Je suis un dépanneur.
Je dépanne les gens dans le besoin. Quand on a un problème, on m’appelle, et je rapplique. Je ne coûte pas bien cher pour la qualité de mon travail. À ce jour, je n’ai eu aucune plainte.



Charles referma la portière du camion blindé d’un coup sec.

— Bon sang quel temps de merde !

Il secoua sa casquette pour la sécher puis l’enfonça avec entrain sur son crâne. La nuit avait été bouleversée par d’incessantes averses bombardant sans discernement toute âme sans abri. La dernière avait été particulièrement sévère, et les essuie-glaces travaillaient sans relâche. Malgré son ennemi du ciel, Charles avait tout de même réussi à sauver son trésor. De sa veste noire, il sortit un sac en papier et le tendit distraitement à sa compagne de route.

— Ils en avaient plus au jasmin. Désolé.

Pippa se saisit du sac et jeta un coup d’œil à son contenu. Un thé noir et un donut au chocolat. Elle laissa échapper un petit soupir en posant le sac dans le siège les séparant et secoua le levier de vitesse.

Il le savait, qu’elle n’aimait pas le thé noir. Elle froussait du nez à chaque fois qu’elle en portait un à ses lèvres, mais elle était si gentille qu’elle ne s’en plaignait jamais. Elle était gentille, Pippa, jolie, aussi, presque aussi jolie que discrète. Toujours si concentrée sur son travail quand elle conduisait, Pippa, ses petits yeux cachés sous sa casquette, ses longs cheveux noirs et son corps cachés par son uniforme. S’il n’était pas déjà pris, peut-être que Charles tenterait sa chance.

Le camion tourna à l’angle et s’engouffra dans une allée déserte. Charles appuya sur le bouton de communication de son walkie-talkie en jetant un œil au rétroviseur latéral moucheté de pluie.

— Le veau est en place, il chuchota dans la machine, je répète, le veau est en place.
— Arrête de dire ça, putain ! une voix lança avec un grésillement. On est derrière vous, c’est bon, avance.

Charles ricana et Pippa tourna le bouton sur le tableau de bord. Le camion trembla, elle tira le levier de vitesse, et le blindé se souleva dans les airs, désormais invisible à l’œil inattentif.

— C’est ok avec la pluie ? Charles demanda au walkie-talkie.
— C’est tranquille, la machine répondit, même avec la pluie, faudrait savoir qu’on est là pour nous voir.
— Bon voyage les gars.
— Ouais, ouais.
— Ils sont quand même sacrés ces trois-là, Charles souffla à Pippa. Tu les trouves pas insupportables ?

Pippa haussa les épaules sans un mot.

— Putain de sorciers, conspua-t-il en s’écrasant dans son siège. Et vas-y que je te donne des ordres, et vas-y que je saches tout mieux que toi... Tout ça parce qu’ils savent manier une putain de baguette. Eh, il ajouta jovialement en tapotant l’épaule de Pippa, toi et moi, on a pas besoin de magie hein ? On pourrait le gérer tout seul ce convoi, t’es pas d’accord ?

Elle fredonna une petite note qui n’engageait à rien et Charles se sentit incroyablement justifié dans sa pensée.

— De toute manière je vois pas pourquoi on aurait besoin d’un renfort de protection, on a jamais eu de problème tous les tro—

Le choc fut assourdissant.
Quelque chose venait de percuter le camion avec une force inouïe. Le véhicule vola à toute vitesse au travers de la nuit, tournoyant sur lui-même telle une centrifuge. Charles ne parvint même pas à hurler tant sa surprise était grande. Il y eut un deuxième choc, presque aussi violent que le premier, et le blindé se retrouva à l’arrêt.
Sauvé par sa ceinture, Charles se réveilla assez rapidement du court instant de noir qui l’avait embrassé. Il grogna en passant la main à son front. Du sang. Il se secoua la tête. L’acouphène était proche de l’insupportable, mais doucement, le sifflement se résorba.

— Pippa. Pippa !

Il secoua son épaule, elle laissa échapper un petit grognement. En vie. Il souffla de soulagement, et sursauta au son familier d’un sort propulsé d’une baguette au dehors. Il regarda au travers de la fenêtre. La pluie s’était arrêtée, le camion avait atterrit dans une rue quelque part dans les faubourgs, défonçant un poteau électrique au passage. Il ne vit rien d’autre que la lumière déconnante au dessus d’eux, le téléphone public sous le halo d’un néon, et les éclairs de baguettes dans la pénombre, plus loin.

— Merde, Pippa, laissa-t-il échapper sans quitter la fenêtre des yeux, on est pas dans la merde ! Faut qu’on sorte de là avant qu’on se fasse repérer par des moldus, ou par je sais pas qui derrière nous. Josh a son flingue mais je préfère pas—

Il se tut lorsque la pointe de la baguette se colla sous sa mâchoire. Il tourna les yeux pour découvrir, horrifié, à qui elle appartenait.

Pippa était méconnaissable. Elle claqua de la langue d’un air agacé.

— Un jour, dit-elle, il va falloir que tu te taises.



Je suis un réparateur.
Je répare les bêtises des autres. Des fois ça prend du temps, de la préparation, et de la patience. Mais je finis toujours par faire mon travail.



Bopha se craqua la nuque en sortant du camion. Elle laissa tomba sa casquette par terre et fit quelques mouvements pour s’étirer et se remettre du choc. Avec ses gants noirs, elle épousseta son uniforme, désormais tacheté de rouge. Il fallait vraiment qu’elle arrête d’utiliser confringo pour un oui pour un non, ça faisait toujours sale, bien trop sale.

Elle toqua un bon coup dans le métal du blindé, et un bruit sourd se fit entendre à l’intérieur. Elle se plaça devant la porte du camion, baguette à la main. Derrière elle résonnait les explosions d’un combat de sorciers dont, pour l’instant, elle n’avait pas à s’inquiéter. Deux coups sourds depuis l’intérieur, et elle toqua quatre fois contre la porte.

À peine Josh avait-il ouvert la porte, qu’elle agita sa baguette. Il y a peu de choses que le cracmol aurait pu faire pour contrer un sort comme le carpe retractum, mais s’accrocher désespérément à son pistolet alors que celui-ci était inexorablement attiré vers son agresseur était sans aucun doute la plus mauvaise des marches à suivre. Il vola en avant dans un petit cri, perdit l’arme des mains en plein vol, et ne put rien faire lorsque Bopha lui attrapa le visage et lui écrasa l’arrière du crâne contre la marche du camion.
Elle déchargea une cartouche dans son corps inerte pour le finir, et pour dissuader quelque moldu curieux de s’intéresser de trop près à son espace de travail. Ils appelleraient probablement la police. Mais quand elle arrivera, elle sera déjà loin.

Alors le combat entre deux sorciers faisait rage dans la rue, elle entra en scène. Le garde ne la vit que trop tard, et ne put que trébucher maladroitement lorsqu’elle lui fit un croche-patte des plus sommaire. Il s’écrasa contre le bitume et releva immédiatement le torse et la baguette pour se défendre. Sans empressement particulier, elle attrapa son poignet, stoppant net le sort prêt à sortir, et lui éclata le nez d’un direct du droit. Elle donna un coup sec sur la baguette et il la lâcha avec un grognement. Elle la brisa en deux sans aucun mal et le combat prit fin.

L’autre sorcier sorti des ombres. Dave Warren n’était encore qu’un gamin, à peine dix-huit ans, mais il venait de tenir tête à un garde sorcier bien entraîné. Il avait la graine pour devenir, sans aucun doute, un sorcier formidable.

Il la regarda avec de grands yeux, et hésita plusieurs fois avant de se permettre d'ouvrir la bouche.

— C’est vous Monsieur Finch ?
— L’autre ? lui demanda-t-elle en ignorant sa question.
— La tête écrasée contre le volant. Pour ça que je suis sorti et que j’ai... occupé l’autre. Ça a du pas mal vous aider j’imagine.

Le garde au sol grogna d'une voix rauque.

— Urgh… Vous allez pas vous en tirer comme ça…

Bopha acquiesça et prépara sa baguette.

— T’oseras pas, ricana-t-il. T’es déjà dans une merde noire… Si tu fais ça, tous les aurors seront à vos trousses.

Les lèvres de Bopha se courbèrent en un grand sourire.

— J’en doute.

Une brève lueur verte, et le garde n’était plus.


Elle rangea sa baguette dans son holster, l’air satisfait. Dave fixait le corps du garde sans vie. Il déglutit à répétition avant que Bopha ne claque trois fois des doigts devant lui, le son mouflé par le cuir de ses gants.

— Dave.
— Ouais, ouais, j’suis là Monsieur Finch. Désolé. C’est la première fois que je… enfin que je le vois de mes propres yeux.

Dave Warren, fils de James Warren, patriarche de la famille Warren. Les Warren étaient de très bons clients pour Bopha, et une excellente source de revenus. Toujours avaient-ils besoin d’elle pour créer ou faire disparaître des corps. Des corps, elle leur en avait procuré un sacré nombre, mais sûrement pas autant qu’ils ne s’en étaient procurés eux même. Dave Warren était encore jeune, il savait sans aucun doute ce qui se passait derrière les portes closes du business familial, mais s’y confronter était toujours une chose bien différente.
S'il voulait succéder au post de patriarche familial, il lui faudrait apprendre à vivre avec.

— Vous avez le carnet ?

Elle se tapota le torse, à la poche intérieure. Il lui sourit comme un enfant.

— Mon père sera très reconnaissant.
— Hm. Il l’est toujours.

Il sursauta quand le coup de feu partit.





Il ne sembla pas se rendre compte immédiatement de ce qui s’était passé. C’est seulement lorsqu’il passa la main sur son ventre, taché de rouge, et que son regard se porta sur le canon fumant dans les mains de Monsieur Finch qu’il comprit. À son honneur, il ne se débattit pas. Il avait lu assez de romans, vu assez de films pour savoir ce qu'il arrivait à ceux qui recevaient une balle dans l'intestin. À une telle blessure, il savait qu’il n’y avait aucune échappatoire.
Mais c’est tout de même avec terreur qu’il s’effondra lourdement au sol.



Je suis un courtier.
Parfois, les gens pensent que je leur appartient. C’est faux, bien sûr, je n’appartient à personne. Alors je dois leur rappeler, parfois, que je ne travaille pour personne d’autre que moi-même.



La nuit était terriblement calme désormais. Appuyée contre le boîtier du téléphone publique, Bopha attendait, le son régulier d'un combiné qui sonne à l'autre bout de la ligne dans son oreille. Et le son distinctif de quelqu’un qui décroche se fit entendre.

— Allô ? Ouais. C’est moi. C’est fait. Écoute, j’ai un problème. C’est le gamin. Il s’est fait flinguer. Oui, c’est lui. Je sais. Je sais. Non, c’était celui à l’intérieur du camion. J’étais occupée avec les gardes, il s’est pris du plomb dans le bide, le temps que j’arrive, c’était trop tard.

Elle jeta un coup d’œil au corps de l'enfant, quelques pas plus loin.

— Oui, je suis sûre. Bien sûr qu’il sera pas content, mais qu’est-ce que tu veux que je fasse ? Bon. Bon. J’en fais quoi, je le débarrasse ? Ouais, je m’en doutais. Ouais, je le dépose chez Ben avec le carnet. Ouais. Ouais, c’est ça. Salut.

Elle raccrocha le combiné, souffla, puis se mit au travail.

Lorsque les sirènes de la police anglaise arrivèrent, il ne demeurait de ce qui s’était passé qu’un lampadaire déconnant. De l’accident, du combat, de Bopha et de Dave, pas une seule trace ne restait.



Je suis un nettoyeur.
Je nettoie les bavures. Les gens m’appellent, veulent que quelque chose disparaisse, et juste comme ça, elles disparaissent. Juste comme ça.



Bopha entra dans l’un des nombreux garages qu’elle utilisait comme point de retraite. Elle posa le sac de course sur le comptoir, rattrapa la pomme qui s’en allait rouler plus loin, puis se saisit d’une corbeille en métal. Elle y jeta photos, souvenirs, lettres, documents administratifs. Elle ouvrit le passeport et sourit à la mention du nom « Pippa Darson. »

Elle craqua une allumette, observa la flamme consommer le bois, puis la laissa tomber dans la corbeille. Elle regarda, fascinée, alors que les flammes dévoraient le papier, disparaître l’existence inventée de Pippa Darson. Intégrer la compagnie et gagner la confiance des travailleurs suffisamment vite pour participer à ce convoi lui avait pris deux mois de travail. Deux mois de travail, à se faire passer pour une cracmol, deux mois à écouter Charles Lawson déblatérer ses conneries, deux mois à vivre une vie qui n’était pas la sienne.
Et en une vingtaine de seconde, cette vie se réduisit en cendres.

Elle se tourna vers un immense tableau de liège. Toute la famille Warren était là, par ordre hiérarchique et par lien familial et commercial. Toute la famille Warren, tous leurs affiliés, et toutes les autres familles de vermines qui habitaient le pays du Royaume Uni.
Elle prit le gros feutre rouge laissé à l’abandon depuis deux mois, et avec une jubilation orgasmique, fit une croix sur le portrait de Dave Warren.



Je suis un chirurgien.
J’effectue du travail de précision. Je soigne les maladies et j’extermine la vermine.

Et un jour, j’exterminerai la vermine de ce putain de pays.

A Tale of Two Souls: