T’es sorti en traînant des pieds. Pourtant, tu avais vraiment envie de voir Atticus - ça fait trop longtemps ! Mais ça tombe au pire moment, comme souvent.

Depuis quelques jours, tu n’as la tête à rien. Et ce matin, lorsque tu as frappé le mur jusqu’à faire saigner tes poings, c’était simplement trop.
Tu as hésité à annuler au dernier moment mais ta sœur au téléphone t’a encouragé à y aller quand même. Elle a souligné avec justesse que ça te ferait probablement du bien. Même si ça te parait vraiment futile comparé à tout le reste. Y a rien de mal à vouloir un peu de “futilité” t’as dit Amy. Avant d’ajouter qu’elle ne trouvait pas ça futile du tout.  

Tu aimes ta sœur. Y a des moments où tu ignores ce que tu aurais fait sans elle. Sans doute pas grand chose.
Alors tu as bandé tes poings - pas question d’aller voir un médecin pour tes petites colères - et tu t’es préparé pour sortir. T’as réussi à guérir l’un des deux mais l’autre (le droit) est encore enveloppé de bandes blanches ; tu es loin d’être médicomage et les petits éclats du mur qui se sont logés dans tes phalanges t’ont donné du fil à retordre.

Enfin bref, t’as l’air fin avec ton bandage mais tu l’as mérité. Tu as promis à Amy de faire attention la prochaine fois - ou de l’appeler avant que ça devienne aussi gros. Tu ignores si tu parviendras à tenir ta promesse (tu ne te fais pas confiance).

Arrivé aux alentours du café, tu prends une grande inspiration et passe la porte. Pas de sourire sur ton visage, tu veux au moins rester sincère là-dessus.
Tes mains dans tes poches de manteau, tu as bien mis ta baguette du côté gauche. Tu repères Atticus lorsqu’il agite la main dans ta direction et t’approches en quelques enjambées. Sors ta baguette et la pointe sur le bord de la table - c’est tout de même plus pratique de se voir dans le monde sorcier !
Moi aussi.

Un sourire fatigué - mais sincère - accompagne tes paroles. Tu tires ta chaise qui racle à peine le sol et t’y assois, ton manteau posé sur le dossier. Tu poses tes mains sur la table sans chercher plus que ça à cacher les dégâts bien visibles - Atticus s’en serait rendu compte tôt ou tard.

Sourire fatigué qui s’étire lorsque tu vois qu’il rentre direct dans le vif du sujet. Ça ne t’étonne pas du tout, à vrai dire. Mais tu apprécies quand même la franchise - et le fait de ne pas tourner 150 ans autour du pot, surtout vu la tête du pot.

Le renvoi. C’est vrai que c’est comme ça que tout le monde l’a vu.
Alors même que toi tu l’as pris comme ta liberté enfin retrouvée. C’est bête puisque tu aurais pu repartir à tout moment, prendre ton envol à nouveau. Mais tu te sentais encore attaché, par “conscience professionnelle” probablement. Bien une notion ridicule.

Tu sens son regard lourd s’attarder sur tes mains. Rien d’étonnant, vu leur état.
On ne peut rien te cacher.

Ta remarque s’accompagne d’un rictus. T’as pas réfléchi à une excuse quelconque, une bêtise crédible pour justifier tes mains. Pas sûr que n’importe quel bobard passe en réalité et Atticus ne te ménagera pas (tu ne lui reprocheras jamais).
T’es fatigué de dire que tout va bien quand ça n’est ouvertement pas le cas.
Et même si tu voulais, ça passerait pas. T’as franchi une ligne là, Marian. Pas sûr que tu puisses faire marche arrière.

Tu sais, les disparus de janvier ? tu poursuis, sans lui laisser le temps de répondre (bien sûr qu’il sait) Une amie à moi était parmi eux.
Et tu peux pas le dire une deuxième fois aujourd’hui. Ou le projeter. Qu’importe. Tu peux pas te résoudre à l’exprimer deux fois en un jour.

Elle s’appelait Cillian.

Et ta baguette tremble sur le verbe au passé. Ça donne un mot plus brouillon que ce que t’as jamais projeté, parce que t’arrives pas à te résoudre à quitter le présent pour parler d’elle.
Mais tu peux pas finir. Tu peux pas dire que le 15 février, Cillian a quitté le présent pour devenir du passé.
Alors tu restes, le regard dans le vague (t’évites Atticus), tu tentes d’endiguer la vague d’émotions qui arrive, pour garder la face, comme toujours.

Elle est rentrée
Une grimace crispée sur ton visage, tu précises : mais elle ne s’est pas réveillée.

C’est presque comique, toutes ces métaphores pour éviter de faire face à la vérité.
Pourtant, rien ne peut changer une vérité pareille. Même la magie a ses limites ici (et tu ne voudrais pas que ça soit l’inverse !).
Ça fait juste mal (doux euphémisme).

Tu as envie d’éclater en un rire nerveux lorsqu’il te dit que tu as le droit de pleurer.
Tu n’as pas envie de pleurer. Tu as envie de hurler.
De tout brûler.

Tu désires une foule de choses mais pleurer n’en fait pas partie.

Tu réponds à sa curiosité d’une phrase rapide : Je ne sais rien de plus.
Si quelqu’un sait quelque chose, il l’a bien gardé pour lui.

Tu remues les doigts de ta main libre, composes un sourire d’excuse (sincère) sur ton visage :
Désolé, on est pas là pour parler de ça.

Tu détestes toujours autant t’étaler.

Je suis rarement dans un bon jour ces temps-ci mais je regrette que tu doives me voir comme ça.

Tu essayes de te contenir mais le raz-de-marée n’est jamais loin.

Je suis vraiment heureux de te voir, ça fait trop longtemps !

Haussement de sourcils franchement confus lorsqu’il t’entraîne à sa suite. Tu ne protestes pas vraiment parce que tu es curieux, tu te contentes de l’écouter te raconter son retour (c’est agréable d’avoir de ses nouvelles).


Exploser ?

N'est ce pas exactement ce que tu as fait ce matin-même ?
Ce qui t'a mis la main dans un état pareil ? Et encore, ça aurait pu être pire, tu as réussi à rafistoler l'autre !

Et une fois dans cette salle, vote destination, tu te plantes face à lui lorsqu’il s’éloigne, ton incrédulité renouvelée :
Frapper des trucs ? C’est quoi la prochaine étape, me mettre à parler à voix haute ?

Tu as envie de rire, tellement ça te parait ridicule. Mais tu n’aimes pas du tout la petite voix qui te murmure Pourquoi pas ?

Les apparences sont plus solides, les apparences sont plus importantes. Elles ne vont pas se briser pour une petite poussée de colère (ton déni, par contre…).

La dernière fois que j’ai frappé un truc, ça a fini comme ça.
Tu lèves ta main bandée, l’exemple parfait de ta perte de contrôle. La batte tombe à tes pieds. Frapper volontairement des choses, qu’elles soient là pour ça ou non… ce n’est pas quelque chose tu veux envisager (qu’importe ce que tes pensées tentent de te suggérer).

Tu aurais resserré le masque jusqu’à ce qu’il t’étouffe habituellement. Mais là, devant Atticus… C’était déjà fait, de toute façon. Tu ne pouvais pas inventer d’excuses crédibles alors tu n’as rien dit. Juste apporté la vérité.
Ça te change et peut-être pas en mal, quoiqu’en dise ton esprit terrifié.

Sa remarque te contente autant qu’elle te blesse.
Tu as presque envie d’ouvrir la bouche justement. Histoire de le contredire.

Presque.

Tu te détesterais de gâcher une amitié à cause d’une envie stupide.
Parfois, t’en as assez d’être le gentil muet de service.

T’es ni gentil (tu essayes mais t’as du mal) ni muet.
T’as juste laissé croire ça aux gens (et à toi le premier).

Le silence est devenu ton bouclier. Le truc que t’agite comme une chose immuable.
Mais pourtant, qu’un ami te dise de front que si tu parlais tu serais une autre personne…

Ça te fait un électrochoc.
Voir que ce qui tu voyais comme une simple excentricité est devenu ce qui te définit.
Voir que tu t’es toi même enfermé dans quelque chose qui te rassurait.
Que tu t’es toi même planqué derrière une barrière de silence ; une barrière qui te fait l’effet de barreaux de prisons à présent.

Pourtant, ça ne devrait pas te surprendre. Après tout, tu as tout mis en œuvre pour être perçu ainsi !
Mais bon, tu ne pensais pas que ça te ferait l’effet d’une baffe pareille.

Tu réfléchis à une répartie cinglante (et silencieuse). Et au final, rien ne vient.
Rien d’autre que :
— Essaye pour voir.

Regard droit, plein de défi.
Voix éraillée qui massacre les mots et te déplaît profondément. Mais tu ne baisses pas les yeux ni la tête (que tu es obligé de garder vers le haut, vu ta taille). Plus de silence, plus de honte.
Si tu veux parler, tu parleras. L'idée que ça devienne courant te crispe mais ça ne sera sans doute jamais le cas. Et c'est pas grave, ça ne l'a jamais été et ça ne le deviendra pas. Tu ne seras pas une autre personne si tu parles (cette idée te paraît vraiment lunaire) !
Tu préfères vraiment rester silencieux. Pour tout un tas de raisons.

Mais l’idée qu’on te prenne pour une autre personne parce que tu utilises tes cordes vocales…
Non. Ça ne serait pas exact.
Ça serait tout sauf exact, en fait.

Parce que tu parles partout sauf dans le monde sorcier.

On te résume bien trop à ton mode d’expression. T’as été le premier à le faire, en fait. Ça t’a aidé à l’époque.
Pouvoir mettre “la faute” sur quelque chose. Et puis trouver cette chose, la traquer, la ligoter, l’enfermer bien profond.
Et t’as eu honte, souvent. Honte de qui tu étais. Honte de ton handicap. De ta "différence" (tu détestes ce mot autant que tu l'aimes, maintenant).

C’était pas le cas avant Poudlard. T’en étais même pas conscient !
Ça t’a cassé, un peu.
Mais t’es assez resté devant le désastre à te lamenter.

Rester dans le silence, c’est parfois plus simple mais tu refuses qu’on te résume à ça.
Pas Marian si tu parles ? Et puis quoi encore ?

Le coeur qui bat rapidement, t’agis quand même comme si ce qu’il vient de se passer était tout à fait normal, reprends ta baguette comme si de rien n'était.

Je suis pas en sucre.
Tu as l’impression de devoir le répéter à tout bout de champ en ce moment. Tout le monde te traite comme si tu étais sur le point de t’effondrer ou bien comme si tu étais fragile.

Blesser les autres ça serait un juste retour.

La hargne sort, malgré tout.
T’es fatigué de tout lisser.
(De toute façon, ton poing présente une preuve douloureuse que le masque s’effrite sérieusement)

Tu as raison. Mais je ferai ça à ma façon, et cette façon n’est certainement pas en frappant des choses.

D'un informulé lancé adroitement, tu défais les fixations du barda. Tu te sens gauche et lourd avec. Différent, mais en mal.

Tu as craqué une fois, ça ne t'a pas trop réussi.

Tu nourriras Silence de cette hargne. Ça te parait la meilleure chose à faire. Il prend doucement plus de place en toi, la moindre des choses à faire serait de l’accepter. Après tout, c’est lui qui va te fournir ton gagne pain maintenant.

Ta voix récolte un rire - tes souvenirs se rassemblent, se reforment, déforment. Pendant une seconde, ça n’est plus Atticus devant toi ; ce sont tes camarades de dortoirs et tu as à nouveau onze ans.
Une seule seconde mais affreusement longue, une seconde qui te laisse hésitant, malhabile, acculé.

Tu ne prends pas la peine de répondre à son ton satisfait - tu lui as exactement donné ce qu’il voulait. Au final, ce n’est pas plus mal. Alors tu ignores la fierté, lève simplement les yeux au ciel.

Mais Atticus ne s’arrête pas là, il continue son manège et se rapproche de toi.
Sur tes gardes cette fois, tu t’es fait avoir une fois mais pas deux.
Et étrangement, tu réalises que Silence est bien plus un secret pour toi que ta voix.
Tu m’as bien eu, tu veux que je te félicite ? tu demandes ironiquement.

Ma technique me regarde, tu poursuis. Rester le plus vague possible. En soupirant, tu ajoutes finalement Je gère la plupart du temps. Aujourd’hui c’était juste beaucoup.
Tu n’es pas assez stupide pour oser lui dire que tu gères tout le temps, il a la preuve bien en face de lui que tu ne gères pas systématiquement.
Ce lieu entier t’oppresse. Avec un peu de honte, tu reconnais aussi qu’Atticus aujourd’hui t’oppresses. Tu n’étais pas venu pour te faire percer à jour comme ça alors tu optes pour la meilleure solution (tu n’es pas un Gryffondor après tout) : la fuite.
Finalement tu te détournes, retirer le reste du barda qui demeure et en t’approchant de la sortie tu lâches :   — Je pense que c’est mieux qu’on se revoie dans quelques temps. Je suis désolé, j’ai surestimé mon énergie.
Dos à lui enfin tu lèves ta main bandée en guise d’au revoir et sort finalement du lieu étouffant.