient prendre le sécateur et frapper de nouveau sur le genou déjà blessé.

— RAAAAAAH J'ARRIVE PAS À SAVOIR ! Est-ce que c'est un piège ? Est-ce que tu gagnes du temps ? Le truc c'est que ton mari est déjà sur les dents. On voit ses hommes fouiller partout et sniffer le cul de la concurrence. Tu comprends que je ne peux pas prendre le risque d'envoyer mes hommes et de tirer la mauvaise pioche, hm ? Alors je dois être absolument sûr... Mais comment te faire confiance... Je vais peut-être devoir te couper un doigt, finalement. Histoire de voir si ta version tient toujours.

Une lueur de folie dans le regard il appuie sur la main d'Ezra et le force à écarter les doigts. Il est tendu. Il savait que s'en prendre à Ezra Strauss était un pari risqué et que Noah ne tarderait pas à répondre. Il doit frapper vite et fort, car il n'aura pas de seconde chance. Alors qu'il ouvrait le sécateur, Chris débarqua dans le hangar.

— Boss !

Sam sursaute, poussa un long soupir avant de grogner.

— Quoi ?
— C'est le Boiteux, il est là, il veut vous parler.
— Est-ce qu'il me veut, le Boiteux ? Aux dernières nouvelles on est pas potos.

Chris lança un regard inquiet à Ezra avant de revenir à son patron.

— Strauss est venu lui rendre visite et...
— ARF CE FILS DE CHIEN !

Sam lança son sécateur contre le sol et passa ses mains dans ses cheveux.

— Évidemment, ce gros raciste me soupçonne d'avoir foutu la merde et il ne veut pas se mettre le grand méchant loup à dos. Putain... Bon, bon, bon, soyons calme.

Il se retourne et fait un grand sourire à Ezra.

— Je suis vraiment désolé, mais je dois gérer une urgence. Oh, ne t'en fais pas, je reviendrai bientôt ! D'ici là j'espère qu'on pourra avoir une vraie discussion entre adultes, hihi ! Chris, surveille-le.

Sam partit, Chris s'approcha. Son regard passa d'Ezra au vomi, du vomi à Ezra. Chris était du genre prudent. C'était sa prudence qui l'avait mené aussi loin. Il avait été contre ce plan, trop risqué, pas assez rentable, mais Sam n'aimait pas qu'on le contredise alors il n'avait rien dit. Il sent le vent tourné et n'aime pas ça. Il pince les lèvres, lève la tête vers Ezra.

— Combien pour ma sécurité ?

Il avait débarqué à ta porte trois jours après la disparition d'Ezra. Tu n'avais pas réussi à fermer l’œil de toi-même, il avait fallu qu'on te force à avaler une potion de sommeil pour que tu puisses glaner quelques heures de repos. Vous tourniez en rond. Tu avais fait retourner la ville, tu avais toi-même rendu visite à plusieurs autres gangs à grands coups de menace. Tout le milieu était au courant. Le coupable allait payer cher l'affront. Malgré tout ça, tu n'avais aucune piste, rien. C'est là que Chris est arrivé. La localisation d'Ezra contre la promesse de deux milles de gallions et ta protection. Tu avais regardé ce connard sérieux avec l'envie de lui sauter à la gorge et d'éparpiller ses entrailles dans la pièce. Mais la vie de ton mari était en jeu.

— Deux milles et ma protection. Bien. Je veux le nom.

Et il avait tout dit.

**

Sam était agité. Voilà trois jours que son prisonnier était là et il n'avait pas encore agi. Il avait trop tardé. À vouloir être trop prudent, il avait raté le coche. Maintenant le clan Strauss envahissait tout Londres et guettait les faits et gestes de tous les malfrats de la capitale. S'il envoyait ses hommes aux adresses indiqués, ce serait sans retour. Merde. Voilà que Sam allait devoir faire la guerre. L'idée ne l'enchantait pas. Elle était loin d'être perdue avec un otage dans les pâtes et des potentielles adresses mais tout de même... Une guerre. Oh, il était énervé, Sam, sur les dents. Et il avait besoin de faire payer. Alors il avait débarqué dans le hangar, bien décidé à se défouler sur son invité.

— Hello, Ez, je viens aux nouvelles !

**

Le plan était simple : d'ici ce soir le Clan du Gobelin sera rayé de la carte. Tu étais venu avec tous tes hommes. Ce que tu allais déclencher est un massacre dans la plus pure des traditions. Chris t'avait indiqué l'endroit où étaient retenues Ezra et une pelletée d'info sur l'effectif réel et la logistique du business de son maître. Devant le hangar tu fais signe à tes hommes d'armer leur baguette. Toi, tu sors de ta poche une arme à feu moldu, un gadget que tu avais pris plaisir à manier avec les années et qui était devenu ta marque de fabrique.

— Vous n'intervenez que si Ezra ou moi somme en danger. Et surtout, vous tuez.

En t'approchant, tu perçois des odeurs rances et agressives. Du sang. Du vomi. De la sueur. Tu fronces les sourcils, sans ta gorge se déchirer sous la fureur. Du sang. Du sang. Du sang. Mais surtout, tu entends aussi. Tu entends des coups et la voix du Gobelin. Tu ignores combien ils sont à l'intérieur. Chris t'a dit qu'en général le Gobelin laissait cinq à dix hommes en postes selon ses besoins. Rien qu'un détail. Cinq, dix, vingt, cent : tu les tueras tous. Tu fais signe à tes hommes et tu défonces la porte.

Tu tires à vue et deux hommes s'effondrent dans un cri de surprise. Tu ne marches pas, tu cours, une ordre d'homme à ta suite les baguettes pointées et menaçante.

— EZRA !

Le Gobelin sursaute, son visage se déforme de colère alors qu'il hurle.

— TUEZ LES BANDES D’IMBÉCILES TUEZ LES TOUS !

Tu te jettes sur un troisième homme que tu empoignes à la tête pour lui fracasser le crâne contre le sol. Un quatrième homme te pointe de sa baguette et Chris lève sa baguette pour lancer un sort et le faire s’empaler sur une barre de fer plus loin.

Tu te redresses, croises le regard du Gobelin sans un regard pour Chris ou qui que ce soit d'autre.

— Massacrez-les.

Sam dégaine sa baguette. Il te balance un sort que tu esquives en te jetant sur le côté. Tu tires dans sa direction. Tu visais sa poitrine mais tu le touches à l'épaule. Il hurle et tu te précipites sur lui. Tu attrapes le bras qui tient sa baguette et tu tires d'un coup sec. Un crac sonore se fait entendre et le Gobelin hurle. Autour de vous c'est un carnage. Certains de tes hommes se sont mis autour de vous avec des protego pour vous protéger d'éventuel sort perdu.

— Toi... Toi... TOI...

Tu songes à le tuer. Là, tout de suite. Mais un coup d’œil à Ezra et tu le jettes Sam au sol et l'assommes. Tu interpelles un de tes hommes.

— Toi, tu me gardes ce fils de pute vivant. Je le veux vivant, tu entends ?

L'homme hoche gravement la tête et tu te précipites vers Ezra. Tu tranches ses liens avant de le serrer dans tes bras. Il pue, mais qu'importe ton estomac qui se soulève tu serres, serres, serre encore.

Autour de vous les fracas des combats se tuent peu à peu. Dix hommes contre plus d'une vingtaine, le combat a été vite réglée mais ce n'était pas terminé. Tu te détaches à peine d'Ezra pour balancer.

— Je veux que tous les fils de pute de ce clan de merde soient morts avant l'aube. Je veux que d'ici demain matin toute la ville sache ce qu'il se passe quand on touche à un cheveu d'Ezra. DISPERSEZ-VOUS !

Ton regard croise celui de Chris.

— Oh, et Chris.

Ce dernier d'avance, mais avant qu'il n'ait pu ouvrir la bouche tu lèves ton arme et lui tire une balle entre les deux yeux.

— Merci pour tes services.

Tu es furieux. Contre toi-même, contre-lui, conte tout le monde. Tu pourrais reprocher à ton mari d'être sorti sans surveillance, d'avoir, encore une fois, ignorer tes conseils. Mais la fatigue et le soulagement d'enfin le serrer contre toi censure toutes formes d'insultes pour ne laisser que percer l'émotion dans ta voix.

— Je suis là, Ezra, je suis là.

C'est à peine si l'odeur de la mort autour de toi t'agresse. Il n'y a plus que lui. Tu ne te concentres que sur lui. La seule chose qui te sort de ce focus est la balle que tu colles entre les deux yeux de Chris. Tu observes sans émotions le corps tomber raide contre le sol. Le sang souillé de cervelle ne t'émeut pas. Tu glisses un regard vers Ezra, le jauges du regard. C'est avec une fierté non feinte que tu passes une main sur sa joue.

— Tu comprends vite, mon cœur.

Il était hors de question de t'entourer d'un lâche prêt à offrir ses services pour de l'argent. Tu prends le temps de regarder ton mari. Son corps est tuméfié et marqué par ce que tu reconnais être des coups. Il y a du vomis séché sur ses vêtements et tu reconnais à son teint et son comportement un sevrage forcé de sang. Il semble avoir du mal à tenir de bout, mais tu remarques qu'il ne s'appuie pas du tout sur une de ses jambes. Tu fronces les sourcils, mais ne dis rien. Dans l'immédiat, tu sais ce dont Ezra à besoin.

— Ramener le Gobelin, ce fils de chien va regretter d'être né. Qu'Oswin prenne la suite, je ramène mon mari chez lui.

Tu soulèves Ezra, lui lance un regard inquiet avant de traverser le hangars jonché de cadavres. Sur le chemin tu décroches ton pinneaple pour qu'on te ramène une voiture. Il est hors de question de transplaner avec Ezra dans ses conditions et surtout, il doit boire. Tu le déposes à l'arrière d'une grande voiture noire aux vitres teintée et à l'avant séparé de l'arrière par une vitre. Tu indiques à l'homme qui la conduit de vous ramener chez vous, puis ton monte à l'arrière et tire sur le col de ton t-shirt pour le déchirer.

— Personne ne peut t'entendre ou te voir, Ezra. Je te ramène à la maison, je vais prendre soin de toi.

 La question ne se pose même pas. Tu es son calice et son mari. Tu as réussi à lui passer deux anneaux sacrés aux doigts et à lui en faire faire de même. Pour seule réponse tu tends la main pour la glisser à l'arrière de sa nuque et approcher sa tête de ta gorge. Tu étires ton cou pour lui laisser la place et le laisses se coller à toi. Il boit comme le dernier des soiffards. Le flux est violent, tu le serres contre toi mais sens ta tête tourner et tes membres s'engourdirent à mesure qu'il s'hydrate. Tu ne l'arrêtes pourtant pas. Tu veux le revoir reprendre des couleurs et des forces. C'est la voiture qui se gare qui le force à arrêter. Tu presses tes paumes contre tes paupières et te glisses hors de la voiture avec lui.

Tu as fait attention à ne pas croiser les enfants. Tu montes directement dans votre chambre en donnant pour consignes qu'on ne vous dérange pas. Tu ne veux plus entendre parler du Gobelin ou du business aujourd'hui. Tu le guides jusque dans le lit où tu le déposes avec une délicatesse qui, pour toi, est rare. Tu avais vu juste, son genou lui fait mal. Tu ne retiens pas le grognement haineux dans le fond de ta gorge.

— Je lui ferais tout ce qu'il t'a fait en pire.

C'est une promesse que tu lui fais. Tu vas ruiner cet homme, le réduire à rien. Et Ezra insistera à ta vengeance, car elle sera aussi la sienne. Car c'est comme ça que tu as appris à soigner tes traumas. Dans le sang et la violence. Il n'y a rien de plus salvateur que de faire hurler de terreur ce qui nous effraie.

— Je vais te nettoyer et on fera monter quelqu'un.

Tu sors ton pinneapple pour pianoter un ordre dessus avant de lever les yeux sur ton mari. Les enfants. Tu as eu un mal fou à jouer ton rôle en l'absence d'Ezra. Tu étais tendu, d'humeur massacrante. Tu crois te souvenir avoir hurlé sur Mladen et gifler Ulysse pour une dispute à l'heure du coucher. Merde.

— Ils ont commencé à poser des questions le premier soir. Je leur ai dit que tu avais dû partir pour le travail, un gros reportage qu'on t'avait refilé à la dernière minute. Je les ferais monter quand tu seras... Un peu plus présentable.

Tu soupires, tu sais que tes enfants vont tout rapporter quant à ton comportement. Tu viens coller ton front à celui d'Ezra, maintenant que vous êtes de retour chez vous, loin de cet affreux hangar, loin de la folie massacreuse du sauvetage, tu sens le soulagement t'ébranler et tes épaules s'affaisser.

— J'ai cru que j'allais devenir fou.

Pour la première fois depuis longtemps, tu laisses ta voix trembler et les larmes couler.

— Je suis désolé. J'aurai dû être là pour te protéger. Ça n'aurait jamais dû arriver. J'ai eu tellement peur bébé.

Tu renifles, souffle, dépose des baisers partout sur son visage, qu'importe que sa peau soit maculé de sang ou des restes de ses repas.

— Il ne t'arrivera plus rien. Je vais faire du Gobelin un exemple. Personne n'osera s'en prendre à toi ou aux enfants après ça.

À mesure que tu parles et te confonds en promesse, ta voix se fait moins tremblante et plus grondante. Tu cueilles ses lèvres en murmurant des mots barbares, des fantasmes de violence et de torture que vous allez faire subir à ce fils de chien de Sam. Tu as peine à te détacher très légèrement de lui pour l'aider à défaire son pantalon pour voir son genou.

— Je vais t'emmener te laver avant l'arrivée du médecin. Doucement.

Ce que tu vois est effrayant. Tu restes interdite face à la couleur violacée de son genou gonflée. Tu déchires son pantalon en essayant de contenir ta colère.

— Merde.

Tu souffles.

— Lèves les bras. Je vais te porter, tu ne dois pas poser le pied au sol, viens.

C'est à peine si tu notes ce qu'il te dit. Il a vendu tes planques, mais heureusement pour lui tu crains plus pour lui que pour ton business. Ces derniers jours ont été une telle torture que tu n'as même pas l'envie de le pourrir. Tout ce qu'il compte c'est qu'il soit là, contre toi et bien vivant.

Tu le déposes dans la baignoire et fait couler l'eau. Tu laisses ton t-shirt tomber en lambeaux sur le sol avant de te postes contre le bord de la baignoire. Ton regard croise le sien. À chaque fois que tu le regardes, tu penses qu'il y a un monde où il s'en va. De gré ou de force, qu'importe. Et tu lui en veux, parce que c'est sa faiblesse qui le fait partir.

— Parce que t'étais libre avant ?

Tu laisses tes mains pendre dans la baignoire, l'eau commence à toucher tes doigts.

— Quand on était coincé dans cette maison au fond des bois, à fuir ton frère. T'sais, celui qui t'as mentit et était prêt à te tuer ? Oh, mais peut-être que tu parles d'avant, à l'époque de Poudlard où on te regardait comme une bête curieuse et que la seule chose qui te faisait bien voir c'était d'avoir des parents adoptifs suffisamment humain pour pas faire fuir ton crush du moment ?

T'es cruel, mais t'es surtout mort de peur. Tu crains de le perdre. Si Ezra à raison sur un point, c'est que d'autres recommenceront.

— On a jamais été libre, Ez. Ni toi. Ni moi. Ni personne. La liberté ça se gagne.

Tu te lèves, le regard un peu plus dur. Tu ne lui avais pas répondu quelques minutes plus tôt.

— Je vais le torturer, ouais. Mais pas tout seul.

La baignoire commence à déborder mais tu ne fais pas attention. La magie arrange tout en tour de main. Ça fait longtemps que tu ne t'offusque plus du bordel, Noah.

— T'as raison, bébé, t'as l'air vulnérable. Il est temps d'assumer que tu ne l'es pas.

Tu places face à lui, les mains de part et d'autre de la baignoire.

— On sait tous les deux que tu n'es pas un enfant de cœur. T'as essayé de jouer les gentils humains pour t'intégrer dans cette putain de société mais c'est des conneries. Alors quand ton genou ira mieux, tu descendras avec moi et tu montreras, à toi, moi et tous ces taré dehors que je ne suis pas le seul monstre qu'il faut craindre, Ezra.

Tu te penches, les pieds trempés de l'eau qui se renverse.

— Tu veux ta liberté, bébé ? Gagne-là.