le matelas contre ta joue t'irritait. tu sentais les vieux rouages te transpercer la peau. près des yeux, près du nez. de la morve coulait lentement hors de l'orifice nasal. tu pouvais sentir la bave qui s'écoulait de ta bouche pour aller lentement s'écraser sur le sol de la ruelle. tu avais l'impression d'avoir fait la guerre. de t'être battue bec et ongle contre les laquais du mal. tu te vois, l'épée brandie très haut, annoncer la fin d'un combat épique en criant victoire; les soldats, chopes de bière à la main, se réjouissaient joyeusement. malheureusement, ça, tu le rêvais. tu pouvais sentir l'épée gorgée de sang entre tes doigts. tu bougeais difficilement ta main. rien, pas un giclement de sang, pas un bruit d'épée tranchant l'air. il n'y avait que toi, inutile et échouée comme une baleine le serait sur le bord de la plage.

tu sentais encore une vague douleur dans le creux de ton coude. si tu te contorsionnais un peu, tu aurais pu voir le bleu qui s'y formait, lentement mais sûrement. tu penses que tu te rappellerais toujours de ce moment, où l'aiguille a traversé ta peau pour rejoindre tes veines, et te libérer par la même occasion. tu nageais dans le bonheur. tu souriais, même. l'injection t'avait fait tellement de bien. une concentration à sept pour-cents, sombre mélange de cocaïne et d'héroïne. terriblement mortel si très mal dosé. en l'occurence, tu n'étais pas morte (ou pas encore). tu flottais loin du monde, comme si ton matelas était soudainement devenu un tapis volant. tu flottais loin de la douleur, et si tu te regardais dans un miroir, tu verrais l'absence de tâches noires sur ta peau douce et si blanche. tu aurais pu rester comme cela toute ta vie. les buts, la volonté, la détermination, tout ça, c'est beau. mais la béatitude que tu ressentais quand la douleur s'envolait loin au large, là tu te sentais vraiment vivante.

soudainement, tu sentis quelqu'un te prendre le pouls. comme si tu avais l'air morte, amorphe sur ton lit de fortune. peut-être que ça peut faire flipper de gens de voir un semi-cadavre baver sur son lit de mort. les gens n'ont pas tendance à aider chaque malheureux qui dort dans son vomi à côté de la gare. ils marchent simplement plus loin, prétextant n'avoir rien vu, rien senti. les gens sont terriblement égoïste, et toi aussi, tu l'étais. tu ne voulais pas d'aide. tu voulais une bonne dose de fentanyl pour te sentir partir loin de ce monde de merde. l'aide ne t'amènerais que douleur et amertume. les gens n'ont pas le coeur sur la main. et toi non plus.

— lâche-moi, crétin... je suis.. loin d'ici.

tes lèvres ne fonctionnaient pas comme ton cerveau le leur dictait. à vrai dire, même ton cerveau avait quitter le bateau depuis un bon moment. cela rendait la discussion un peu difficile, d'autant plus que tu n'ouvrais même pas les yeux. (la lumière est douloureuse, rétine brûlée et lumière glacée). ta main tâtonna dans le noir à la recherche de la main qui squattait son poignet sans le lâcher. tu voulais lui foutre une bonne gifle, efficace mais rapide, sauf que sa coordination ne marchait pas très bien. tu essayas en vain de lui coller ta main dans la figure, or tu ne tapas que sa main qui ne bougeait pas d'un fil. avec beaucoup de courage, tu ouvrais les yeux. la première chose qui te tapa dans l'oeil, fut les cheveux d'un blanc immaculé. et une forme de dieu. de la beauté très étonnante.

— on.. se connaît, non ?
tu soufflas un petit moment, clignas des yeux plusieurs fois, et coupas le contact visuel avec l'individu en face de toi. il était clair que cette silhouette, tu l'avais déjà vu, et pas dans un magasine.
— en vrai, je m'en tamponne le coquillart si on se connaît ou pas. je suis un peu occupée.
tu frottas ardemment tes cheveux, pour faire genre que tu avais l'air d'autre chose qu'une junkie. ce fut un échec retentissant.

   
ta solution à sept pour-cents, doux mélange de deux substances opposées, t'emmenait vers de rêves et des merveilles que tu n'avais jamais exploré auparavant. c'était la solution à tous tes problèmes, elle te permettait de faire le calme dans ta tête, envoyant toutes tes pensées toxiques au diable. elle calmait la douleur qui se baladait sous sa peau, rendant le fil d'encre qui passait çà et là presque invisible. cette solution était presque.. magique. là pour toi, quand les autres ne le sont pas. là, même quand tu es au fond du gouffre, elle t'aide à te faire sentir autre chose, autre que le vide.

tu n'as pas toujours été comme ça. avec le vice dans tes veines. avec le malheur dans tes pupilles dilatées. tu es tombée là-dedans comme l'on plonge dans une piscine, tu touches le fond avant d'atteindre le rebord. tu es tombée dans l'allée des embrumes en te perdant, en disant oui à la moindre solution. tu étais désespérée. capable d'accepter tout et n'importe quoi. tout était bon pour toi tant que la douleur s'en aille. elle te rendait folle, à te faire cauchemarder pendant les brèves nuits qu'elle te laisse avoir. elle te suivait partout, en tâche d'encre se déversant sur ta peau. les autres la fuyaient, te fuyaient. ta main n'apportait que douleur et désolation. ta main n'apporterait jamais amour.

tu sentis brièvement quelqu'un te toucher, te porter. puis vint brusquement le mouvement, comme si tu avais atterri dans un manège qui ne faisait que tournoyer dans tous les sens. enfin, les secousses prirent fin et tu laissas tes paupières fermées. c'est le choc de ta chute qui te fit rouvrir tes yeux. tu avais atterri sur du parquet, mais à qui était-ce ? tu te sentais soudainement pleinement perdue, avec tous tes sens qui revenaient au compte-goutte.

puis vint l'eau glacée.

un hurlement s'arracha de ta gorge. froid. c'était la seule chose qui naviguait dans ton esprit : froid. si froid, gelé même. tu te levas brusquement, comme si l'eau glacée t'avait remis sur le droit chemin, t'avait réveillée de ta torpeur. tu frottas tes bras dans l'espoir que ça te réchauffe un peu. erreur. tes cheveux se collaient à ton visage, et tu te tournas, grelottante, vers ton celui qui semblait être ton collègue. et il n'avait pas l'air content du tout.

une colère froide s'anima en toi. tu te tortillais en glissant sur le parquet vernis. tu tremblais — pas que de froid. les substances traversaient toujours tes veines et ne semblaient pas avoir dit leurs derniers mots. le visage de ton collègue était complètement flou, et ça bourdonnait dans tes oreilles. tu étais persuadée que si tu te levais, tu tomberais. alors tu pouvais continuer à balbutier quelque chose, si c'était à ça que tu pouvais t'accrocher. ça, et le froid. les vêtements trempés et les lèvres tremblantes.

— tu es.. un taré fini. y avait des méthodes.. plus douces.

tu peinais à articuler tes mots. tu parlais quand bien même.

— pourquoi tu ne m'as pas laissé croupir là-bas ?

tu te sentais comme un poisson hors de l'eau. happée par l'oxygène que t'octroyait ce monde. tu ne méritais pas une seule de ces molécules. ta tête tournait énormément, en boucle, comme si tu étais complètement ivre. en l'occurence, c'était presque le cas. ta salive revenait en trombe, à plonger ta bouche dans un déluge d'eau important. tu ne contrôlais plus le filet de bave qui sortait de ta bouche alors que tu parlais. pathétique. immonde. pas faite pour ce monde.

tous tes membres tremblaient, en partie à cause du froid, en partie à cause de ta redescente. tu ne t'attendais pas à tomber sur ton collègue à l'allée des embrumes, et sans lui, tu aurais peut-être pu douillé plus que cela. tu ébouriffas tes cheveux blancs en pétard. une mèche était collée à ta joue. élégant. tu te frottas les yeux, toujours pas habituée à la lumière qui semblait si forte.

ce dont tu avais peur, c'était du manque. la redescente faisait déjà du mal, alors le manque.. ce serait une bataille contre ta propre vie. tu sentais la tâche d'encre remonté jusque sur tes joues. tes joues furent prises d'un lancement piquant, et tu ne pus réprimer un gémissement de douleur. l'univers t'a si mal choisi. soudain, tu sentis quelque chose de doux sur tes épaules. un plaid. douillet. tu ne pouvais rêver mieux. soudainement, l'atmosphère étouffante de la maison semblait s'évaporer. avec douceur, il effaçait le vomi sur la commissure de tes lèvres. c'était presque tendre. tu articulas un petit merci très vite sorti de ta bouche.

et qu'est-ce qu'il faisait chaud. et ton envie de vomir faisait des cercles dans ton ventre, en se transformant en remontées acides. tu te levas, lancinante, pour aller jusque dans la salle de bain. tu te pris quelques murs sur le chemin, car tu n'avais plus aucun équilibre. il faut réussir à se laver maintenant. tu entras dans la douche d'un pas lancinant, et eut du mal à lire les contenus dans les bouteilles. tu en pris une au hasard, priant que c'était la bonne. en sortant, tu attrapas une serviette mise de côté pour toi, et tu te séchas. seulement, un soucis.

— hé ! dis, euh, t'aurais pas un t-shirt par hasard ? j'aurais bien mis mes vêtements mais ils sont trempés.

tu crias en provenance de la salle de bain. tu ne t'attendais pas à ce qu'il te vienne en aide. et qu'il soit aussi.. sympathique, d'une certaine manière. tu inspectas le creux de ton coude. il était violet. et dieu qu'elle avait envie de recommencer. la douleur revenait, et tu t'allongeas sur le sol, en position foetale. ça faisait tellement mal. il fallait que tu trouves un moyen pour l'apaiser afin que tu ne pleures de toute ton âme.

— j'imagine que t'as rien pour apaiser la douleur non ?

tu étais lamentable. trop loin pour faire le moindre sort. trop éteinte pour atteindre sa baguette. tes yeux se révulsèrent pendant un instant. tu avais l'impression de fonctionner à deux à l'heure, comme si on t'avait jeté un sort qui te ralentissait. ton mélange était peut-être salement dosé, avec plus d'héroïne que prévu sur la boîte. allez savoir avec quoi la solution était coupée. tu es trop loin pour le savoir maintenant. ta tête tourna brutalement, et tu t'accrochas sur le mur. le monde tournoyait, et tu te voyais grimper sur les murs, le plafond, puis l'autre mur pour enfin retourner sur le sol de la salle de bain.

tu te laissais faire quand il t'habillait. tu n'avais plus de dignité, de toute façon. et tu étais beaucoup trop lente pour faire des mouvements aussi complexes. dans ta tête, tu croyais avoir dit merci, les mots sortant de ta bouche pâteuse, avec un minimum d'articulation. tu sentais qu'il se faisait du mal en effleurant ta peau. tu étais comme une bombe : capable d'exploser si on la touche. et tu réprimas une petite larme qui menaçait de tomber du coin de ton oeil. jamais tu n'auras de vrais câlins, des accolades ou quelqu'un a qui donner la main. jamais. tu le regardas droit dans les yeux quand il posa cette question inopinée. il était normal qu'il veuille en savoir plus sur le Fléau qui bouge sous ta peau.

— .. oui. quand je touche quelqu'un, la douleur disparait pour moi, mais ne fait que grandir pour la personne touchée.

tu regardais tes mains, mains qui ont fait tant de mal. des mains qui semblaient se faire empaler par une myriade d'aiguilles lorsque la tâche d'encre flottait dans cette zone de son corps. ton attention était focalisée dans la douleur, qui n'était plus masquée par les drogues dans son système. un véritable retour aux sources.

— .. merci. je vais essayer de manger.

ce qu'il y avait de compliqué, avec le Fléau, c'était de vivre avec. peu importe si vous brûlez de passion pour achever un objectif, la douleur viendra toujours te ralentir et te forcer à faire le mauvais choix : le choix de la délivrance momentanée. cette libération ne dure que quelques heures. mais ça valait le coup, ça offrait un peu de répit avant de retourner dans l'abîme. c'était plus facile. moins douloureux. plus dangereux pour tes organes. car sorcier ou pas, si les reins lâchent, c'est pas bon. tu ne te blâmes pas de te détruire comme ça. seule, c'est le seul moyen que tu as trouvé pour arrêter de pleurer en boule dans ton lit quand le moindre vêtement est trop serré contre ta peau en flammes.
tu t'installas devant l'assiette qui se présentait devant toi. tu n'avais pas idée que ce serait aussi sympathique, bien que ton collègue ne se contentait que d'un thé. il fallait que tu brises le silence qui régnait. la musique venait contrecarrer le silence, et l'atmosphère était presque apaisante.

— dis je t'ai fait mal, tout à l'heure ? je devrais mettre des gants, mais je les oublie constamment.

tu mangeas un morceau — et c'était plutôt bon. mais une question te piquait. il fallait que tu tentes malgré tout.

— .. au fait, tu vas pas me faire un sermon sur ah la drogue c'est mal ne touchez pas à la seringue ? ou un truc dans le genre "tu détruis ta vie en faisant ça". je ne m'attendais pas à du silence.

— peu de gens approuvent mes choix. mais je suis tombée dans ce torrent, et je peine pour en sortir. c'est comme nager les poings liés.

la drogue une première fois, ça peut sembler marrant, ça te détache de la réalité et ça fait un bien fou. la drogue la première fois, c'est une expérience sensorielle, quelque chose de nouveau qui vient toquer à la porte de ton cerveau. mais la drogue c'est aussi les sales trips, les hallucinations qui se jouent devant tes yeux, le vomi qui s'échappe alors que tu n'as même pas la force de te lever. la drogue c'est aussi le manque qui vient pointer le bout de son nez, avec la fièvre, les vomissements, la sudation extrême, les plaintes et la souffrance. tu es tombée dans les rouages de la drogue, maintenant tu peines à en sortir. toute seule, tu glisses sur les parois pour remonter et être toi.

— ce que je veux... pour l'instant, dans ma liste d'objectifs, être clean n'est qu'à la troisième position.

tu pris une fourchette de ce qu'il y avait dans le plat en face de toi. ta langue était déliée. prête à dégainer. prête à avouer ses objectifs les plus sombres, ceux qui résonnent au fond de toi. il doit te connaître très bien, après tout vous êtes collègues. mais ça, il ne le savait pas que ton but était d'annihiler quelqu'un. c'était quelque chose que tu gardais au fond de toi. mais cette fois, tu ne pouvais t'empêcher de parler. sans cesse. être clean n'était pas réalisable pour l'instant. c'était pour l'instant le seul moyen que tu connaissais pour calmer les douleurs qui résonnent dans tout ton être.

— le reste de la liste est un peu.. spécial.

tu étais prête à tout avouer. raconter des choses que même les rumeurs ne savent pas. raconter quelque chose de personnel, qui vient du coeur.