L'eau coule à côté mais tu l'entends à peine. Les idées lubriques ont déserté depuis longtemps. Le désir ne te tiraille plus, seule la haine (la peur) reste. Ça fait combien de temps que t'es là, assis ? Des minutes ? Des heures, peut-être ? T'es monté le premier, ça n'a choqué personne, ça n'a jamais été ton truc les réunions familiales. T'es monté, t'as jeter ta chemise et ton pantalon au sol, jeter tous tes efforts pour paraître aussi sage qu'Ezra l'avait voulu. Et tu t'étais assis, le miroir à pied devant toi. Ton reflet qui te juge pour seule compagnie.

Tu te sens pas bien, mauvais, oppressé, amer. La sensation qui t'écartèle depuis l'agression d'Hermès te submerge maintenant. T'as le ventre qui se tord, la gorge qui se serre. Mais ce n'est pas de l'émotion, non. Tu passes une main fatiguée sur ton front, le regard animal, froid, celui d'un tueur ou d'un homme proche de l’échafaud, braqué vers ton reflet. Tu vas tuer Atlas. Ça y est. Cinq ans à t’efforcer de voir un nouveau lever de soleil, cinq ans à respirer, cinq ans à sentir la bête, à cohabiter, à devenir son plus fidèle allié. Cinq ans a porter l'humiliation et la difformité. Cinq ans à lutter. Et enfin, enfin, tu y es. Tu vas pouvoir prendre ta revanche, tu vas pouvoir lui rendre chaque coup, tu vas pouvoir le rendre aussi laid, aussi inhumain que toi.

Et après ?

En face de toi, ton reflet te nargue. Est-ce que c'est toi qui souris avec insolence ou est-ce que c'est toi qui dérailles ? Et après ? Après. Après... Après...

Y a pas d'après, Hyperion.

T'es immobile, tu dissocies. Y a pas d'après. Hyperion n'existe que comme un fantôme, un cadavre à la recherche désespérée de la main qui l'a tué ( a t l a s).

Et Noah ?

Noah. Noah...

Personne veut de lui, n'est-ce pas ?

Ah. Ah. T'as l'air d'une statue. Pourtant ton reflet tu le vois bouger et sa voix, sa voix. Un mélange de celles d'Atlas, ton père et ta mère.

T'as toujours été obsédé par l'idée qu'on te regarde. T'as toujours été obsédé par l'idée qu'on t'entende. Sauf que personne ne veut te voir, personne ne veut t'entendre. Quand Atlas mourra, Hyperion et Noah seront morts.

Parce que ce sera quoi la vie, ensuite ? Rester ici ? Avec Ezra ? Pour quoi ? Pour qui ? L'acide qui monte, tes lèvres qui se soulèvent, comme un animal qui gronde. Et c'est là que la porte s'ouvre. Son odeur proprette (tu la détestes) envahit tellement la pièce que t'as besoin de regarder qui ose entrer. La nausée parle pour toi. Il s'approche te prend de haut, t'as pas un regard pour lui, t'as le regard braque sur ton reflet. T'as l'air distant, mort. Il crache, te punit de tes excès. Tu lèves la tête. Depuis quand tu le trouves aussi laid ?

— Ah, mais t'aimes ça. T'es tellement en manque, à défaut de te faire prendre par Hermès tu me choisis moi. Mais c'est ok, t'auras juste à fermer les yeux et imaginer qu'il te saute.

T'as un rictus mauvais, t'écartes les cuisses, provocant, éclair méchant dans le regard.

— Après t'ira vomir, parce que le petit saint que t'es supporte pas qu'on le souille. Et demain, on te brossera dans le sens du poil parce que t'es tellement adorable, Ezra.

Pas bébé.
Soudain, tu te lèves, le toise. T'es là sans être là. Tu ne sais pas ce qui transparaît le plus entre la colère ou tes blessures. Derrière l'épaule d'Ezra tu vois ton reflet dans le miroir. Tu ricanes, écartes Ezra pour avancer vers la porte.

— Mais t'en fais pas, tu seras bientôt débarrassé de moi. Après tu pourrais écarter tes fesses pour Hermès et te faire pilonner comme la dernière des catins.

Il est furieux. Il ne t'insulte pas aussi frontalement, pas souvent du moins. Et t'es tellement désabusé que tu pourrais presque rire. Quand tu le regardes tu ne le vois pas vraiment. Tu vois Atlas et son sourire mielleux, ce fils de pute a réussi à tout te prendre du premier au dernier jour de ta vie. Tu vois Hermes et son regard triomphant, tu vois Attila et son mépris, tu vois ton père et sa déception froide, tu vois ta mère et son air distant. Et tu les entends. Tu te surprends même à entendre le petit prince, peut-être le seul qui avait raison au final. T'as pas d'avenir. Hyperion est mort et n'a pas d'avenir. Et Noah. Noah... As-tu jamais été Noah ? T'es bon qu'a tout ravager de toute façon.

— Ouais, j'suis horrible, tu m'apprends rien.

Et il t'assène une nouvelle slave de coup. C'est TOI qui a toqué à sa porte. C'est TOI qui t'es imposé dans sa vie. C'est TOI. C'est TOI. Pourquoi tu l'as fait déjà ? Pour survivre. Pour te venger. Pour rester en vie le temps que tu puisse tous les écraser, retrouver ta dignité. Tu le toises, insolent, balaye ses argumentations d'un revers de la main. C'est pas vrai, t'as rien voulu de tout ça. Mais il faut qu'il te stop de nouveau, Ezra. Tu lui craches des immondices à la tronche pour le punir, pour te punir, pour lui faire mal, parce que t'es furieux, parce que tout chez lui te révulse autant que ça t'attire. T'as envie d'écraser et d'embrasser son visage. T'as envie de ravager et protéger. Mais personne veut t’entendre, Noah. Personne veut te voir. C'est que t'es mort y a cinq ans déjà. Et lui. Et lui. De toute façon lui est pire que tout le reste.

— Bouge, j'vais prendre l'air.

Mais il ne bouge pas, Ezra. Il te fait face. Putain, pourquoi il est aussi déterminé aussi tard le soir ? T'es furieux, confus, à fleur de peau. Il provoque chez toi des sentiments contraires, mélange de peur et de regret, d'espoir, mais l'espoir c'est pour les faibles.

— Indispensable ?

Tu le regardes sans comprendre. Tu souffles le mot, presque dans un rire. C'est un mot cruel, ça.

— Indispensable pour qui ? Pour quoi ?

C'est tellement acide dans ta voix. C'est tellement fuyant dans ton regard. Tu le toises une seconde. Ah. Oui. C'est ça. Tu tiques, soulagé et offusqué pas tes propres conclusions.

— Oh mais t'en fais pas, je vais faire le ménage avant. Après tu pourras retourner à ta petite vie tranquille. T'en crève d'envie, non ? Ou alors t'as peur que personne d'aussi cinglé que moi soit là pour accepter de se faire vider ?

Et ça dégoûte, ça te dégoûte tellement. Y a rien qui t'attend. Strictement rien.

— Je ne comprends pas ta gueule de veuve éplorée, là. T'as gagné, Ezra, tu vas tout rafler ! Alors arrête de tirer cette tronche, c'est pas comme-ci t'avais voulu tout ça de toute façon, hein ? Alors qu'est-ce que ça peut te foutre ? Si je te débarrasse d'Atlas qu'est-ce que ça peut te foutre ?

Indispensable pour moi, sale connard.

L'insulte pourrait presque te rendre fier si t'étais pas autant butté dans ta colère. Ses mots sonnent creux, ils pourraient te faire vibrer, ils pourraient te faire rêver, mais tu revois sa main sur l'épaule d'Hermès, tu entends les voix, tu revois le visage d'Atlas, tu sens l'acide dans ta gorge et tu secoues la tête. Il ment. Ils mentent tous. Vous mentez tous. La beauté humaine ce n'est rien qu'une connerie pour pisseuse idéaliste. Ezra se sert de toi comme tu te sers de lui. Et en fait, ça ne devrait même pas être un problème. Parce que tout ce qui compte, c'est de tuer Atlas, de le pourrir, de le rendre aussi laid, aussi difforme, de l'enfermer dans la cage et d'assouvir ta vengeance. Lui, sa belle gueule, ses promesses, les nuits à grogner contre sa nuque, les jours à chercher son affection, c'est pas ce qui compte. Et ça t'énerve, plus il est doux, plus t'as la gerbe.

— Ouais, ouais, tu me détestes, c'pas original tout ça.

Tu le défies du regard, ses yeux qui s'emplissent de larme, le regard rageur et t'as le culot de penser que c'est bien fait. C'est ça qu'il chiale, qu'il rage, qu'il arrête d'être parfait, qu'il soit lui aussi laid. Et il hurle, et ça t'apaise presque. Même si c'est horrible, ce qu'il dit, mais ça donne raison au reflet dans le miroir et putain ça te soulage. En grand fataliste t'as peur de l'espoir. T'as un sourire dément sur les lèvres, tu pourrais presque lui dire merci. Et il s'énerve, il te pousse comme un petit homme qui veut se faire grand. T'as un rire méchant, méprisant, le laisse te frapper le torse alors que tu le bombes, provoques.

— Alors qu'est-ce que tu viens faire là, hein ? Tu gères que dalle, bébé, t'étais trop heureux de me trouver. Parce qu'on peut être dégueulasse avec Noah, il dira rien, pas comme ton frère ou ton putain d'Hermès !

Il pousse et tu recules malgré toi.

— Et c'est pratique, je suis pratique. Putain tu me fais rire à te faire passer pour monsieur parfait alors que t'es aussi déglingué et manipulateur que moi.

Rire rauque et mauvais, aussi sourd qu'un grognement animal. T'es laid. T'es affreux, tu saisis son poignet alors qu'il te pousse encore.

— T'es gonflé, t'étais bien content d'avoir la chienne que je suis à tes pieds.

Tu te laisses surprendre par le coup en traître qu'il t'assène. Il te fauche les jambes et tu bascules lourdement sur le sol. Grimace au moment où ton dos percute le sol. Tu ne te redresses pas. La poitrine qui se soulève, tu tournes la tête, observe le reflet pathétique dans la glace.

— Pas un merci. Pas un geste. Il me torture et tu me files un tel, il lui coupe trois doigts et c'est limite si tu frottes pas ta queue à sa jambe, tu me dégoûtes.

Pourtant c'est ton reflet que tu regardes quand tu dis "tu me dégoûtes".

— Je suis peut-être un enfoiré mais toi t'es pas mieux.

Ta poitrine se soulève, à force de regarder ton visage tu te calmes, la lassitude te gagne. Pourquoi y'aurait pas d'après ? qu'il demande. Tu ne lui réponds pas pendant quelques secondes, lâche la mâchoire serrée.

— Parce que y a pas d'après.

Tu fixes ton reflet encore quelques instants, tournes la tête vers lui. Dans la pénombre de la chambre, tu ne vois que ses yeux. Rouges. Furieux.

— Je vais tuer Atlas et après...

Après c'est flou, c'est noir, c'est le néant.

— Et après rien.

Si.
Il s’accroupit. Y a des sillons de larmes sur ses joues, mais tu lui as jamais vu un regard aussi dur, aussi ferme. Y avait de la haine, maintenant y a de la détermination. Et tu te surprends à penser qu'ils sont cons, Elijah et Hermes de le dorloter comme une petite princesse. Le pied qu'il a posé sur ton torse ça démontre d'une soif de domination et de revanche que tu ne connais que trop bien. C'est celle qui t'a fait bander les muscles à chaque occasion, celle qui t'as fait courir, hurler, transpirer, chaque jour de ta putain de vie. Tu te redresses sur ton coude, le dévisages sans conviction.

— Libre.

Le mot sonne creux, sans force, sans émotion. Libre. Tu dépendras toujours de Romulus. Tu continueras à devoir te cacher. Atlas mort, ça ne changera rien au fait qu'Hyperion Priest doit rester un homme mort. Libre.

— Libre de quoi, bébé ?

Les canines qu'il pose à ton poignet. Non, tu ne l'as jamais vu comme ça. D'habitude, il hésite, il demande, il cède après une lutte acharnée contre lui-même (contre toi). Là il mord, il prend, sans demander son reste, sans même te considérer une seconde. Il cède à son envie sans culpabilité. L'espace d'une seconde tu le regardes médusé, grimace quand les crocs transpercent ta chair. Malgré toi ton souffle s'accélère.

— .... Ezra ?

Il a l'air d'un prédateur, maintenant. Celui qui traque, celui qui mène. T'as pas l'habitude. Putain c'est pas pour te déplaire. Mais ce qui te fait réagir c'est pas tant qu'il te morde que ce qu'il te propose ensuite.

C a l i c e

Le mot glisse, t’écarquille les yeux. Calice. T'as un sourire teinté d'incompréhension. Même toi qui es plus bête que lui tu sais quel genre de plan foireux ce serait.

— C'est ça ton plan pour m'empêcher de faire une connerie... Me faire devenir ta réserve perso ?

Le rire te prend, fébrile.

— J'suis loin d'être un grand cru.

Mais t'hésites. Et dans le fond, tu penses qu'il t'as peut-être mieux compris que toi. Parce que tuer Atlas, ça revient à tuer ton maître. Ta vie dédiée au culte de sa haine. Mais le tuer, c'est tuer la haine aussi. C'est s'affranchir. C'est être libre. Et, au final, y a rien de plus flippant que la liberté pour toi. Devenir son calice, c'est te lier à lui. C'est devenir sa chose, c'est lui appartenir. Un serment sous forme de cage. Toi qui frises la claustrophobie tu devrais fuir ce plan. Et pourtant.

— J'suis presque fier de toi. Tu commences à comprendre comment ça fonctionne.

Comment on domine les gens. On trouve les failles, on les exploite, on ruine le reste. T'as toujours ton poignet retenu en otage.

— T'as pas intérêt à me trahir.

Tu fronces les sourcils, choper de ton autre main sa mâchoire.

— Atlas mort plus rien ne me retiendra. Alors me trahis pas.

Sans maître sur lequel aboyer t'es plus rien. Tu relâches sa mâchoire. Tu pourrais lui dire que tu as peur. Tu pourrais lui dire que t'as vécu dans l'idée de vivre vieux. Tu pourrais lui dire que t'as jamais osé espéré, que t'as été trop con pour y réfléchir. Que t'as construit ta vie autour d'un seul et même objectif et que cet objectif accomplit tu paniques. Il pourrait sûrement t'aider. Il pourrait redevenir le simple et gentil Ezra, à cœur de t'encourager pour te faire revenir dans le droit chemin, satisfaire son ego en se disant qu'il a fait de toi un vrai citoyen. Mais tu le préfères comme ça. Le regard prédateur. Le possessif qui s'exprime. La dominance à son paroxysme.

— Je resterai.

C'est presque dit avec défit.

Il a une détermination dans le regard que tu ne lui connais que trop beau (mais qu'est putain de belle à voir). Si rare de le voir aussi prêt, aussi froid. Il ne baisse pas les yeux, il te combat, sort ses propres armes. Et tu ne peux pas t'empêcher d'être fier, t'en avais assez de voir ramper plus facilement qu'une serpillière.

Il mord de nouveau ton poignet et tu le regardes, fasciné. Dans quoi tu t'es embarqué ? Tu lui appartiens, mais est-ce que ça suffira seulement ? Dans un monde où il rêve d'Hermes le soir plutôt que de toi ? Dans un monde où tu n'auras plus ta haine envers Atlas pour justifier tes manques, motiver tes actes ? Mais c'est trop tard. C'est trop tard alors tu ferais mieux de ne plus y penser. Il bascule sur toi pour t'embrasser, une main qui vient saisir son crâne pour appuyer le baise, par réflexe. Le liquide épais dans ton palais, du sang, ton sang. C'est désagréable, mais tu bois. La sensation étrange d'un breuvage que tu n'es pas censé boire. Tu déglutis douloureusement, porte ton poing sur tes lèvres, alors qu'il se relève, te toise, impérial. Plus juste un gosse qui joue au petit prince. Mais un roi. Un vrai.

— Tu prends vraiment beaucoup trop ton pied.

Tu ricanes, pose un genou à terre. Parodie du preux chevalier au service de son mec. Et tu ne peux pas t'empêcher de te demander. Est-ce que ça suffira ? Ça doit suffire. Tu n'as pas le choix. Tu le fixes ses iris rouges contre tes yeux ambrés. Mordu face au mordeur. Tu le fixes, approche tes lèvres de la bague sans le quitter tes yeux. Sa main que tu saisis comme la plus délicate des choses avant d'enfin embrasser le bijou. À ton doigt, tu sens apparaître sa jumelle. Le pacte est scellé, t'as plus besoin de jouer les chevaliers.

Provocation quand tu saisis son poignet pour le tirer vers toi. Tu le fais rejoindre le sol, l'emprisonnes dans tes bras. Une main suggestive qui descend au creux de ses reins, plaque son bassin contre le tien.

— T'as oublié de remplir ton devoir, proprio.

Tu lui désignes ton poignet, duquel goutte encore quelques gouttes de sang.

— Lèches.

Que ça cicatrise. Éclat dans le regard quand tu déclares.

— T'es censé prendre soin de moi, maître, tu comptes me laisser pourrir sur ton propre parquet ?

Il n'aura été roi que quelques instants. Mais tu aimes cette dynamique, tu aimes briser le mythe. Prendre l'empereur et le ramener un état de servitude si semblable à celui de l'esclave. Tu ploies le genou pour mieux le dominer ensuite. Et tu aimes cette lutte entre-vous. Elle te fait presque oublier Hermes, tu fais presque oublier l'éclat terrible des yeux d'Atlas. C'est toujours comme ça, de toute façon. Il a toujours été ta drogue, Ezra, il a toujours été le médicament dont tu te saoules pour ne pas vriller, pour ne plus trembler. Alors quand tu le tires vers toi c'est autant pour noyer tes peurs que pour n'exister qu'à travers lui. Graver sa présence dans ta chaire, ton acte de propriété dans la sienne. C'est encore plus vrai maintenant que brille à ton doigt la bague du Calice. Une lueur malsaine quand il se précipite sur la plaie. Immonde, quand tu lui tapotes le dos, comme on le fait à un bon toutou.

— C'est mieux.

Il te plaque, peut-être pour soulager sa fierté. T'as l'air de redevenir le genre de connard que tu pouvais être. En vrai, tu désespères de la sentir contre toi, désespères de passer la nuit dans ses bras. Sinon tu ne dormiras pas. C'est le genre de nuit où Atlas est là. Et tu bénis cette façon qu'Ezra a d'être si faible face à ses envies. Tu appuies ta main dans le bas de son dos, grogne.

— Alors ordonne, bébé, ordonne que je m'allonge sur autre chose que ton putain de parquet.

Tu le tortures avec les mots, mais quand il commande enfin, tu te redresses, passe des bras habiles autour de ses épaules et sous ses genoux pour le soulever de terre et l'emporter sur le lit. Tu le jettes sans la moindre délicatesse sur le matelas, l'enjambe, tes bras de part et d'autres de son visage.

— Bébé...

Regard flou, brillant, ton visage que tu penches pour l'embrasser avant que tes lèvres ne dérivent vers sa nuque.

— Tu ne vas penser qu'à moi ce soir, c'est compris ?

La main qui glisse lentement, de son torse jusqu'à son entrejambe. Aveux de faiblesse quand au creux de son cou tout souffle.

— J'ai besoin de toi, Ezra.

La première fois que tu lui dis.

Tu es tout à son cou, dévore de baisers cette partie du corps que lui prend plaisir à mordre. Et tu sais qu'on va encore te le reprocher, on te reproche toujours de le toucher, de le sentir, comme-ci tu n'en avais pas le droit, comme-ci il était trop sacré pour ça. C'est justement parce qu'il est sacré que tu l'aimes comme une idole, savoures chaque parcelle de sa peau, respires chacune de ses fragrances. Gorgés de fierté quand tes yeux captent la bague à ton doigt. Qui peut le toucher, maintenant, si ce n'est toi ? Et tu as besoin de lui, tu ne mens pas, Ezra essentiel, tellement que ça en est immonde, mais ça tu ne le dis jamais.

Je sais.

Tu t'en contenteras. Réponds avec tes mains plutôt qu'avec ta bouche. Ton souffle chaud au creux de sa nuque et tu le dévêtis, embrasses son torse qui se découvre, glisses tes mains à ses hanches. Comme quoi tu sais te faire doux, aussi.

Noah ?

Tu relèves les yeux, lueur noisette dans la nuit.

Fais-moi hurler.

Le regard qui se voile sous trois tonnes de passions, sous les impulsions amoureuses et lubriques. Sourire triomphant qui vient naître sur tes lèvres. Il provoque encore une guerre, le sait-il seulement ? Oh, tu penses qu'il le sait. Tu penses qu'ils s'en foutent. Les deux autres pourront bien vomir tous leur saoul, c'est lui qui a demandé. Et tu lui appartiens désormais.

— Je vais même faire plus que ça.

Tu le débarrasses de son pantalon, le débarrasses de tout ce qui te sépare de la vison magnifique de sa peau baignée par le clair de lune. Et tu entreprends, de faire tendre chacun de ses muscles sous le désir, de rendre hommage à chaque fibre de son corps sous le plaisir. Tu l'aimes tellement tendrement que c'est d'une violence inouïe. Et il est à toi, à toi, à toi, à toi. Ton maître. Ta chose. Rien qu'à toi. Tu l'aimes à le faire se tordre dans les draps. Tu l'aimes à coup de soupir tremblants et de gémissements obscènes. Tu l'aimes sa peau collée contre la tienne, ses cheveux trempés de sueur et vos lèvres qui se mêlent. Et tu le fais hurler, comme il l'ordonne. La folie aux couleurs de la passion qui dévore ton corps, sa peau que tu mords. Ezra. Ezra. Ezra. Ezra. Ezra. Ezra. Ezra. Ezra. Ezra. Ezra. Ezra. Ezra. Ezra. Ezra. Ezra. Ezra. Ezra. Ezra. Ezra. Ezra. Ezra. Ezra. Ezra. Ezra. Ezra. Ezra. Ezra. Ezra. Ezra. Ezra. Ezra. Ezra. Ezra. Ezra. Ezra. Ezra. Ezra. Ezra. Ezra. Ezra. Ezra. Ezra. Ezra. Ezra. Ezra. Ezra. Ezra. Ezra. Ezra. Ezra. Ezra. Ezra. Ezra. Ezra. Ezra. Ezra. Ezra. Ezra. Ezra. Ezra. Ezra. Ezra. Ezra. Ezra. Ezra. Ezra. Ezra. Ezra.

— Je t'aime.

Tu as laissé échapper ça entre des dizaines d'autres mots.

Tu te laisses tomber sur le lit, ta poitrine qui se soulève au rythme de ton souffle inconstant. Le sang bat les temps, le corps pulse encore le soulagement de ton extase. Il n'a rien dit. Quelque part, t'es presque heureux qu'il n'ait rien dit. Une main dans tes cheveux trempés, t'est décoiffé. Qu'est-ce qui t'as pris ? Balancer ça comme la première minette un peu trop emballée à l'idée de se faire soulever ? C'est quoi ton problème ? Tu l'observes du coin de l’œil, il fuit déjà. T'adores l'entendre prendre son pied, mais tu déplores son manque de tendresse après. Et il n'a rien dit. Pourtant, il t'observe.

— Attends-moi, bébé.

Tu te redresses sur ton coude, ton regard dérive vers tes draps tâchés de sang. Putain, y a pas une fois où vous réussissez à faire ça proprement. Mais tu aimes les salissures qui suivent votre passion. C'est trop particulier, trop vous, pour qu'il partage ça avec quelqu'un d'autre.

Ton regard brillant dans la nuit alors que tu te lèves, passe un doigt sur la morsure à ton épaule. Tu le toises, comme une monstrueuse œuvre d'art.

— T'as tâché mon lit.

Passe tes mains autour de son ventre, embrasse son cou.

— J'vais devoir dormir avec toi, dans ton lit, du coup. Parce que tu ne vas pas me laisser dormir dans un lit dégueu, hein ?

Murmure.

— Moi, ton calice.

Rire contre sa nuque alors tu lui prends la main, direction la salle de bain. L'eau que tu fais couler, sans attendre. Affreusement chaude, parce que tu ne jures que par ça. Son corps que tu pousses sous le pommeau de douche alors que déjà tu l'embrasses.

— Bébé...

Viens discrètement passer derrière lui et déposer du savon sur la fleur de douche que tu viens toi-même passé sur sa peau. Nettoyage à coup de caresse, de baiser dans le cou. T'es toujours affreusement collant dans ces moments. Peut-être même plus ce soir que tous les autres soirs. La fleur de douche que tu passes sur sa cuisse, remonte doucement contre son ventre.

— Bébé...

Soupire, comme une litanie.
Ton bébé.

Tu hausses les épaules, l'insolence qui déforme tes traits. Balance, comme un enfant qui a toujours réponse à tout, les mêmes insupportables qu'on rêve d'encastrer dans un mur sans en avoir le pouvoir.

— Moi j'ai toujours nettoyé.

Et tu l'entraînes dans la salle de bain, trop possessif, trop en demande de lui pour le laisser filer, regagner sa chambre, son lit et laisser la nuit passer. Tu l'observes du coin de l'œil dans la douche, guète la moindre réaction, le moindre signe de plaisir quand tu caresses sa peau avec la fleur de douche. Des fois, tu te demandes s'il ne se force pas. Des fois, tu te demandes s'il ne fait que céder à une pulsion imbécile qu'il regrette une fois la jouissance passée. Et ça te révolte, augmente ta jalousie, aussi. Tu ne peux pas t'empêcher de te dire que t'es là par défaut, que si c'était quelqu'un d'autre (Hermes), il ne serait pas autant de marbre. Et tu demandes ce que tu ne fais pas bien ? Qu'est-ce que t'as encore donné pour qu'il cède, pour qu'il se jette à tes bras, pour qu'il te dise... Qu'il te dise quoi ?

Je t'aime.

Fait chier. T'en as eu des dizaines, des je t'aime. De la part d'hommes et de femmes qui t'ont donné l'impression de mourir pour ne serait-ce qu'un seul de tes regards. Pourtant, ils font tous leur vie à présent. Ça ne veut rien dire, je t'aime. Ta mère a dû te le dire une fois et elle t'a bien laissé crevé dans ta cage. Ça ne veut rien dire. Tu te ramollis. Rien que des mensonges pour les cons.

Il t'attrape le poignet et tu sors de ta rêverie.

— Hein ?

Un peu imbécile, quand tu sens sa poigne, qu'il attrape la fleur de douche et te plaque avec une douceur qui te déstabilise et t'excite. Face contre le mur, t'a un sourire imbécile aux lèvres.

— Whoo... Bébé devient grand... Pas mal.

Tu frémis aux lèvres contre son épaule. C'est ça. C'est ça. C'est ça. Qu'il arrête d'être cette poupée de chiffon, qu'il existe, qu'il s'énerve, qu'il impose, qu'il vive, qu'il vive avec toi, putain. Tu tournes la tête, souffle.

— Approche-toi un peu.

Tu fais glisser ton bras en arrière, caresse sa cuisse pour l'encourager à te coller un peu plus, tu veux le sentir. Bouge ton bassin pour le toucher avec subtilité. C'est que tu aimes ça. Bien plus que tu ne l'aurais cru.

— Tu as dit que j'étais indispensable.

Tu colles ton front contre le mur.

— Dis-moi, en quoi je suis indispensable.

T'appuie plus fort sur sa cuisse. Un acte délibéré pour faire passer les vraies questions en un simple égarement d'excitation.

Tu sens de la colère, t'as l'impression de te voir. Tu ne peux pas, mais t'imagines volontiers le genre de regard qu'il peut avoir. Le même que toi, tu peux avoir quand tu veux prouver que t'es plus fort que lui, le même que t'as quand tu veux lui prouver que t'es mieux que ce qu'il pense. Souffle tremblant quand il prend les devants, la bouche ouverte, l'eau qui dégouline, étouffe un peu les râles témoins de votre plaisir. C'est bon. Bon de le voir s’emparer de toi comme tu t'empares de lui. T'aurais pu mal le prendre, une partie toi mal à l'aise avec ce que cette position peut sous-entendre dans ton esprit étriqué d'une montagne de cliché. Seulement, c'est lui. Et t'aimes, t'aimes à en crever ce que ça veut dire de lui.

— Ez..

Il inverse les rôles et tu l'acceptes. Accompagne sa danse, bon partenaire que tu es. Apprécie ses lèvres sur ta peau, apprécie chaque signe de son désir, du plus subtil au plus flagrant. T'aimerais le voir, Ezra d'habitude si tremblant. Tu t’appuies contre le mur d'une main, viens chercher sa peau de l'autre.

Indispensable. Sans toi je-

Interrompue pour étouffer son souffle contre ta peau avant de fuir. Tu restes là, souffle court quelques secondes. Tourne la tête, alors qu'il en est déjà à chercher de quoi laver les souillures.

— Ça te dégoûte tant que ça de coucher avec moi ?

Tu plisses les yeux, ton regard de fentes qui le juge en silence, fixe le savon, boule dans la gorge.

— Lâche ce savon, c'est vexant.

Tu détournes la tête, reste le front contre ce putain de mur avant de soupirer et de te redresser.

— Indispensable... Pourtant j'ai l'impression que chaque truc que tu fais avec moi tu le regrettes ensuite.

Tu t'approches, calmes, trop calme. Approche pour saisir le savon, mais te ravise au dernier moment.

— Sans moi tu quoi ?

Tu le regardes sérieusement, dans le fond du couloir t’entend minuit qui sonne. Tu te demandes ce qu'il te prend. Est-ce que c'est toute cette merde avec Atlas qui te prend aux tripes ? Ou est-ce que t'es trop parano pour ne pas te convaincre que chaque soupir fiévreux entre vous deux cache quelque chose de plus sombre et dégueu ?

— Sans moi tu quoi ?

Tu soupires, passe ta main derrière sa tête pour choper le pommeau de douche. Tu le passes sur tes cheveux, ton visage, savonnes avec la fleur de touche rapidement pour te rincer tout aussi rapidement. Puis tu lui refiles le pommeau entre les mains et passe un pied hors de la douche.

— .... Laisse tomber.