Mnemosyne aimait la nuit et ses teintes nébuleuses ; elle affectionnait secrètement les parcelles cosmiques de ce ciel si dégagé au dessus d’elle. Elle était persuadée qu’il lui seyait parfaitement ; de la manière dont l’argent couronnait sa tenue, s’alliant aux courbes et aux arabesques de ses poignes. Toujours sur de hauts talons perchée, elle vénérait cette vue infatuée dont elle s’éprenait lorsqu’elle s’élevait au dessus des autres. Le fait était qu’elle était même persuadée que sans ces derniers, même si pieds sous terre, elle préserverait toujours cette grandeur démesurée que les autres n’avaient pas. Cette grandeur que son rang lui offrait, que l’éloge de son nom lui garantissait. Jamais intouchable pourtant, elle avait toujours aiguisé ses griffes pour s’assurer que jamais l’on empiète sur sa témérité.
Cela avait toujours été elle - plutôt que les autres. Tous autant qu’ils étaient, ne valaient jamais mieux ; ils vociféraient trop et n’agissaient pas assez, ils étaient insignifiants, à se pavaner dans leur insuffisance. Mnemosyne n’était de toute évidence, pas ce genre de personne - ainsi se trouvait-elle toujours si suffisante. Mais autre chose clochait, quelque chose de plus flambant. Une envie grandissante en elle, quelque chose de véhément comme des flammes ardentes - ce qu’elle voulait était sûrement toujours plus. Il n’était jamais question d’assez.

Entre les silhouettes (qu’elle ne distingue même pas) elle s’avance, grande et déjà grandiose - elle le sait - de ce qu’on dit, de ce qu’on voit. Attire des regards et en abandonne d’autres, on la suit ; marche à son pas ou on la délaisse, la déteste. Ça n’a pas d’importance puisque la juge n’a d’intérêt que pour ceux qui tiennent la cadence, les autres ne sont que des bons à rien, ceux qu’on ne range dans aucune catégorie. Dans le tiroir poubelle, là où on les jette et les abandonne à leur triste sort. En contemplant la salle bondée, Mnemosyne en distinguait déjà plein. Et alors qu’elle se frayait un chemin dans un coin plus tranquille, il y en eut un qui se démarqua subitement bien plus des autres. Peut-être qu’il n’aurait pas dû. Mais ça importait peu, car aussitôt son regard posé sur son visage ; Mnemosyne savait très bien à qui elle avait affaire.

— Ah, ce sont toujours les mêmes qui traînent dans mes pattes. Le regard qui se pose - non sans indélicatesse - sur lui, le détaille comme de rien mais à la fois comme de tout. Ô misérable âme en perdition, de qui avais-tu croisé la route ? Tu pourrais au moins t’excuser, ne crois-tu pas ? La vérité, elle n’a pas même laissé le temps - toute suite a interféré. Comme sans manière mais c’est qu’elle veut tout tout de suite ou sinon rien. Il était évident que ce genre d’individu n’était capable de rien.

Ses orbes tombent malicieusement sur cette silhouette bien en dessous d’elle - alors qu’elle se complaît un instant à l’écouter. Là, au coin de ses lèvres, il y a ce sourire mesquin qui réitère son envie de laisser ce rire qui la chatouille voler en éclat ; puis Mnemosyne se souvient d’où elle force le pas. Une ruelle malfamée sans doute, bondée de sorciers peu fréquentables. Cependant la juge n’avait jamais craint qui que cela soit - elle marchait droit et simplement crachait son venin, ce qui ne lui valait que peu de louanges. Peu importe qu'on l'adule ou qu'on la déteste. Elle ne vivait peut-être que pour semer le chaos, ou bien s'éprenait-elle de ceux qui puissent savoir se dresser face à elle, sans forcément dresser leur baguette. La puissance rend les gens forts, le statut également ; mais ceux qui savent simplement se dresser par leur force mentale étaient les plus vifs et les plus forts.

— Ah, les gobelins sont donc tous aussi irrécupérables que ça. Son visage se force à basculer délicatement, comme s’il était bien trop petit pour qu’elle puisse le considérer sans se pencher légèrement. Alors, elle reconsidère sa question un instant. Si vous connaissiez si bien le chemin, j’aurais volontiers apprécié que vous me meniez jusque l’une d’entre elles. Qu’elle aime cette même lueur qui anime son visage - elle a même effacé ce tutoiement peu assuré dont elle avait usé précédemment. Et l’Élysée n’était sûrement pas dans cette direction ; elle le savait, elle se plaisait à délicatement amener sa grâce et son venin ici - personne n’y échappait jamais après tout, encore moins les moins que rien.
Et bien qu’elle n’en avait pas pleinement conscience (aussi bien qu’elle savait qu’il n’était pas un gobelin) - elle ne lui portait aucune estime. Son regard en témoignait et pourtant, il y flambait une lueur aussi curieuse qu’amusée. C’était un peu comme si elle s’amusait avec un petit rat - peut-être qu’elle pouvait rien qu’un peu se convaincre qu’elle affectionnait ces bestioles, sourire aux lèvres. Bien parce qu’ils étaient si petits et insignifiants que cela n’en était que plus tordant.

Elle n’a que le mépris et le venin collé au visage, Mnemosyne. Et même quand on lui répond plus amèrement, elle ne cède jamais, s’amuse toujours. Les teintes consternées souvent parsèment ses orbes mais dans peu de cas, elle éprouve de peine ; presque jamais finalement. Alors quand il la prend au mot, elle ne peut s’empêcher de rire, un rire cristallin de ceux trop détestables pour être pleinement écoutés, et elle le sait. C’est encore plus tordant.

— Alors vous m’avez pris au mot ? La satire est une valeur qui se perd, à ce que je vois et vous n’y faites pas exception. Mais ce n’est pas bien grave, elle est habituée Mnemosyne, à réapprendre les mœurs sans se soucier de ce qu’elle crée, même s’il s’agit de haine. La colère, l’angoisse et la haine, sont tous trois des sentiments valides après tout, surtout lorsqu’ils la concernent.
Alors ses répliques ne font que l’affamer un peu plus ; serpent persiflant et rugissant à la fois, il fallait bien qu’elle trouve quelque chose pour la ravir. De toute évidence, quelqu’un qui ressemblait à ses yeux, plus à quelque chose que le reste.

— Les rats connaissent bien les décharges, à ce que je présume. Qu’elle laisse ses orbes couler le long de sa tenue, qu’elle gonfle son regard de mépris, totalement indifférente à ce qu’elle peut créer. Parce qu’elle est persuadée qu’il ne se laissera pas abattre. Il n’est pas de ceux qui s'affaissent aux remarques déplaisantes mais de ses lionceaux qui daignent au moins essayer de se défendre, et même s’ils restaient plus pathétiques qu’autre chose, elle appréciait l’effort. Me voilà déçue. Moi qui pensais que vous seriez capable de me diriger, vous ne faites pas honneur à votre réputation. Et qu’elle réputation - il n’en a aucune à ses yeux, elle ne l’a jamais perçu nul-part, simplement quand elle parle de rats, elle sait déjà face à qui elle se tient. Qu’elle le toise d’un regard méprisant, parce qu’on lui a appris à les mépriser, à les regarder sans scrupule comme des misérables insectes.
Ils sont si banals qu’elle pourrait les écraser, si misérables qu’elle pourrait s’en étonner mais tout ce qui lui vient à l’esprit, et de leur lancer un jouet en plastique dans l’espoir qu’ils cherchent à l’attraper. Peut-être êtes-vous l’une d’entre elles ? Vous savez, je ne suis pas compliquée. Ricanement mal retenu, comme sa langue dont les syllabes renvoient à ces fameuses prostituées de luxe qu’il mentionnait plutôt. Mnemosyne le méprisait autant qu’elle les trouvait magnifiques, créatures débordantes de féminité pour certaines exacerbée - mais quand il s’agissait des hommes, elle ne leur offrait que du dégoût.

Ça l’amuse Mnemosyne de le voir patauger entre ses mots ; mais de toute évidence là où il pensait tout saisir de ce qu’elle désignait, il n’en avait compris qu’une mince part. Voilà donc ce que représentait cette partie du monde ; plus de venin que de réelle tentative de réflexion. Dès l’instant où il lui répondit avec plus de fierté qu’il n’en possédait, elle n’avait pas pu s’empêcher de rire - un rire vicieux et nauséabond.

— Nullement, n’avez-vous pas connaissances des Satires de Boileau ? C’est pourtant un ouvrage moldu.. Je suppose que si tel est le cas, vous y auriez réfléchi à deux fois avant de me reprendre. Et c’est bien moins hautain quand elle s’exprime ; car là où elle lui a fait remarqué qu’il n’était qu’un affreux gobelin se trouvait être une réelle attaque envers le ridicule de ses créatures. Mais elle se moque Mnemosyne d’être reprise, encore plus si c’est par quelqu’un de bien moins méritant qu’elle.
Ça lui importe tellement peu qu’elle ne s’y attarde pas plus, peut-être n’était-ce rien d’autre qu’une créature stupide et peu cultivée, mais sa tendance à ne pas hésiter lui plaisait, quel toupet pour un moins que rien.

— Si vous le pouviez simplement. Rire exécrable, comme cette fausse considération qu’elle aborde en le regardant. Mais les rats sont des créatures sans cervelles, en plus d’être immondes, on les écrase et il n’en reste plus rien d’autre qu’un cri morcelé. — Est-il désespéré d’émettre quelques suggestions ? Quand bien même cela serait le cas, vous ne seriez pas mon premier centre d’intérêt. Pas en sa direction, délicat quand elle le toise d’un regard misérable. Dégoût sans doute, voilé par un sourire insistant. S’amuser avec des prostituées aussi charmantes soient-elles, n’était définitivement pas quelque chose qui l’intéressait. Mais dévorer du regard les unes était sans doute bien plus délectable.

Regard échoué sur cette petite silhouette débordante d’orgueil (à ce qu’il semblait) - son pas se stoppe à proximité de lui. Elle ne lèvera pas la main ni la baguette sur lui ; bien au contraire, elle n’était pas de ceux qui en profitaient car c’était immonde et puéril. Simplement portait-elle un regard mal-pensant sur leurs personnes et tout ce que l’on mettait en oeuvre pour les protéger. Les considérer. Mais peut-être est-il possible d’arranger cela. Son intérêt, et cette langue qui ne sert qu’à gronder des inepties.