Ça partait pour être une journée comme les autres à la base. Départ du son quartier qui grouille d’enfants excités pour leur journée d’école, arrivée au chaudron baveur par l’entrée du Londres Moldu, accès au chemin de traverse puis aux bureaux, entrée dans le sien – plus pratique pour entreposer ses encres, faire sécher ses pigments et ses illustrations achevées. Et puis avec sa « condition » les responsables ont préféré le mettre à l’écart – pour qu’il soit tranquille sans doute. Ça lui convient parfaitement d’ailleurs.
Non vraiment, tout partait normalement.
Et puis il est arrivé. Plus petit que lui – ce qui en soit est rare, l’air stressé- ou perdu, il ne saurait le dire. En tout cas, l’inconnu a passé la tête dans son bureau, dont il avait laissé la porte entrouverte et l’a apostrophé. Marian ne lui a pas répondu au début, il s’est simplement stoppé dans son travail, et l’a écouté.
La voix s’excuse de le déranger ; il secoue la tête pour infirmer. Il aurait fermé sa porte s’il avait une urgence à traiter.
Je précise que je ne vend rien, on m’a déjà fait la remarque dans les étages inférieurs
Un vendeur ? Quelle drôle d’idée. Quel genre de vendeur serait habillé comme ça ? De ceux qui vendent des choses chères sans doute, mais qui n’aurait rien à faire dans les bureaux de la gazette. Les journalistes ne sont pas les sorciers les plus fortunés. Il retient un sourire ; son interlocuteur n’a pas l’air amusé.
Il a envie de lui répondre, mais sa baguette est posée sur le meuble derrière lui, il l’a laissée en arrivant et n’en a pas eu besoin ensuite. Il devrait aller la chercher avant toute chose, mais cela voudrait dire tourner le dos à l’autre – qui ne risquerait pas d’apprécier sans comprendre…
L’autre continue, pose sa question. Le bureau de Beau Smith ? Oui Marian sait où il est. Il veut se tourner pour prendre sa baguette, mais l’autre s’impatiente ; lui fait une description grossière – mais juste – de Beau. Marian hoche la tête à nouveau, plusieurs coups brefs. Oui, il sait où il est. Mais si l’autre s’énerve, il n’aura pas sa réponse. Il est mal tombé…
Je sais que j’embête tout le monde avec mes questions mais si vos bureaux étaient correctement signalés, j’aurais pas à faire la manche pour une pauvre information, ok ? Personne est devin, c’est du bon sens ce que je demande.
Il marque une pause dans sa diatribe enflammée ; bien trop enflammée pour un matin normal. Mais en même temps, Marian le comprend : seul et sans personne capable de le diriger correctement, ça aurait de quoi mettre en colère c’est sûr. Surtout qu’il a l’air un peu stressé à la base. Ou peut-être est-ce les multiples refus qu’il semble avoir essuyés qui l’ont tendus comme ça.
Sa décision est prise. Il prend une respiration, pivote, attrape sa baguette à tâtons et la pointe sur le carreau qu’il a eu l’idée d’installer à son arrivée. Céramique moldue blanche ; le premier qualificatif n’a aucune importance, et le deuxième n’en a pas une grande non plus. L’ensemble lui sert à communiquer, et revêt donc une importance capitale.
Son vis-à-vis parait à présent réellement fâché et le regarde étrangement lorsqu’il a dégainé sa baguette. C’est vrai que sa posture n’est pas vraiment explicite et que le haut du carreau est proche de son entrejambe. En plus, l’autre n’a aucune idée qu’il ne parle pas. Bien vite il la pose sur la planche du bureau et projette sa phrase, la fameuse phrase, sur le carreau blanc.
Je ne parle pas.

Sa réaction le rassure un peu- mais en même temps il ne comprend pas trop. Au moins, il s’en veut d’avoir été un peu rude. Plutôt impoli ou franchement rustre peut-être, mais il avait l’air stressé. Alors il ne lui en veut pas – ou à peine, mais ça part vite. Et une partie de lui-même en veut à tout le reste de pardonner si facilement ; lui hurle qu'il mérite le même respect que tous les autres; qu'il s'est écrasé petit à petit. Cette partie de lui n'a pas tort, mais qu'espère-t-elle de lui ? Qu'il les envoie tous valser, les rares qui prennent la peine encore de faire attention à lui ? Ah, il aimerait bien parfois; mais ça parait compliqué. Impossible en fait. Il est bien seul, mais il reste humain, et seul tout le temps n'est pas quelque chose qu'il souhaite. Il a assez donné pour le restant de sa vie, merci.
Son nouveau collègue prend une chaise en face. Marian est un peu surpris. Il avait l’air vraiment pressé pourtant. Et puis il s’explique un peu, brouillon, assurément mortifié, vaguement paniqué encore. Les mots sortent en file indienne chaotique, mais ils sortent.
C’est mon premier jour, on m’a claqué la porte au nez une quinzaine de fois, j’ai perdu patience, je suis le salaud de l’histoire, je sais.
Pas d’accord du tout avec cette affirmation – et un peu mal à l’aise qu’un parfait inconnu lui balance ça sans préambule, il lui répond aussitôt.
Les situations angoissantes rendent plus facilement irritable. Et je ne pense pas que tu sois un salaud.
La phrase s’efface, et il en rajoute une autre, une tentative de dédramatiser
Et ce n’est clairement pas marqué sur mon front que je ne parle pas. Je ne vais pas le crier sur les toits en plus
Les lettres se déforment un peu alors que « crier sur les toits » s’affiche sur le carreau. L’expression le fait toujours autant rire. Le silence se fait. Le vis-à-vis tente de se rassurer visiblement, et s’il a besoin de temps, qu’il le prenne. Son histoire avec Beau avait l’air urgente, mais mieux vaut qu’il y arrive calmé, non ? De toute façon lui-même a besoin de se calmer un peu aussi. L’agressivité dès le matin, ça ne lui a jamais réussi, ce jour-là n’est pas une exception.
Il hoche la tête à sa question. Oui, c’est lui qui dessine tout le temps, toute la journée, tous les jours. Même les week-ends, il lui arrive de venir dans son bureau et dessiner toute la journée.
Il suit du regard le doigt curieux qui atterrit sur un de ses derniers croquis. Il l’aime raisonnablement. Il en a fait de bien meilleurs, mais ils ne sont pas ici pour la grande majorité.
J’aime beaucoup. C’est donc toi qui illustre les articles de la Gazette…
Il acquiesce encore, même s’il n’est pas sûr que l’autre le voit. Il pourrait presque voir l’anxiété et la colère se déverser par volutes hors de son corps.
C’est cool, j’ai fait une bonne première impression. Je suis le nouveau photographe. On va être amené à travailler ensemble si tu m’en tiens pas trop rigueur.
Cette fois, il ne peut retenir un bref éclat de rire. Bref oui, mais aussi étrange, éraillé, gauche… que des preuves qu’il n’utilise pas très souvent ses cordes vocales, mais elles qu’elles existent.
Aussitôt, il s’explicite sur le carreau, de peur que son nouveau collègue ne le prenne mal. Il ne sait pas vraiment sur quel pied danser, mais son instinct lui chuchote que son vis-à-vis n’a pas l’air si méchant, simplement stressé et très impatient.
Je ne me moque pas ! Simplement, je dirais que la première impression était… une première lettre se forme, se brouille, et un mot complète finalement la phrase dynamique. Mais si tu as une personnalité aussi forte, je doute que les sujets épineux te résistent longtemps. En fait, je pense qu’on se complètera bien.
Son nouveau collègue lâche un soupir, encore perdu dans ses pensées, relève la tête, tend sa main. Marian l’attrape sans hésitations et se présente, reprend un peu tout à zéro, l’interroge- l’encourage du regard.
Je m’appelle Marian Storm, je suis illustrateur à la Gazette depuis trois mois.

Anastase. Ça sonne bien, ça sonne différent. Un peu noble aussi. Il ne donne pas son nom de famille ; nom français probablement, au vu de son accent ? Peut-être craint-il une moquerie, ou bien peut-être est-ce trop complexe à prononcer en anglais ? Ça n’est pas important de toute façon.
Anastase lui pose une autre question, observant un peu partout son bureau ; peut-être que face à quelqu’un d’autre il se serait senti scruté, son intimité mise à sac. Mais lui non. Il sait qu’Anastase est stressé et nouveau ; qu’il est maladroit. Beaucoup le sont, mais peu ont la correction de s’en rendre compte, moins encore s’en excusent.
S’il a des conseils ? Il sourit en réponse, puis les mots s’affichent sur le carreau.
J’ai un job un peu à part mais je touche à toutes les rubriques, je ne m’ennuie jamais. Sourire à nouveau à lui-même ; sa plus grande hantise l’ennui, et il est rassuré de ne pas en avoir fait les frais. Ote la pensée, discipline son esprit, reprend son discours. Le rédacteur en chef est têtu, grande gueule parfois, il n’aime pas qu’on lui rentre dedans ouvertement. Mais il est honnête ; il me fait vraiment confiance malgré mon arrivée récente.
Se replonge dans ses quelques souvenirs, réfléchit un peu, et continue
Je ne connais pas beaucoup l’équipe. Je reste souvent dans mon coin ; j’ai souvent partagé une ou deux conversations grand maximum avec les autres.
Se rend compte que ça pourrait être compris comme s’ils l’excluaient. Ce qui n’est pas entièrement faux bien sûr, mais pas entièrement vrai. Alors il s’empresse de corriger.
Je ne vais pas forcément vers eux aussi, ils ne m’excluent pas volontairement ! Je pense qu’ils ne savent pas trop comment réagir vis-à-vis de moi.
Franchement désemparé, essaye d’inventer une excuse, d’excuser l’inexcusable. La rage sourde remonte, celle qui le titille lorsqu’il se voit ignoré une fois encore. Y penser encore, ressasser toujours, inutile. Les choses sont comme elles sont, même si c’est frustrant. Enfin bon. Ça n’était pas le sujet. Tout n’est pas blanc, mais tout n’est pas noir non plus.
Il se redresse, se recentre sur la discussion, chasse les pensées parasites, désagréables, angoissantes mêmes lorsqu’elles prennent trop racine.
J’ai un peu dévié, c’est une question vaste ! Je ne sais pas trop quoi te dire d’autre mais si tu as besoin de quoi que ce soit n’hésite pas !
Marque une pause ; ajoute précipitamment tandis que les lettres habituellement bien droites tanguent à peine
J’ai toujours rêvé d’apprendre la photographie, surtout sorcière !
Révèle inconsciemment ses origines, s’en rend compte trop tard. Tant pis, pas le temps de regretter et impossible d’effacer. Espère que tout ira bien.

C’est vrai ?
Léger hochement de tête, juste pour à peine confirmer. Il lui confie aussi quelque chose, à son tour. Marque une pause, semble réaliser que ça n’était pas explicite. Marian penche la tête, l’encourage à continuer.
Un photographe qui ne sait pas photographier ça n'est pas possible. Anastase balaie ses questions en complétant, ses paroles sortent un peu bousculées. Une pointe de gêne s’invite aussi.
Il doute alors lui aussi ? Doute sur ses capacités, sur sa place. Ça le fait sourire, mais avec un peu d’amertume parce que lui aussi il doutait beaucoup, souvent. Toujours maintenant, mais moins. Au moins, il peut se dire que ça n’est pas grâce à sa tchatche ou à un discours enflammé qu’il aurait fait. Né moldu en plus, donc personne pour faire pression pour l’embaucher. Il a sans doute été là au bon moment aussi, mais ça n’a pas du tant jouer que ça.
Tout ça le sauve du doute affreux, mais c’est une chance en fait, il le réalise à présent. Reprend sa baguette, répond d’un trait net, parce que ce qu’il lui communique est une évidence pour lui.
Être autodidacte ne fait pas de toi un incompétent.
Se souvient de ses débuts à faire ses encres. Des expérimentations qui l’ont conduit là où il est à présent. Il n’a pas ouvert un seul bouquin au début, et très peu ensuite, parce qu’il voulait apprendre par lui-même.
J’ai appris à faire mes encres seul aussi, parce que c’était plus simple d’avoir une matière déjà magique plutôt que de l’enchanter après. Et je préfère le rendu aussi ! C’est plus spontané.
Au début il n’en parlait pas, parce qu’il n’avait rien à en dire. C’était une méthode de travail comme une autre. Le jour où des artistes qu’il estimait ont commencé à s’intéresser à son travail, le jour où cet illustrateur est venu à Poudlard et a complimenté la qualité de ses encres, ce jour-là il a compris qu’elles revêtaient une valeur. Il ne l’a pas vraiment compris seul en fait.
La proposition le touche vraiment. Il ne l’a pas forcé, c’est sorti naturellement, et il aime ça, alors il répond simplement
Avec plaisir !
Se redresse un peu, s’étire, ajoute une phrase :
Je veux pas te mettre en retard d’ailleurs. Ton rendez-vous avec Beau, ça avait l’air pressé.
Un peu peur que ça paraisse brusque malgré tout, parce qu’Anastase a l’air d’être ce genre de personnes à démarrer au huitième de tour. Peut-être simplement est-ce le stress qui joue.
Par contre, je veux bien prendre ton numéro si t’es d’accord !
Sort son Pineapple qu’il avait laissé échouer dans une caisse sous le bureau foisonnant, le déverrouille. Prend note et sourit alors qu'Anastase se redresse. Il le salue de la main, il se reverront sans doute rapidement - l'invitation de son collègue n'est pas tombée à plat.