Il était facile de se dissimuler dans la foule lorsque l'on était métamorphomage, et tu appréciais cela lorsque tes pas te trainaient au chemin de traverse pour une énième fois.
Il te fallait de la cire à balais.
Après tout, il était bientôt temps de concourir, de te hisser sur ton balais et traverser les cieux sous les cris de la foule - et ton balais devait être au mieux de sa forme.
Tes doigts jonglent avec un gallion alors que tu avances dans la foule, pensif. Peut-être essayerais-tu la nouvelle cire à base de feuilles de Moly ? Ou devrais-tu te rabattre sur les bons vieux classiques auxquels tu étais habitué ?
L'hésitation pourrait tuer Asclepios, que tu en serais encore entrain de te triturer l'esprit.
Mais l'on te tire par derrière, et tu te demandes si tu n'as pas baissé la garde et repris tes vrais traits - mais il ne te semble pas que ce soit le cas.
C'est une enfant.
Quel âge pouvait-elle bien avoir ? Tu l'ignores. Mais tu t'accroupis devant elle, souriant.

Oui ma belle ?

Elle tend sa petite main dodue vers tes cheveux et tu penches la tête sans réfléchir - riant lorsqu'elle tire sur tes mèches, avant qu'un cri ne retentisse.
Hébé, donc.
Ton regard se relève pour découvrir la maman qui vient la réprimander - et tes yeux se font aussi ronds que des soucoupes car ce visage là, tu le connais.

... Algae ?

Tu la regardes de tes appuis comme si c'était un fantôme que tu voyais - c'était un peu comme si c'était le cas. Une des premières étoiles que tu avais entraînée de ton temps, et qui sur le balais était capable de prouesses - mais que jamais tu n'aurais cru voir ici, à Londres.
Encore moins avec une enfant.

Par la barbe de Merlin ! Cela fait si longtemps ! Faut absolument que tu me racontes !

Et puis, la réalisation vient qu'elle ne peut pas te reconnaître - et avec un clin d'oeil pour la petite, tes traits viennent reprendre leur apparence normale.

Elle rit - et Asclepios cela faisait si longtemps que tu n'avais pas fait rire quelqu'un aussi sincèrement.
Elle avait changé. Cela faisait des années que vous ne vous étiez plus vus, et elle avait énormément changé. Ses traits étaient plus matures - plus fatigués aussi. L'enfant qu'elle prend doucement dans ses bras y est sûrement pour quelque chose.
Et contrairement à nombreux individus, tu ne commentes ni ne réalises même pas vraiment l'absence du père. Après tout, le tien avait-il vraiment été là dans ta vie ?

J'avais des courses à faire - comme toi.

Il indique du menton le sac de courses qui s'est doucement posé près d'elle à terre, avant d'agiter la boite de cire dans ses mains.

Je n'aurais jamais pensé te recroiser. N'étais-tu pas...

Interrompu dans ton fil de pensées, tu réalises qu'elle a raison, hoches la tête - et gentleman tu ramasses son sac pour t'avancer parmi les gens, ton épaule contre la sienne.
L'entraînant dans un de tes cafés favoris, où tu sais qu'ils servent aussi quelques petites pâtisseries, tu lui ouvres la porte, te glissant derrière elle, un regard navré aux jeunes qui vous suivaient - deux joueurs de Quidditch en une seule matinée, ça faisait sûrement beaucoup pour eux.

On sera tranquille ici - ils me connaissent.

Guidant Algae jusqu'à une des tables isolées, tu l'invites à s'asseoir, faisant de même avec un soupir et un rire, que tu adresses à Hébé.

Ce n'est pas aisé d'être connu, pas vrai ?

Tes yeux sont attentifs aux moindres faits et gestes - à la moindre inclinaison de la nuque, au moindre regard en biais. Tes doigts font apparaître une carte que tu glisses sur la table jusqu’à elle, un sourire glissé sur tes lèvres alors que tu partages son ressenti.

Cela me fait terriblement plaisir à moi aussi.

Pourtant, à sa remarque précédente, tu n’y réponds pas. Que dire, après tout ? Qu’on ne prend jamais l’habitude ? Que l’on vit constamment dans la méfiance ? Ce n’est pas vrai, et tu le sais - pas vrai pour tout le monde, en tout cas. Chacun finit par s’y faire, à sa façon. Parfois, c’est dans le refus d’accepter.
Toi, Asclepios, tu étais comme un poisson dans l’eau au creux de toute cette attention. Tes frasques et façades n’étaient qu’une des milles pièces que tu pouvais offrir au public si avide de la moindre bribe de ta réalité. N’était-ce pas délicieux de se savoir adulé et de montrer à quel point cette adulation était légitime ?
Ils avaient tous un héro en qui se projeter, et tu étais ravi d’être leur modèle.

Ce n’est pas pour la même verdure que nous avons bougé, je pense.

Un rire, léger, alors que tu appuies ton visage sur tes paumes, la dévisages.

Je n’arrive pas à croire que tu sois aussi adulte maintenant. T’étais qu’une gamine quand je t’ai rencontrée.

Un grand éclat de rire alors que tu passes ta main dans tes cheveux, embarassé.

Enfin, je n’étais qu’un gosse moi aussi à ce moment-là. On a quoi ? Trois ans d’écart ?

Le passé semblait si éloigné, si lointain, si… Différent du présent, qu’il te semblerait presque qu'il s'agit d’une autre vie. Une autre vie où ni elle ni toi n’aviez vraiment de famille. Où dans vos solitudes la reconnaissance s’était faite, et avait bâti votre lien.
Mais ce pont maintenant effondré, y avait-il autre chose que de la nostalgie du passé pour vous attacher ?

Le sourire fane de ses lèvres lorsqu'elle glisse une mèche derrière son oreille - et tu as une désagréable sensation d'avoir déçu, Asclepios, bien que tu ne saches pas exactement d'où elle vienne. Mais elle grimpe le long de ta colonne vertébrale, et se niche dans ta nuque - attendant d'enfoncer ses griffes dans ton cuir chevelu.

J'ai...

Tu hésites - il n'y avait pas de raison de te cacher derrière des beaux propos - surtout qu'elle te connaissait d'avant, qu'elle connaissait celui que tu avais laissé loin derrière, pensant ne jamais avoir besoin de le retrouver.

J'ai perdu quelqu'un de très cher et je n'ai pas supporté l'idée de rester. Fréquenter les mêmes lieux qu'avant, comme si de rien n'était...

Tu secoues la tête. Tes doigts se portent à ton cou, jouant avec le vif d'or qui y pendait, péniblement. Bien qu'elle ne te manquait plus autant, le deuil que tu portais continuer de te vêtir de noir.
Un sourire détaché glisse sur tes lèvres, et tu es reconnaissant de la taquinerie qui te permet de changer de sujet - de t'éloigner des douleurs et regrets.

Comment ça je ressemble à un vieillard ! Les journaux me décrivent comme resplendissant de beauté, figure toi !

Tes doigts passent dramatiquement dans ta chevelure pour l'ébouriffer - un clin d'oeil envoyé à Hébé lorsqu'elle lève les yeux un instant.

Tu seras pardonnée si tu me laisses vous offrir quelque chose de plus appétissant qu'un verre d'eau.

Il était difficile d'ignorer qu'avec un enfant, la vie devait être chère. Autant que tu lui permettes de respirer un peu - surtout que c'était toi qui l'avait trainée jusqu'à ce café.

Oui, je ne pouvais pas arrêter. Et toi ? J'espère que tu n'as pas quitté ton balais, tu étais extrêmement prometteuse.

Elle était si humaine, Algae, si vivante. Cela faisait longtemps que tu n'avais pas vu une sincère compassion - et alors que ça te prend d'abord de court, tu lèves la main, secoue la tête.

C'est... Rien, ne t'en fais pas. Je ne cherchais pas à t'émouvoir, je ne cherchais qu'à être honnête. Je m'en suis presque remis.

Presque. Parce qu'il te faudra un peu plus de temps encore pour envisager de retourner là-bas.
Elle avait raison, Algae, et tu le lui confirmes en hochant la tête. Changer d'air avait été libérateur. Soulageant. Et en même temps, tu avais pu renouer d'autres liens. Ce n'étaient pas les mêmes que ceux perdus, mais ils avaient tout autant de valeur pour toi, et c'était tout ce qui comptait au total.

Tant que j'ai l'opportunité de te revoir pour qu'on échange de nouveau, tout me va.

Ce n'était pas un verre d'eau qui te fâcherait - et tu lui souris amplement pour compenser.
Son parcours, quant à lui, est impressionnant, et tu siffles entre tes dents en hochant la tête.

Sacré ascension ! Je savais quand je t'avais vue que tu pourrais monter haut ! Félicitations, tu as de quoi être fière !

Elle a l'air si comblée de ses exploits, si noble dans sa joie et son bonheur. Lorsque tu l'avais rencontrée, elle était bien plus éteinte - plus discrète et étouffée, comme une fleur à laquelle on ne laisse aucune lumière. C'était un plaisir de voir qu'elle a finalement pu étendre ses ailes.
Ton regard se pose sur la petite à ses côtés - était-ce grâce à son apparition qu'elle avait pu se libérer ?
Mais tu ne veux pas poser une question aussi indélicate - et l'arrivée de la serveuse, au sourire discret, vient te libérer de l'envie de la poser.
C'est donc avec le ton de l'habitué, que tu demandes un thé au lait, et lorsque la commande est enfin passée, tu appuies un coude sur la table, amusé.

Alors comme ça, on risque de s'affronter sur le terrain, toi et moi !

Un sourire attendri fleurit sur ton visage. Elle n'avait pas vraiment changé, Algae, si ce n'est qu'elle était un peu plus mature. Un peu plus ancrée dans la réalité.
L'enfant à ses côtés y était sûrement pour quelque chose. Qu'avait-il pu arriver à son père ? Tu te le demandais silencieusement, sans jamais l'énoncer.

Si, c'est vrai. Sans honnêteté pas de franchise, et vice versa, au final...

Même si tu étais plus partisan de l'honnêteté que de la franchise. Après tout, dire tout ce qui te passe à l'esprit pouvait être une bien mauvaise idée pour toute personne face à toi.
Ce serait te mettre vite à risque d'être arrêté, au final.
Un éclat de rire interrompt tes pensées à sa remarque et tu hoches la tête, bon joueur.

Je te ferais une place d'honneur si je parviens à me forger la mienne. C'est toujours compliqué quand on débarque tout juste, faut l'admettre. Après tout, personne ne te connaît, ne te fait confiance. La complicité de mes vieilles équipes me manque.

Haussement des épaules au moment où votre commande apparaît gentiment sur la table - la serveuse l'envoyant de loin, préoccupée à faire autre chose.
Servant leurs commandes aux deux demoiselles face à toi, tu viens te saisir de ton thé, souriant lorsque tu y verses le lait froid.

Mais ce n'est rien que le temps ne saura réparer, n'est-ce pas ?

Elle est d'un rafraîchissement, Algae. Une plaisante interlude dans ton quotidien répétitif. Son discours est d'une simple logique que tu n'as pas su trouver dans tes propres pensées, mettant des mots clairs sur un phénomène qui te paraît si évident maintenant qu'elle est celle à l'avoir indiqué.

Tu as raison. Bien sûr. Tu as toujours su trouver les mots pour expliquer les choses, mhm ?

À sa remarque tu laisses le rire t'échapper, venant effleurer sa main qui t'avait touchée avec affection.

Tu t'en souviens encore ? J'étais une telle autre personne que je peine à m'en souvenir moi-même.

Tu secoues la tête, observant le manège de la petite Hébé, d'un geste magique remuant la cuillère dans ta tasse. L'enfant est si bien élevée que c'est à croire que c'est une petite adulte. C'est avec un certain temps de latence que ton attention revient à ton amie que tu dévisages.

Ça ne s'arrête jamais les drames de ce côté de l'océan, hein ?

Un sourire, tu hoches la tête pensivement, te mords les lèvres avant de les plonger dans ta tasse. Mais la façon dont elle réagit à ta question d’après te fait t’interroger, et tu l’observes attentivement, fronce les sourcils.

As-tu des fantômes à fuir, Algae ?

Mais il ne t’est pas donné d’entendre sa réponse. La petite demoiselle t’interrompt et tu éclates d’un léger rire. Comment résister à une telle expressivité, après tout ?

Alors, non, je ne suis pas vieux. Je n’ai que quelques années de plus que ta maman.

Un sourire à la sus-nommée, tu regardes la petite avec un sourire. Les enfants étaient adorables, avec leur sincérité hors du commun, brute et directe, sans aucun filtre. Tu les appréciais grandement pour cela - si un jour tu arrivais à te trouver quelqu’un, tu rêverais de fonder une famille avec. Pour bercer contre ton coeur un petit bout de toi qui te ferait rire comme cette petite-là.

Mais vois-tu, quand je devais avoir ton âge, j’ai fait une bêtise et j’ai changé ma couleur de cheveux. Je n’ai jamais pu la changer à nouveau. Mais je peux toujours changer d’autres choses, par exemple…

Ton nez s’arrondit, rôsi, et c’est en un museau de porc que tu le transformes, le remuant avant de faire un petit bruit de cochon.

Il y a un charme dans le rire d'une enfant, comme dans les sourires timides d'Algae. Il y a une sorte de douceur dans un échange qui ne cherche pas à avoir de prix, lorsque le temps passé est rappelé pour en rire et s'en moquer.
Pourtant, Algae est timide, incertaine, tremblante, comme la flamme d'une bougie qui peine à trouver l'oxygène nécessaire pour s'enflammer.
Elle serait pourtant resplendissante à s'élever et briller, plus fort que toutes les étoiles que le ciel pourrait porter.
Contrairement à elles, elle était bien réelle.
Il t'es difficile, Asclepios, de te dire que c'était la même demoiselle, que c'était cette jeune femme si timide que tu avais observée monter sur son balais avec la dextérité de ceux qui y avaient passé des années. Peut-être était-elle destinée à rejoindre le firmament.
Mais le mystère de l'enfant demeure - on ne peut s'envoler avec un tel bagage.
Tu ne demandes pas un seul instant, ni de ton regard ni de ta voix. On ne déterre pas les secrets d'autrui.
Alors lorsque le moment passe, s'étiole, et qu'elle se lève pour partir, c'est chaleureusement que tu la salues, la remercies, ravi de l'attention qu'elle avait pu t'offrir, ravi d'avoir pu renouer avec un temps plus léger.
Mais à la voir s'éloigner, tu devines, Asclepios, que c'est la dernière fois que tu avais le droit de te reperdre dans le passé.