Il aura fallu du temps pour le retrouver, plus encore pour le convaincre, mais voilà qu’il te colle au train. À force d’insister, tu as eu raison de sa méfiance. Il faut dire que la proposition est insolite, surtout pour une femme de ton statut et ta carrure. Toujours se méfier de l’eau qui dort.

Car sous cet ample costume que tu portes au travail, se cache une carrure qui ne craint pas les coups. Sous ce masque d’impassibilité que porte ton visage se cachent des émotions qui peuvent exploser à tout moment. Une guerrière assagie, certes, mais surtout aguerrie.

Lorsque tu sens que tout déborde, tu as ta manière pour libérer ce stress qui s’accumule en toi. Tu as pensé que c’est exactement ce dont il a besoin, celui qui t’accompagne. Le blond te suit, les questions doivent envahir son esprit, mais pour une raison que tu ignores, il ne les pose pas.

Il attend peut-être le bon moment. Vous vous retrouvez à l’entrée d’une sorte d’entrepôt, à l’écart de la civilisation, plusieurs vigiles montent la garde et filtrent les allées et venues des spectateurs. Tu fais signe à ton compagnon du soir de presser le pas alors que vous contournez le bâtiment. Loin de la foule, à l’arrière se trouvent deux autres gardes, surveillant une entrée : celle des artistes.

Avant de pénétrer dans l’enceinte du bâtiment, tu t’appuies contre un mur, sors une cigarette pour l’allumer, tes obsidiennes venant scruter le polonais.

─ C’est l’un des meilleurs endroits de la ville pour se défouler. Mais ici, il n’y a pas de sorciers, ou très peu. Dissimule ta baguette, car ils vont très certainement te fouiller.

Mais pas toi. Évidemment.

─ Alors ? On se défile ? Tu avais plus d’entrain au gala. Ah mais oui, j’oubliais. C’était pour… pour quoi déjà ? Je me souviens plus… Ah ! Si ! « Défendre l’honneur de la science » j’ai bon ?

Le rire mesquin aux lèvres. On dirait presque une autre personne tellement tu es différente, tellement l’attitude est à l’opposée de celle que tu montres au ministère.

─ T’es même pas capable de te défendre toi-même. Je vais te montrer comment on fait.

On est loin de la petite nipponne rachitique qui garde ses avis pour elle. Loin de la brunette maigrelette qui cherche à ne vexer personne ; respectueuse et réservée. On est bien loin de cette mascarade.

Ce que tu aimes avec lui, c’est que malgré sa silhouette frêle et fragile ainsi que ses airs de midinette, il a du répondant. Dans ton pays, la notion de respect est si importante qu’elle empêche parfois la moindre joute verbale. Dans la diplomatie, c’est essentiel.

Dans la vie de tous les jours, ça a ses limites. Tu as été forcé de réprimer tes émotions, ta souffrance, ravaler les mots coincés dans ta gorge. Plus maintenant… et certainement pas dans ce contexte. Le blondinet réplique, toi aussi :

─ « Excellence ? » un haussement de sourcils, tu fais quelques pas vers lui et tu l’éduques : Quitte à t’oser à des familiarités comme celles-ci, « princesse » m’irait mieux non ? Et ça tombe bien, c’est ainsi qu’on écrit mon prénom dans ma langue natale.

Ce qui, il faut l’admettre, est d’une ironie risible. Tu n’as rien d’une belle princesse, Himeka. Oh certes, tu es loin d’être repoussante, mais la question n’est pas là. Tu. N’as. Aucune. Manière. De. Princesse.

─ D’autant qu’avec ta veste, tu ressembles bien plus à un trafiquant d’organes que moi, c’est le comble.

Comme suggéré précédemment par le blond : tu finis ta clope, l’écrases au sol et te diriges vers les deux vigiles. L’un te dévisage, l’autre te reconnait et t’apostrophe :

─ T’es de retour, le sac d’os ?
─ J’aime bien l’ambiance ici.
─ De nouveau sur le ring j’ai entendu. Les parieurs vont être ravis.
─ Tant pis pour eux s’ils ne savent pas reconnaître le talent.
─ M’ouais… j’ai parié sur toi sac d’os, ne me déçois pas.
─ Ça n’arrivera pas.
─ Et la barbie qui te colle, elle est avec toi ?
Tu pouffes de rire, puis tu reprends :
─ Non, jamais vu. Je plaisante, il est avec moi, pour le moment en tout cas.

L’homme sourit, acquiesce et vous laisse passer. L’endroit est noir de monde, on y voit le ring illuminé de lumières bleues et rouges. La plèbe au sol, les privilégiés au premier étage, il y a même quelques loges.

Tu connais ton chemin : vers les vestiaires. Tu attrapes Iskander par le bras, l’intimant de te suivre. Et une fois à l’écart, au calme, tu poses ton sac en bandoulière sur l’un des bancs, un œil sur le casier qu’on t’a donné depuis tes premières victoires.

─ Au Japon, on a un dicton : « le clou qui dépasse appelle le marteau ». Plus qu’un dicton, c’est presque un avertissement. Ne pas se faire remarquer, se fondre dans la masse. Tu soupires, ta frustration est presque palpable. Iskander ? Tu sais ce que veut dire mon nom de famille ?

Le silence, le temps de lui laisser répondre, pendant que tu commences à ôter tes vêtements.

D’abord les railleries, ensuite la galanterie ; il se retourne, te laissant le champ libre pour te changer. Le temps d’enfiler ta brassière et ton short, puis le bandage sur chacun de tes membres. Cette préparation est un rituel qui t’apaise et fait doucement monter la tension.

Une fois fin prête, tu tapes sur l’épaule du blondinet, ta baguette à la main.

─ Je vais te donner un petit cours accéléré alors. Regarde.

Assise à côté de lui, tu dessines les caractères de ton prénom ainsi que ton nom de famille dans les airs, dans un tracé rouge vif qui plane sans disparaître. Tu désignes de ton autre main ton prénom :

─ Ce caractère : « Hime » ; on l’interprète comme celui de la princesse, mais il s’écrit de plusieurs façons. Ce caractère-là : « Ka » ; évoque la beauté, mais en l’écrivant différemment il peut évoquer l’élégance ou la grâce et plus encore. Littéralement, mon prénom signifie « belle princesse ».

Et ça te fait rire. Ensuite tu désignes ton nom de famille :

─ C’est là que ça devient intéressant. « Senjōgahara » évoque le champ de bataille, comme si chaque personne de notre famille est destinée à lutter perpétuellement, à ne jamais se sentir en sécurité peu importe où l’on va.

Tu soupires, fais disparaitre les caractères d’un mouvement de main tout en rangeant ta baguette dans ton sac. Un coup d’œil sur l’écran dans les vestiaires, suspendu dans un coin de la pièce, un combat est déjà en cours, ton tour viendra bien assez tôt.

─ Tu ne trouves pas ça paradoxal ? Je veux dire… une princesse n’a normalement rien à faire dans un affrontement. J’ai trouvé ça étrange pendant longtemps, avant de comprendre ce que ça voulait dire.

Tu n’as jamais été traitée en tant que telle. Jamais. Aujourd’hui encore tu perds ton temps à maudire tes géniteurs, donnant une importance considérable à ce qui devrait être ignoré. Ton passé ancré si profondément en toi que les marques resteront indélébiles malgré tous tes efforts pour t’en débarrasser.

Et pourtant, ce n’est pas une excuse pour abandonner. Ce n’est pas ton genre.

Il soulève un point auquel tu acquiesces silencieusement ; en effet les vicissitudes de la vie n’épargnent personne ; il n’y a pas de destin à l’ouvrage. Tes parents ont essayé tant bien que mal de te persuader du contraire, t’élevant comme celle qui devait leur succéder.

Obtenir le pouvoir n’est qu’une étape, pour le conserver, il faut le transmettre à la bonne personne. Tes parents voyaient en toi l’héritière parfaite, capable d’assimiler leurs idéaux pour qu’ils dirigent la moindre seconde de ton existence.

De même que leur haine pour tout ce qui est étranger, toutes ces valeurs transmises restent ancrées en toi ; marquées dans la chair, martelées dans ton cerveau, corrompant ton cœur.

Jusqu’à ce que tu décides d’y mettre un terme. Que tu décides de tracer ta propre voie ; cela en comprenant quelque chose qui t’échappait jusqu’à présent.

─ Mon père se voit comme un roi, comme un empereur. S’il voyait en moi sa princesse, son héritière, c’était pour me destiner à conserver un pouvoir qu’il aurait conquis. Mes parents m’ont fait miroiter que j’étais… spéciale.

Tu soupires, tes obsidiennes venant de nouveau fixer l’écran, constatant que l’affrontement en cours arrive à son terme.

─ Hors de question de transmettre le pouvoir à une faiblarde. Alors ils ont tout fait pour m’endurcir… tout ce qui ne tuait pas me rendant plus forte.

Une violence qui n’est pas seulement dans tes gênes ; mais aussi dans ta peau, ton esprit et ton cœur. Tu ne peux pas y échapper, pas plus que tu n’en as envie. Alors lorsque tu sens qu’il est plus possible de la canaliser, tu ne connais qu’un moyen pour l’extérioriser, presque comme un exorcisme.

─ Je ne me vois pas plus spéciale qu’un autre maintenant. J’ai fait ma paix avec le fait d’être unique à ma propre manière et pas celle qu’ils avaient décidée pour moi.

Pourtant il reste tant de travail à faire, pour t’assumer totalement. Tu le sais, mais tu ne te sens pas prête pour autant. Néanmoins, quand on frappe à la porte du vestiaire pour t’annoncer que c’est ton tour, tu n’as jamais été aussi prête.

La tension qui monte, prête à atteindre son apothéose.

─ C’est à moi. Tiens, prends ça… dis-tu lui en tendant une carte qui ressemblait à une sorte de passe VIP. Tu pourras regarder d’en haut c’est plus agréable.

Un maigre sourire, une nouvelle tape sur son épaule et tu reprends :

─ Je te demanderai bien de me souhaiter bonne chance, mais… une lueur nouvelle apparait dans tes yeux, plus que de la malice, c’est une confiance exorbitante. Je n’en ai pas besoin.

Il attend de toi un spectacle, tu ne comptes pas le décevoir. Tu perds toutefois ton sourire à l’instant où il quitte les vestiaires ; la concentration prend le pas sur tout le reste, même l’adrénaline. Et comme à chaque fois que tu retournes dans l’arène, tes pensées vont vers eux.

Ta famille et celui que tu as appelé « sensei » pendant des années. Tu aurais pu lui en vouloir d’avoir été intransigeant avec toi ; sans pitié. Mais non. Tu l’as toujours considéré comme un allié, peu importe le nombre de fois où il t’a brisé. Il ne faisait qu’obéir aux ordres, comme un parfait petit soldat.

Paradoxalement c’est auprès de lui que tu as le plus appris. Les apprentissages d’arts martiaux n’étaient que la partie émergée de l’iceberg. Il t’a aussi procuré tout le reste ; comment canaliser ta violence et l’extérioriser de la meilleure des façons. Il n’était pas dupe, il savait déjà à l’époque que tu étais un volcan pouvant exploser à tout moment.

Alors plutôt que d’empêcher l’inéluctable, il t’a aidé à réduire les dommages collatéraux. Quitte à cogner, autant le faire là où tout le monde s’y attendra, là où il n’y aura pas de conséquences. Tu as commencé à Tokyo, puis tu as continué à Londres.

Pas de baguette, pas de magie, pas de sorcier.
Juste tes poings, tes pieds, ta tête et ton cœur.

Tu n’as jamais pu envisager quelque chose d’autre, tu ne sais même pas si tu en es capable. Tu sais simplement que si tu reviens, c’est qu’il y a une raison. Ce n’est plus une question de responsabilité envers ton prochain, pour ne pas exploser au pire des moments.

Tu reviens parce que tu aimes ça, point.
Tu marches vers le ring, tu grimpes dessus.

Il y a des acclamations, des huées, tu te nourris des deux. Un regard averti vers ton adversaire du soir, tu constates. Son gabarit : plus grand, plus musclé que toi. Aussi rapide ? L’avenir le dira. Tu remarques la cicatrice sur son visage que la lumière éclaire ; il ne voit que d’un œil ? Tu n’éprouves pas un semblant de pitié pour lui, tu ne penses qu’à adapter ta stratégie en conséquence.

Vous vous rapprochez, tu t’inclines respectueusement comme à chaque fois. Tu lui glisses néanmoins ces quelques mots, qu’il comprenne tout de suite à qui il se frotte.

─ Je ne retiendrais pas mes coups.

Quelques pas de reculs, tu te mets en position. Le sourire revient.
La violence ne suffit pas, il faut aussi la victoire.
Lutter ne suffit pas, il faut l’emporter.
C’est le destin d’une Senjōgahara.

Il est des leçons qui restent ancrées. Parfois elles marquent les esprits, la chair. Les tiennes se targuent de faire les deux. Toi qui es restée la soldate de ton père, destinée à le succéder quand le moment sera venu. Pour diriger, il faut d’abord apprendre à obéir.

Ce que tu as fait, pendant un temps ; guidé par une loyauté presque aveugle envers lui, ainsi que l’effroi de décevoir tes parents. Tu tires de nombreuses leçons du temps passé avec eux, aussi bien qu’avec celui qui t’a appris à te défendre.

Pourtant ses plus grands enseignements n’ont pas renforcé ton corps, mais ton cœur ; ta volonté d’enfin te rebeller, lorsque tu en as eu assez. Depuis, tu n’encaisses plus les coups, tu les délivres.

Mais l’adversaire d’aujourd’hui est bien plus coriace que tu n’aurais pu l’anticiper. Tu t’en doutais, oui, mais il dépasse tes attentes et te met dans la difficulté.

Tu mords le tapis après une belle riposte.
Chercher son angle mort aura été un piège dans lequel tu es tombé.
Comme une novice.

Sonnée, mais encore consciente, encore d’attaque. Tu as dix secondes pour te relever, montrer que tu peux continuer. Tu profites de ce temps, non pas pour souffler ni te motiver, mais pour te rappeler d’une leçon en particulier, les mots du maître :

« Ta progression ne sera jamais linéaire, Himeka. Un jour tu penseras atteindre tes limites, l’autre tu les dépasseras. N’aie pas peur d’être ambitieuse, n’aie pas peur d’être avide. »

De nouveau debout, comme si quelque chose vient d’être déclenché chez toi, tu te murmures cette simple idée, comme pour l’imprimer sur ta rétine, ta langue natale au bout des lèvres :

─ Je lâche l’affaire. Je ne suis pas faite pour ça.

Pas faite pour garder le contrôle en permanence, pas faite pour encaisser sans jamais riposter. Pas faite pour laisser la raison l’emporter sur l’instinct. Violence et contrôle ne font pas bon ménage, autant l’abandonner.

Tu as toujours eu peur de cette version de toi, incapable d’imaginer qu’elle serait peut-être meilleure que le reste. Mais pour cette fois, tu envisages, tu te projettes dans un avenir dans lequel tu es libre. De donner tout ce que tu as, de lâcher complètement prise.

Peu importe la forme que ça prendra, peu importe les conséquences que ça engendrera. Je vais l’envisager, me projeter dans un avenir où je me serais dépassée. On ne vit qu’une fois, autant en profiter !

Avec tes bonnes bases, ton instinct et ton imagination, il suffit de cette étincelle pour te transformer.

Debout, les bras le long du corps, un sourire déjanté qui déforme ton visage gorgé de carmin, tu fais quelques pas vers l’ennemi à abattre et tu hurles ces mots dont seuls ceux qui connaissent la langue de ton pays peuvent comprendre :

─ Je vais te buter !

Ça ne vient pas du cerveau, mais des tripes. L’adrénaline secrétée dans un mélange explosif entre excitation et terreur de la défaite. Et ça change absolument tout. Il n’est plus question de stratégie, mais d’inventivité, d’instinct, de volonté.

Et la tienne surpasse celle de l’autre à cet instant. Plus rapide, plus agile, plus déterminée. Cette folie le surprend, le prend à défaut. Les coups fusent à une vitesse qui te surprend toi-même ; tu dépasses tes limites pour la première fois de ton existence.

Ce bonheur que tu ressens, il est unique.
La violence est un langage universel.
Mais personne ne le parle comme toi.
Personne ne le parle aussi bien.
Il est enfin temps pour toi de l’assumer.

C’est une chose rare, de voir un inconnu parler le même langage que toi : vos corps s’expriment, dans la façon la plus brute et la plus sincère possible. Le carmin tachant le sol, la transpiration jonchant la peau, les assauts fusent de plus belle, rompant les quelques secondes d’accalmie.

Car il faut bien respirer ; reprendre son souffle. Le rythme d’un affrontement n’a rien de linéaire, il est toujours entrecoupé de temps forts et faibles. Te donner à fond ne veut pas dire que tu en perds les pédales, bien au contraire.

C’est toi qui mènes l’affrontement depuis que tu t’es relevé, tu dictes le tempo que l’homme peine à suivre. Sans pour autant être totalement à la traine ; seule raison pour laquelle il survit. Mais il est clair que ton niveau est similaire au sien. La différence se fera sur un détail.

Son allonge te gêne, il sait bien utiliser ses jambes, mais il commence petit à petit à reculer ; adoptant une posture défensive. Toi ce n’est pas ton genre, tu ne recules pas, tu vas toujours de l’avant. Tu n’as pas le choix, tu ne veux plus jamais revivre ce que tu as vécu ; plus jamais ressasser le passé, terrifiée d’en être prisonnière.

Alors tu t’élances vers lui, plus tu es proche, moins ses coups auront de l’ampleur et plus tu seras dangereuse. Tu sais ce que tu as à faire : l’abattre. Son point fort : sa taille ; elle sera sa perte.

Tu as l’impression d’être seule au monde, Himeka. Tu n’entends plus un bruit autour de toi. Plongée dans un état second. Tu sais exactement où tu es, tu as atteint le nirvana pour une athlète. Ton maître te parlait souvent de cette notion ; cet instant. Ce moment où ta concentration est telle que tout autour de toi disparait. Ne reste plus que l’art que tu pratiques et le sommet que tu veux et va atteindre.

Le sourire qui tord ton visage, tu feintes une offensive au niveau de son visage avant d’abaisser ton centre de gravité, usant de la souplesse de tes jambes pour rejoindre le sol à une vitesse ahurissante.

Plus grand est l’homme, plus dure sera la chute ! Tu viens balancer tes jambes dans ses chevilles ; dès qu’il perd son équilibre, tu viens le mettre au sol avant de le surplomber, les genoux écrasant son buste, frappant le plexus solaire pour couper sa respiration.

Tes poings prennent le relai. Ils viennent briser sa garde, tuméfier son visage d’un assaut aussi vif que puissant. Tu frappes jusqu’à dégager sa tempe, jusqu’à ne plus voir que du rouge, jusqu’à ce qu’il finisse par perdre connaissance.

Tu n’arrêteras que lorsqu’il ne bougera plus.

Tu n’entends plus personne, tu ne vois plus rien autour de toi. Ne reste que l’homme à terre et ses défenses qui tombent, petit à petit, à mesure que les assauts répétés fragilisent sa faible garde, pour finalement arriver à la briser. Pourtant tu ne t’arrêtes pas. Pas tant que tu seras satisfaite.

Tu as déjà été dans cette situation, Himeka. Tu t’en rappelles très bien. Tu te souviens de ce père qui maltraite son fils, le bruit de ses os qui craquent résonne encore dans ta tête. Il fut le funeste écho qui brisa tes chaines.

La suite n’a rien de reluisant, mais tu n’en as jamais eu honte. Tu te souviens de ton hurlement strident, tu te souviens lui avoir vociféré que tu allais le tuer. Et la tempête que ton adversaire subit n’est rien en comparaison à celle qui s’est abattue sur Saburo Senjōgahara.

Tu as frappé si fort que tes phalanges se sont brisées à l’impact. Et tu as continué, encore et encore, la rage effaçant la loyauté, la pitié ; ne restait que l’ennemi à abattre, comme celui que tu as mis à terre. Tu te souviens de ce que tu as pensé à ce moment-là.

Ah… je me sens si bien. C’est le pied. Il n’y a rien de mieux. Je ne veux pas m’arrêter, je veux qu’il crève, qu’il crève !

Ce furent les hurlements et les pleurs de tes petites sœurs jumelles qui ont réussi à atteindre ton cœur, noirci par la haine que tu ressentais envers ton père. Tu as frappé à t’en briser les poings, il peut s’estimer heureux de respirer encore.

J’entends une voix. Akane ? Hikari ? Non, ce n’est pas la vôtre. C’est qui ? Pourquoi tu m’appelles ? Je me sens si bien… laisse-moi tranquille !

La furie s’arrête soudainement, tu reprends tes esprits. Tu vois l’homme à terre, le visage tuméfié par les coups, le carmin dégoulinant de tes poings. Une grande inspiration plus tard et tu relèves tant bien que mal ; tes obsidiennes captent le blond intense du polonais.

Tu quittes le ring, le pas lourd. Une fois à sa hauteur, tu te demandes ce qu’il fait là et tu commences à prendre la direction des vestiaires.

─ Hors de mon chemin…

C’est presque un râle, le dernier d’une combattante épuisée. L’adrénaline s’évapore, sans elle, la lassitude s’installe. Tu veux t’installer sur le banc, souffler.

Et surtout : ne pas être dérangée.