Tu étais débordé. Entre l'adoption d'Emma, les préparatifs du mariage et la présence de Caldwell Greengrass, tu étouffais. Soudain, tout était devenu concret. Tu étais désormais parent. Mais, surtout, tu allais te marier et si le déni avait été ton allié durant tous ces mois, il avait désormais atteint ses limites. Octobre, le temps filait. Bientôt, tu te retrouvais au Wizgala. Seulement douze mois et pourtant le monde n'était plus le même. Douze mois entre lesquels tu étais passé d'insecte à toléré, de célibataire à fiancé. Et Clovis... Ne parlons pas de Clovis. Sur le perron de la maison qu'occupait Tiphaine, tu sens la petite main d'Emma presser la tienne.

— C'est là les trésors de ta copine, Jasper Fawley ?

Tu souffles du nez. Tu l'avais anticipé, mais Emma continuait de t'appeler par ton nom et ton prénom, comme elle le faisait lorsqu'elle habitait à l'orphelinat. Elle ne t'avait encore jamais appelé papa et avait encore moins appelé Cassandre maman. Vous étiez Jasper Fawley et la Belle Cassandre (ou jolie madame selon les jours). Tu esquisses un sourire, hoches la tête. Peut-être en faisais-tu trop, mais tu avais pris l'habitude de la traîner quasiment partout avec toi. Besoin de créer un lien, peur de la laisser s'ennuyer au manoir. La notion de collection d'art la dépassait. Mais elle avait bien compris qu'elle t'accompagnait aujourd'hui chez une amie à toi, pour prendre le thé et parler de trésor, comme ceux du cabinet de curiosité familial pour lequel elle avait visiblement une obsession. Si ta fille adoptive traînait des pieds quelques fois, quand il s'agissait d'objet de collection ou d'artisanat ses yeux s'illuminaient et elle trépignait d'enthousiasme.

Tu sonnes et on vous guide jusqu'aux appartements de Tiphaine. Tu glisses un sourire à ton amie, l'embrasses sur les deux joues avant de présenter Emma, déjà occupée à regarder avec intérêt la pièce.

— Tu ne l'avais encore jamais vu. Em-
— C'est vous la copine aux trésors ?!

Tu grimaces.

— Emma donc, je te présente Tiphaine. Tiphaine, je te présente Emma.

Tu observes ta fille passée son regard sur Tiphaine avant de tendre fièrement sa main.

— Je suis Emma et j'adore les trésors ! Ils sont où d'ailleurs ?
— Navré, Cassandre est absente aujourd'hui, je ne me voyais pas la laisser seule. J'espère que ça ne te dérange pas.

Qu'importe. Vous vous installez. Tu sers du thé à ta fille et lui présente quelques biscuits. Très rapidement, elles les délaissent pour sortir de son petit sac un carnet de coloriage, sa grande passion du moment. Tu trempes tes lèvres dans ta propre tasse de thé, fronces les sourcils.

— L'évaluer ? Tu comptes vendre ?

Tu poses ta tasse, un brin perdu.

— C'est inattendu. Je veux bien le faire mais je t'avoue que je ne comprends pas. Tu as des soucis de trésorerie ?

Tu as toute confiance en ta fille pour bien se tenir. Elle avait bien compris que la politesse (bien qu'un peu rustre parfois) était gage de bonne conduite et Cassandre et toi mettiez un point d'honneur et lui apprendre l'importance de bien se comporter en société. Néanmoins, tu ne peux t'empêcher de glisser un regard de temps à autre. Tu as du mal à ne pas de sentir continuellement inquiet pour elle. Un aspect de la parentalité que tu n'avais absolument pas anticipé.

Tu fronces les sourcils en écoutant le pourquoi du comment de ta présence ici.

— Tu veux ton émancipation, donc.

Aucun jugement, tu n'es plus assez hypocrite pour te persuader que c'est illégitime de tourner le dos à sa famille. Pas quand, aujourd'hui encore, tu pries pour remonter le temps et imaginer un monde dans lequel, le toi adolescent, aurait eu le courage de faire faux bond pour vivre autrement. Tu ne sais que trop bien le poids de vos noms. Tu sais aussi que Tiphaine ne s'en sortira pas aussi facilement.

— Je refuse.

Tu encaisses sa réaction avant de poursuivre.

— Je refuse parce que ça ne t'amènera à rien. Tu ne gagneras pas ta liberté en vendant tes biens.

Tu glisses un regard vers Emma, occupé à reproduire un vase aux dessins mouvent au lieu de colorier le dessin déjà tracé.

— Tu es une Rosier. Tu pourrais fuir à l'autre bout du monde que ça ne changerai pas grand-chose. On ne fuit pas son nom, crois-en mon expérience.

Tu poses ta tasse.

— Par contre, tu peux user de ton nom et de ton patrimoine pour te faire suffisamment puissante pour que papa et maman et le reste du monde n'aillent plus rien à redire.

Tu te lèves, lui fait signe du menton de t'accompagner vers quelques magnifiques pièces. Tu penches avec intérêt sur un service à thé ancien.

— Tu as pensé à monter ta propre affaire ?

Tu te redresses pour te tourner vers elle.

— Le meilleur moyen pour un sang-pur d'avoir la paix, c'est de gagner en puissance. C'est seulement comme ça que tu pourras gagner un tant soit peu de liberté et de contrôle.

Derrière vous, Emma gribouille. Elle se lève d'un coup et porte son cahier à la lumière pour observer son œuvre. L'image te fait sourire. Ce qui te fait réaliser que tu n'as pas répondu à sa question.

— Oh, oui, je ne te l'avais pas dit. Cassandre et moi avons adopté. C'est ma fille.

T'as un sourire un peu trop fier.

— Allons droit au but : tu veux un partenariat ?

Tu réfléchis rapidement aux possibilités qui s’offrent à vous. L'argent des Greengrass a renfloué considérablement tes caisses. Tu as donc tout le loisir de te lancer dans des paris risqués. Tu sors ton pinneaple pour regarder tes contacts, fronces les sourcils en comptant le nombre de non-intéressant. Il commence à germer dans ton esprit une idée.

— La vente d'objet d'art ou d'antiquité est un marché stable à condition d'avoir des contacts. Et des contacts, j'en ai.

Tu relèves les yeux vers elle.

— Tu pourrais dégoter des merveilles, moi je pourrais les vendre aux bonnes personnes et avec le bon prix. Tu pourrais en retirer le plus large bénéfice, mes affaires tournent.

Tu passes ton temps à acheter et vendre. Des affaires en perditions que dont tu récoltes le prix d'achat multiplié par trois. Mais avoir un partenariat stable pourrait être une bonne chose. Tu glisses un regard vers Emma.

— Je cherche à diversifier mes activités. Je ne peux plus trop me permettre de jouer les rois de la nuit, maintenant. Ce serait une bonne opportunité.

Tu n'as pas encore vendu le dissemdium. Une partie de toi est trop attachée à ta première affaire. Mais tu sais que tu n'as plus de temps à y consacrer. Tu as déjà délégué la plupart des choses. Tu gardes la main sur les contacts et les infos, mais le club en lui-même tourne sans toi. Tu n'es pas encore prêt à laisser cette carte derrière toi. Mais tu sais que tu dois lever le pied et t'organiser en conséquence. Tu n'es plus tout seul à présent. Un sourire se glisse à tes lèvres pour revenir vers Tiphaine.

— Non, on se marie dans quelques mois. On attend la neige, Cassandre y tiens.

Tu secoues la tête et lui fait signe de ne pas en dire plus. Tu comprends son interrogation. Elle n'a pas été la seule à la soulever.

— Parce que c'était une évidence, tout simplement.

Tu croises élégamment les jambes avant de retourner à ton thé.

— Je finance une partie de l'orphelinat de Madame Maxine. Tu as dû en entendre parler. Dans ce cadre, j'ai beaucoup fréquenté l'orphelinat et ses pensionnaires et.. Et bien les choses se sont faites assez naturellement.

Tu glisses un regard vers ta fille.

— Je me posai déjà la question de l'adoption avant de demander Cassandre en mariage. Seulement, je n'osai pas franchir le pas. Quand nous nous sommes fiancées, j'ai fini par lui en parler. Elle a accepté de rencontrer la petite et au final c'est elle qui m'a encouragé à aller au bout de la démarche.

Tu poses ta tasse et te racles un peu la gorge.

— Cassandre et moi avons décidé de vivre selon nos propres valeurs et non pas avec celles de notre milieu. Ça... ne plais pas vraiment à nos parents mais, que veux-tu, je suis le patriarche de ma famille et Cassandre la matriarche. On est aux commandes, on fait bien ce qu'on veut.

Tu hoches la tête dans un sourire.

—  Si je n'étais pas sérieux je ne te le proposerais pas.

Le plan te paraît prometteur et loin d'être déraisonnable. N'aviez-vous pas, vous les Fawley, construit votre fortune sur ce genre de business ? Il était temps de reconnecter avec les racines. Homme d'affaires et collectionneur, voilà un tableau séduisant.

—  Nous serions partenaires. En d'autres termes, nous serons égaux. Tu ne travailleras pas pour moi, mais avec moi.

Tu glisses quelques gorgées de thé avant de reprendre.

—  Bien sûr, nous aurons un contrat que tu pourras faire, bien évidemment, valider par tes propres avocats. Nous pouvons aussi définir ensemble les parts de chacun, je suis ouvert à la discussion.

Pour ce qui en était du fonctionnement interne, tu avais déjà ton idée. Tu aimes te plonger dans les affaires. Les rouages de la gestion t'ont toujours apparu comme limpides en plus d'être une source de distraction bienvenue. Tu réfléchis une seconde avant de proposer.

—  Pour les missions, j'imagine quelque chose d'assez simple. Je suis doué pour vendre, toi pour dénicher des perles. Je dois le confesser, j’apprécie grandement de nicher mais je manque de temps.

Tu hausses les épaules en souriant.

—  Alors mêlons l'utile à l'agréable. Ta mission consistera essentiellement à trouver des opportunités d'achat et de vente. Aller chez les antiquaires, les particuliers, bref fouiner à la recherche de la perle rare. Moi, je me charge de la négoce et de la revente.

Tu imagines déjà de grands galas pour faire valoir vos œuvres. Vous pourriez faire dans l'intime, mais tu vois les choses en grand. Tu as besoin de rendre aux Fawley la gloire de leur âge d'or, alors autant jouer dans le spectaculaire.

—  J'insiste sur l'importance d'ouvrir une galerie. Il faut rameuter du monde. Si on veut maximiser nos profils il va falloir investir dans un lieu où rassembler notre clientèle. Il faudrait également mettre nos deux noms en évidence. Tes parents apprécieront certainement d'être directement liés à une affaire florissante et appréciés de nos communautés. La galerie Fawley-Rosier sonne plutôt bien, non ?

Évidemment, ton nom en avant est une évidence. Tu lui souris avant de reposer un regard sur ta fille.

—  Dans des confidences plus intimes, j'ai toujours voulu être père. Mais même encore aujourd'hui, je me demande si je suis fait pour en être un bon.

Tu reposes ta tasse et ton regard sur Tiphaine. Emma trottine vers toi pour te montrer son coloriage fini. Elle grimpe sur tes genoux, tu sais qu'elle n'en redescendra pas. Les rares fois où vous déplacez à l'extérieur, elle finit irrémédiablement par vous coller toi ou Cassandre. Quand l'un de vous s'absente et revient, c'est le même rituel. Vous en aviez un peu parlé, c'était sa façon à elle de se rassurer. L'abandon et la solitude étaient quelque chose qui l'angoissait encore beaucoup. Il n'y avait dans votre vie pas d'enfant autre qu'elle. Le changement de vie avait été brutal. Ça l'avait rendue tactile, en demande de votre présence, bien qu'elle ne vous avait jamais encore appelé papa ou maman. Tu passes tes mains dans ses cheveux, elle se penche en avant pour prendre un petit biscuit qu'elle grignote en tournant les pages d'un livre de conte qu'elle a pris avec elle.

—  Oh, tu sais, je pense que c'est plus à tes serpents d'avoir peur d'elle.

Tu te penches vers Emma.

—  Tu veux rentrer ma puce ?

Elle lève la tête vers toi, ballotte un peu la tête en faisant la moue.

— Hm, m'ennuie un peu.

Tu souffles du nez.

—  On ne va pas tarder, patiente encore un peu.

Tu reviens vers Tiphaine.

—  Alors qu'en dis-tu ? Le wizgala est pour bientôt, si tu es partante, nous pourrions profiter de l’événement pour nous faire un coup de pub. Notre public cible sera là après tout

Tu frappes dans tes mains. Emma sursaute et te lance un regard avant revenir à ton épaule et de battre ses petits pieds dans le vide.

— Parfait ! Je te contacterai par message très bientôt et nous conviendront des détails ensembles.

Tu es ravi de cette nouvelle opportunité de travail. C'est pile ce dont tu avais besoin. Étant donné que cette affaire est à deux, tu lui laisseras le choix de la galerie, sa disposition et tout autre détail d'ordre décoratif. Tu te chargeras du carnet de commandes, elle du reste.

Elle aborde un point néanmoins important. Dans votre affaire, c'est son gain d'argent qui est important. Tu réfléchis une seconde. Ce sera à voir avec vos avocats mais son deal te semble honnête.

— Écoutes, ça me paraît très bien. À voir si le deal pourra évoluer en fonction de notre succès.

Tu te lèves, Emma dans les bras. Tu as compris qu'elle ne descendra pas de son perchoir. D'une main, tu consultes ton pinneaple.

— Je peux contacter mes avocats dès maintenant. Pour le reste, que dirais-tu de se retrouver d'ici quelques jours pour planifier plus en profondeur tout ça ? Tu pourrais passer au manoir. Je crois qu'on pourrait alimenter la galerie avec quelques pièces de ma collection personnelle, pour commencer.