Tu as rendez-vous dans le monde moldu aujourd’hui. Plus discret pour tes confrères sorciers sans doute, plus compliqué pour toi aussi si tu vois l’un d’eux. Précisément ce qu’il se passe aujourd’hui.

Vous vous voyez régulièrement depuis deux ans. C’est toujours un peu grisant ces rencontres. Tu ignores à quoi elle ressemble, elle n’a aucune idée de ton apparence. Ça n’est pas l’important. C’est toi qui as instauré ça, parce que Silence (re)naissait à peine. Et tu te fiches de ne pas savoir qui c’est en dehors de vos rendez-vous . Après tout, c’est ton choix l’anonymat.

Être Silence te fait du bien. C’est sans doute le seul moment où tu t’autorises à parler avec un sorcier. Ne pas pouvoir utiliser ta baguette joue c’est sûr, mais le fait d’être anonyme aussi.

Toujours ce sentiment étrange qui t’envahit à l’idée de parler avec une sorcière. Tu pourrais bien te servir de ton sortilège favori mais quelqu’un pourrait débarquer et avoir affaire au service des usages abusifs de la magie n’est pas dans tes plans.  Alors tu as pris des stylos et ton carnet dans une sacoche de cuir usé.

Tu es un peu en retard, tu as profité de ta sortie pour passer chez ton éditeur moldu et tu as croisé un auteur avec qui tu avais travaillé l’an passé. Vous avez un peu discuté et ça a suffit pour te mettre en retard : tu devais repasser par chez toi te changer pour devenir Silence . Tu as fini par transplaner de l’arrière de la maison d’édition à chez toi au lieu de faire le trajet à pied comme tu aimes.

Tu as toujours aimé te déguiser. Pas question de prendre du polynectar, par contre tu t’es teint les cheveux en noir avec une bombe de coloration moldue et fardé le visage avec une poudre blanchissante dont tu ignores le véritable nom commercial. Pour le reste, un pantalon noir ample qui descend au niveau des semelles de tes chaussures à plateforme (T’es suffisamment petit, pas la peine d’en rajouter une couche !), une veste de costume sur un pull anthracite. Et un arlequin blanc qui camoufle le haut de ton visage. Ça te fait une drôle de dégaine mais tu t’en fiches. Tu aimes bien cette dégaine. Ça tranche du Marian habituel, c’est pas plus mal !

Tu t’es arrangé pour transplaner derrière un bosquet désert et éviter la foule. Tu déambules dans les buissons jusqu’à atterrir au centre du labyrinthe végétal, à côté d’une fontaine.
Comme toujours, Acid sait quand tu arrives avant de te voir. Tu n’as jamais cherché à savoir pourquoi. Votre relation se base sur une confiance mutuelle auréolée de secrets et tu ne remettras pas ça en question de sitôt. Peut-être jamais.

Assise sur votre banc habituel, entourée par un nombre de rosiers tellement important pour un mois de janvier qu’il en devient louche, elle se retourne et te salue.

— Acid. Je n’oserais pas !
Les mots se déforment, comme toujours. T’arrachent une grimace un peu frustrée que tu ravales.
Pas d’excuses de ton retard – tu as réussi à le minimiser et Acid est du genre toujours en avance.

Tu t’assois finalement sur le banc, sa sacoche sur tes genoux, sors ton carnet, tes stylos. Tu n’es pas d’une humeur très bavarde aujourd’hui. En tout cas, pas oralement.
Cependant, tu vas bien devoir te forcer, parce que le journaliste agacé et ses questions par pancartes à la journée des droits des Non-Magiques aura peut-être intrigué. Et Acid a un talent pour être au courant d’un tas de choses. Après tout, elle est informatrice. Elle sait que tu préfères écrire parfois mais des journalistes muets, ça ne court pas les rues. Elle n’est pas stupide et tu tentes de noyer le poisson.

Ne t’embarrasse pas de jolis détours inutiles et lance de but en blanc :
— Étiez-vous présente lors de cette débandade ?

Tu ne vois pas d'autres mots pour décrire cette journée et Acid comprendra, c'est la raison pour laquelle vous avez rendez-vous aujourd'hui.
Ta présence à toi n’est pas un secret. Après tout, tu as posté un article sur le Stupeshit. Savoir que tu aurais pu la croiser à visage découvert te perturbe, t’inquiète – et t’intrigue beaucoup aussi. Il y avait du monde, tu ne te détachais pas de la foule (à part cette foutue pancarte). Elle non plus sans doute.

Mascarade. Un mot plutôt juste, en fin de compte.
Tu notes qu’elle n’y était pas. Peut-être ment-elle, mais ça t’étonnerait. Garder vos identités pour vous, oui, mentir ouvertement, non.

Long soupir que tu ne réprimes au final pas vraiment lorsqu’Acid aborde la Ministre. Hoche la tête.

— Elle a disparu puis est revenue d’un seul coup.

Rien qu’un reflet de plus de l’incompétence du Ministère. Après tout, elle en est à la tête. Tu reprends, toujours en privilégiant les phrases courtes que ta diction déforme.

— Je ne sais pas si elle est vraiment impliquée. Mais je pense qu’elle en sait plus que ce qu’elle veut bien dire.

Tu ne lui feras pas confiance. Jamais. C’est une politicienne comme les autres. Les politiciens ça ment pour arriver à ses fins. Tu ignores son but, raison de plus pour ne rien lui céder.

— Pour Cavendish, je ne sais pas. . Pause puis tu précises ta pensée : C’est dur de savoir qui croire.
Presque impossible en fait. Sans les maigres informations que tu as sur tes collègues, tu serais complètement coincé.
— Ils aiment tous beaucoup trop cacher la vérité.
La cacher jusqu’à ce qu’on les force à la cracher. Ce qui n’est pour l’instant pas prêt d’arriver.
Frustrant.

Tu hésites à aborder le sujet des journalistes. C’est une information vachement précise, quoique tout de même bien utile à savoir. Tu pourrais le savoir de pleins de façons différentes. Un peu rassuré, tu partages tes questionnements :
— Je sais que les disparus de la Gazette travaillaient sur Windsey Tu n’as jamais réussi à prononcer le mot journaliste correctement, hors de question de t’acharner en le massacrant encore davantage. Tu reprends après une brève pause : — Je me demande si ça a un lien.
Mais Cillian est dans le coma. Et Aurel ne se souvient de rien. Et Windsey a laissé une lettre de suicide à son domicile.  

Tu te redresses sur le banc, rentre une main dans ta poche, te félicite intérieurement d’avoir pensé à prendre des gants.

— En tout cas, je pense que le corbeau a un lien avec les deux évènements.
Raccourcis la phrase, partage tes soupçons, note sans trop y penser tous les pôles impliqués sur ton cahier : la ministère, Cavendish, les deux incapables de l’organisation, l’élève cracmol entre parenthèses (la question étant surtout de savoir qui l’avait impliqué).

Marmonne ton assentiment lorsqu’elle te dit s’occuper de Cavendish. Diviser les tâches ça marche toujours mieux. Surtout qu’elle est bien plus douée que toi pour trouver les informations.
Toi t’es juste une oreille qui traine, puis une voix. Tu écoutes, tu transmets, tu amplifies. Tu fouilles pas spécialement. Pas l’envie qui manque, c’est juste pas ton domaine de prédilection.

Soupir lorsqu’elle démonte tes arguments sur le retour du Corbeau. Pour toi, l'identité sous le masque n'a aucune importance. On ne peut pas vraiment le tuer. Et tu te dis qu'il est forcément encore là. C’est pas possible autrement. Peut-être que t’as juste besoin d’un coupable pour Cillian. En tout cas, l'idée que ça soit juste un sujet tendance, c'est pas possible pour toi.

— Je ne sais pas… Ta phrase traîne sur la fin, marque de ton hésitation. Tu es vraiment partagé. Que croire ? Lentement, tu déploie les prémices de ton raisonnement : — Le Corbeau n’a pas de visage. Cherche les mots les plus simple pour expliquer ton idée alambiquée, tu te tournes et retournes les poignets. — Peut-être qu’il est mort. Mais l’idée du Corbeau reste. Il a des partisans très impliqués.

Qu’est ce qui en empêcherait un de décider de reprendre le flambeau ? Si le Corbeau est bel et bien mort ? — Sa mort ou non n’est pas l’important. On ne peut pas tuer une idée.

Ta main relâche ton stylo, tu fixes ton regard sur les rosiers d’en face.

— Tout ramène à Windsey. . Qui a bien sûr disparu. Ça serait trop facile autrement !
Windsey que deux journalistes ont voulu interviewer. Ils ont disparu plusieurs semaines, l’interview n’a jamais été publiée, maintenant il est accusé de maquiller la mort du corbeau…

Ta main trace à toute vitesse des lignes dans ton cahier, encre tes observations, tes questions. Sur une page vierge, tu inscris en capitales le nom de Windsey et y relie toutes ces questions. Tout gravite autour de lui.

— Et tout part de ma collègue. Te redresse de ton schéma plutôt lisible, interroge Acid : — Tu as entendu parler d’elle ?
Et si oui, est-ce que tu as pu trouver des choses ? tu complètes en pensées.

Elle s’est présentée comme journaliste indépendante, alors tu as bu ses paroles comme du nectar sans poser aucune question. Le coup des Cavendish t’a laissé plus dubitatif, mais la partie sur Windsey… Tu as envie de la croire. Histoire de trouver un coupable ? De te rassurer, de savoir qu’au moins une personne n’est pas totalement aveugle dans cette histoire ?

Tu hoches la tête au fur et à mesure qu’Acid déploie son raisonnement.
— ça serait une idée. Même si pour toi, qu’ils aient été un groupe depuis le début ou qu’il s’agisse simplement de fidèle trop zélés n’a aucune importance. Le problème demeure entier. Le Corbeau - les Corbeaux, peu importe - existe. Il sévit toujours. Il est mort, et alors ? Si un autre reprend le flambeau, se fond dans les traces du premier, qui pourra flairer la supercherie ?
Personne.
Et c’est bien ce qui t’inquiète d’ailleurs.

La théorie d’Acid t’étonne et tu n’es vraiment pas convaincu : — Pourquoi feraient-ils une chose pareille ? Elle a accusé une tête importante du Ministère et mis un désordre monstre dans leur hiérarchie.
Questions sincères, il y a bel et bien quelque chose qui t’échappe. Tu te débats avec la prononciation du mot Ministère, tire machinalement le doigt d’un de tes gants. Tu sors de ta sacoche les croquis que tu as fait à partir de tes souvenirs de la journée, pose celui de la journaliste mystère bien visible sur tes genoux.
— J’ai dessiné l’apparence qu’elle avait au Ministère. Si elle a pris une potion, on peut remonter à la source. Ta langue s’emmêle, ta bouche se tord en une grimace de frustration. Grande inspiration, tu reprends lentement la fin de ta phrase massacrée : — et essayer de voir qui est la personne dont elle a pris l’apparence.

Avale ta salive puis tu poursuis en te forçant à conserver ce débit exagérément lent qui t’exaspère mais qui te garantis de garder la majorité des mots à peu près compréhensibles : — Si c’est une Moldue, ça ne nous mène à rien. Mais si c’est une sorcière, ça nous donne une autre façon d’attaquer le problème.

Tu envisages cette histoire comme une corde emmêlée. Tout le monde a prévu de protéger un des bouts du cordon pour empêcher les curieux comme toi et Acid de le démêler. Mais l’autre… Qui sait où ça peut vous mener ?
— J’aimerai vraiment trouver cette collègue. Ou fausse collègue.
Et c’est un espoir véritable qui t’habite. Une volonté profonde d’avoir des réponses. Enfin. Sans avoir à mendier pour.

— Il y a forcément un fond de vérité sur Windsey ! C’est ça qui est important.

Juridiction c’est un bien grand mot. Et tu soupires alors. T’es pas sorti de l’auberge (t’y es même pas entré, en fait). Tes yeux fixent ta main droite, tu tambourines sur ta cuisse sans trop y prêter attention, comme pour mettre du rythme dans ta réflexion qui prend corps, petit à petit.

Tu es bien conscient d’avancer en terrain miné - ça serait presque un euphémisme. Entre ceux qui savent et qui ne diront rien, ceux qui croient savoir et ne diront rien non plus et ceux qui vomiront leurs mensonges, compliqué de comprendre le pourquoi.

Se méfier du chaos… Ses paroles évoquent en toi des doutes et tu ne notes de regarder qui montera dans la hiérarchie dans les prochains jours voire les prochaines semaines. Sait-on jamais.
A sa question, tu dessers tes doigts et lui tend le dessin :
— Je t’en prie.

Son couperet tombe et une partie de toi lui concède ce point. Une partie seulement, parce que le reste ne peut pas s’y résoudre. Elle a cette liberté sacrée, celle de s’exprimer, elle a le fameux et tant convoité savoir, ce savoir sacré que tu peines à questionner.
Mais tu oublies de distinguer liberté et chaos. Tu ignores (volontairement sans doute), qu’informer ne veut pas dire semer la zizanie.
On t’a agité comme des grelots une “vérité” ou plutôt un immense cri “on nous ment” et ça t’en es persuadé. Alors tu prends ce qu’on te donne.

Car, tu veux savoir Marian. Lassé qu’on te cache des choses, qu’on te mente. Tu veux la vérité pleine et entière, quitte à ce que ça secoue le monde entier. Tu ne veux plus de silence.

— Je ne sais pas.
Et ça te frustre encore d’être ignorant. Mais ce n’est que la vérité. Ou plutôt une semi-vérité. Parce que t’as plus que tout envie de la croire, cette journaliste.

Une main attrape une rose derrière toi et distraitement tu caresses la tige pendant que vous avancez au point suivant :
— Il a quitté la vie publique à sa démission, je ne pense pas qu’il voyait grand monde.

Mais était-il autre chose qu’un témoin gênant ? T’aimerai y croire mais t’arrive pas à en être certain (pour changer).
— Je n’arrive pas à savoir si deux évènements ont eu lieu en même temps ou si tout est lié
C’est sacrément complotiste “tout est lié”. Et malgré tout tes défauts, tu n’es pas complotiste. Mais il faut admettre que ça se pourrait.
T’en a aucune idée, avec tout ce flou frustrant.
Parce que la journée des droits des Non-Magique a une portée symbolique assez forte et nombreux seraient les fauteurs de troubles qui voudraient en profiter.

Parfois, tu te dis qu’Acid ferait une excellente narratrice. Elle sait parfaitement comment t’apater - et toi tu marches à chaque fois.

— Notre ministre ?
Tu répètes avec une lenteur exagérée - le mot ministre est particulièrement pénible à prononcer. Et aussi parce qu’elle a titillé ta curiosité. Et la suite ne manque pas.
Trois coïncidences ? Ton esprit avide s’empare de l’information et tu repasses en boucle tous les évènements, histoire de trouver ces fameuses trois coïncidences. Parce que tu veux vraiment y croire. Alors tu mets de côté le gallion, les corbeaux. Et Acid continue alors tu mets tout ça sur le côté, parce que ce qu’elle te dit… c’est le début des emmerdes.

— Le principe d’une rumeur c’est de ne pas avoir de source. tu réponds, un air songeur sur le visage, l’enjoignant d’une main de continuer. Parfois, les rumeurs sont discréditées à la source. Parfois non.
Et si ta voix ne suffit pas, tu es certain que le Reniffleur sera très intéressé.

Quelque chose te dit que la suite va te plaire.
Ça ne manque pas et un sourire remplace l’expression pensive :
— Je ne pense pas non plus.

Sa capacité à faire ressortir autant d’informations diverses t’étonne toujours - et t’émerveille un peu.
Tu bois ses paroles, prends fébrilement des notes.
— Un peu, c’est déjà trop. Et le Ministère ne cesse de te décevoir, même quand tu crois qu’ils ne pourront pas tomber plus bas. Dans d’autres domaines tu serais impressionné. Là, tu es juste lassé.

Te raccrochant à la conversation, tu commentes :
— Un effet boule de neige.

Ta réflexion s’enclenche à toute vitesse pour trouver des moyens de diffuser ça.
Plus tard. Tu verras ça plus tard.

Retour dans le présent, tu lâches le fond de ta pensée d’un ton égal (avec un sourire sincère) :
— Une fois de plus Acid, je suis impressionné par la quantité d’informations que tu arrives à trouver.