31 octobre. Cliché, mais c’est l’un de tes jours préférés. Tu trouves l’ironie savoureuse ; rare jour de l’année où les humains se déguisent, prétendent être des monstres… il n’y a qu’en ce jour sacré qu’ils assument de porter un masque pour cacher ce qu’ils sont réellement.

Toi tu n’as jamais pu dissimuler ta vraie nature. Chaque tentative s’est soldée par un échec. Libre de ne plus prétendre, le monstre n’attend pas Halloween pour se montrer. Il est constamment là, malgré la forme humaine. Malgré l’esthétisme gracieux d’une silhouette qu’on reluque, qu’on désire.

Un corps entretenu attire toujours les regards, pas étonnant avec une plastique comme la tienne. Mais à cet instant il n’est qu’un outil de travail. Tes jambes qui cavalent à une vitesse qu’un humain lambda ne saurait suivre. Tu t’approches du manoir ; la famille Cavendish pour cible.

C’est une cabale à la fois personnelle et impersonnelle que tu mènes contre ce genre de lignage. Tu te souviens que les élèves à Castelobruxo ─ issus des familles les plus célèbres et fortunées ─ ont toujours été les plus odieux envers toi.

Alors tu rends la pareille pour le moindre nom qui connait un peu de succès, qui fait du bruit dans la presse ou ailleurs. Mais fondamentalement, tu n’as rien contre eux, tu veux juste les déposséder de leurs précieux biens, rien que parce que tu le veux et le peux.

Pénétrer dans l’enceinte du manoir n’est pas chose aisée, mais rien d’impossible pour un talent comme le tien. Encore quelques pas et tu pourras infiltrer le bâtiment. Mais voilà, à peine tu poses le pied en avant, que tu sens une odeur qui te déplait, puis vient le son d’un grognement.

Tu te retournes et remarques l’animal non loin de toi. Un clébard. Tu n’aimes pas les animaux de manière générale, les chiens de garde encore moins.

─ Grogne encore, petit toutou. Donne-moi une bonne raison.

Tu ne prends même pas la peine de sortir ta baguette. Une dague acérée suffit. Une sortie sans voir le sang couler est une sortie gâchée.

─ Grogne encore je te dis.

Finalement tu n’as plus besoin d’une raison… tu as juste envie de le déchiqueter, rien que pour le plaisir de le faire.
 

Le limier n’est pas un animal, mais un humain. Sa forme change en un éclair, devant ton regard fasciné. L’arme vole de ta main, tu lèves l’autre pour satisfaire celui qui te menace ; ça ne t’impressionne pas, mais tu joues le jeu pour le moment, le visage fermé. Hermétique à la peur.

Tu constates que l’odeur de sa forme animale est similaire à sa forme humaine, malgré quelques subtilités. Tu t’aperçois aussi que son effluve t’ouvre l’appétit. Tu sais donc que c’est dans ces moments-là que tu es plus forte, plus dangereuse… impossible à raisonner.

Tu ne l’es déjà pas en temps normal, ça ne fait que s’amplifier. L’homme te questionne, toi tu ricanes. Confortée dans l’idée qu’il ne sait véritablement pas à qui il a à faire. Le cas échéant, il serait déjà parti en courant. À son interrogatoire, tu n’as de réponse que l’insolence :

─ Petit toutou grogne, petit toutou aboie, mais petit toutou ne mord pas. Il n’est pas un limier, mais un chiot. Le gloussement goguenard en guise de provocation. Tes améthystes cherchent une diversion pendant que ton verbe le nargue : tu préfères perdre ton temps, ou perdre ta vie ?

Enfin tu vois quelque chose qui te plaît. Un muret à peine quelques mètres de toi sur ta gauche. En grimpant dessus, en prenant de la hauteur, tu gagneras quelques précieuses secondes avant de leurrer l’odorat de l’animal. Il doit être similaire au tien, tu penses pouvoir le berner.

Il n’a pas l’air d’une lumière après tout. D’autant que tu as un autre avantage : la faveur de l’obscurité ; ta mobilité fera le reste.

─ Tu sens bon, petit chiot. Je me demande quel goût tu as. Je ne le saurai pas avant de t’avoir saigné… d’autant que j’ai un appétit vorace. Une moue faussement inquisitrice sur le visage, tu lances une pique, espérant le déstabiliser : tu ne seras peut-être pas suffisant… dans le doute, j’irai aussi dévorer tes maîtres.

Tu n’as plus rien à perdre maintenant que tu es repérée, alors autant t’amuser. Tu profites d’un infime moment d’inattention de sa part, pour aller chercher ta baguette d’un geste vif. Tu ne seras pas assez rapide pour attaquer, alors tu te défends dans un premier temps d’un protego, ne serait-ce que pour dévier. Tu laisses ta vitesse faire le reste.

Un lashlabask dans sa direction pour l’aveugler, le temps pour toi d’escalader le muret et t’enfuir. Tu sais qu’il va te poursuivre, tu n’attends que ça. Tu te mues en proie, car tu sais qu’un animal comme lui ne va pas réfléchir, il va faire ce pour quoi il est dressé : traquer.

Il ignore que les rôles s’inverseront bien assez tôt. Pour être certaine qu’il te pourchasse, tu le nargues de nouveau, hurlant tes moqueries :

─ Ahouuuuuu ! Ahouuuu ! Viens m’attraper petit toutou !

Le rire qui perce le silence, strident, dissonant, presque inhumain. Tu abandonnes l’idée du cambriolage, tu te conteras d’un festin carmin.
 

Parmi toutes les créatures qui peuplent le monde sorcier, tu n’en connais aucune aux talents de traqueur plus développés que toi et tes semblables. Les sens d’un animal n’ont rien à envier aux tiens, évidemment… c’est tout le reste qui fait la différence. Le chiot l’apprendra à ses dépens.

Il n’est pas question de se fier uniquement à tes capacités physiques et sensorielles supérieures à un humain lambda, même un animagus. Il y a aussi l’expérience, forte d’une longévité accrue. Toi tu es un cas particulier. Toi tu as été éduquée par l’une des créatures les plus dangereuses et sanguinaires de ce monde : ton père.

Tu le détestes, c’est une certitude ; ça ne change en rien tout ce que tu as appris de lui. Et il y a une raison qui l’a poussé à te prendre sous son aile. Non contente d’absorber tout son savoir comme une éponge, tu fais preuve d’imagination, de malice. Il y a une différence abyssale entre apprendre et assimiler.

Tu sais que la pointe de vitesse du limier est supérieure à la tienne ; tu sais que tu vas perdre ton avance. Tu sais aussi que la distance que vous avez parcourue vous isole. Il n’y plus que toi et lui. Et à ce petit jeu là… tu sais qui en ressortira vainqueur.

Tes provocations le stimulent probablement autant qu’elles l’énervent. Elles font partie du jeu, toi tu t’amuses ; lui ? Moins sûr. Viens le moment où il finit par craquer. Tu marques un temps d’arrêt, il en profite pour reprendre forme humaine. Tu sais qu’un sortilège va venir, tu te prépares.

Toutefois, tu ne t’attendais pas à un bombarda maxima, loin de là. Tes jambes ont à peine le temps de donner l’impulsion suffisante pour éviter le pire de l’explosion. Tu t’en retrouves propulsée à quelques mètres ; c’est presque un miracle que tu aies la présence d’esprit d’user d’un arresto momentum pour ralentir ta chute au maximum.

L’occasion se présente enfin après le chaos créé par l’explosion. Il faut d’abord tromper son odorat, ou à défaut le perturber suffisamment. Tu laisses tomber ta veste tachée de carmin, puis de nouveau des étincelles envoyées dans sa direction. Tu n’espères pas le toucher, juste l’aveugler de nouveau ; une distraction de quelques secondes est suffisante pour disparaitre de sa vue et le prendre à revers.

Forte d’une condition physique optimale, tu es pourtant plus rapide qu’à l’accoutumée. Pour une raison simple, l’adrénaline coule à flots dans tes veines. La peur de mourir agit comme le plus puissant des moteurs pour ton esprit. En réalité, il est le seul qui fonctionne chez toi.

Une fois dans son dos, ton talent de traqueuse fait le reste. Arrivée à sa hauteur, tu fonds sur lui, prédatrice qui tient enfin sa proie. Ton gabarit est bien évidemment inférieur au sien. Plus petite, moins musclée… mais paradoxalement plus forte grâce à la faim qui te ronge.

Et celle-ci doit être rassasiée. Tu enroules tes jambes autour de sa taille, l’élan de ta course conjuguée à ton bond en avant le fait basculer, pour le mettre au sol. D’une main tu expulses sa baguette de sa main, avant de mettre tout ton poids sur lui, tenant fermement son poignet derrière son dos en appuyant avec ton genou.

Tu dégages sa nuque, dévoiles tes canines carnassières et les plonges dans sa veine désormais vulnérable. Et tu dévores. Pas suffisamment pour étancher ta soif, ça signifierait le tuer. Non, assez pour que l’anémie soit pernicieuse, mais pas mortelle.

Assez pour qu’il reste conscient, mais inoffensif. En temps normal, tu l’aurais achevé. Mais dans son grand malheur, il a une chance immense :

─ Tu as bon goût… mon petit toutou.

Il suffit d’un rien parfois.

Pas de surprise, le limier aura lutté jusqu’au dernier instant, jusqu’à se rendre à l’évidence. Il se sera débattu, il aura hurlé, sans doute pour ameuter ses maitres, qu’ils viennent le secourir. Mais le temps qu’ils arrivent, tu profiteras de ce moment d’intimité avec lui. Jusqu’au bout.

Même vaincu, il cherche à être menaçant, ça t’amuse. D’un coup de langue, tu profites des dernières gouttes qui coulent le long de sa nuque, tu ne supportes pas le gâchis. Puis tu refermes les plaies d’un episkey, hors de question qu’il perde conscience, qu’il succombe ; tu veux jouer avec lui.

Bien évidemment, il te menace ; plus assez de force pour bouger, sauf les lèvres. Tu en viens à poser ton postérieur sur son dos, triturant ta baguette. Le rire aux lippes lorsqu’il te demande ses projets pour toi, comme s’il en avait oublié la situation dans laquelle il est.

─ C’est ce que je disais : le chiot grogne, aboie, mais ne mord pas. Pour le moment, je t’ai rien que pour moi, tu ne vas rien me faire. Tu viens heurter sa tête avec la paume de ta main, comme un maître qui punirait sa bête après une bêtise. Tu es bien dressé, mais mal éduqué.

Tu ricanes, tu savoures. Il vous reste probablement quelques minutes avant qu’on vous retrouve, si toutefois on est bien parti à votre recherche ; ce qui ne serait pas étonnant vu tout le tintamarre. Finalement, tu n’as gagné qu’un repas, toi qui avais dans l’idée de dévaliser la famille que le limier protège.

Source d’agacement, d’où le questionnement qui suit :

─ Mon petit chiot, dis-moi… pourquoi tu te soumets à eux ? Pourquoi tu obéis à leurs ordres ? Les humains sont cruels, ingrats, lâches ; ils ne méritent pas tes talents.

Ta main pour caresser sa chevelure, maitresse qui flatte son animal. Tu ne comprends pas d’où vient cette loyauté, ce que la famille Cavendish a fait pour la mériter. Même si finalement, ça ne te regarde pas ; tu finiras par vite l’oublier, ce n’est qu’une indiscrétion momentanée.

Tu te penches alors vers sa tête, enfonçant celle-ci dans le sol tout en faisant pression sur son dos pour être certaine qu’il ne tentera rien de stupide. Ta tête au niveau de la sienne, tes lèvres près de son oreille, lui susurrant ces mots :

─ Je peux te libérer, petit chiot. Enlever la laisse à ton cou. Crois-moi, tu en seras gagnant… le gloussement goguenard, puis tu remets les pendules à l’heure : j’aurais pu te tuer, mais je le n’ai pas fait. Et un jour, je reviendrai finir ce que j’ai commencé.

Bien évidemment, ce discours n’est pas anodin. Il est là pour lui rappeler que tu reviendras, qu’il devra être prêt. Sauf que cette fois, l’un comme l’autre, vous êtes prévenu. Préparée, tu te sais plus dangereuse que lui.

Tu sais aussi qu’une fois partie… la tâche du limier en restera inachevée. Son obéissance le poussera à te traquer jusqu’à ce que l’un de vous en meurt. Des ennemis jurés.

─  Si tu me prends en chasse, c’est moi qui te trouverai en premier. Et quand je le ferai, je t’arracherai la tête pour la donner à tes maîtres. Parce qu’un chien de chasse qui échoue… doit être abattu. Ensuite viendra leur tour, rien que pour mon plaisir.

L’oreille attentive, tu attends ; l’arrivée salvatrice que le limier espère. Ou bien qu’il réplique. Tu ne t’en iras que lorsque tu seras satisfaite.

─ Tu ferais bien de rester sage, j’ai encore faim.

Tu n’es jamais véritablement rassasiée.

Sans surprise, ta proie ne cherche même pas à s’expliquer. Il ne te faut pas longtemps pour comprendre que si toi tu es généreuse avec les mots, lui en est clairement avare. Il ne se contente que du minimum… continuant de te menacer, pensant t’impressionner peut-être ?

À quel moment comprendra-t-il que c’est peine perdue ? Tu vis pour ces moments, Nina. Ce frisson qui parcourt ton échine quand on veut prendre ta vie, puis le plaisir incommensurable que tu ressens lorsque c’est toi qui t’empares de l’autre. L’euphorie est telle qu’il n’existe que peu d’équivalents, même les ébats paraissent bien fades en comparaison.

Toi tu es une créature asservie à la liberté ; lui c’est tout le contraire. Le bonheur, il doit le trouver dans la soumission, sa cage est le monde qu’il souhaite parcourir, l’estimant assez grand pour lui ; incapable d’admettre qu’il est immensément plus grand lorsqu’on s’échappe de celle-ci. Tu as connu un effet similaire à une époque, toi qui ne voyais que par le prisme de ton géniteur.

Tu te délectes aujourd’hui de voir avec tes améthystes, le voile enfin levé sur le but de ton existence : la liberté de faire absolument tout ce que tu veux. Celle de venir ici pour t’emparer de ce que cette famille possède. L’oreille attentive sur l’arrivée d’un membre de celle-ci, pendant que l’animal sous ton fessier cherche à te voler quelques secondes.

─ Pourquoi je te le dirais ? Tu me crois assez bête pour te donner de quoi me traquer ? Mon petit chiot, tu manques d’expérience et de jugeote, moi non.

Tu ricanes, moqueuse, tu t’amuses. Lui doit probablement songer à toutes les manières possibles de te tuer dans d’atroces souffrances… ça ne fait que t’émoustiller davantage. L’excitation ne fait que grimper, encore et encore, tu as presque envie de lui donner de quoi te retrouver, rien que pour le plaisir de recommencer ce petit jeu.

Après tout, son sang est savoureux, tu ne serais pas contre en reprendre. Mais si tu le fais maintenant, il en mourra, tu ne pourras pas te retenir de le vider, jusqu’à la dernière goutte. D’autant que tu entends des pas qui se rapprochent, tu n’as plus le temps. Tu te relèves, poses ton talon sur l’arrière de son crâne, l’écrasant.

─ Tu es décevant, petit toutou. Mais qu’un chien soit docile et fidèle n’est pas une surprise. Seul le goût de ton sang te sauve d’une mort certaine, garde bien ça en tête. Quand je reviendrai, je te laisserai un choix : mourir pour tes maîtres ou vivre pour toi. Le pied heurtant son visage pour lui laisser un petit souvenir, tu conclus : ne meurs pas, petit chiot. Je serais celle qui tu tueras. Alors, reste en vie jusqu’à ce que je revienne.

Si tu reviens un jour. Tu ne fais aucune promesse, tu mens comme tu respires, déloyale, manipulatrice ; tu veux juste lui instiller cette idée, cette peur de te voir revenir pour massacrer ceux qui lui donnent des ordres. Qu’il pense toujours à toi, qu’il ne t’oublie pas.

S’il te retrouve, si vos chemins se croisent… qui sait ce qui adviendra. Mais le vainqueur aujourd’hui, c’est toi.