Évidemment, il fallait qu'il soit là. La maison est vieille, pleine de bruit. Mais il y en a des particuliers qu'on reconnaît à la première écoute : et celui de la présence de Friday en fait parti. Tu fronces les sourcils, ton livre à la main. Si tu dois lui reconnaître une qualité, c'est bien celle d'être tenace. Tu passes une main lasse sur ton visage, tu aurais pensé que l'âge l'aurait béni d'un tant soit peu d'intelligence, mais force est de constater qu'il est toujours aussi sot, immature, enfantin. Tu te demandes avec mépris comment diable arrivait-il à se regarder dans la glace.

Tu traverses le couloir d'un pas lourd, pose ton livre sur le premier meuble venu pour te poster devant le bureau de ton père, il n'a même pas pris la peine de la fermer.

— Tu cherches quelque chose ?

Tu te cales contre l'encadrement de la porte, les bras croisés, la mine sévère. Ton regard passe sur le chaos qu'il a engendré. Les livres (des ouvrages de grandes valeurs) échoués sur le sol comme de vulgaires torchons, le portrait de ton père retourné face contre terre, un de ses vases préférés brisé un peu plus loin. Ta langue claque contre ton palais, tu lèves les yeux vers lui.

— N'as-tu donc rien de mieux à faire ?

S'il avait au moins la décence de se faire petit, mais non. Friday est un paon qui n'a que pour seule obsession de prouver son existence tout en clamant de la détester. Qu'il est puéril.

— Pour quelqu'un qui déteste notre maison, tu y passes beaucoup de temps. Range ce bazar avant que père ne rentre et fait nous le plaisir de disparaître ensuite. Il y a comme une odeur depuis que tu es là.

Je cherche ton père.

Ton. Le vôtre. Pour ton plus grand malheur. Ça ne t'empêche pas de rouler des yeux. Baron aurait dû l'abandonner sur le pas d'une porte quelconque plutôt que de te jeter dans les bras.

— Notre père n'est pas là.

Tu t'agaces déjà de son comportement. La tension monte d'un cran quand il arrache le rideau. Simple provocation. Tu connais son manège, il n'est pas là pour parler ou même profité des rares membres de votre fratrie que son existence ne dégoûte pas. Tu plisses les yeux face au bruit du verre qui s'éclate contre le sol. Tu dévoiles des trésors de patience pour ne pas, déjà, le soulever par le col. Dieu comme il te donne l'envie de modeler son visage insolent à coup-de-poing.

— Je ne me permettrais pas d'insulter la beauté de Rachel.

C'est plus fort que toi. C'est presque aussi jouissif qu'à chaque fois.

— C'est bien tout ce qu'elle avait pour elle.

Tu le fixes, attends presque le moment où il t’attaquera pour te donner une bonne raison de riposter. Tu n'auras le mauvais rôle que si tu frappes le premier.

Tu dois bien l'avouer, il y a du Stuart en lui. La façon dont il se tient, cette élégance naturelle, teintée d'insolence. Voir chaque point de ressemblance entre vous ne te donne que plus de matière à le haïr. Si sa mère avait eu la bonne grâce d'avortée à défaut de fermer les cuisses, la tienne serait encore là.

Tu te tiens droit, saisis son poignet quand il le pose sur ton épaule. Il a raison, le plus simple serait de le laisser passer sa crise, de tout nettoyer, comme à chaque fois. Il n'en vaut pas la peine, c'est ce que Tuesday te dirait. Mais tu es sur les nerfs, Monday. Et tu as l'horrible besoin de te faire de nouveau maître de quelque chose.

— J'ai à cœur de te sortir de ta médiocrité, mon frère.

Tu resserres ta prise, tournes délicatement la tête vers lui.

— N'abuse pas de ma patience Friday.

Tu le pousses de quelques pas dans la pièce. Il ne s'en tirera pas comme ça.

— Tu peux bomber le torse et jouer aux méchants aurors pour te donner un semblant d'existence autant que tu le souhaites. Mais sous ce toit, tu n'es que Vendredi.

Tu le prends de haut, ordonnes en croisant les bras.

— Nettoie.

L'insulte ne passe pas inaperçu. L'espace d'un instant, tu crains qu'il ne saches. Mais comment ? Comment pourrait-il savoir pour ce que tu as surpris dans cette même pièce, quand tu avais six ans ? Comment pourrait-il savoir que c'est toi qui es allé le rapporter ? Que c'est pour ça qu'Anne-Lise s'est enfuie et que Rachel est arrivée ? Non. Non, il bluff, forcément. Personne ne sait. Personne n'aurait pu savoir. Tu n'en a jamais parlé, à qui que ce soit.

Le souffle te manque, tes poumons peinent à se remplir sous la tension qu'il exerce. Tu ne le supportes pas, le plus impertinent, le plus terrible de vous sept. Tu lèves les yeux vers sa figure si ressemblante à la vôtre. Le même rictus, la même lueur compétitrice. Si ça ne te donnait pas envie de vomir, tu accepterais qu'il est probablement celui qui vous ressemble le plus, à Baron et à toi.

— Économise ta salive et nettoie ce bazar.

Par Merlin, s'il continue, tu ne réponds plus de rien. Il pointe sa baguette vers toi et, l'espace d'un instant, tu penses qu'il va t'attaquer. Une partie de toi n'attend que ça. Un sort, une agression. Pour que tu puisses définitivement le bannir de vos vies sans culpabiliser. Il t'aura attaqué, tu auras fait tout ton possible. Tu n'auras pas à rougir de l'échec qu'il représente, puisqu'on ne peut pas sauver ceux qui ne le veulent pas. Mais il la décale, la pointe vers le meuble et d'un sort, d'un seul, il le fait disparaître. Et ton sang ne fait qu'un tour.

— Sale petit cafard, tu vas trop loin !

Tu pénètres dans la pièce et le soulèves par le col.

— Quand vas-tu cesser de te comporter comme un sale gosse, hein ? Quand vas-tu cesser de te couvrir de honte ?!

Tu l'empoignes pour le jeter au sol, te jettes sur lui avec force.

— Tu n'es qu'un bouffon, un parasite. Tu te crois malin ? C'est pour compenser ton manque d'affection que tu viens nous provoquer encore et encore ? Réponds !

Tu as envie de te battre, de l'écraser, d'être fort rien qu'une fois, rien que cette fois. Tu en as assez d'être écrasé. Le poing que tu lui assènes en pleine figure est autant pour lui, que pour le mariage que ton père t'imposes, que pour Thursday qui brille devant Leslie, que pour la pression du Gala, que pour toutes ces personnes qui, là, maintenant, réveille l'envie de détruire sans la moindre vergogne.

— Tu m'exaspères, je te hais, Friday, je te hais ! Si tu n'existais pas, SI TA PUTE DE MÈRE N'EXISTAIT PAS ! Pourquoi ne veux-tu pas nous faire la grâce de tout simplement disparaître ? Pourquoi tu reviens alors que tu nous détestes ? J'en ai assez de vous et vos caprices, ASSEZ TU ENTENDS ?