L'odeur du sang qui tâche le plancher.
Le corps tout entier qui brûle, la tête qui hurle.
Assez. Assez assez assez assez ASSEZ !
Sans arrêt.

T'as envie de gerber -sûrement que tu l'as déjà fait. Une fois, deux fois, ah. Est-ce que c'est du sang que tu craches ? Eh merde... Putain. Tu tangues. Le corps qui vacille contre l'encadrement de ta porte, tu trébuches. Claques ta tête contre le sol, c'est pas grave au moins t'as pas besoin de te relever. Tu peux te concentrer sur... Comment respirer, c'est mieux.

Parce que tu suffoques.
T'y arrives plus.

Ah...

Ça devient noir, enfin.
De plus en plus.
Tu veux pas.

Tu veux pas mourir putain.
Mais ?

Va savoir, c'est peut-être bien ton heure finalement.
Non.

T'as les pensées qui divaguent et l'esprit qui s'effrite. Le visage d'Ezra souriant qui se dessine, les insultes de Noah qui suivent. Étire un sourire défoncé et tu gerbes -encore. Grimace. Geins. T'as vraiment plus rien d'Hermès, même pas d'Asterion. Qu'est-ce que t'es misérable, et tu veux vraiment abandonner... ?

— E-z..

La voix rauque et le corps fiévreux.
Tu crames de l'intérieur et c'est trop dur de lutter.
Tu suffoques -encore.

Te laisse aller, parce que cette fois c'est terminé, pas vrai ?
T'as peur.
T'as tellement peur putain.

Les doigts qui fouillent dans ta poche pour en ressortir lentement, douloureusement ton pineapple. Tu vois les marques à ton poignet et tout semble flou. Le temps comme distordu -t'es pas mort alors ? Est-ce que t'as dormi ? T'es pas sûr d'avoir fermé les yeux, tu sais plus mais c'est pas grave. Gémis encore, c'est que c'est pas facile d'exister dans ton état. C'est que t'as la putain de trouille qu'Atlas soit allé le trouver. Les, Ezra et Noah. Tu pensais pas -t'avais tiré un trait.

Tu crois.
Tu sais plus.
C'est pas grave.

T'essaie d'écrire sans penser à appeler.
T'écris. Tu sais pas trop quoi mais t'essaies.
Des mots simples.
Ezra.
Appartement.
Ah. Aconit.

À l'aide.
Ça t'es pas sûr de l'avoir écrit avant de fermer les yeux (encore).
T'espère pouvoir te réveiller encore.

L'odeur du sang qui tâche le plancher toujours présente quand t'ouvre les yeux encore. La voix de Noah -le visage d'Ezra. Est-ce que tu rêves ? T'essaies de parler, tu râtes. T'as pas vraiment les mots de toute façon -tu comprends pas. Ce qu'il se passe (qu'on te sauve). Tu veux dormir (jamais mourir). Le voir encore (Ezra).

Pas comme ça.
Pas comme ça.
Pas comme ça.
(horrifié)

T'as le réflexe de tenter de lever la main vers son ombre -celle qu'ils ont brisée.
Avec ses doigts en moins.
La droite.

Finis par la relâcher, toujours plus fiévreux, à bout de force.
Qu'est-ce que t'as chaud putain.

Et tu bois.
(tu crois)
Tu b o i s.
Les horreurs en image.
La main d'Atlas pour venir remplacer celle qui te tient sans te blesser. Son sourire si perfide à tes iris écarquillés d'effroi. Qu'est-ce qu'il veut putain il t'en a pas donné assez ?

Dégage.
Dégage dégage dégage DÉGAGE.

Hors de question qu'il te crève ici. Pas lui pas lui putain. Tu dois revoir Ezra. Tu dois lui dire ! Le protéger putain pas chialer comme la merde que t'es. Tu veux pas mourir.

Tu vas pas mourir.
C'est hors de question.

Alors en réponse à ces mirages qui te hantent tu recommences à te débattre plus violemment. C'est à la fois brusque et soudain, tes bras et tes jambes sur lesquels tu forces avant de repousser Noah (Atlas) en lâchant un hurlement.

— DÉGAGE SALE FILS D-HMPF!

La voix rauque arrachée avant de gémir sous la douleur de tes blessures claquées contre le sol. Tu le regardes, plus hargneux que jamais. Avant de réaliser finalement que ce n'est pas Atlas ni Cain devant toi. Et pourtant c'est eux que tu regardes avec tant d'effroi et de haine à la fois. Ezra et Noah.

— Tien toi tranquille, je te sauve la vie putain.

Tu lui lances un regard plein de colère alors qu'il retente une seconde fois de te faire boire sa stupide potion. T'as encore le réflexe de te débattre malgré la chaleur des doigts d'Ezra contre ta main. La peur au ventre qui ne fait que croître quand Noah te couvre la bouche, toujours prit entre panique et réalité, tu bouges la tête avec force pour tenter de te dégager. Avale néanmoins la potion dans un gémissement plaintif. La douleur te rend fou. Fou de peur et fou de rage, t'es désespéré.

Tes doigts fermement accrochés à ceux d'Ezra quand tu entends qu'on lui demande de partir, les iris affolés quelques instants alors que le contre-poison commence déjà à faire effet. Ezra parvient à se dégager pour aller chercher un torchon, probablement le seul de ton appart' posé sur le rebord de l'évier. Tu lances un regard à Noah, le reporte sur Ezra qui revient déjà. Grimace à la pression du torchon contre ta peau, t'as déjà perdu tellement de sang que même avec l'antidote t'es pas certain de survivre encore longtemps. T'essaies de parler, encore. Tu foires quand tout s'embrouille dans ta tête et Noah en profite pour reprendre. T'emmener à Sainte-Mangouste. Non non non tu veux pas aller là-bas. C'est ce que t'essaies de leur faire comprendre en t'agitant un peu, mais t'es tellement fatigué que t'es sur le point de t'endormir encore. La respiration faible, sifflante et le corps toujours brûlant de fièvre. L'antidote te fait du bien mais il va te falloir du temps avant d'être réellement capable de quoique ce soit.

— p-pas.. sai-nte-

T'es pas sûr de supporter de voir d'autres gens.
Tu veux pas voir d'autres gens.

Tu fermes les yeux, épuisé, mais les rouvres bien rapidement quand Noah vient tapoter ta joue. Tu lui grognes dessus avant de chercher Ezra des yeux, soulagé quand tu le vois un peu plus loin malgré que t'aurais préféré qu'il reste près de toi. Il va revenir pas vrai ? Quand tu regardes Noah une nouvelle fois, il semble beaucoup plus dur -t'imagine qu'il doit songer à son putain de frère. T'auras sa peau à ce fils de pute. Et pas que la sienne d'ailleurs.

— Ils ét-aient hmpf- d-deux.

Lui et cette salope de Cain.

C'est flou.
Les mots dans tes pensées que t'es incapable de prononcer. Leur voix à tes oreilles qui s'efface à mesure que le noir réapparaît lentement à ton regard. Est-ce que c'est ça la fin alors ? La vraie, celle qui n'offre plus aucune chance de vie ni de rédemption, le néant absolu. Ça te fait peur. Ça te fait tellement peur putain tu veux pas de ça. Pourquoi toi d'abord hein ? Tu veux pas. Tu veux pas non. Non non non non non non pourquoi ? Tu te débats alors (crois le faire en tout cas, bien trop faible pour ça) tu cries, tu hurles, défie du regard cette putain de mort d'oser seulement t'emporter pour de vrai cette fois. Tu la détestes. Tu la détestes tellement putain.

Et pourtant c'est elle la plus forte aujourd'hui,
Quand l'inconscience t'emporte dans ses bras.

* * *
Tu pensais être mort, sans réaliser tout de suite que les morts ne pensent pas. Ton corps engourdi te fait lâcher un grognement insatisfait à mesure que tu reprends lentement connaissance. T'as la bouche pâteuse et le besoin de boire des lires d'eau au moins. Tu réalises enfin. Les morts ne pensent pas. T'es vivant alors ?

Putain de merde.
Quelle belle frayeur elle t'aura fait cette salope.

Nouveau grognement à mesure que les sensations te reviennent doucement. Le flou des sons pour le silence des souffles que tu entends près de toi, des sons qui ressemblent à des voix. Ezra ? Noah. Ezra et Noah. Alors c'est bien leur odeur que tu sens mêlée à celle des antiseptiques. Une ombre qui passe cacher la lumière, ça te fait froncer les sourcils alors que tu grognes encore. Le son des voix qui s'intensifie, les odeurs aussi. T'es vraiment vivant alors.

T'es vraiment vivant Hermès.

Tu finis par ouvrir les yeux. Un peu d'abord, tu clignes pour t'habituer à la lumière avant de prendre le temps d'observer. La première chose que tu vois c'est le plafond blanc au-dessus de toi. Tu tournes ton regard vers la fenêtre, détournes aussitôt en grimaçant à cause de la lumière qui t'aveugle. Où est-ce que t'es ? Ah. T'as pas vraiment besoin de demander en fait.

— J'avais dis pas Sainte-Mangouste les gars..

Quand tu poses finalement les yeux sur Ezra, assit tout près. Un sourire que tu essaies rassurant.

— Vous abusez.

Mais t'es tellement content d'être en vie que tu leur en veux pas vraiment.

Les médicomages ont dit que t'avais eu de la chance, ça te donne envie de rire. T'es pas habitué à la chance toi, si tu l'étais tu serais sûrement pas là aujourd'hui. T'aurais pas changé d'identité, tu vivrais au grand jour. Bon, l'avantage c'est qu'au moins tu te fais pas passer pour mort comme l'autre abruti de clebs... Mais si t'avais vraiment eu de la chance, ils n'auraient pas eu besoin de te recoller quoique ce soit. T'aurais même pu te trouver un rêve, qui sait ? Parce que si t'avais eu de la chance, ni Atlas ni Noah n'existeraient.

— Première nouvelle.

Tu ricanes un peu, mauvais, juste avant que Noah n'intervienne. Lui dire merci ? À lui ? T'as autant à crever sur place -et ça te fait bien trop de savoir au fond que c'est à ce connard que tu dois ta vie. Pas qu'à lui, à Ezra aussi. Ezra que tu regardes un instant en silence, avant de dériver sur Noah.

— Je devrais ?
Jamais.

La tendresse des caresses d'Ezra à ton bras dévient de nouveau ton attention, et tu as le visage bien plus sombre tout à coup. Il faut que tu parles. Il le faut vraiment ? Ça n'avait jamais rien donné, de parler. Et t'as pas envie. Mais ils veulent savoir, eux. Qui. Comment. Pourquoi ? Tu n'oses pas regarder ta main alors que les souvenirs de la veille refont trop rapidement surface et que tu serres les dents à t'en péter la mâchoire. Après un léger silence tu finis par relâcher la pression, le regard dans le vide. T'es en colère Hermès.

— Cain Prescott. C'est la barmaid de mon job. Plutôt petite, de longs cheveux bleus. J'sais pas d'où ils se connaissent mais ils avaient l'air de bien s'entendre hier soir.

Tu relèves les yeux vers Noah.

— Ton putain d'frère était en chien sur elle, j'imagine que c'est parce qu'elle est aussi tarée qu'ce fils de pute.

Tu regardes Ezra.

— Atlas est passé en début de service hier. J'ai réussi à le dégager, elle m'a offert un verre. C'était pas l'premier et y avait jamais eu de drogue dans les autres. J'suis sorti prendre l'air juste après et il était là.

Là, juste comme ça.
Quel enculé putain.

Il ne comprend pas.
Lâche tes mains.

Si tu ne dis rien tu lui adresses un regard entre surprise et inquiétude. Tu ne veux pas qu'il parte, même s'il n'est pas loin. Tu veux qu'il reste avec toi, t'as besoin de profiter de lui encore un peu parce que ça te rassure qu'il soit là. Il est le seul qui a toujours su te rassurer, Ezra. Pourtant tu comprends que ce n'est pas aussi facile même si, égoïstement, t'en as rien à foutre. T'as juste pas le choix puisque t'es cloué au lit et trop crevé pour lui courir après.

— Ez'.

Tu l'interpelles alors qu'il est sur le pas de la porte, sur le point de disparaître. Tu sais pas vraiment pourquoi t'as fais ça ni ce que t'aurais voulu lui dire précisément. Les mots se bloquent dans ta gorge. Au fond, tu voulais juste qu'il reste pas vrai ?

— Laisse tomber.

Ouai, ça vaut mieux.
Il finit par partir et tu reportes toute ton attention sur Noah. Tu l'écoutes parler, c'est que t'as pas grand chose à dire pour l'instant. Hausse les sourcils quand il te conseille de ne pas quitter la maison.

— Et puis quoi encore.

Il est hors de question que tu passes tes journées à te tourner les pouces chez Ezra. Quelques jours pour te reposer et après tu décampes. Ça te dérange pas de l'appeler toutes les heures s'il le veut, mais tu ne t'étoufferas pas à ne rien faire de tes journées -comme si tu faisais grand chose à la base. Comme si t'avais encore quelque chose à faire maintenant que même ton lieu de travail a été compromis. Tu retourneras pas là-bas.

— Il va falloir qu'on le bute.
— Wow, quelle belle idée.

Tu l'as pas attendu pour y penser. Et tu lui lances un regard noir à la suite de ses mots. T'as la haine, Hermès. La haine qu'il ose te prendre de haut à ce point alors qu'il est sûrement le plus misérable de vous deux (tu veux le croire).

— Tu prendras le double si tu le crèves sans moi sale chien.

T'es sérieux.
Tu as rarement été aussi sérieux -et tu sais, toi, que contrairement à lui tu iras au bout des choses. Toi tu le tueras sans aucune hésitation Atlas. Te sauver nous fait perdre du temps. Mais quelle crevure putain. Il a eu toute sa vie pour buter son frère et il en a été incapable. C'est pas toi le responsable de ses échecs, c'est son incompétence.

— Le seul temps perdu c'est celui où tu craches ta merde. Dégage de là clochard.

Il peut crever pour un merci.