Les premières lueurs de l'aube amènent les changements. Les pulsions qui s'étouffent quand l'animal se rendort pour te laisser la place. T'as un regard pour ta meute tout autour, pour Zina qui grogne encore sous les douleurs atroces que son corps a subit et tu lui souris. Tu fais le malin pour la faire rire parce que tu sais que ça la rassure, puis tu dois bien avouer que c'est assez marrant. Toi t'as l'habitude, elle ça fait à peine quatre mois. Quatre mois sur tout le reste d'une vie, elle finira bien par s'habituer. Tu hausses les épaules à sa grimace.

— Arrête de mater j'vais rougir.
— T'es trop con.

Ton t-shirt qu'elle te balance à la figure avant d'aller récupérer ses propres affaires sans qu'aucun de vous ne se soucie d'être totalement à poils, y a longtemps que vous aviez abandonnés les concepts de pudeur chez les loup-garou. Tu sais que certains ont encore du mal, t'en vois d'ailleurs un filer rapidement derrière un arbre pour se rhabiller avant de revenir tranquillement. Bah, qu'il fasse. Si y a bien un truc que t'as apprit en prenant la tête de cette meute c'est que chacun a son propre rythme et si tu veux qu'ils soient le plus efficaces possible tu peux pas trop forcer. Ton père avait tenté, Romulus aussi. Voyez ce que ça a donné.

Bon.

— Les gars rentrez sans moi j'vais chercher Ezra. J'serai pas long.

Le sac que tu refermes pour mettre sur tes épaules quand t'entends protester derrière toi. C'est Jayce, un grand brun baraqué accroupi près d'une souche qui a, encore une fois, parlé plus fort qu'il n'aurait dû.

— Super le vampire va rappliquer, manquait plus que ça..
— La ferme Jayce.

T'as le ton ferme et le regard dur, parce que si y a bien une chose sur laquelle t'es intransigeant c'est la famille. Et Ezra c'est ta famille, quoiqu'on puisse en penser.

— Redis ça encore une fois et j't'encastre. C'est clair ?
— Ohla tout doux dragon, va chercher ton copain et ramène-le qu'on s'amuse un peu. T'en profitera pour te calmer, on dirait un vieux vu comme t'es grincheux.

Tu quittes Jayce des yeux pour porter ton regard sur Zina qui semble prendre un malin plaisir à te tapoter l'épaule comme si t'étais un enfant. C'est dans des moments comme ça que tu te dis qu'elle a quand même vachement bien prit ses aises la gamine, mais tu la remercies. Intérieurement. C'est un peu elle qui te rend moins con que ce que t'es vraiment.

Et toi tu te damnerais rien que pour son sourire.
Vous en avez fait du chemin tous les deux.

— Tu deviendrais pas un peu trop sûre de toi la gamine ?

Elle a un rire franc qui t'arrache un nouveau sourire, puis elle rejoint le reste de la meute qui pendant ce temps s'est regroupée pour pouvoir partir ensemble. Tout en marchant vers eux, elle s'est retournée pour t'adresser un signe de main.

— À toute papy, te perds pas en chemin !
— J'te botte le cul en rentrant t'en fais pas.

Puis vous avez transplané chacun de votre côté. Toi t'as fini pas très loin du nouveau refuge d'Ezra et Noah. Il est encore tôt et t'espère bien qu'Ezra s'est vraiment bougé parce que t'as pas envie de traîner ici. L'odeur t'insupporte tellement que t'as déjà envie d'aller casser la gueule de cet abruti de Priest mais c'est bien parce que t'as promis de faire un effort que t'en fais rien. Puis officiellement t'as pas de raison (tu les attends avec impatience, faut dire) et tu sais qu'Ezra t'en voudrais. T'as pas envie de vous gâcher la journée, t'es déjà assez crevé comme ça.

Tu viens te poser contre un arbre à quelques pas de l'entrée. T'es tenté de défoncer la porte mais à la place tu sors ton pineapple, grincheux. Pourquoi il est pas dehors hein ? T'avais dis à la première heure.

T'es même en retard parce que dans ta volonté de le voir rapidement la veille, t'avais oublié que c'était pleine lune. Et ça c'est pas un truc que tu pensais possible avant aujourd'hui. Par précaution tu te concentres sur les différentes odeurs qui se croisent, celle du sang est absente. Du moins, pas présente en assez grande quantité pour que ça puisse t'inquiéter. Ça veut dire qu'il va bien.

Deuxième sms.
Au 3ème j'défonce la porte grouille toi

T'envoie.

Tu lèves les yeux en entendant ton prénom puis te décolle de ton tronc d'arbre pour faire quelques pas vers lui. Il a le sourire et il te semble plutôt content, pour ne pas dire excité quand toi t'es crevé. Ta langue de bois dirait que c'est normal qu'il soit bien vu que l'autre con a sûrement passé la nuit dehors et donc loin de lui mais ça t'en sais rien et t'es même pas certain de réellement vouloir savoir.

— Yo.

Toujours un peu grognon, entre la fatigue et l'attente pourtant pas si longue il va te falloir un moment pour t'en remettre même si tu sens que ça va mieux.

— J'ai l'impression de m'être mangé une horde de centaures dans la gueule mais on survit.

Ouai, ça va. La routine quoi.

— Toi ?

Le ton involontairement moralisateur, il te connaît assez bien depuis le temps pour savoir que t'as aucun reproche à lui faire. T'es simplement curieux et un peu inquiet parce que t'as apprit à déchiffrer ses sourires avec les années. Et c'est pas parce qu'il sourit d'ailleurs que ça va pas. Mais ça vous aurez tout le temps d'en discuter pas vrai ? Quand il te tend son bras ce sont tes lèvres à toi qui s'étirent. Malignes et amusées, tu saisis son poignet pour l'attirer à toi brusquement avant d'entourer sa nuque de ton bras. Ton autre poing pour frotter le haut de son crâne -tu sais qu'il déteste ça (en même temps t'imagine que ça doit faire mal) mais ça t'a toujours fait marrer. Alors bien évidemment tu te marres comme un con avant de le relâcher.

— Aller viens on bouge de là.

Maintenant que t'es réveillé et fier de ta connerie vous pouvez y aller. De nouveau ton bras pour venir entourer sa nuque après que tu l'ai poussé gentiment à avancer, vous marchez tranquillement et t'as le sourire Hermès. En coin toujours mais bien présent. Parce que c'est Ezra avec toi et Ezra c'est ta famille.

Depuis toujours et pour toujours.

— Moi aussi ça fait plaiz'. C'est cool que t'ai pu sortir aujourd'hui.
Mais c'est pas normal que ce chien t'force à rester à la baraque comme ça.

Tu grognes un peu à cette pensée qu'il est encore trop tôt pour balancer. Inconsciemment tu laisses le silence s'installer tandis que vous rejoignez le portoloin. T'es pas spécialement de mauvaise humeur mais, pris dans tes pensées, tu sais pas vraiment quoi ajouter. Une fois sur place, t'attrapes la main d'Ezra et t'apprêtes à poser la seconde sur l'objet. Un vieux chaudron à l'apparence délabrée.

— Prêt ?

— La base.

Le lit entier pour dormir hein. T'as sûrement l'air aussi amusé que lui quand il te dit ça avant de l'attraper pour le coller contre toi. L'insulte qu'il te lance t'arrache un ricanement moqueur mais tu t'arrêtes pas pour autant. Vous transplanez jusqu'au portoloin, arrivez visiblement plus tôt que prévu puisque rien ne s'anime quand tu vous le touchez. T'étire une grimace à moitié embêtée parce que tu te sens un peu con avec ce timing foiré mais t'es presque sûr qu'Ezra a rien remarqué.

Il a l'air un peu ailleurs soudain.
J'en ai marre.

Et tu peux pas t'empêcher de le regarder, sérieux. Tu peux pas t'empêcher de l'écouter et de graver chacun de ses mots au plus profond de toi. Marre de devoir vivre comme un fugitif, t'es pas certain de savoir comment l'interpréter. Si le sens de cette phrase est plus large qu'il n'y paraît ou non -t'es pas doué pour les sous-entendus après tout.

— Je-

Pas le temps d'en dire plus que le chaudron s'agite. Ezra te devance de peu et tu le laisses t'agripper pour vous faire embarquer tous les deux. Le voyage est rapide mais quand tu retrouves enfin la terre ferme tu peux pas t'empêcher de te secouer comme le ferait un animal sortant de l'eau pour s'essorer. Merlin seul sait à quel point tu hais ces merdes mais tu dois bien avouer que c'est pratique. T'as un regard pour Ezra qui a l'air de bien le vivre lui. Des fois tu te demandes comment ce mec fait pour supporter ces transports infernaux, c'est vrai quoi, tu l'as jamais vu malade ? Un truc de fou.

Comment tu fais toi ?
Ah.

Ouai t'avais déjà oublié mais tu fais genre que non avant de te redresser et de hausser les épaules.

— Par ici suis-moi.

Vous reprenez la marche côte à côte. T'as les mains dans tes poches et le regard levé en direction du ciel bleu sans nuages au-dessus de vos tête. La brise de la vallée vient vous rafraîchir presque joyeusement et t'en profite pour humer la myriade d'essences qui vous entoure. Respire l'air à pleins poumons avant de finalement répondre à sa question.

— C'est pas très compliqué, j'suis pas un fugitif.

C'est sûrement ça la grande différence entre toi et Noah. Vous vous faites discrets et secrets pour ne pas attirer les chasseurs mais vous ne fuyez pas, ni toi ni ta meute.

— Et j'ai confiance en ma famille.

Et quand tu dis ça c'est à lui que tu lances un regard appuyé.
C'est toi ma famille, Ezra.

De la chance ? Sur le coup tu comprends pas. Tu sais au ton qu'il emploie que la suite ne va pas te plaire, pourtant tu dis rien. Il a pas tort dans les faits. T'as eu de la chance Hermès. T'en as eu tellement que tu sais plus quoi en faire, mais ça c'est quelque chose que t'as été incapable de voir durant des années. Ta chance c'est lui. Et ce qui t'énerve (là où t'avais toi aussi raison), c'est qu'il le comprend pas. Ezra.

— Mais c'est pas vrai tu l'fais exprès ou-

Excuse-moi Hermès.
Quoi ?

Tu lâches un soupir frustré quand il poursuit. Tu croyais pas ça possible qu'il soit autant à côté de la plaque mais ça te fait réaliser en même temps que c'est depuis longtemps comme ça entre vous (depuis Noah). Tu tais la petite voix dans ta tête pour te concentrer sur Ezra.

— T'as rien dis d'mal c'est ok.

Parce que ta meute c'est aussi ta famille quelque part. Ils le sont devenus pour la plupart, même si ça ne fait pas si longtemps. D'ailleurs quand il enchaîne sur Zina tu éclipses la grimace agacée que tu étirais plus tôt par un sourire en coin amusé.

— Sois pas trop impatient de la rencontrer, elle a sale caractère.

Des fois tu penses que tu l'as bien éduquée pour qu'une telle chose soit possible.

— Mais elle est géniale, tu verras. Elle m'a beaucoup aidé.

Ça devrait être le contraire à la base mais faut croire que le destin est plutôt farceur avec toi. Vous continuez d'avancer tranquillement parce que t'as pas envie de transplaner pour l'instant. La vérité c'est que si t'avais pas dit que tu rentrais tu l'aurais pas fait, alors à défaut t'en profites pour prendre ton temps. Ça te fait du bien d'être seul avec Ezra sans qu'il n'y ait ni personne ni d'histoires autour de vous.

Avec un peu de chance vous pourriez parler un peu, c'est ce que tu te dis.
Ce que t'espère en tout cas.

— Ouai, un peu trop des fois.
Pas assez d'autres fois.

Mais dans le fond tu peux pas nier que tu respires un peu mieux depuis quelques temps. C'est une sensation que tu découvres pleinement parce que ça n'avait jamais été le cas avant, du moins plus depuis la mort de Rina. Moins encore après le départ d'Ezra, vos derniers adieux. Ils ne datent que de quelques mois mais t'es incapable de les oublier, ils persistent comme une ombre au-dessus de ta tête, un rappel. De quoi t'en sais rien mais c'est là, et ça te tiraille toujours autant.

Vous continuez d'avancer tranquillement quand il reprend la parole, t'avoue n'avoir pas tout dit -c'est pas comme si tu t'en doutais pas déjà en vrai. Tu tiltes quand il te dit avoir eu peur d'en parler, fronces les sourcils sans répondre. Il continue. C'est à propos de Noah (ça aussi tu le savais), de leur disparition précipitée, de tous ces derniers mois en somme, quand vous n'aviez tous les deux presque aucunes nouvelles de l'autre.

Tu pourras pas l'en blâmer, t'es aussi responsable que lui pour le coup.

— Attends, pas ici.

Tu prends sa main pour le guider plus rapidement vers une petite cabane en pierres abandonnée à quelques pas de là -tu ne lui diras pas tout de suite mais c'est un des 3 passages creusés par la meute jusqu'au qg principal, au cas ou. Vous aviez convenu de ne les utiliser qu'en cas d'urgence extrême et jamais comme des raccourcis pour éviter d'attirer l'attention dessus.

L'intérieur ne présente qu'une seule pièce pas très grande avec une petite table et une chaise. Le sol est poussiéreux et il y fait plutôt frai, due à l'absence totale de fenêtre pour y faire entrer le soleil. Comme il n'y a pas d'électricité non plus, c'est à la bougie que vous vous éclairez. Il y a une lanterne sur un petit rebord du mur en face de vous que tu allumes d'un coup de baguette.

— Là c'est bon. Personne entendra.

Vous aviez prit soin d'isoler magiquement la pièce pour éviter les oreilles indiscrète, ça en plus de tout un tas de sortilèges de protections et d'un bouclier repousse-moldu. Vous étiez préparés. Tu lui désignes la chaise s'il veut tandis que tu t'avachis contre le mur en face pour mieux le voir. La pièce n'étant pas très grande il n'y a pas énormément de distance non plus alors ça va.

— Y s'passe quoi Ez' ? Raconte-moi tout, j'pourrais pas t'aider si j'sais pas tout.

Et tu l'aideras même s'il refuse, à vrai dire.

Elijah et Atlas sortent ensembles. La nouvelle te laisse aussi silencieux qu'abasourdi. T'es pas sûr d'avoir bien comprit et t'es prêt à lui demander de répéter quand tu captes ses yeux. L'effroi que tu y lis te tord les tripes mais ça te fait réaliser, doucement. Il reprend la parole quand toi t'as toujours rien dit, explique les trahisons, les raisons de leur fuite en forêt -du moins tu supposes que c'est à cause de ça. Elijah a tenté de le tuer. Elijah a libéré Atlas. Elijah Elijah Elijah. Putain de bordel de merde.

Tu vas l'écarteler.
Le déchiqueter, le brûler et le noyer.

Putain de merde c'est pas possible.

T'avais raison alors ?
T'avais eu raison de douter -t'as jamais eu les preuves ni les raisons mais tu savais que ce connard cachait un truc. Il baisait Atlas depuis le début. Sûrement plus que ça. ((y avait une bague, tu crois, au doigt d'Atlas)) Rien dont tu te souviennes vraiment. Rien qui importe réellement.

Et Ezra qui s'excuse en face de toi.
Encore.

T'as envie de l'égorger à chaque fois qu'il est comme ça.
(seulement aujourd'hui)

Atlas et Elijah sortent ensembles.

T'as un rire nerveux.
Le regard qui fuit dans la pièce un instant avant de se poser sur Ezra et soudain tu sens la colère bouillir à l'intérieur de toi -t'aurais pu le tuer si ça n'avait pas été lui en face de toi.

À la place c'est ton poing gauche qui cogne le mur dans un râle enragé alors que t'es toujours assit par terre. Ça tremble un peu avant que ne s'immisce le silence à nouveau, troublé par le saccadé de ton souffle lent. Monstrueux. Tu fixes le sol. T'as pas souvenir d'avoir déjà été aussi énervé. Ou peut-être que si. Si mais jamais comme ça.

Jamais devant Ezra.
Jamais à cause d'Ezra.

(alors qu'il n'a rien fait, pas vrai ?)

Il est comme toi Ezra, il a pas eu de chance.

— ...

T'arrive pas à parler.
Pourtant t'as des tonnes de choses à dire, des tonnes de questions à poser. Depuis quand est-ce qu'il sait ça, pourquoi il a rien dit avant, qu'est-ce qu'il se passe maintenant ? Où ils sont ?

— Est-ce qu'il t'a fait du mal ?

La voix basse et rauque de trop de retenue, tu plantes dans son regard le tien qui n'a plus rien d'humain. Tes iris luisent d'une lueur dorée, assassine et animale.

Tu vas les massacrer.

Est-ce qu'il lui a fait du mal ? C'est une question stupide pourtant tu sais que t'as besoin d'entendre sa réponse. T'as besoin qu'il te rassure, qu'il te dise que non, que ça va aller t'as besoin qu'il te dise oui. Oui il l'a fait. Oui il a osé bafouer la seule putain de famille qu'il lui restait. Oui il a osé s'en prendre à l'un des seuls pour qui tu tuerais, famille ou pas.

Alors tu le regardes et t'attends la sentence, les iris luisants de colère et le poing serré. T'attends qu'il te mente ou qu'il avoue. Mais c'est son frère qu'il dit. Et alors ? Alors qu'est-ce que ça peut bien te foutre à toi, Hermès.

Tu détestes quand il fait ça.
Mais t'as pas la force d'ouvrir la bouche pour argumenter.

(tu le tuerais sûrement si tu réagissais maintenant)
Alors tu te tais.

Et tu le regardes, Ezra.

Encore.

Encore.














Oui.
Oui.

Et dans ta tête alors c'est comme s'il était déjà mort. Dans ce poing qui cogne une seconde fois si violemment la pierre au même endroit c'est toute, absolument toute ta haine qui ressort. Fait trembler les fondations plus fort. T'as rugit. T'as rugit si fort que le silence qui a suivit t'as brisé les tympans. Il est lourd ce silence, bien trop lourd de ces peines et ces démons qui vous hantent depuis si longtemps. Atlas. Noah. Elijah. Des frères et des amants. Tu vas les tuer. Tous les trois. Tu vas les tuer. Les tuer les tuer les tuer les tuer les tuer. Autant de fois qu'il le faudra pour enfin être en paix.

Le plafond qui s'effrite laisse tomber un peu de poussière sur vous, t'es plus agité. Oui. Tu t'étires la nuque, fais craquer tes os. Oui. Prends une longue inspiration avant de décoller enfin ton poing du mur. Laisse à la vue d'Ezra ce trou béant dont tu te fous royalement.

T'arrive pas à t'enlever ses mots de la tête.
Oui. Ça résonne si fort, se superpose à ton hurlement, à la pierre qui se fritte à ton coeur qui se déchire. Oui. Tu tiens plus en place. Tu te lèves alors pour commencer à tourner en rond.

Oui.
Oui.
Oui.
Oui.
Oui.
Oui.

Tu grognes, tes paumes contre ton visage qui montent dans tes cheveux.
Oui.

Oui.

Et une seule question te taraude dans le peu d'esprit qu'il te reste encore. Alors tu te tournes vers Ezra lentement, tes bras qui retombent pour aller pendre le long de ton corps.

Une seule question.
La pire sûrement.

— Qu'est-ce qu'il a fait ?

Tu veux les détails, le moindre geste, les moindres paroles. Tu veux savoir, tu veux tout savoir. Alors tu redemandes, tu hurles plus fort et ce n'est plus une question mais bien un ordre.

Qu'il comprenne.

— QU'EST-CE QUE CE FILS DE PUTE T'A FAIT EZRA HEIN ? RÉPONDS !

Qu'il comprenne que t'as jamais su te contenter d'un peu. Que t'en as marre. Que t'as besoin de tout.

Absolument tout.

Tu ne réalises pas que t'es allé trop loin en lui hurlant dessus, que ça ne changera rien de toute façon. Tu ne réalises pas, perdu dans ta colère et tes propres tourments, que tu ne fais que le briser un peu plus à trop vouloir savoir. Parce que t'en as besoin, t'as besoin qu'il te parle, non pas pour le protéger mais bien par avidité. T'es dégueulasse Hermès.

Et puis il y a cette odeur de sang soudaine pour faire bugger ta colère. Ton regard affolé qui se pose sur Ezra, tu sais que c'est le sien sans comprendre d'où il vient. Parce qu'Ezra va bien, il ne saigne pas il n'a rien. Rien du tout. Alors tu ne comprends pas, et il ne s'arrête pas de parler. T'interpeller. Pourquoi tu cries Hermès ? Comme Noah. Comme Elijah qu'il te dit. Pourquoi tu cries ?

T'es pas comme eux.

T'es pas un monstre.

Non tu l'as pas enfermé dans cette cage toi, tu l'as jamais emprisonné chez toi. Mais pourquoi tu cries ? Pourquoi est-ce que c'est lui maintenant qui semble si en colère ? T'as l'estomac qui se noue à son récit, à toute cette détresse qu'il te montre (enfin) -quand tu constates réellement à quel point il est brisé.

T'as rien fait pour empêcher ça.
T'as crié.

Comme eux.

T'es pas comme eux.
Tu seras jamais comme eux.

(si tu savais à quel point tu leur ressembles)
Hermès.

Tellement aveugle.

(tu te détestes)

POURQUOI EST-CE QUE TOUT LE MONDE SE PERMET DE ME CRIER DESSUS ?!

La chaise alors qui se brise contre le mur en mille éclats te fait reculer d'un pas, si t'avais été philosophe t'aurais sûrement ricané de l'ironie. Cette chaise est à votre image, à la sienne en tout cas. Celle d'Ezra. Et toi t'es là. Tu recules d'un pas à nouveau, inspire profondément, le regard rivé sur le bois éclaté. Puis sur Ezra, après un moment. Et tu respires, tu respires fort et par le nez, autant que tu le puisses pour tenter de te calmer.

POURQUOI EST-CE QUE TOUT LE MONDE SE PERMET DE ME CRIER DESSUS ?!
Tu voulais pas hurler.

Alors tu marches, tes mains de nouveau sur ton visage, dans tes cheveux -ton coeur de nouveau à l'agonie.

T'es pas comme eux.
T'es pas comme eux.
T'es pas comme eux.
T'es pas comme eux.
T'es pas comme eux.
T'es pas comme eux !

— ARGH !

C'est pourtant dans un nouveau râle que tu cognes ta tête en plein centre de la petite table près d'Ezra, la brise en eux en même temps que tu chancèles pour finir par terre contre le mur juste à côté.

T'as besoin d'évacuer pour ne plus avoir besoin de hurler.
T'es pas comme eux.
T'as jamais été comme eux pas vrai ?

Ezra mérite pas que tu sois comme eux.

Ce qui m'inquièterait c'est que tu te prennes jamais la tête avec ton meilleur ami. C'est ce que t'avait dit Zina une fois, y a pas si longtemps. Toi ça t'avait toujours fait flipper même si tu te démerdais toujours pour ne jamais rien montrer.

— T'es ma famille.. Ez.

Tu murmures entre deux souffles saccadés, ton regard qui cherche le sien et les sages paroles de Zina en mémoire. Il est pas en sucre ton pote, il s'en remettra. T'avais rien dit, parce que tu savais que c'était vrai. J'crois que tu te prends trop la tête. Arrête sérieux c'est pas ton père ! -Ah, ouai désolée c'était pas cool. Mais pas faux. Tu l'avais regardée, perplexe et grognon puis elle avait rigolé comme une enfant. Ok ok j'arrête. Mais sérieux, t'es pas sa daronne non plus alors tranquille boy. D'ailleurs tu me le présentes quand ?

— T'as toujours... Été là. Pour moi. ..Toujours ! Tu sais que je tuerais pour toi.. Tu l'sais hein ? ..Parce que t'es comme- ..T'es ce qui m'est le plus cher. Mon meilleur ami.. Mon frère. Mais tu dis jamais rien ! Ou alors beaucoup trop tard et je-

Tu te sens impuissant.
T'as l'impression de te noyer autant que de le perdre, c'est terrible.

— J'suis censé faire quoi ? ... Je sais que t'es grand et que t'as pas b'soin d'être protégé... Mais ça veut pas dire.. Que t'as pas besoin d'aide. Alors arrête.

Tu veux plus l'entendre te dire que ça va quand ça va pas.
Tu veux plus le voir sourire quand tu le sais au bord des larmes.
Tu veux plus qu'il te dise adieu quand votre seule envie à tous les deux c'est de rester ensembles.

T'es pas comme eux Hermès, toi tu lui ferais jamais de mal pas vrai ?
Ça c'est pas possible mec.

Et c'est sûrement trop tard aussi.

— J'aurai pas dû crier.. Ni insister autant.

Mais t'en avais besoin.

— J'suis désolé.

Lui aussi pourrait tout faire pour toi. Mais il a peur Ezra, il est terrifié et c'est quelque chose que tu comprends, parce que tu vaux pas mieux que lui sur ce point. T'as beau jouer les hommes forts t'en restes pas moins un enfant apeuré quand tu te retrouves tout seul sans les regards et les attentes que les autres ont sur toi. Zina dit que c'est ça d'être courageux. Rina te l'avait dit aussi, la veille de ton entrée à Poudlard, comme quoi.

Tu ricanes mauvais quand il mentionne Elijah.
D'aussi loin que tu te souviennes il a toujours été comme ça -c'était juste plus caché, à l'époque.

— Il a pas attendu Atlas pour faire sa pute ce putain de déchet.

C'est marmonné, à moitié grogné avant qu'il reprenne. Tu dois avouer qu'Atlas et Elijah se sont bien trouvés et que c'est pas si surprenant finalement que Noah soit lié aussi. Ces trois là méritent l'asile mais t'es pas assez clément pour le leur accorder. C'est pas l'asile qu'ils auront, juste une mort atroce. C'est déjà pas mal.

Après un moment tu retrouves un souffle plus régulier et tranquille malgré tes doigts qui jouent nerveusement avec la terre et la poussière au sol. Tu finis par lever les yeux sur Ezra, ils ne brillent plus à présent que tu es plus calme. Touché aussi, ça te fait plaisir d'entendre que toi aussi t'en vaux la peine.

— T'es pas responsable.

Toi t'es persuadé que ça se serait terminé comme ça dans tous les cas. C'est pas comme si Elijah et toi n'aviez pas passé la majeure partie de votre temps ensembles à vous menacer et que les Priest étaient innocents. Ils ont tués ta famille et t'as pas été éduqué à pardonner.

— C'est même plutôt louable que t'ai voulu tenter un truc. C'était peut-être... Juste pas les bonnes personnes.

Vous étiez les pires en fait, mais tu t'abstiens, étire à la place un petit sourire.

— Ça aurait foiré quoique tu fasses.

T'es pas triste pour lui en l'énonçant, parce que y a pas de vérité plus vraie que celle-ci même si tu sais que la situation doit être infernale pour lui. Tu laisses planer un léger silence pendant lequel tu observes tes doigts toujours à jouer avec la terre. C'est plus las, moins brusque -la chute d'adrénaline te crève mais tu peux pas te permettre de dormir maintenant. T'en as pas envie d'ailleurs.

— Promets-moi un truc Ez.

Un silence encore avant que tu lèves les yeux et poursuives.

— Promets-moi que tu vas lutter pour pouvoir vivre comme tu l'entends. Promets-moi de me laisser t'aider quoiqu'il en coûte.

Promets-moi de pas m'oublier.

Tu arrêtes de jouer avec la poussière pour te concentrer sur Ezra. Il ne sait pas si c'est louable. Et tu le regardes, Ezra, tu l'écoutes. Tu te demandes à quoi il pense en se montrant aussi honnête -le connaissant il doit avoir peur que ça change quelque chose ou un bail du genre, pourtant t'as pas l'air plus énervé que ça. T'es pas déçu ni triste, rien a changé dans tes yeux. Tes sentiments intacts, la vérité c'est que t'es soulagé. Parce que ça fait des années que tu l'attendais, ce Ezra là. Tu peux d'ailleurs pas t'empêcher un murmure alors qu'il t'avoue avoir été d'un égoïsme sans nom.

— Il était temps.

Avant de le regarder avec plus d'attention quand il continue. Il ne sait pas pourquoi il ressent encore ça avec toi et c'est un peu bizarre ce qu'il se passe en toi sur le moment. L'impression que des chaînes invisibles t'enserrent avec la promesse de toujours te garder, tu ne réponds pas et te contente d'un bref soupir pour évacuer la frustration. Un esprit clair prend de meilleures décisions, Rina te répétait souvent ça quand t'étais plus jeune. La plupart du temps c'était après que ton père t'ait assommé de tâches toutes plus diverses les unes que les autres avec la volonté certaine (tu le crois) de te perturber.

Tu reprends tes esprits quand Ezra s'excuse. T'es pas sûr de comprendre pourquoi mais depuis le temps qu'il le fait t'es plutôt étonné de constater qu'il trouve encore de nouveaux prétextes pour le faire.

— Je prends ça pour un oui.

Rictus à l'orée de tes lèvres, tu te doutes bien qu'Ezra étant Ezra ça n'allait pas être facile. Mais c'est parce qu'Ezra est Ezra que tu te dois d'être là.

— Tu sais.. tu recommences à jouer avec la terre au sol. J'ai mis du temps à capter la différence entre protéger et aider. J'ai dû pas mal t'étouffer toutes ces années en vrai j'en ai conscience. C'est Zina qui m'a apprit à faire la différence. Je la connais pas depuis longtemps mais elle m'apporte beaucoup.

Elle est vraiment comme ce que resteras Rina à jamais dans ton coeur, ta petite soeur. C'est étrange de constater toutes ces similitudes entre elles d'ailleurs, comme un signe du destin.

— Des fois je me demande ce qu'aurait été ma vie si la meute était encore en vie. Si Rina l'était.

T'as un sourire triste, le regard rivé sur tes doigts qui jouent.

— J'aurai peut-être comprit plus vite si elle avait été là.

Puis encore son regard que tu accroches, entre sérieux et tendresse. T'as besoin qu'il entende ce que tu vas lui dire, qu'il le comprenne. T'espères qu'il le comprendra.

— Je te protégeais parce que j'avais la trouille que tu t'en ailles alors que moi je serai resté- je suis resté. J'ai mis du temps à comprendre que c'est pas de ma protection que t'avais besoin et que c'est pas de ta perfection dont moi j'avais besoin.

T'avais besoin de ses fêlures autant que de ses rires.
De ses peines autant que de ses joies.
T'avais besoin de franchise.
Pas de masques.

— J'ai toujours su que t'étais plus que ça et je crois que je voulais que tu me le montres mais en même temps j'ai jamais rien fais pour à part te gueuler dessus de temps en temps quand t'étais pas honnête avec moi. J'avais peur que tu partes.

T'as un ricanement amer avant de poursuivre.

— Bon au final tu t'es quand même barré mais j'imagine que c'était pour le mieux.

T'es sincère malgré ton coeur qui se serre encore de la peine qu'il avait causé. Ça veut pas dire que tu l'aimes moins, seulement que t'en es content et triste à la fois. Et que tu l'aimes, Ezra.

— Je veux pas voir le Ezra parfait.

T'en as assez des mirages.
Et vous saviez tous les deux que c'est rien d'autre que du bullshit.