La délivrance approche. Trois jours que tu fixes le plafond, trois jours que tu refuses de regarder ta jambe - ça te laissera une belle cicatrice, de ça tu es certain.

Les médicomages qui défilent te rabâchent que tu dois limiter ton usage de la magie - voire ne pas en faire du tout - le temps de reprendre des forces.
Alors tu as réclamé du papier et un stylo moldu et tu noircis des feuilles. Pour communiquer avec le monde d’abord mais aussi et surtout pour sortir tout ce qui hante ta tête.
Essayer de ressortir l’énorme fatras qui pullule sous ton crâne pour y voir un peu plus clair.
Pour l’instant, ça ne donne pas grand chose.
Dans le cahier moldu qu’un médicomage t’a apporté, tu ratures des pages entières pour produire un pauvre article. Tu regardes de loin la déferlante de messages sur les réseaux sociaux, la rage et l’envie de hurler qui ne sont jamais loin.

Mais tu dois te reposer alors que la société semble proche de basculer et que les actes de terrorisme récoltent de véritables soutiens.
Ça n’a pas suffit - et si tu as cru un seul instant que ça pourrait, tu es encore plus naïf et stupide que prévu.
Alors assis dans ce lit d’hôpital, le regard qui esquive ce que tu pourrais trouver sur le bas de ton corps, tu rumines.

Sambre est resté avec toi la première après-midi mais il a pu sortir rapidement - et tu n’aurais pas voulu qu’il reste plus longtemps pour toi.
Ton portoloin n’a évidemment pas marché - vu l’état dans lequel tu étais, ça n’a rien de surprenant.
Tu as tout de même fini ici et vu Sambre s’enfuir de ce lieu étouffant plus rapidement que toi.

Ton habituel silence, brisé par circonstances exceptionnelles, a refait surface dès que tu as pu à nouveau coucher tes mots par écrit. Ton arrivée à Sainte-Mangouste a été pour le moins chaotique, les médicomages croyaient que tu étais incapable de parler suite au choc.
Une fois les explications achevées, tu as retrouvé avec satisfaction ta communication habituelle.
Tu vas mieux, le médicomage qui est passé ce matin te l’a confirmé lorsqu’il t’a analysé pendant que tu enchainais quelques pas en boitillant, le regard toujours résolument fixé devant toi : tu sortiras en début d'après-midi.
En attendant, tu griffonnes des sketches pour NMS entre deux brouillons d’articles ratés.

Les mots te fuient comme ils ne l’ont jamais fait auparavant et tu n’as pas besoin de ça ; dans toutes les certitudes qui s’effondrent, tu aurais besoin de ton pilier pour rester à tes côtés.
Amy t’a appelé encore tout à l'heure en visio, tes parents derrière. Parler dans un lieu magique t’a laissé un goût de bile, tu étais sur le qui-vive, sans cesse inquiet que n’importe qui pénètre dans la chambre alors que tu parlais.

La porte s'ouvre, t'extraies de la spirale de tes pensées. Attendant un infirmier quelconque, tu te redresses totalement lorsque Sambre apparait dans l'entre-baillure.
Vous n'avez pas reparlé depuis le festival, il est rapidement parti et vous n'avez pas eu de véritable discussion depuis ; tu redoutais un peu à vrai dire car tu ne pourras plus éluder à présent. Tu es aussi content que nerveux qu'il soit là - tu ne t'attendais pas à sa visite.
Sans parvenir à sourire correctement (une sorte de trait tremblotant le remplace), tu offres une salutation maladroite de ta main qui agrippe encore ton stylo.

La baguette échouée sur la table à roulettes que tu as laissée dériver loin de toi, tu griffonnes ta réponse. Le dialogue te rappelle des souvenirs de Poudlard, le genre que tu aurais rêvé d’oublier à tout jamais.
Le silence de retour alors que tu l’avais brisé, tu as l’impression de placer un immense mur entre vous. Pourtant, la barrière est de retour, bien en place. D’un geste, tu invites Sambre à s’approcher - pour t’éviter de lever ton cahier à bout de bras à chaque phrase.

La main un peu trop crispée sur le stylo tu écris à la va vite - trop habitué à l’instantéité de la magie :
Salut ! Je dois limiter la magie au maximum pour l’instant, alors je suis de retour aux bonnes vieilles méthodes.
Tes épaules agitées d’un mouvement pourraient faire croire que tu ris silencieusement. En réalité, tu te bats contre les réminiscences qui te reviennent par rafales.

Ça me touche que tu viennes me voir, écris-tu sur la ligne du dessous.
Et c’est vraiment le cas. A vrai dire, après ton “coup d’éclat”, tu pensais faire fuir Sambre. Une partie de toi se persuadait déjà que c’était bel et bien le cas. Qu’il vienne te voir alors… ça te rassure, même si tu ne l’admettras pas à voix haute.

Je ne vais pas pouvoir courir demain mais j’arrive à me déplacer, c’est un progrès, réponds-tu. Tu as annulé tes rendez-vous professionnels moldus pour le reste du mois et du côté magique, tu vas ralentir la cadence. Pas par choix, plutôt parce qu’Amy t’a forcé à te rendre à l’évidence.
Le dragon débile t’arrache un rire rauque - mais sincère.
Débile, vraiment ? J’aurais plutôt dit dangereux ou déchaîné.
Misant sur l’humour pour cacher le reste - tu n’avais pas besoin d’être protéger (ou du moins tu ne l’admettras jamais). C’est arrivé, c’est ainsi. En fait, tu es soulagé que Sambre n’ait rien physiquement.
Tu te doutes que psychologiquement, il gardera des séquelles mais là encore, tu es impuissant.

Je n’ai pas compris grand chose non plus.
Tu as eu cette pulsion stupide et puis un grattement dans ta tête, un grattement qui te hante. En bon Serdaigle, tu as commencé des recherches - ça t’occupait l’esprit. Ce que tu as trouvé ne te plaît pas, mais alors pas du tout. Ta tête c’est ton sanctuaire - et tu vas devoir trouver un moyen de le protéger, rapidement.

Les non-dits s’accumulent entre vous. Toujours plus, ils forment à présent un beau monticule et tu crains de perdre Sambre définitivement si tu ne mets pas enfin les choses au clair.
Enfin, au moins en partie.

On a jamais trop parlé politique, la lenteur de tes mots t’agace. C’est quelque chose que je garde beaucoup pour moi.
Pas que tu aies honte de penser ce que tu penses - quoique à ce stade ça soit plutôt des certitudes que des simples pensées -, plutôt que tu as peur de ce que ça pourrait créer chez ton interlocuteur.
Peur que tu sois “trop” radical, “trop” engagé.
Peur que les gens se rendent compte que malgré ton statut de “muet”, tu parles beaucoup.
En te redressant, ta gêne te parait transparaître de tout ton corps, ton poignet te tiraille d’écrire à ce rythme :
Je pense que tu as vu ce qu’il en était.

Les non-dits que tu perçois te touchent. Merci. Je sors tout à l’heure, tu seras plus obligé de venir à l’hôpital pour me voir
Mais tu espères qu’il viendra te voir quand même (la graine de doute germe depuis le festival)

Complètement con… ou être un terroriste de la trempe du volatile.
Un sourire malgré toi. Pauvre bête, oui c’est une façon de voir les choses. Une bête mortelle mais probablement contrainte, qui a peut-être souffert autant que vous.

Rapides les pensées
Lents les mots
Le discours est déjà loin et tu ne peux plus le rattraper, il court et monte en tête.

Sambre s’échauffe et ton poignet ne suit plus.
Relâche le cahier qui tombe par terre, la gorge gratte (de toute façon, le mal a déjà été fait) :
— Je ne voulais pas parler politique.

Les mots s’écrasent comme de la purée, prenant sur toi, tu t’efforces de ralentir (ce qui te donne un débit ridiculement lent mais c’est le seul moyen), digérant difficilement chaque syllabe pour la recracher ensuite :
— C’était… une tentative d’excuses pas très claire. Je ne cherchais pas en parler maintenant.

Son regard passe de ton carnet désormais bien inutile à ton visage. Difficile de ne pas t’imaginer qu’il t’accuse et te reproche toutes sortes de choses.
Il aurait raison, murmure ta conscience.

Tout ce que tu as enterré te ressurgit au visage, comme un objet rempli d’air qu’on force à aller au fond de l’eau et qui remonte à toute vitesse à la moindre ouverture.

— On en parlera si tu veux, tu concèdes.
Prêt à tout pour que ça ne signe pas la fin de votre amitié,
Prêt à tout remettre en question, à tout avouer pour colmater la brèche.

Tu te découvres effrayé par l’abandon Marian et tu serais prêt à tout pour t’en protéger.

Laisse tomber, te dit-il. Mais il te perd.
Sambre se plaint une seconde que tu ne lui ai rien dit puis la seconde d’après t’assure que tu n’as rien à dire.
Faire l’autruche, tu sais faire. La girouette, c’est vite pénible.

— Y a cinq secondes tu voulais, tu observes.
Pas vraiment de méchanceté dans la voix un simple constat.
— Et je m’excuse parce que je t’ai fait peur au festival.
Tu t’es toi même fait peur, aussi.

— On ne va pas s’en sortir à tourner autour du pot, rétorques-tu, un peu revêche cette fois-ci.

Sambre récupère le carnet, te le rend mais tu le dédaignes. Pas pour le blesser lui, plutôt pour la raison originelle. Ecrire, ça va bien cinq minutes.
La voix… eh bien Sambre n’a pas l’air d’y faire attention, en fait.
Probablement qu’avec un autre, l’idée de parler ne t’aurait même pas effleuré.
Mais tu as pris un jet de feu pour lui ; ça n’est plus vraiment “n’importe qui” (même avant).

— Moi aussi, réponds-tu à sa confession. Signe de ton trouble, les mots perdent à nouveau leur clarté.
Sourire sans joie qui s’offre à Sambre lorsqu’il revient sur ton coup d’éclat.

— Ce n’était pas ma meilleure idée, admets-tu (alors que pourtant, si tu devais le refaire tu le referais, sans doute encore plus spontanément).
Mais Sambre referme la porte qu’il a lui même ouverte.
Vous ramenant à tourner autour du pot. Encore.

Alors que pourtant enfin tu envisageais peut-être…
Enfin, tant pis. N’y penses plus Marian.  

— Merci, dis-tu, sincère.
Sa proposition recouvre peut-être des substances peu légales mais pour le moment tu t’en fiches.

— J’ai hâte de sortir, et tu acceptes de laisser les sujets sensibles que pourtant tu brûles d’aborder de côté. Je n’aime pas l’hôpital.
En même temps, qui aimerait ça ? Rester sur un lit, sans rien faire, juste les pensées qui te hantent… Pas vraiment vendeur.

— Quelles nouvelles de l’extérieur ? interroges-tu en souriant. N’importe quoi ferait l’affaire, un potin débile, une nouvelle sans importance… Une demi-perche pour revenir sur ce que vous avez vécu, sur les conséquences ou bien pour simplement quitter ce sujet de conversation.
Avide d’en parler et pourtant prévenant. Tu brûles de t’imposer Marian et pourtant, tu t’aplatis comme un paillasson, ignorant tes peines (et cette stupide peur de l’abandon qui revient).

Son regard t’évite comme si tu étais pestiféré ; mais la douceur te colle à la peau malgré tes efforts pour t’en dépêtrer Marian alors tu pardonnes. En fait, tu ne songes même pas à lui en vouloir ; après tout c’est vrai que tu as été en colère ; c’est vrai que tu as agi comme un imbécile.
Ou un militant idéaliste, selon les points de vue.

Mais effrayé par le rejet, tu te lisses sagement,
Effrayé par l’abandon, tu délaisses ce que tu penses tant que tu y parviens, scelles encore tes sentiments sans réaliser que tu as déjà tenté avant de le faire et que la tentative a engendré Silence.
Pas que Silence soit monstrueux, Silence est, tout simplement.
Mais un seul Silence suffit, nul besoin de rajouter un second corps aux non-dits que tu t’infliges.


Le regard de Sambre se repose enfin sur toi lorsque tu parles de l’hôpital, pauvre sourire lorsqu’il t’avoue avoir été sûr de rôtir.
Tu as agi comme un idiot là bas, peut-être l’as tu sauvé mais tu es soulagé qu’il n’émette même pas cette hypothèse. Tu es incapable d’analyser correctement la scène qui pourtant peuple tes rêves, tant la panique de l’instant dilue tous tes souvenirs.


Dans les milieux qu’il fréquente.
Amertume qui revient et que tu tentes de cacher avant, de verrouiller sous différentes couches de protection. C’est moche l’amertume.
— J’ai quitté la Gazette parce que là bas aussi, ils ne parlaient pas de ça, tu restes malgré tout coupant, Marian. C’est plus fort que toi - ne t’en veux pas, laisse donc sortir s’il te plait. Ne te détruis pas davantage en retardant ce qui finira toujours par arriver. Tu exploseras, au final. Si Sambre est ton ami, il pourra te comprendre, au moins essayer, au moins tolérer.
Et même si tu ne veux pas qu’on te tolère, que tu veux plus, tu ne pourras peut-être pas avoir ce que tu désires tant.
Et être toléré c’est toujours mieux qu’être rejeté.


Pas envie de savoir. Les œillères qu’on t’a arrachés lorsque ta soeur a été victime des ces injustices répétées te lancent bien trop. Tu n’as plus le luxe de “fermer les yeux”. Ce que toi tu avais subi avant n’a jamais été important ; tu n’as jamais été important.
Mais Amy, c’était crucial tout à coup.
Et depuis, tu ne peux plus fermer les yeux, condamné à regarder le monde partir en cendres et à simplement t’accrocher aux lambeaux qui demeureront, à mettre ton âme pour arrêter le brasier destructeur ; pour rendre meilleur ce qui n’est pas encore pourri ; pour empêcher la nécrose de se répandre.
Mais bien trop souvent, tu as l’impression de te battre avec un sceau percé pour écoper l’océan entier.


La fille dont tu n’as que des bribes de connaissances remonte à la surface ; tu as des théories, des choses que tu penses, des choses que tu tais.
— Je crois, oui.

Clairement louche comme réponse ; mais que dire d’autre ?
Pourtant tu consens - conscient que c’est vital - à en dire plus.
Et tant pis si tu arraches les œillères de Sambre - elles ont l’air si solidement fixées que tu doutes d’y parvenir même en usant de toute ta conviction.
— Ce que je pensais n’était pas bienvenu à la Gazette, reprends-tu. Mais d’autres endroits étaient plus intéressés.

Tu en dis trop et pas assez ; mais ménager le suspense n’est pas ta tasse de thé ; soit tu tais soit tu dévoiles. Et là ton camp est déjà choisi :
— Militer pour ce que je crois m’était impossible à visage découvert.
Pas parce que tu n'aurai pas été entendu (ou si peu) mais parce que tu avais peur. Parce que tu n'avais pas de position de repli si ça tournait mal et que ton courage heurtait ses limites bien rapidement.

Mots se brouillent, comme s’ils voulaient que tu te taises avant d’en dire trop. Avant que ça ne soit trop tard.
Comme si ça n’était pas déjà trop tard.

Tu rattrapes le carnet, écris le plus vite que tu puisses car ta diction ne te suit plus : Ma petite soeur a été à Poudlard ; certains élèves refusaient qu’elle y soit pour des raisons tellement injustes et stupides. J’ai trouvé ça horrible ; et puis le règlement de Poudlard a changé et elle n’a plus pu aller là bas. Inutile pour toi de préciser qu’elle est moldue ; seule demeure l’injustice. J’ai voulu en parler, utiliser l’art pour dénoncer ; mais la Gazette m’a gentiment dit que ça n’était pas l’endroit. Alors je me suis tu. Et puis j’ai fini par publier un comic en ligne où je livrais son témoignage sous anonymat. Et puis après c’était trop, je pouvais plus fermer les yeux. Alors j’en ai fait d’autres. Et j’ai posté ça sur Witcha, j’ai eu pleins de retours, pleins de partages, ça a vraiment commencé à marcher. Et quand la Gazette m’a viré, j’ai reçu une proposition d’emploi ailleurs, bien mieux payé.

Main qui brûle, le stylo tombe seul ; tu n’as rien dit et pourtant tu as tout dit. Mais d’une voix terriblement pâteuse, tu achèves enfin : —  Je crois que cette fille, c’était ma patronne.