Atlas est parti pour mieux revenir, comme à chaque fois. Son inventivité ne le dispense pas de sa routine. C'est toujours la même chose, il s'interdit le climax, censure l'orgasme. T'as jamais su si c'était par pudeur ou par connerie. Le fait est que vous êtes seuls, désormais. T'en as pour quelques heures de répit, un jour si ton frère se montre généreux.

Vivant ?

Le sang pulse dans tes tempes, ton corps se déchire sous la douleur. Tes muscles se tendent, tirent, hurlent sous les crampes qui s'enchaînent, encore et encore. Ta bouche est sèche, ta gorge en feu et ton ventre se tord face à la faim et la violence de ce que tu te forces à avaler pour ne pas crever. Tu souffres par chaque fibre de ton corps. Mais oui, tu es bien vivant. De même que lui. Et t'as pas encore décidé de si c'était une bonne nouvelle ou non. Il parle. Parle encore. Vantard jusqu'au bout. Il n'aime pas beaucoup le silence, Elijah. Tu ricanes, sec. Ta voix n'est plus qu'un râle rauque.

— Tu te chies dessus à ce point pour avoir besoin de parler, Strauss ?

Claquement sec de ta langue contre ton palais. Faut qu'il crie, en plus.

— Ferme-là si tu ne veux pas qu'il revienne.

Faut tout lui apprendre. Encore un chien qui teste les limites. Tu te demandes combien de coups de bâton, il lui faudra pour comprendre comment Atlas fonctionne. Une centaine ? Un millier ? Mais t'as pas le luxe (ni la force) d'attendre pour compter. Le souvenir d'Ezra qui tourne en boucle, l'image encore fraîche de son corps sur la table de dépeçage. Il faut que tu bouges, Noah. Tu tires un peu sur tes chaînes, c'est douloureux.

— Tu sais pas de quoi tu parles... Mais je vais pas me fatiguer à t'expliquer. T'es trop con.

Tu sens la lime sous ton pied, ancre la sensation de son contact dans ton esprit pour trouver la force de bouger. Ton corps tremble, tu grognes sous l'effort. Les mollets en feux, de nouveau les crampes quand tu glisses lentement ton pied sur le sol pour essayer de coincer la lime entre tes orteils. Si tu lui réponds, c'est pour te concentrer sur autre chose que la douleur qui explose.

— J'ai attendu la bonne opportunité et la pleine lune.

Sous tes pieds, la lime coupe mais la chaire qu'on déchire c'est rien à côté de tout le reste, rien à côté de l'image d'Ezra sur la table. Cette-fois-ci, t'as pas le luxe d'attendre de te transformer.

— Dommage pour toi, du coup.

Lui, il n'aura pas la transformation pour l'aider à s'en sortir. Ce sera juste lui, cette table et la menace d'Atlas. Tu trouves la force de sourire à cette idée. Enfin, tu coinces la limes entre tes doigts de pied.

— J'espère que t'as bien le seum.

— Je crois que t'as pas compris.

Ce qui prouve bien ta théorie. Il n'a que de la gueule, pas un gramme d'intelligence. Mais sa répartie le perdra. Il peut se donner un genre encore quelques jours, tu lui donnes peut-être même quelques semaines. Mais il finira par craquer, par se faire briser. La machine infernale d'Atlas n'épargne personne, elle broie tout ce qu'elle touche et Elijah a déjà ses stigmates sur son torse. Ce n'est qu'une question de temps. Tu te demandes, d'ailleurs, s'il n'en a pas conscience. C'est peut-être pour ça qu'il gaspille autant d'énergie à bomber le torse. La première phase du deuil. Le déni. Bien, la descente aux enfers est donc commencée. Tu coinces la lime entre tes orteils, souffle douloureusement alors que tu commences à te contorsionner pour essayer de la coincer dans tes mains.

— Je vais m'enfuir. Toi par contre tu vas moisir et crever ici.

Ça tire, c'est douloureux, tout ton corps hurle et pourtant, tu ignores ses protestations. Cette torture-là tu la choisie. Cette torture-là elle fait moins mal que tout ce que ton frère pourra te faire subir.

— Si t'apprenais à écouter plutôt que de t'entendre, tu l'aurais compris. Mais vu comment tu bandes quand tu parles de toi, j'suppose que c'est logique.

Sous ton pied perle le sang. Tu te coupes en essayant mais qu'importe. Tu grognes sous l'effort. Peste dans ta barbe. Allez. Allez putain. Tu pousses ton corps à bout, fais appel à l'adrénaline pour dépasser tes limites. Tu te laisseras mourir quand tu auras retrouvé Ezra. Pas avant. Tu ne peux pas te le permettre. Tu ne t'ai pas fait mordre pour que sa gueule d'ange se fasse ravager par les Priest.

— Tu devrais arrêter de faire genre, Strauss. Ça te rend pas plus impressionnant, ça te rend juste plus ridicule. Atlas t'as entubé et c'est que le début.

Tu coinces enfin la lime entre tes doigts, te coupe sévèrement la paume au passage, mais qu'importe. Tu souffles, balance avant de coincer la lime entre tes dents.

— Tu peux te foutre tes négociations dans le cul.

— Mais f'es au fond fdu tfrou.
(Mais t'es au fond du trou)

Mais c'est beau de s'accrocher encore à l'illusion que ce n'est pas le cas. Est-ce que t'avais cette même combativité la première fois ? Oui. Tu as dû. À un moment. Un temps. C'est sûrement trop loin pour que tu t'en souviennes. La jeunesse devait être belle, la tienne avait été laide à en vomir. La lime entre les dents t'essaye de la passer contre ton poignet, faire jouer le mécanisme pour réussir à le faire sauter. Tu grognes, ça coupe encore, ça fait mal et tu te tends pour réussir. Elle glisse entre le fin interstice entre ta peau et le fer et tu te tords la main pour réussir à la manipuler.

— Tu t'es fait avoir comme un bleu quo- Putain !

Tu t'es coupé encore. Tu pestes contre le sang qui s'écoule, mais poursuit. En face Elijah montre pour la première fois signe de faiblesse. Tu te méfis, tu penses ce type suffisamment perfide pour jouer la fatigue. Pour qui il te prend ? Un cœur tendre ? C'est lui qui est à l'origine de tout ça. Soudain, la cruauté d'Ezra te revient en mémoire.

Tu l'as un peu cherché, aussi...

— Tu peux t'en prendre qu'à toi-même.

Et tu ne sais pas si tu dis ça pour lui, pour toi ou pour le spectre d'Ezra. Est-ce qu'il tiendra le même discours envers son frère ? Est-ce qu'il lui jettera sa haine et sa gêne au visage en lui disant qu'il la mérite ? Ou est-ce qu'il accouera comme un bon toutou en brandissant le mot famille comme un putain de joker qui fausse la partie ? Alors que c'est lui qui a tout commencé. Alors que c'est lui qui l'a mis en danger ? Alors qu'il t'a fait revenir dans l'antre de tes cauchemars. Mais, ça, est-ce qu'il en aura quelque chose à foutre, Ezra ? Ta gorge qui se serre soudain. T'avales ton amertume. Au final, t'as confiance qu'en toi et c'est une réalité qu'il te coûte d'admettre. Soudain, le premier verrou cède et ton bras tombe comme une masse, entraîne ton corps avec lui, finit par pendouiller, grotesque. C'est que là que tu comprends à quel point t'es diminué. À quel point tu vas devoir te traîner pour t'échapper... À quel point ce sera difficile aussi. Merde. Tu attrapes de nouveau la lime, viens chercher, tremblant, ton autre poignet.

— Allez... Allez... Allez...

Souffle rapide. Tu ne sais pas quand Atlas peut revenir. Qui sait s'il ne choisirait pas ce moment-là pour se montrer imprévisible. Tu guettes d'une oreille les sons de l'escalier, t'acharne sur le second verrou.

Noah.

C'est la première fois qu'il te nomme comme une vraie personne. Ton prénom seul, sans insultes derrière, sans marque de son mépris et de sa haine. Putain, il est donc bel et bien au bout du rouleau. Sur le coup, ça coupe ton geste, toi qui t'affaires comme un fou sur ta seconde entrave. Noah. Tu ne saurais mettre de mot sur le sentiment qui t'envahit. Voir un ennemi reconnaître son existence est forme d'ego, de jouissance et de victoire auquel tu n'avais été que trop peu habitué depuis ta transformation.

Je sais que je suis le Roi des Connard…

— T'es lucide, bravo.

Pourtant, tu écoutes. Derrière ton oreille qui guette le signe d'un potentiel retour de ton frère, malgré la lime qui te charcute la peau pour faire sauter le mécanise, tu écoutes. Et ce qu'il dit n'est pas totalement faux. Tu vas être lent. Lent à sortir, lent à te mettre en sécurité. S'il repère ton absence avant que tu ne sois hors de portée il n'aura aucun mal à te traquer et à te tuer avant que tu ne te rétablisse. Mais avec Elijah ce serait différent. Tu serais plus rapide, plus à même de t'en sortir. Ça multiplierait tes chances. Et Atlas ne prendra pas le risque de venir vous chercher si vous êtes deux. Ce serait trop voyant, trop risqué. Les autres chasseurs ne viendront pas à son secours s'il se fait prendre. Ils se désolidariseront de lui, en feront un paria. Il est trop malin pour ça. Ce serait le bon plan. Seulement. Seulement...

La serrure saute enfin.
Tes bras chutent au sol dans un râle rauque. Tes épaules pulsent sous la douleur et pour la première fois depuis que tu es sorti de la cage tu peux enfin t'asseoir. Ton torse se soulève sous l'effort au rythme de ta respiration. Tu prends quelques secondes pour toi avant de jouer de la lime et de ta force pour libérer tes chevilles. Merde. C'est encore plus évident maintenant que tu n'es plus pendu par les poignets. Ton corps est vidé. C'est à peine si tu saurais lever les bras pour te défendre si Atlas attaquait. Merde.

— T'es désespéré, Strauss... Ta parole de ne vaut rien.

Tu te traînes jusqu'à la table de dépeçage, te mets à genoux pour poser tes avants bras sur le métal froid avant de te lever dans un grognement douloureux. Tes jambes portent à peine ton poids mais tu peux le regarder de haut, croiser ses yeux.

— Qu'est-ce qui me garantit que tu n'iras pas m'achever avant qu'on arrive ? T'en rêve... Non ?

Tes mains traînent jusqu'aux outils utilisés par Atlas. Sans prévenir, tu te saisis d'une bouteille d'alcool que tu renverses dans son entièreté sur le P laissé par Atlas.

— Alors.... Quelles sont mes garanties, Elijah ?

Et tu sais que ce sera toutes celles que tu voudras.

T'observe son corps se cambrer et se tordre, te laisses bercer par le son du picotement de l'alcool contre la plaie. C'est puéril, mais t'as jamais fait briller la maturité. Tu mérites bien une vengeance, une petite parmi les centaines que tu lui dois. Ce n'est qu'une petite punition, un petit bonus à prendre. T'as pas oublié comment ce chien t'as poussé. T'as pas oublié comment il s'est accroupi devant la cage, prêt à profiter du spectacle. Ta façon à toi de lui dire que même allongé sur cette foutue table, tu n'oublies rien.

— Tu vas me conduire jusqu'à Ezra.

Tu fixes, fasciné l'espace d'une seconde l'effet de l'alcool sur sa peau. Puis ton regard remonte vers lui. Ton corps poussé au bout par le poids des sévices d'Atlas, par celui des traumatismes qu'il a gravé en toi pendant cinq longues années. Pourtant, ton regard, lui, est tranchant, vivant. Putain de vivant.

— Et tu vas le regarder droit dans les yeux et lui dire ce que tu as fait.

Tu souffles, tendu. Haineux.

— Tu vas lui dire comment tu t'es allié à notre pire ennemi pour me tuer. Comment t'es tellement rongé par la jalousie que tu t'es permis de présumer de ce qui était bon pour lui. Comment tu lui as menti. Comment je t'ai libéré, moi.

Tu vas lui faire cracher que tu es le héros, le bon gars de cette histoire. Que le monstre, c'est lui, c'est pas toi. Que t'es mieux que ce qu'ils pensent tous, lui compris.

— Tu vas assumer d'être aussi dégueulasse que moi, Elijah.

Tu ne retires pas sa gouttière, passe volontairement ta paume ensanglantée devant son visage pour détacher son poignet. T'aurais pu faire le tour. C'était trop te demander.

— Et tu me feras le plaisir de me taper la bise quand tu passes chez nous. Compris ?

Tu le fixes un instant, tu ne souris pas face à la torture que tu lui infliges. Tu fais sauter la sangle, viens arracher la seconde.

— On a un deal ?

— Bien.

Tu fais sauter la seconde sangle et tu t'écartes. Te laisse glisser contre la table non sans avoir pris de quoi te défendre avant (de lui ? D'Atlas ?). Il fait sauter les dernières barrières qui l'entrave. Tu ne t'attends pas à ce qu'il tienne parole. Ce type est une sous-race, il est la définition même du mot bête, l'exemple parfait de ce que ta famille et toi combattiez il y a de cela une éternité. Il est vicieux, sournois, vil. Tu anticipes qui profite de la liberté pour te planter ou t'abandonner. Pourtant il vient glisser ses bras autour de toi pour te soutenir.

On dégage, qu'il dit.

Et là tu es surpris. Tu pousses sur tes jambes, serres les dents. Le moindre bruit peut vous trahir alors tu prends sur toi. Marcher est douloureux, respirer est douloureux. Tout ton corps tendu et la sensation qu'on te plante en continue à chaque pas. C'est une torture et tu luttes contre l'envie de te laisser tomber, d'abandonner, parce que tout te semble soudain impossible, parce qu'il t'a bien éduqué, Atlas, t'as l'abandon qui pulse dans tes veines, l'instinct résiliant qui te dis que plus vite tu auras accepté ton sort, mieux ce sera. C'est la force d'Elijah qui te ramène, la douleur qui transcende et la vue des escaliers qui te réveille. Non. Non. Tu dois sortir. Tu vas sortir. Alors tu pousses, arriver en haut des escaliers vous ouvrez la porte. Atlas à l'audace de prendre une douche. Putain, la chance est avec vous. Tu vous stoppe, proche de la porte.

— Nos baguettes...

Tu ne peux pas les lui laisser.

— Regarde sur le buffet...

Tu guettes, lance un regard nerveux en direction de la salle de bain. Tu l'aides du mieux que tu peux à approcher jusqu'au buffet où trône vos deux baguettes. Tu te saisis de la tienne, ouvre la porte d'un geste sec du poignet.

— Putain dis moi que t'as la force de transplaner.

Tu lui désignes un point à l'extérieur au loin.

— Faut qu'on s'éloigne, il va le sentir si on transplane trop près.